Corps de l’article

Introduction

L’une des compétences les plus importantes qui soit est certes la compétence à lire[1]. En effet, celle-ci permet à la personne de se divertir, d’apprendre, de s’instruire, de se transformer et de s’adapter socialement. Malheureusement, certaines personnes ne parviennent pas à apprendre à lire. Aussi, afin de prévenir cette situation, le développement professionnel des enseignants constitue une voie d’action prioritaire, qui n’est toutefois pas exempte de certains défis (Anders, Hoffman et Duffy, 2000), notamment à la maternelle. Cet article présente donc tout d’abord la problématique et le cadre conceptuel liés à la prévention des difficultés d’apprentissage en lecture ; il aborde ensuite la question du développement professionnel des enseignants de maternelle. Il expose aussi la méthode utilisée pour les fins d’une recherche réalisée auprès d’enseignants et de leurs élèves. Enfin, il traite des résultats et de leur discussion.

Problématique

L’incapacité à lire peut être attribuable en bonne partie à des difficultés à maîtriser le code propre à la langue, à transférer les habiletés de compréhension de l’oral à l’écrit, ainsi qu’à être motivé et à apprécier les bienfaits de la lecture (Snow, Burns et Griffin, 1998). Alors que dans de rares cas ces difficultés sont liées à des aspects biologiques, dans la plupart des cas elles découlent d’une sous-stimulation relative à l’écrit, associée en grande partie à des conditions sociales telle la pauvreté (Gombert, 1999 ; Snow et al., 1998). Au Québec, selon la Fondation pour l’alphabétisation (2002), il y aurait près d’un million de personnes analphabètes, soit environ un Québécois sur cinq. Aux États-Unis, des études nationales longitudinales révèlent que plus de 17,5 % des élèves, soit environ 10 millions, vont éprouver des difficultés en lecture lors des trois premières années de leur scolarité (National Reading Panel, 2000).

Devant l’ampleur de ce problème d’apprentissage de la lecture, les ministères fédéraux américains d’Éducation, de la Santé et des Services sociaux ont demandé à l’Académie nationale des sciences de former un comité pour examiner la prévention des difficultés en lecture (Snow et al., 1998). Ce comité avait pour mandat de mener une étude sur l’efficacité des interventions destinées à des élèves qui risquent d’éprouver des difficultés. Au terme de son étude, le comité a fait quelques recommandations. Tout d’abord, il faudrait fournir un enseignement de la lecture de qualité à tous les élèves. Puis, il faudrait mettre en place des environnements préscolaires et de maternelle favorisant le fait que les élèves puissent arriver en première année préparés et motivés au sujet de la littératie, surtout en milieux défavorisés. Il faudrait également s’assurer que les enseignants disposent des savoirs nécessaires et reçoivent un soutien continu. Enfin, veiller à ce que les écoles soient organisées de façon optimale, que le curriculum, les services et le matériel soient adéquats et que la langue parlée par les enfants à la maison soit prise en compte.

Snow et ses collaborateurs (1998) rapportent que les recherches des dernières décennies ont permis de préciser ce sur quoi doit porter la préparation des élèves pour la première année. Il s’agit notamment d’habiletés relatives au vocabulaire, des buts et des mécanismes de la lecture, de la conscience phonologique qui consiste en la capacité de porter attention aux sons de la langue et à les manipuler, et du principe alphabétique qui repose sur l’établissement de correspondances graphèmes-phonèmes. Il importe de souligner qu’à ce jour, la connaissance des lettres et les habiletés métaphonologiques se sont révélées les deux plus importants gages de succès en lecture (Ehri, Nunes, Stahl et Willows, 2001). Des interventions systématiques relatives à ces deux préalables sont donc cruciales au début de l’apprentissage de la lecture (Ehri et al., 2001 ; Rayner, Foorman, Perfetti, Pesetsky et Seidenberg, 2001).

Ces connaissances ont une incidence sur la contribution spécifique que peuvent apporter les enseignants de maternelle au sujet de la prévention des difficultés d’apprentissage en lecture. Ainsi, les enseignants gagnent à adopter des pratiques selon une approche équilibrée (Bos, Mather, Friedman Narr et Babur, 1999 ; Pressley, 1998), c’est-à-dire qui tire profit du meilleur des approches globale et phonique, qui se définissent comme suit :

[...] « approche globale » (whole language) en référence à la position de Goodman (1986) et de Smith (1980) selon laquelle l’apprentissage de la lecture se réaliserait comme l’apprentissage du langage oral. Cette conception […] insiste sur les activités de compréhension, c’est-à-dire l’établissement de liens entre des représentations orthographiques et des représentations sémantiques. L’enfant identifie les mots à partir de leur forme globale tout en accédant au sens du texte qui peut également l’aider à identifier des mots nouveaux inconnus. L’autre approche appelée analytique (par opposition à globale) ou « phonique » (phonics approach) stipule que la lecture, activité s’appuyant sur l’identification de mots écrits (la compréhension précise d’un texte ne peut se réaliser sans l’identification de tous les mots), nécessite impérativement l’apprentissage du code alphabétique, c’est-à-dire la décomposition de la langue orale en unité linguistiques réduites, les phonèmes, qui seront associés à des unités graphémiques.

Ecalle et Magnan, 2002, p. 183-184

Une approche équilibrée favorise la prévention des difficultés d’apprentissage en lecture de même que la motivation des élèves vis-à-vis d’elle (Pressley, 1998). En effet, l’approche globale leur permet de bénéficier d’un environnement stimulant alors que l’approche phonique les habilite à lire de nouveaux mots de façon autonome.

