Corps de l’article

1. Introduction

Au cours des dernières années, le développement d’Internet et des technologies de l’information et de la communication (TIC) a entraîné une augmentation importante de l’offre de formation dans le domaine des formations à distance. Les institutions de formation à distance ont toujours misé sur le développement technologique (Kennedy, 2000). Elles voient dans les nouveaux outils de communication électronique la possibilité de briser l’isolement des apprenants et de favoriser leur persévérance. La présente recherche a pour objectif d’examiner si le tutorat individuel peut s’avérer une avenue prometteuse en lien avec cette problématique. Depuis quelques années, avec le développement des technologies et d’Internet, c’est tout le domaine de la formation à distance qui est en évolution, tant au niveau de l’offre que de la demande.

Avec les développements du réseau Internet, de nouveaux moyens de communication et de nouveaux environnements de formation, la formation à distance permet de rejoindre de nouvelles clientèles et de contribuer à l’accessibilité de la formation. Un grand nombre d’établissements d’enseignement sont maintenant présents dans le domaine de la formation à distance ou aspirent à l’être. En même temps, les différences entre les cours traditionnels sur campus et les formations entièrement à distance s’amenuisent, les premières utilisant de plus en plus des outils de distance et les secondes recourant maintenant aux outils de présence (Glikman, 2002). On assiste à l’émergence de formations hybrides, qui ont à la fois des composantes présentielles et des composantes à distance.

2. Contexte et problématique

La formation à distance (FAD) est un domaine en forte croissance et permet de rejoindre un nombre toujours plus élevé d’apprenants. Ce type de formation semble bien jouer son rôle quant à l’accessibilité aux études. Cependant, du point de vue de la réussite, le bilan n’est pas aussi positif. Il y a longtemps qu’on observe des taux de persévérance plus faible dans les cours de formation à distance que dans ceux qui se donnent en classe (Bernard, Abrami, Lou, Borokhovski, Wade, Wozney, Wallet et Fiset, 2004). Ainsi, on a rapporté des taux d’abandon de 56 % en formation à distance (Brindley, 1987), ou encore des taux variant entre 30 % et 68 % (Zajkowski, 1997). Selon Carr (2000), les différences de persévérance entre les formations à distance et celles qui se donnent en classe sont de l’ordre de 20 % à 30 %. Dans une recension des écrits de recherche sur le sujet, De Lièvre et ses collaborateurs rapportent des taux d’abandon variant entre 25 % et 44 % (De Lièvre, Depover et Dillenbourg, 2006). Au Cégep@distance, au cours des dernières années, le taux d’abandon moyen se situait à 29 % en 2002-2003 (Guay, Proulx et Audet, 2005).

Le développement des technologies de l’information et de la communication a permis à la formation à distance de passer à une nouvelle génération (Thorpe, 2002). Les outils de communication électronique offrent des possibilités étendues d’interactions entre les tuteurs et les apprenants, ainsi qu’entre les apprenants. La quantité et la qualité des interactions semblent liées au sentiment de présence sociale et à la satisfaction des étudiants (Gunawardena et Zittle, 1997). En formation à distance, on a espéré que l’utilisation des outils de communication électronique permettrait d’augmenter le nombre de communications entre les tuteurs et les étudiants, d’améliorer la qualité de celles-ci et d’accroître le taux de persévérance. Or, les résultats sont demeurés décevants, et les taux d’abandon demeurent une préoccupation. Par ailleurs, bien qu’on en parle peu, plusieurs données indiquent que le problème historique de l’abandon, dans une formation de ce type, touche l’ensemble des aspects de la formation à distance (Carr, 2000 ; Elliott, Friedman et Briller, 2005 ; Owston, 2000).

La recherche sur les facteurs liés à la persévérance ou à l’abandon en formation à distance met en cause un grand nombre de variables (Morgan et Tam, 1999), qui ont entre elles des liens nombreux et complexes. Bourdages et Delmotte (2001) proposent de classer celles-ci en quatre catégories : les variables démographiques (l’âge, le sexe, la situation familiale, etc.), les variables environnementales (provenant du cadre de vie de l’étudiant plutôt que de sa relation avec ses études), les caractéristiques individuelles, issues du point de vue de l’étudiant ou provenant de son initiative (les facteurs cognitifs, émotionnels ou motivationnels, le rapport de l’étudiant à l’institution ou aux études), et les variables institutionnelles (la conception des cours et des programmes, les caractéristiques de ces cours, l’encadrement), qui sont celles sur lesquelles l’établissement peut réellement exercer un contrôle.

