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L’art du sens dans les organisations, Dirigé par Jean-Luc Moriceau, Hugo Letiche et Marie-Astrid Letheule (2019) Québec : Presses de l’Université Laval, 388 pages. ISBN : 978-2-7637-4437-7[Notice]

  • Sylvain Luc

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  • Sylvain Luc
    Professeur, Département des relations industrielles, Université Laval, Québec, Québec

En tant que chercheur en organisation, poser la question du sens, c’est en soi se mettre en quête du principe harmonieux qui unit les sujets à leur environnement et qui élucide la finalité de leurs actions. Mais c’est aussi sonder l’harmonie entre le chercheur et son objet; la quête de sens invite à la réflexivité, à interroger et à critiquer son propre rapport au temps et à l’espace, à son environnement et aux autres qui le constituent. Donner du sens aux organisations et aux phénomènes organisationnels implique une recherche esthétique. En soi, et c’est le point de départ de l’ouvrage, nous pourrions considérer cette recherche de sens comme un art. La question du sens donné à « L’art du sens dans les organisations » m’est restée en filigrane tout au long de la lecture. C’est en toute franchise que je l’avoue : dès le départ, je me suis senti trahi par les auteurs. Le titre (par la préposition « dans ») me laissait, en effet, croire que l’objet de cet ouvrage était la manière dont le sens se construisait au sein des organisations. Avant d’avoir reçu ce livre et de l’avoir entre les mains, je pensais voir défiler, au fil des pages, les théories de la construction sociale de la réalité et, en particulier, celles de l’enactment et du sensemaking de Karl Weick, un maître à penser en théorie des organisations — hélas trop peu connu dans le champ des relations industrielles. Je m’attendais à voir ou à revoir les différents regards que les interactionnistes symboliques portent sur les interactions humaines et la manière dont les individus se construisent l’illusion d’une harmonie « organisante ». Je croyais être de nouveau stimulé par les inversions des logiques d’action des épistémologies constructivistes : le sens n’est pas une donnée qui précède l’action, mais un construit qui se découvre dans et par l’action. En somme, je m’attendais à revivre, confortablement confiné dans mon salon, la découverte, l’invention, ainsi que l’effondrement du sens dans les organisations, avec l’espoir de voir ces déclinaisons apparaître, étude de cas après étude de cas. Certes, dès la réception du livre, la quatrième de couverture aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Cette dernière annonce clairement qu’au-delà de la pensée du psychosociologue Karl Weick, l’ouvrage aborde trois autres penseurs du sens. Par la référence aux deux philosophes (Stiegler et Lingis), j’aurai dû réaliser immédiatement que ce livre ne traiterait pas tant du sens dans les organisations que simplement du sens dans une perspective plus hétéroclite. Mais il semble que je sois resté sur ma trajectoire d’interactionniste symbolique, sourd aux avertissements pourtant clairement annoncés des coordonnateurs. Très rapidement, la lecture de l’ouvrage engendra une crise de sens : pourquoi ce livre? Quelle en est l’harmonie? Quel en est le projet éditorial? À qui s’adresse-t-il? Page après page, auteur après auteur (il y en a 12 au total), ces questions restaient en suspens, sans pour autant ressentir l’envie de fermer le livre et de l’oublier sur une tablette. Car, même si le sens de ce recueil m’échappait, il y avait un « quelque chose » qui m’invitait à la poursuite de la lecture, comme une sorte d’esthétique qui ne peut qu’attirer votre regard. Ce livre ne pouvait pas être sans « sens ». Une seconde lecture s’imposait et cette dernière fut salvatrice puisqu’elle me permit d’identifier plus clairement les éléments dissonants qui venaient perturber ma quête de cohérence. Outre son titre, l’ouvrage me semble comporter deux grandes sources de dissonance. L’introduction est assommante. Il semble que les coordonnateurs se sont laissé prendre au jeu de rassembler ce qui était …