En général, les enseignants québécois de maternelle se sentent à l’aise avec l’approche globale. Ils reconnaissent également l’importance des interventions phoniques. Ce qui s’avère problématique cependant, c’est que plusieurs s’opposent à ce qu’elles soient systématiques (Brodeur, Deaudelin, Bournot-Trites, Siegel et Dubé, 2003), comme le recommandent entre autres les travaux du National Research Council (Snow et al., 1998). Différentes raisons peuvent expliquer cette position. Premièrement, certains craignent que de telles interventions mènent à une scolarisation trop précoce des enfants, ce qui pourrait nuire entre autres à leur motivation. Deuxièmement, que ce soit lors de la formation initiale ou continue, peu d’enseignants ont appris pourquoi et comment intervenir sur le plan phonique. Troisièmement, le dernier curriculum (Gouvernement du Québec, 2001, p. 68) ne fournit pas, à propos des interventions phoniques, de recommandations précises comme le font les synthèses spécialisées des équipes de Ehri (2001), Rayner (2001) et Snow (1998).

Cet écart entre les connaissances issues de la recherche, d’une part, et la position des milieux scolaire et ministériel, d’autre part, constitue un obstacle à une mobilisation essentielle pour la prévention des difficultés d’apprentissage en lecture. Outre cet obstacle, d’autres problèmes s’ajoutent tels la diffusion lacunaire par les chercheurs des résultats de la recherche dans les milieux de pratique (Ecalle et Magnan, 2002 ; Gersten, Vaughn, Deshler et Schiller, 1997 ; Stanovich, 2000) et le peu de matériel pédagogique qui correspond aux dernières avancées dans le domaine (Smith et al., 2001). Enfin, dans les milieux francophones tels ceux du Québec, les problèmes mentionnés précédemment sont amplifiés à cause de la langue. En effet, les écrits scientifiques, les programmes d’intervention et les instruments de mesure s’avèrent beaucoup plus rares en langue française qu’en langue anglaise. La recherche de Corneau, Cormier, Grandmaison et Lacroix (1999) témoigne bien de cette difficulté alors que dans une étude transculturelle, faute d’instruments, les chercheurs n’ont pu procéder à la mesure de certaines dimensions en français, bien qu’ils aient pu le faire en anglais.

Les difficultés importantes chez plusieurs élèves de leur école à apprendre à lire, de même que l’avancement des connaissances au sujet de la prévention de ces difficultés, ont motivé des responsables scolaires à se tourner vers l’université pour obtenir et mettre en place un programme d’intervention fiable et rigoureux. C’est donc dans cette foulée que notre équipe de chercheurs a soutenu l’implantation d’un programme de prévention auprès d’élèves de la maternelle en milieux défavorisés. Sachant par ailleurs que ce programme était novateur par rapport aux prescriptions curriculaires (Gouvernement du Québec, 2001), bien que cohérent avec la Politique de l’adaptation scolaire dont la première voie d’action est la prévention (Gouvernement du Québec, 1999), le projet a été conçu dans une perspective de développement professionnel des enseignants. Ces dernières années, un intérêt croissant a émergé au sujet du développement professionnel des enseignants concernant l’apprentissage de la lecture, lié à la nécessité de traduire dans l’action les savoirs issus de la recherche (Fuchs, Fuschs, Thompson, Al Otaiba, Yen, Yang, Braun et O’Connor, 2001 ; Snow et al., 1998). Ainsi, Anders, Hoffman et Duffy (2000) traitent des changements paradigmatiques, des problèmes persistants et des défis relatifs à la formation initiale et continue pour l’enseignement de la lecture. Ils concluent à la nécessité de faire de cette formation une priorité et de réaliser des recherches pour guider l’entreprise. Ils mentionnent que ces recherches doivent se préoccuper notamment des savoirs, des croyances et des pratiques des enseignants.

Par rapport au défi proposé par le milieu scolaire, l’équipe de recherche a donc formulé la question suivante : comment aider des enseignants de maternelle dans leur développement professionnel afin de favoriser des croyances et des pratiques qui contribuent à la réussite de l’apprentissage de la lecture chez leurs élèves ? La portée de cette question est importante, car peu de recherches ont évalué l’effet des programmes de formation continue à la fois sur l’apprentissage des enseignants (Wilson et Berne, 1999) et sur celui de leurs élèves (Garet, Porter, Desimone, Birman et Suk Yoon, 2001).

Cadre de référence et objectifs de recherche

La formation des enseignants constitue la clé de l’amélioration de l’instruction (Darling-Hammond, 1997). Pour cette raison, le cadre conceptuel aborde dans un premier temps le développement professionnel des enseignants. Puis, dans un deuxième temps, il traite de ce développement au sujet de la prévention des difficultés d’apprentissage en lecture à la maternelle.

Développement professionnel des enseignants

Selon Day (1999, p. 4)[2], le développement professionnel consiste en un processus d’acquisition critique de savoirs essentiels à une pensée et à une pratique de qualité en enseignement, se déroulant tout au long de la vie professionnelle. Ce processus s’opère au moyen d’une démarche individuelle et collective, jalonnée d’expériences d’apprentissage conscientes et planifiées. Ces expériences sont entreprises en vue d’être profitables à la personne, à un groupe ou à l’école. Elles contribuent à la qualité de l’éducation dans la classe et dans le système scolaire. Des changements dans l’apprentissage des élèves, les pratiques, les croyances et les attitudes des enseignants, constituent des indices de ce processus de développement professionnel (Guskey, 2002).