Du côté des variables démographiques, bien qu’on n’ait pu établir de relation claire entre la persévérance et le genre, pour ce type de formation, dans le réseau collégial, on a constaté que les femmes persévèrent davantage et réussissent mieux que les hommes (Terrill et Ducharme, 1994). Cela se vérifie également au Cégep@distance (Guay et collab., 2005). L’âge semble avoir une influence sur la persévérance (Rekkedal, 1993), mais le lien n’est pas directement proportionnel. Certaines catégories d’âge seraient liés à des profils d’apprenants plus ou moins susceptibles de persévérer (par exemple, les étudiants adultes, plus âgés, sont souvent inscrits à un programme entier de formation à distance et ont des objectifs de formation différents de ceux des étudiants plus jeunes inscrits dans un autre établissement d’enseignement, qui ne viennent souvent que pour y suivre un ou deux cours). La recherche sur l’abandon et la persévérance en formation à distance fait ressortir l’importance des variables liées aux antécédents scolaires, notamment l’expérience antérieure en formation à distance (Rekkedal, 1993) et les résultats scolaires antérieurs (Cookson, 1990 ; Terrill et Ducharme, 1994).

Du côté des variables environnementales, le soutien moral et financier du réseau social de l’étudiant semble avoir une influence (Parker, 1999 ; Zajkowski, 1997). Parker met en lumière les difficultés des étudiants à gérer leur temps d’étude, un facteur faisant également partie des caractéristiques personnelles des apprenants. D’ailleurs, certaines de ces caractéristiques (par exemple, le temps disponible ou la motivation initiale) et des variables environnementales comme certains changements dans les conditions de vie ont aussi été mises en relation avec la persévérance et l’abandon (Gibson, 1996). Cependant, l’effet de ces variables pourrait fort bien être influencé par les conceptions des apprenants et leurs interprétations, c’est-à-dire par leurs attentes de succès et leurs perceptions quant à la valeur des tâches ; autrement dit, leur motivation.

On s’intéresse maintenant davantage aux variables institutionnelles. Dans une recherche où on a refait le design pédagogique d’un premier cours de formation à distance en utilisant le modèle motivationnel ARCS (Attention, Relevance, Confidence, Satisfaction) de Keller (1987), les taux d’abandon du cours ont diminué de moitié, passant de 44 % à 22 % (Chyung, Winiecki et Fenner, 1998). Selon Gagné, Deschênes, Bourdages, Bilodeau et Dallaire (2002), les efforts déployés par les établissements qui offrent ce type de formation pour améliorer la persévérance ont surtout porté sur les systèmes et activités d’encadrement.

3. Contexte théorique

Alors qu’on a parfois considéré la motivation comme une caractéristique interne stable se rapprochant d’un trait de personnalité, les théories sociocognitives nous la présentent comme un phénomène comportant plusieurs dimensions, qui s’influencent mutuellement, évoluent dans le temps et varient en fonction du contexte environnemental (Linnenbrink et Pintrich, 2002). Dans un effort de synthèse des principales théories sociocognitives de la motivation, Pintrich (2003) propose un modèle de la motivation fondé sur les attentes et la valeur. Selon lui, la motivation est constituée de deux grandes composantes : les attentes (le sentiment d’auto-efficacité et le sentiment de contrôle) et la valeur (l’orientation intrinsèque ou extrinsèque des buts et la valeur de la tâche, qui est elle-même formée de trois composantes : l’importance, l’utilité et l’intérêt). C’est la composante des attentes de succès qui semble la mieux liée à la réussite. De manière générale, le concept d’auto-efficacité est l’un des construits motivationnels les plus utiles lorsqu’il s’agit de prédire les conséquences de la motivation  sur le fonctionnement cognitif, l’engagement, la persévérance dans la tâche et la performance (Linnenbrink et Pintrich, 2003).