Garet et ses collaborateurs (2001) ont identifié trois caractéristiques essentielles des activités de développement professionnel qui ont des effets positifs et significatifs sur l’accroissement des habiletés et des savoirs autorapportés des enseignants, de même que sur leur changement de pratiques. Il s’agit de la centration sur des savoirs de contenu, de l’occasion pour des apprentissages actifs, et de la cohérence avec les autres activités d’apprentissage. Afin de favoriser cet apprentissage actif et continu chez les enseignants, Kremer-Hayon et Tillema (1999) proposent de recourir à l’autorégulation de l’apprentissage. Celle-ci consiste en un processus requérant une activité cyclique en trois phases : planification, contrôle d’exécution et autoréflexion (Zimmerman, 1998). Ce processus vise à optimiser l’apprentissage en permettant aux apprenants d’améliorer le contrôle qu’ils exercent sur celui-ci (Zimmerman, Bonner et Kovach, 1996). Des outils peuvent soutenir la personne dans son autorégulation de l’apprentissage, tels un contrat d’apprentissage (Anderson, Boud et Sampson, 1996), des grilles de suivi, de même que des outils permettant d’établir un parallèle entre les stratégies d’apprentissage et les résultats obtenus (Zimmerman et al., 1996) et ceux amenant l’apprenant à prendre conscience de son processus d’apprentissage (Brodeur, Deaudelin et Legault, 2002 ; Harri-Augstein et Thomas, 1991). L’autorégulation de l’apprentissage devrait susciter, chez les enseignants impliqués dans un tel processus, des changements sur le plan de leurs croyances, de leurs savoirs ou de leurs conceptions (Pintrich, Marx et Boyle, 1993) qui, à leur tour, devraient favoriser des modifications dans leurs pratiques[3].

Développement professionnel au sujet de la prévention des difficultés d’apprentissage en lecture

Compte tenu de l’état des connaissances relatives à la prévention des difficultés d’apprentissage en lecture, une démarche de développement professionnel à ce sujet doit permettre aux enseignants de maternelle d’apprendre comment et pourquoi fournir à leurs élèves des activités globales (pour une revue en français, voir : Giasson et Saint-Laurent, 1998) de même que des activités phoniques systématiques (Ehri et al., 2001 ; Karweit, 1993 ; Pressley, 1998). Au sujet de ces dernières activités, pour lesquelles les enseignants sont moins préparés, il faut rappeler qu’elles doivent porter à la fois sur les deux plus puissants prédicteurs de l’apprentissage de la lecture, soit le nom et le son des lettres, de même que les habiletés métaphonologiques dont celles relatives aux phonèmes (Ehri et al., 2001). En effet, une méta-analyse (Bus et van Ijzendoorn, 1999), qui porte sur des études expérimentales relatives à l’effet de l’entraînement aux habiletés métaphonologiques sur l’apprentissage de la lecture, montre qu’une aide qui vise à la fois l’apprentissage des lettres et le développement des habiletés métaphonologiques donne de meilleurs résultats qu’une aide qui ne porte que sur ces dernières. De plus, les activités phoniques doivent être organisées selon un degré de difficulté croissant afin que les élèves vivent des succès et développent des habiletés plus complexes susceptibles de bien les préparer à l’apprentissage de la lecture, telles les habiletés de segmentation phonémique. Aussi, afin de pouvoir respecter l’ensemble de ces exigences dans leurs pratiques, il peut être avantageux pour les enseignants de recourir à des programmes phoniques déjà existants.

À ce jour, quelques recherches ont évalué l’effet de l’implantation de programmes phoniques par des enseignants. Ainsi, Bos et ses collaborateurs (1999) ont évalué l’effet du projet RIME (Reading Instructional Methods of Efficacy). Il s’agit d’un programme qui vise à soutenir des enseignants dans une démarche d’enseignement, selon une approche équilibrée, à l’attention d’élèves susceptibles d’éprouver des difficultés d’apprentissage en lecture. Ce programme comporte un cours d’environ 45 heures en juin, ainsi qu’une rencontre de collaboration à la fin de ce cours et des rencontres mensuelles d’une heure durant l’année scolaire. Sept enseignants de la maternelle à la deuxième année, ainsi que quatre autres intervenants ont fait partie du groupe expérimental, alors que 17 autres enseignants ont formé le groupe témoin. Les résultats révèlent que les enseignants ont acquis des connaissances et développé une attitude plus positive par rapport à l’approche phonique, tout en demeurant favorables à l’égard de l’approche globale, alors que les enseignants du groupe témoin sont demeurés favorables à l’approche globale seulement. Par ailleurs, les élèves de maternelle qui étaient dans les classes expérimentales ont fait des gains plus importants que les élèves des classes témoins, au sujet de l’identification de sons, de même que de l’épellation de mots et de non-mots. De leur côté, Fuchs et ses collaborateurs (2001) ont évalué l’efficacité et la faisabilité du programme d’entraînement aux habiletés métaphonologiques Ladders (15 minutes x 3 jours, durant 20 semaines), avec ou sans le programme PALS d’amorce du décodage (25 minutes x 3 jours, durant 16 semaines), auprès de 33 enseignants de maternelle et de 404 de leurs élèves. Les 33 enseignants ont été répartis en trois groupes, deux expérimentaux et un témoin. Les enseignants des groupes expérimentaux ont participé à une rencontre les informant de la nature, des buts et du rationnel du ou des programmes, puis ils ont reçu du soutien d’assistants de recherche au cours de l’implantation de ces programmes. À la fin de la maternelle, les élèves des deux groupes expérimentaux ont eu des résultats comparables aux mesures d’habiletés métaphonologiques, résultats supérieurs à ceux des élèves du groupe témoin. Les élèves du groupe soumis à la combinaison des deux programmes ont eu par ailleurs des résultats supérieurs à ceux des élèves des deux autres groupes, en ce qui a trait aux mesures alphabétiques. Dans les deux études recensées, les chercheurs ont relevé le défi que représente un tel type de recherche où les enseignants sont responsables de l’implantation d’un programme et où diverses sources de variation peuvent causer de l’interférence. Ils soulignent, malgré tout, l’importance de poursuivre de telles recherches.

Étant donné que les enseignants se disaient plus à l’aise avec l’approche globale et moins avec l’approche phonique, deux objectifs ont été poursuivis dans cette recherche. Le premier consistait à décrire, chez des enseignants de maternelle, les retombées d’une démarche collaborative de développement professionnel sur leurs croyances et leurs pratiques au regard de la connaissance des lettres et des habiletés métaphonologiques, de même que des aspects liés à l’implantation d’un programme de prévention. Enfin, le deuxième était d’étudier, chez leurs élèves, le développement de leurs habiletés métaphonologiques, l’acquisition de la connaissance des lettres, ainsi que leur motivation à l’égard de la lecture.

Méthode de recherche

La section qui suit précise le type de la recherche. Elle décrit aussi les participants, les instruments de mesure ainsi que le plan d’analyse des données.

Type de recherche

Le moyen privilégié pour la réalisation de ce projet consistait en une recherche collaborative. Selon Desgagné (1997), une telle recherche suppose que des enseignants, encadrés par des chercheurs universitaires, contribuent à l’investigation d’un objet de recherche. Elle reconnaît les compétences des enseignants et leur permet, entre autres, de s’approprier une nouvelle approche afin de dégager les éléments de viabilité en contexte réel, en vue de l’apprentissage des élèves.

Dans ce projet, il s’agissait d’une approche équilibrée de prévention des difficultés d’apprentissage en lecture à la maternelle. Elle comportait des modules d’émergence de l’écrit caractéristiques de l’approche globale (Giasson et Saint-Laurent, 1998) ainsi que des capsules d’enseignement phonique (Kame’enui, Simmons, Good, Harn, Chard, Coyne, Edwards, Wallin et Sheehan, 2002). C’est cette approche que les enseignants de maternelle étaient invités à s’approprier dans le présent projet ; elle est décrite dans le déroulement.

Participants

Les responsables de deux commissions scolaires montréalaises ont invité des enseignants de maternelle à participer au projet[4]. Ils leur ont expliqué l’importance d’avoir un groupe expérimental et un groupe témoin, de même que de répartir de façon aléatoire les écoles dans ces deux groupes. Au terme de l’opération, les enseignants de 26 classes réparties dans 14 écoles primaires, majoritairement de milieux défavorisés, ont participé à l’étude (groupe expérimental : 8 écoles, 17 enseignants ; groupe témoin : 6 écoles, 9 enseignants). Alors que les enseignants du groupe expérimental ont persévéré tout au long de la recherche, à l’exception de quatre qui ont été mutés ou qui ont pris leur retraite, six enseignants du groupe témoin se sont désistés lors du post-test. Différentes raisons sont susceptibles d’avoir motivé ce désistement : moyens insuffisants afin de soutenir le sentiment d’appartenance au projet de recherche, gains trop éloignés[5], méconnaissance de l’importance d’un groupe témoin pour la réalisation d’une recherche. Ainsi, seuls treize enseignants du groupe expérimental et trois du groupe témoin ont participé à la fois au prétest et au post-test. Afin de pallier ce problème, les données de onze enseignants d’un projet parallèle ont été intégrées dans cette étude[6]. L’âge moyen chez les enseignants du groupe expérimental est de 44 ans, alors que leur nombre moyen d’années d’expérience d’enseignement est de 18 ans. Chez le groupe témoin, la moyenne d’âge est de 43 ans et l’expérience moyenne est de 13 ans. Tous ont une scolarité de baccalauréat, sauf un enseignant du groupe expérimental et trois du groupe contrôle possédant une maîtrise. Les participants sont des femmes, à l’exception de deux hommes qui sont dans le groupe témoin.

Après avoir obtenu le consentement des parents, environ dix élèves par classe ont été choisis au hasard et répartis dans les deux groupes, pour un total de 347 élèves. Le groupe expérimental comprenait 169 élèves (filles : 72 ; garçons : 97) alors que le groupe témoin avait 178 élèves (filles : 87 ; garçons : 91). Aucune différence significative liée au sexe n’a été observée en fonction du groupe d’appartenance (χ2 (1) = 1,37, p = ns).

Instruments de mesure

Deux instruments ont été utilisés auprès des enseignants. Le premier, composé de trois sous-échelles, visait à étudier leurs croyances (Rokeach, 1986) et leurs pratiques au sujet de la connaissance du nom et du son des lettres[7], ainsi que des habiletés métaphonologiques (Brodeur, Valois, Dussault et Villeneuve, 1999). Il regroupait 16 items relatifs aux croyances (p. ex. : Les habiletés langagières décrites précédemment constituent des habiletés qui consistent à porter attention aux sons dans les mots et à les manipuler) et 23 items pour les pratiques (p. ex. : Je demande aux enfants de dire par quel son commence un mot). Pour les trois sous-échelles, les indices d’ajustement (CFI : Comparative Fit Index ; GFI : Goodness of Fit Index) étaient très satisfaisants, allant de 0,92 à 0,97. Le second instrument, composé de 20 questions ouvertes (voir annexe A), dont certaines comportaient de plus des échelles en 3, 4 ou 5 points, visait à étudier, lors du post-test, des aspects liés à l’implantation du programme : le soutien offert dans le projet, le développement professionnel et le programme d’intervention.