Dans un cadre de formation à distance, le sentiment d’auto-efficacité a été à maintes reprises lié à la persévérance et à la réussite (Joo, Bong et Choi, 2000 ; Jourdan, 2003 ; Wang et Newlin, 2002). Dans une tâche de recherche dans Internet, les croyances d’auto-efficacité et la confiance des participants en leurs capacités d’utiliser la technologie affectait le type et le nombre de stratégies déployées dans la recherche (Hill et Hannafin, 1997 ; Joo et collab., 2000). Deux études établissent la nécessité de distinguer l’auto-efficacité envers le cours de l’auto-efficacité envers la technologie, ce dernier aspect ayant été mis en lien avec la performance dans les cours en ligne (Lee et Witta, 2001 ; Joo et collab., 2000).

Par ailleurs, après une période où les établissements qui offraient des formations à distance ont beaucoup investi dans la médiatisation des contenus de cours, et en raison des préoccupations liées à la persévérance dans les formations à distance, il y a actuellement un renouvellement de l’intérêt pour les activités d’encadrement (Glikman, 2002). Les dispositifs les plus efficaces seraient ceux qui accordent de l’attention à la fonction tutorale et au travail collaboratif entre apprenants (Glikman, 2002). Les activités d’encadrement font partie du soutien offert à l’étudiant. Du point de vue de la recherche cependant, elles seraient moins valorisées et étudiées que d’autres aspects des formations à distance (Robinson, 1995). Elles ont généralement trait aux échanges entre étudiants ou avec le professeur ou le tuteur et ont pour but d’aider les étudiants à atteindre les objectifs d’apprentissage (Gagné et collab. 2002).

Les recherches sur les activités d’encadrement ont surtout porté sur les rencontres présentielles de groupe, le tutorat individuel et les contacts entre pairs. Selon Gagné et ses collaborateurs, le tutorat individuel consiste en des contacts personnels entre un étudiant et le tuteur, sans égard au moyen de communication utilisé. Il comprend aussi les rétroactions sur les travaux et les examens.

Un tuteur est habituellement assigné aux étudiants qui suivent un cours à distance, dans le but de répondre à leurs questions et de les assister. Leur rôle demeure toutefois davantage réactif que proactif. Malgré le fait que plusieurs étudiants y accordent de l’importance (Gagné et collab., 2002 ; Morgan et Morris, 1994), le tutorat individuel demeure généralement peu utilisé par les étudiants (Glikman, 2002). Par exemple, au Cégep@distance, pour un cours donné, il y a en moyenne 1,6 communication entre un étudiant et son tuteur (Ricard et Malaison, 1996). Pourtant, le tutorat peut favoriser de manière significative l’apprentissage (Chi, Siler, Jeong, Yamauchi et Hausmann, 2001), et les étudiants accordent de l’importance au soutien cognitif et affectif que leur tuteur peut leur offrir (Gagné et collab., 2002). Pour eux, l’initiative d’un premier contact avec leur tuteur peut être intimidante. Dans les activités d’encadrement, on pourrait penser que si cette initiative devient la responsabilité du tuteur, il serait plus facile ultérieurement, pour les étudiants, de communiquer avec lui au besoin. Au cours des dernières années, on a consacré beaucoup de ressources à la médiatisation des formations à distance, mais la problématique de l’abandon fait qu’on recommence à s’intéresser aux dispositifs d’encadrement (Glikman, 2002 ; Maltais et Deschênes, 2003 ; Visser, 1998).

La recherche d’où proviennent les présentes données porte sur les deux types d’activités d’encadrement les plus fréquemment utilisées : les interactions entre pairs et le tutorat individuel. Les objectifs de cette recherche sont les suivants : 1) explorer les effets du tutorat individuel sur le sentiment d’auto-efficacité et la persévérance dans les cours de formation ouverte et à distance (FOAD) ; 2) comprendre les effets des contacts entre pairs et de l’apprentissage collaboratif sur le sentiment d’auto-efficacité et la persévérance dans les cours de formation ouverte et à distance ; 3) mieux comprendre l’évolution du profil motivationnel des étudiants abandonnant éventuellement leurs cours et les liens entre cette évolution et l’abandon. Les résultats portant sur les objectifs 2 et 3 ont déjà fait l’objet de communications (Poellhuber, Chomienne et Karsenti, 2008a ; Poellhuber, Chomienne et Karsenti, 2008b). Des analyses de l’impact de différentes variables sur la persévérance ont aussi été publiées dans Poellhuber et Chomienne (2006).