Trois instruments ont été utilisés auprès des élèves. Le premier avait pour but d’étudier leur connaissance du nom et du son des lettres majuscules et minuscules ; il comportait 104 items, soit chacune des lettres présentée au hasard en caractère Arial 22 points. Le second visait à décrire des habiletés métaphonologiques (Cormier, Grandmaison, Wayne et Ouellette, 1995). Il comportait 42 items de suppression syllabique et phonémique, en plus de présenter des qualités psychométriques élevées. Enfin, le troisième instrument visait à étudier la motivation vis-à-vis de la lecture, à l’aide de trois items inspirés d’un questionnaire sur l’autoévaluation des perceptions de soi développé par Harter (1982). Les trois items portent sur l’importance d’apprendre à lire (les élèves trouvent que c’est important ou que ce n’est pas important d’apprendre à lire), la capacité d’apprendre à lire (les élèves pensent qu’ils sont capables ou qu’ils ne sont pas capables d’apprendre à lire), et la volonté d’apprendre à lire (les élèves veulent apprendre à lire ou ne veulent pas apprendre à lire). Ainsi, par exemple, le premier item se formule comme suit : dans le groupe des cercles, les élèves trouvent que ce n’est pas important d’apprendre à lire. Dans le groupe des carrés, les élèves trouvent que c’est important d’apprendre à lire. À quels élèves ressembles-tu le plus ? Je voudrais savoir maintenant si ce que tu as choisi (répéter le choix de l’enfant) c’est très vrai pour toi ou seulement un petit peu vrai. La consistance interne de cette mesure est peu élevée, avec un coefficient alpha de 0,52 au prétest et de 0,54 au post-test. Il faut souligner qu’il est très difficile de mesurer la motivation chez de jeunes enfants.

L’intervention consistait en une démarche de développement professionnel qui vise la prévention des difficultés d’apprentissage en lecture selon une approche équilibrée. Ainsi, d’une part, les enseignants ont été encouragés à poursuivre leurs activités selon l’approche globale. Dans cette perspective, des modules pour favoriser l’émergence de l’écrit, développés par Giasson et Saint-Laurent (1998), leur ont été fournis. Ces modules portaient sur les thèmes suivants : le coin-lecture (ou coin-bibliothèque), lire et écrire dans des situations de jeux symboliques (p. ex. : épicerie, vétérinaire, bureau de poste, restaurant, etc.), la lecture fonctionnelle (p. ex. : l’écrit dans la rue, la cuisine, la classe, etc.), la lecture d’histoire aux enfants, les livres géants, le coin-écriture, les activités d’écriture et la conscience phonologique. D’autre part, les enseignants ont été invités à implanter des capsules phoniques conçues en fonction des résultats de recherche (Kame’enui et al., 2002), traduites et adaptées en français[8] (Brodeur, Godard, Vanier, Lapierre et Mercier, 2002). Ces capsules ludiques, élaborées selon un ordre de difficulté croissant, étaient d’une durée approximative de deux fois 15 minutes chacune. Chaque capsule intègre une procédure détaillée qui porte sur le modelage du nom et du son des lettres, puis sur des jeux de lettres et d’habiletés métaphonologiques. Du matériel pédagogique afférent accompagne chaque capsule, dont des histoires pour l’introduction des lettres[9]. Signalons que seules les 42 premières capsules ont fait l’objet d’une implantation dans le cadre de cette recherche. Ces capsules portaient sur l’isolement du phonème en position initiale et finale ainsi que le nom et le son des lettres i, o, u, a, m, l, v, n, r, s et z.

Les enseignants du groupe expérimental ont participé à trois rencontres axées sur le programme et ses fondements théoriques, en septembre et en octobre 2002, et à deux rencontres de soutien, en janvier et en mars-avril 2003. Ces rencontres, misant sur une approche collaborative et un apprentissage actif intégrant un contrat d’apprentissage, ont été animées par l’équipe de recherche, qui a également produit et fourni le matériel pédagogique. De novembre à avril, les enseignants ont implanté les 42 capsules dans leurs classes au rythme d’environ deux capsules par semaine. En juin, les enseignants et leurs élèves ont participé au post-test.

Analyse des données

Le plan d’analyse des données comprenait deux volets portant respectivement sur les enseignants et les élèves. Ainsi, en premier lieu, les analyses des résultats des 27 enseignants, obtenus au post-test, relativement aux croyances et aux pratiques relatives au nom et au son des lettres, de même qu’aux habiletés métaphonologiques ont été examinées au moyen d’analyses non paramétriques. Ces analyses se sont avérées équivalentes à l’analyse de variance ordinaire, mais s’avèrent plus robustes lorsque l’échantillon était susceptible de ne pas correspondre aux exigences paramétriques. L’élaboration du cadre d’analyse des réponses aux questions ouvertes du post-test a été réalisée à partir des thèmes mutuellement exclusifs ayant guidé la production des questions. Enfin, en deuxième lieu, des comparaisons sont effectuées entre les élèves des groupes expérimental et témoin au moyen d’analyses à mesures répétées.

Résultats

Les résultats sont présentés en deux parties. La première partie concerne les croyances et les pratiques des enseignants au sujet des habiletés métaphonologiques et de la connaissance des lettres, de même que des aspects liés à l’implantation du programme. La deuxième partie porte sur l’efficacité du programme d’intervention au regard de l’apprentissage de la lecture chez les enfants et de leur motivation à cet égard.

Croyances et pratiques des enseignants

La première série d’analyses consiste à comparer les scores sur les six échelles mesurant le développement professionnel des enseignants en fonction du groupe d’appartenance (c’est-à-dire expérimental-témoin). L’analyse des scores au post-test permet d’établir une distinction entre les enseignants du groupe expérimental et ceux du groupe témoin. Plus spécifiquement, comparés aux enseignants du groupe témoin, les enseignants du groupe expérimental incluent davantage dans leurs pratiques l’enseignement d’habiletés métaphonologiques (W = 144, p < 0,011) ainsi que le nom des lettres (W = 146,5, p < 0,014) et plus marginalement le son des lettres (W = 160,5, p < 0,085). Les enseignants du groupe expérimental n’affichent pas de croyances différentes de celles des enseignants du groupe témoin concernant ces trois objets d’apprentissage.

Implantation du programme

Pour ce qui est des réponses aux questions ouvertes, il est à signaler que les treize enseignants du groupe expérimental y ont répondu. Les pourcentages correspondent à la proportion d’enseignants dont la réponse comportait cet énoncé. Certaines réponses prennent la forme d’une échelle en trois, quatre ou cinq points. Pour celles-ci, les moyennes et les écarts-types sont rapportés.

Au sujet du soutien offert dans le projet, le matériel pédagogique constitue le soutien principal (72 %). Toutefois, les enseignants désireraient des démonstrations plus élaborées du matériel (32 %), plus de temps de formation et de soutien (24 %), ainsi qu’un ajustement à la hausse du nombre de rencontres (32 %). Les enseignants se déclarent moyennement satisfaits concernant le soutien offert (m = 3,38, é.t. = 0,77).

À propos du développement professionnel relatif à la prévention des difficultés d’apprentissage en lecture, la majorité des enseignants n’ont pas reçu de formation sur ce sujet avant le projet (87,5 %). Concernant leurs pratiques antérieures à l’implantation du programme et le matériel utilisé, la grande majorité d’entre eux (80 %) montraient les lettres avec leur son. Ils sont éclectiques quant au matériel utilisé. Sur le plan de leur développement professionnel, les enseignants se sont donné comme buts d’apprendre une nouvelle méthode d’enseignement (45 %) et de « donner une chance aux élèves défavorisés » (16 %). Les moyens utilisés sont principalement la gestion du temps (24 %) et la préparation de l’enseignement (40 %). Les retombées sur le plan de leur développement professionnel concernent principalement le développement de nouvelles pratiques (64 %), leur conscientisation et leur réflexion relativement aux meilleures pratiques et à la prévention (16 %). Les enseignants se déclarent hautement satisfaits concernant leur développement professionnel dans le cadre du projet (m = 3,87, é.t. = 0,74).

Quant à leur satisfaction à l’égard du programme d’intervention, les enseignants indiquent qu’ils ont apprécié les histoires (40 %), les images (64 %), ainsi que la variété des activités (32 %). Du côté de leurs élèves, ils rapportent une bonne participation (32 %) et une plus grande motivation vis-à-vis de la lecture (80 %). Les enseignants soulignent un meilleur apprentissage du son des lettres (92 %). Enfin, lorsque vient le temps de s’exprimer sur ce qui les influence généralement le plus pour choisir de nouvelles façons d’intervenir auprès des élèves, ils se disent principalement influencés par la motivation (48 %) et les résultats des élèves (32 %) de même que par la variété des interventions possibles auprès de ceux-ci (56 %). Lorsqu’on demande combien de capsules sur les 42 les enseignants ont implantées, la moitié d’entre eux ne répondent pas. Chez l’autre moitié, la moyenne est de 40,76 (é.t. = 1,94). Les enseignants rapportent avoir réalisé des activités signifiantes fréquemment (m = 3,44, é.t.= 0,51) et d’un degré de variété élevé (m = 3,25, é.t. = 0,58). Placés dans des conditions le permettant, les enseignants poursuivraient le programme l’an prochain dans sa totalité (56,3 %) ou partiellement (43,8 %).

Apprentissage et motivation des enfants

Une série d’analyses multivariées, à mesures répétées, comparant la performance des élèves au prétest et au post-test en fonction du groupe de l’enfant a été effectuée pour vérifier l’efficacité du programme d’intervention.

Les résultats des analyses multivariées à mesures répétées indiquent que les enfants du groupe expérimental et ceux du groupe témoin ont progressé différemment au cours de l’année scolaire. Les enfants ayant suivi le programme sont plus compétents au plan de la connaissance des lettres (F[4,313] = 9,502, p < 0,001). Cet avantage se retrouve au niveau du son des lettres majuscules (F[1,316] = 4,477, p < 0,035), du nom des lettres majuscules (F[1,316] = 5,299, p < 0,022), du son des lettres minuscules (F[1,316] = 9,101, p < 0,003), et du nom des lettres minuscules (F[1,316] = 27,409, p < 0,000). Enfin, le programme n’a pas produit de différences entre les deux groupes au plan des habiletés métaphonologiques.

La motivation liée à l’apprentissage de la lecture a également été évaluée et les résultats de l’analyse multivariée à mesures répétées révèlent un effet d’interaction significatif en fonction du temps et des groupes d’appartenance (F[1,310] = 0,980, p < 0,013). Plus spécifiquement, les élèves du groupe expérimental, plus que ceux du groupe témoin, trouvent important d’apprendre à lire, veulent apprendre à lire et évaluent qu’ils sont capables de le faire.