4. Méthodologie

Pour le présent article, nous nous focalisons sur le premier objectif. La formulation de l’objectif appelle une méthodologie mixte. Les effets du tutorat individuel sur le sentiment d’auto-efficacité et la persévérance sont examinés selon une approche quasi-expérimentale qui implique une comparaison, entre les groupes expérimentaux et les groupes contrôles, des mesures du sentiment d’auto-efficacité (au moyen de l’échelle appropriée du questionnaire Motivated strategies for learning, de Pintrich (2003) et de Pintrich, Smith, Garcia et McKeachie (1991), ainsi que différents indicateurs de persévérance . Le traitement expérimental consiste en l’introduction de contacts individuels avec les étudiants initiés par les tuteurs (un message de bienvenue et une communication après cinq semaines). Par ailleurs, la formulation de l’objectif appelle aussi un éclairage qualitatif afin de voir quels sont les autres effets des interventions de tutorat individuel, ainsi que les mécanismes par lesquels ces interventions ont un effet. Ce volet qualitatif se fonde essentiellement sur 22 entrevues téléphoniques semi-dirigées avec des étudiants des groupes expérimentaux. Ce recours à une méthodologie mixte permet ainsi d’enrichir la recherche (Johnson et Onwuegbuzie, 2004 ; Karsenti et Savoie-Zajc, 2000 ; Petter et Gallivan, 2004). Le fait de combiner de multiples sources et de combiner les approches méthodologiques quantitative et qualitative renforce le design de recherche en combinant les forces et en compensant les faiblesses de chacune des approches (Krathwohl, 1996 ; Johnson et Turner, 2003 ; Johnson et Onwuegbuzie, 2004).

4.1 Contexte

Le projet s’est déroulé au Cégep@distance, un établissement d’enseignement postsecondaire québécois de niveau collégial (au Québec, l’ordre d’enseignement collégial offre des programmes préuniversitaires pour préparer les étudiants du secondaire à entrer à l’université, ou encore des programmes techniques menant au marché du travail). Bien qu’une partie de la clientèle soit constituée d’étudiants adultes, la majorité des étudiants inscrits font partie du groupe de 16-24 ans. Le modèle utilisé dans cet établissement est celui de l’apprentissage autorythmé. Contrairement au modèle des groupes-cours qui débute et se terminant à dates fixes, dans ce modèle, les étudiants peuvent commencer leur cours en tout temps. Ils doivent terminer l’ensemble des devoirs dans un délai de six mois, puis se présenter à un examen final.

4.2 Sujets

Les sujets sont l’ensemble des étudiants inscrits à trois cours à distance pendant une période de 11 mois durant les années scolaires 2003-2004 et 2004-2005. L’échantillon est probabiliste, car pour chacun des cours sélectionnés pour la recherche, les étudiants ont été répartis entre les groupes expérimentaux (attribués au tuteur participant au projet) et les groupes contrôles (attribués aux autres tuteurs) selon une technique d’échantillonnage systématique qui consiste à répartir les inscriptions à tour de rôle chez les différents tuteurs selon l’ordre de traitement des demandes d’inscriptions. Comme les interventions de tutorat individuel prévues représentaient une surcharge de travail, nous avons dû avoir recours à des tuteurs disposés à réaliser ces interventions et à participer à la recherche.

Pour choisir les tuteurs des groupes expérimentaux, nous avons d’abord repéré des cours avec des taux d’abandon élevés et un nombre d’inscriptions élevé, puis nous avons communiqué avec des tuteurs de ces cours. Trois tuteurs volontaires de trois disciplines (philosophie, français et comptabilité) ont finalement été retenus. Les étudiants des cours ciblés de ces trois tuteurs faisaient partie du groupe expérimental (n = 170), et les étudiants des autres tuteurs responsables des mêmes cours durant la même période faisaient partie du groupe témoin (n = 608) et n’ont pas bénéficié des interventions de tutorat individuel planifiées. Afin de minimiser l’effet tuteur dans ce schème quasi-expérimental, les tuteurs des groupes expérimentaux ont été formés et encadrés de façon à ce que la manière de réaliser ces interventions soit similaire, que la lettre de bienvenue suive une même structure et que leurs interventions de suivi soient de même nature.

4.3 Instrumentation

Les données ont été collectées à l’aide de questionnaires comportant différentes échelles de mesure et des questions ouvertes adressées aux 778 participants, ainsi que par des entrevues téléphoniques individuelles avec 22 étudiants.