Discussion

L’analyse des résultats révèle qu’au post-test, les enseignants du groupe expérimental, plus que ceux du groupe témoin, intègrent à leurs pratiques d’enseignement les habiletés métaphonologiques ainsi que le nom et le son des lettres. Toutefois, il n’y a pas de différence entre ces groupes quant aux croyances relatives à ces objets, ces dernières étant élevées chez l’ensemble des enseignants. Ce dernier résultat peut être dû au fait que tous ces enseignants, volontaires, étaient vraisemblablement déjà au départ ouverts à la prévention. Le fait d’appartenir au groupe expérimental semble par ailleurs lié à des croyances et des pratiques favorables aux deux approches, phonique et globale, ce qui va dans le sens des résultats obtenus par Bos et ses collaborateurs (1999).

Dans les réponses aux questions ouvertes, les enseignants désignent le matériel pédagogique comme le soutien principal dans leur démarche de développement professionnel. Plusieurs, lors des rencontres, avaient exprimé, en effet, leur grande satisfaction de pouvoir disposer de matériel déjà prêt pour la réalisation des activités. Il est donc possible de considérer ce matériel comme une clé du développement des nouvelles pratiques qu’ils rapportent. Par ailleurs, comme ils se disent principalement influencés dans le choix de nouvelles façons d’intervenir auprès des élèves par la motivation et les résultats de ceux-ci, leur observation d’une plus grande motivation en matière de lecture, accompagnée d’un meilleur apprentissage du son des lettres chez leurs élèves lors du projet, a pu également contribuer au changement de pratiques dans le projet. Parallèlement, la présentation des fondements théoriques lors des rencontres de formation semble avoir été favorable à l’accroissement de la conscientisation et de la réflexion relatives aux meilleures pratiques et à la prévention. Il est à souligner qu’ils n’évoquent pas la recherche comme moteur de changement de pratiques, ce qui peut être attribuable à leur formation initiale, qui les a peu ou pas préparés à cet égard. Aussi, afin de répondre de façon toujours plus adaptée aux besoins de leurs élèves, les enseignants devraient apprendre, dès leur formation initiale, à adopter des pratiques basées sur la recherche. De récents travaux, tels ceux de Klingner et Hugues (2003), fournissent des recommandations spécifiques pour développer de telles pratiques.

Tableau 1

Moyennes et écarts-types des scores pour la connaissance du nom et du son des lettres majuscules et minuscules, des habiletés métaphonologiques et de la motivation chez les enfants du groupe expérimental et du groupe témoin au prétest et au post-test

Moyennes et écarts-types des scores pour la connaissance du nom et du son des lettres majuscules et minuscules, des habiletés métaphonologiques et de la motivation chez les enfants du groupe expérimental et du groupe témoin au prétest et au post-test

m : moyenne

ét : écart-type

-> Voir la liste des tableaux

Dans cette étude, le fait que la formation ait porté à la fois sur le programme et ses fondements théoriques ne permet pas de conclure si ce sont les changements de pratiques qui précèdent les changements de croyances ou l’inverse. L’implantation d’un programme et l’observation de ses effets positifs sur les élèves semblent s’être révélées déterminantes au regard de l’adoption de nouvelles pratiques.

Pour ce qui est du deuxième objectif, l’étude indique que tous les élèves ont progressé dans leur connaissance du nom et du son des lettres, minuscules et majuscules, mais cela est vrai pour ceux du groupe expérimental encore plus que pour ceux du groupe témoin, ce qui est comparable avec les résultats obtenus par Fuchs et ses collaborateurs (2001). En ce qui concerne les tâches d’habiletés métaphonologiques, aucune différence n’est observée entre les deux groupes, ce qui peut être attribuable à l’instrument de mesure qui porte sur une tâche complexe pour la maternelle, à savoir la suppression syllabique et phonémique. Enfin, au sujet de la motivation des élèves, la participation aux activités du programme a eu un effet positif. En effet, les élèves du groupe expérimental, plus que ceux du groupe témoin, ont dit que c’est important d’apprendre à lire, qu’ils se sentent capables et qu’ils veulent apprendre à lire. Ces résultats suggèrent que des activités phoniques systématiques et animées de façon ludique, tout comme l’a observé Pressley (1998), contribuent à accroître la motivation des élèves à l’égard de la lecture.

Cette étude comporte des limites. La première concerne l’attrition des enseignants dans le groupe témoin. Afin de contrer ce problème, il s’avère crucial de sensibiliser les responsables scolaires et les enseignants aux exigences des devis de recherche et de trouver des moyens efficaces pour garantir l’engagement des enseignants. Parmi ces moyens, il faudrait mentionner le soutien des directions d’école (Deaudelin, Brodeur, Dussault, Richer et Thibodeau, 2004) et l’organisation de modalités favorables à la participation des enseignants du groupe témoin jusqu’à la fin de la recherche, telles des rencontres (Fuchs et al., 2001).

La deuxième limite a trait au programme. Celui-ci a fait l’objet d’une implantation partielle, soit les 42 premières leçons des 126 qu’il comporte. Sa traduction et son adaptation en français ont été complétées en cours de projet. La forme des procédures du programme a dû être ajustée afin d’être plus conviviale, ce à quoi les enseignants ont contribué. Les ressources disponibles dans le projet n’ont pas permis de fournir du soutien aux enseignants directement dans la classe afin d’assurer une implantation optimale. De plus, comme il s’agit d’une étude en milieu naturel, différentes sources de variation n’ont pu être contrôlées, telles les activités relatives à la littératie autres que celles du programme et réalisées par les enseignants des deux groupes. Des ressources humaines, temporelles et financières suffisantes s’avèrent donc essentielles afin de pouvoir réaliser correctement les opérations requises dans un tel projet.