4.3.1 Questionnaires

Les sujets ont été invités à répondre à un premier questionnaire après leur inscription au cours, et à un deuxième à la fin de leur cheminement dans le cours. Le premier questionnaire portait sur différentes variables sociodémographiques, les antécédents scolaires, les raisons de s’inscrire en formation à distance, l’attitude et la maîtrise des technologies de l’information et de la communication, la motivation (mesurée par les échelles du Motivated strategies for learning questionnaire ou MSLQ) et le sentiment d’auto-efficacité envers la formation à distance ou SAFAD, une échelle que nous avons développée. Ces deux dernières échelles étaient reprises dans le deuxième questionnaire, qui comportait aussi des questions ouvertes sur l’expérience vécue dans le cadre de ce cours. Sur les 778 sujets, 278 ont répondu au premier questionnaire et parmi ces derniers, 114 ont répondu au deuxième. L’échelle d’auto-efficacité du Motivated strategies for learning questionnaire et le sentiment d’auto-efficacité envers la formation à dis- tance constituaient deux façons de mesurer deux volets du sentiment d’auto-efficacité : l’auto-efficacité envers le cours et l’auto-efficacité envers la formation à distance.

Étant donné que Bandura (2006) souligne que le sentiment d’auto-efficacité est spécifique à un domaine de tâche donné, nous avions donc prévu initialement de distinguer entre trois aspects du sentiment d’auto-efficacité : envers le cours, envers la formation à distance et envers la technologie, ce dernier volet ayant été abandonné après l’étape de validation. En effet, la distribution des scores sur cette échelle n’était pas normale (fortement asymétrique), la très grande majorité des répondants obtenant des scores élevés, ce qui ne permettait pas de discriminer les répondants. En d’autres termes, les répondants estimaient presque tous avoir les habiletés technologiques suffisantes pour suivre un cours à distance, et cette échelle ne présentait pas les qualités métrologiques requises pour constituer un instrument de mesure valide. Pour mesurer le sentiment d’auto-efficacité envers le cours, nous avons utilisé l’échelle d’auto-efficacité du Motivated strategies for learning questionnaire (Pintrich et collab., 1991). Pour mesurer l’auto-efficacité envers la formation à distance, nous avons développé le questionnaire portant sur le sentiment d’auto-efficacité envers la formation à distance.

Échelle d’auto-efficacité du Motivated Strategies for Learning Questionnaire (MSLQ). Le Motivated strategies for learning questionnaire est un instrument largement utilisé dans le domaine de l’éducation au niveau collégial, aux États-Unis comme au Québec (Rosenfield, Dedic et DeSimone, 2000 ; Talbot, 1994). Il comprend une partie portant sur la motivation (attentes de succès et valeur) et une partie portant sur les stratégies cognitives et métacognitives. La section sur la motivation comprend 31 énoncés auxquels les étudiants doivent répondre avec une échelle de type Likert à sept degrés (ne correspond pas du tout à correspond fortement). L’instrument comprend cinq sous-échelles : 1) le sentiment d’auto-efficacité, 2) les croyances de contrôle, 3) l’orientation extrinsèque des buts, 4) l’orientation intrinsèque des buts et 5) la valeur de la tâche. Les énoncés ont été traduits et adaptés au contexte de la formation à distance. Voici des exemples d’énoncés : Je crois que je vais obtenir d’excellentes notes ;J’ai la certitude de pouvoir comprendre les points les plus difficiles abordés dans ce cours. La sous-échelle d’auto-efficacité originale du MSLQ a une consistance interne (de Cronbach) de 0,93 (Pintrich et collab., 1991), la même valeur étant obtenue dans le cadre de la présente recherche.

Sentiment d’auto-efficacité en formation à distance (SAFAD). En formation à distance, certaines exigences sont reconnues comme particulièrement importantes pour la réussite des cours : la gestion du temps, la discipline, la régularité du travail et du cheminement, la gestion de sa motivation et les demandes d’aide au tuteur. Le questionnaire Sentiment d’auto-efficacité en formation à distance a été élaboré à partir de ces exigences et vise à mesurer la confiance qu’ont les apprenants d’être en mesure de les gérer adéquatement. Les sept items énumérés ci-dessus prennent la forme d’énoncés dont les étudiants cotent le degré de correspondance sur une échelle de type Likert à sept niveaux. Voici des exemples d’énoncés : Je suis capable de me discipliner pour ce cours à distance ; J’ai confiance en ma capacité d’utiliser des stratégies d’étude efficaces. Notons que cette échelle était incluse dans les deux questionnaires.