Enfin, la troisième limite se rapporte à la collecte des données. Les pratiques des enseignants sont rapportées, non observées. Il n’est donc pas possible d’avoir une idée exacte de ce qui a vraiment été accompli dans les classes. Le journal de bord proposé n’a pas été tenu de façon stable, car, entre autres, l’animation des activités par les enseignants s’est avérée très exigeante. Par ailleurs, à cause de l’insuffisance du nombre d’assistants de recherche au prétest, des élèves du groupe témoin ont été évalués jusqu’à trois mois après ceux du groupe expérimental. Ici encore, des ressources suffisantes doivent être mobilisées.

Cette étude, malgré ses limites, apporte des contributions utiles. Ainsi, sur le plan scientifique, elle a permis de fournir des mesures de croyances et de pratiques d’enseignants en parallèle avec la performance des élèves, ce qui est important car peu de recherches ont évalué l’effet des programmes de formation continue sur l’apprentissage des enseignants de même que sur celui de leurs élèves. De prochaines recherches gagneraient à étudier les relations entre les apprentissages des enseignants et ceux de leurs élèves au moyen notamment d’analyses multi-niveaux. Cette étude a également permis la collecte de données sur l’apprentissage des élèves au sujet de deux prédicteurs importants en lecture : la connaissance des lettres et les habiletés métaphonologiques ; et cela, dans la francophonie, où un sérieux rattrapage s’impose par rapport au milieu anglophone. Sur le plan pratique, cette étude, réalisée conjointement avec celle menée par Capuano et ses collaborateurs citée précédemment, a permis d’élaborer une démarche de formation, de traduire et d’adapter en français un programme de prévention basé sur les résultats de recherche.

Dans une perspective d’élaboration d’un « curriculum » de formation continue et d’accompagnement professionnel des enseignants, ce projet fournit des pistes intéressantes relatives au partenariat entre le milieu scolaire et l’université. Il permet de voir comment la recherche peut contribuer au développement professionnel des enseignants, et de mesurer l’impact de ce développement sur l’apprentissage des élèves. Il contribue également à mettre en valeur le travail et l’engagement des enseignants. En effet, le rodage d’une nouvelle approche nécessite beaucoup de travail, de confiance, de flexibilité, d’adaptation et de persévérance, tant de la part des utilisateurs que de la part des concepteurs.

Dans le contexte de la Politique de l’adaptation scolaire émise par le Gouvernement du Québec (1999), ce projet revêt une importance certaine, puisqu’il mise sur la prévention. En effet, il fournit des éléments qui peuvent alimenter la réflexion au sujet des modalités de prévention, des difficultés d’apprentissage en lecture, que veut mettre en place l’école québécoise, et ce, dès la maternelle. À l’instar de la situation dans d’autres pays, un travail de concertation (Ecalle et Magnan, 2002) doit être poursuivi entre les milieux scolaire, universitaire et ministériel. Cette concertation devrait permettre notamment la réalisation de recherches quasi expérimentales et longitudinales en vue d’étudier les croyances et les pratiques des enseignants, en lien avec l’apprentissage de la lecture des élèves selon leurs caractéristiques linguistiques et leur degré de connaissance initial. Il en va du développement de tous les élèves, principalement de ceux qui proviennent de milieux moins favorisés, de leur capacité à lire, capacité cruciale entre toutes pour leur accomplissement personnel, leur réussite scolaire et leur intégration sociale.

Conclusion

Cette recherche poursuivait deux objectifs. Premièrement, il s’agissait de décrire chez des enseignants de maternelle les retombées d’une démarche collaborative de développement professionnel sur leurs croyances et leurs pratiques au regard de la connaissance des lettres et des habiletés métaphonologiques, de même que sur des aspects liés à l’implantation d’un programme. Deuxièmement, elle voulait étudier, chez les élèves des enseignants participants, le développement de leurs habiletés métaphonologiques et leur connaissance des lettres, ainsi que leur motivation à l’égard de la lecture.

L’analyse des résultats montre qu’au terme de l’année scolaire, la démarche de développement professionnel a donné des retombées significatives chez les enseignants ; ceux-ci parlent de pratiques qui témoignent d’une plus grande importance accordée à la connaissance des lettres et aux habiletés métaphonologiques. De plus, cette démarche des enseignants a eu un effet positif sur la connaissance des lettres et la motivation des élèves du groupe expérimental.

Enfin, outre les résultats obtenus, la présente recherche aide à identifier les conditions qui doivent être réunies pour assurer la solidité d’une expérimentation en milieu scolaire, où les enseignants assument la responsabilité de l’implantation d’un programme. Fuchs et ses collaborateurs (2001) soulignent le défi que représente une telle entreprise. La présente étude illustre différents écueils qui peuvent mettre en péril la réalisation de ce type de recherche. Les chercheurs qui désirent s’engager dans de telles avenues doivent donc s’assurer de l’appui et de la fidélisation des intervenants scolaires, d’un financement suffisant, de la disponibilité d’un matériel pédagogique convivial, basé sur les données de recherche, de la disponibilité de mesures valides et de la disponibilité d’assistants de recherche. La recherche rigoureuse en contexte scolaire n’est pas un luxe, mais bien une nécessité pour faire évoluer les pratiques pédagogiques. Pour y arriver, une mobilisation des chercheurs, des organismes subventionnaires et du milieu scolaire est capitale pour converger vers le même objectif, soit de permettre à chaque enfant de cheminer de façon optimale dans ses apprentissages.