Une analyse factorielle de l’ensemble des résultats obtenus à cette échelle a été effectuée pour le premier questionnaire (Durand, 1997 ; Tabachnick et Fidell, 2001). Après une rotation Varimax, elle fait ressortir un seul facteur principal composé de sept items originaux correspondant au sentiment d’auto-efficacité envers la formation à distance. Le coefficient de Cronbach sur cette échelle de sept facteurs est de 0,93. Ce questionnaire semble donc pouvoir constituer une bonne mesure du sentiment d’auto-efficacité envers la formation à distance, d’autant plus qu’il s’agit de la variable du premier questionnaire permettant le mieux de prédire la persévérance au cours, que l’on utilise les indicateurs hâtifs de persévérance (taux de remise des premiers devoirs) ou la complétion du cours (Poellhuber et Chomienne, 2006).

Quelques questions ouvertes étaient incluses dans chacun des questionnaires (portant sur les raisons de leur choix d’un cours à distance, les contacts avec leurs tuteurs ou leurs pairs, etc.). Les réponses des étudiants à ces questions sont venues enrichir le corpus de données qualitatives.

4.3.2 Entrevues

Le volet qualitatif de cette recherche est essentiellement fondé sur les éléments suivants : 1) 22 entrevues téléphoniques semi-structurées avec des étudiants, 2) une entrevue de groupe avec les tuteurs, 3) les réponses que les étudiants ont données aux questions ouvertes des questionnaires et 4) les messages qu’ils ont échangés avec leur tuteur. Des 22 entrevues réalisées avec des étudiants, huit ont été effectuées dans le cours de philosophie ; cinq, dans le cours de comptabilité et neuf, dans le cours de français. Nous avons choisi les étudiants de manière à représenter tous les cours et à obtenir les points de vue selon les différents verdicts (abandon, échec ou réussite). Les entrevues, d’une durée variant entre 25 et 45 minutes, ont eu lieu après l’envoi du dernier devoir par les étudiants ou après l’examen final. Parmi les 22 étudiants interrogés, on comptait 14 filles et 8 garçons ; 6 cas d’abandon, 2 cas d’échec et 14 cas de réussite.

La grille d’entrevue prévoyait donner la parole aux étudiants rapidement après quelques questions de réchauffement. Par la suite, les étudiants devaient relater de manière chronologique leur expérience du cours, en leurs propres termes, en mettant l’accent sur les événements et facteurs ayant influencé leur motivation à la hausse ou à la baisse. Les deux premiers auteurs de la recherche se sont répartis les entrevues.

L’entrevue semi-structurée permet d’accéder au contexte dans lequel se trouvent les apprenants tout en focalisant la collecte de données sur les dimensions principales de la recherche. Selon Wengraf (2001), elle représente un compromis idéal entre les approches inductives visant à recueillir un maximum de données sur le terrain et les approches déductives visant à collecter seulement les données et les faits liés aux théories qui guident l’exploration.

Deux mois après l’inscription des derniers participants à la recherche, nous avons réalisé une entrevue de groupe avec les tuteurs pour connaître leur opinion sur les effets des interventions.

4.3.3 Messages

Les 71 messages envoyés par les étudiants interrogés en entrevue, ainsi que les 87 messages envoyés par les tuteurs à ces étudiants, ont été extraits de la messagerie de l’environnement numérique d’apprentissage utilisé pour offrir les cours dans Internet.

4.3.4 Mesures de persévérance

Dans la présente recherche, la persévérance est définie opérationnellement comme le fait d’avoir terminé le cours, c’est-à-dire d’avoir remis tous les devoirs et de s’être présenté à l’examen final, peu importe le résultat final obtenu (réussite ou échec). Cependant, si nous nous intéressons à la persévérance, c’est surtout dans la perspective de la réussite. En effet, la persévérance est un préalable à la réussite, qui implique d’avoir obtenu la note de passage à la fois pour les devoirs et pour l’examen final. La remise des premiers devoirs est considérée comme un indicateur hâtif de persévérance.

4.4 Variables de contrôle

Bien que les sujets aient été répartis entre le groupe expérimental et le groupe témoin selon une technique probabiliste d’échantillonnage systématique, nous avons voulu nous assurer de l’équivalence des groupes expérimental et témoin en ce qui concerne les variables les plus importantes à considérer en lien avec la persévérance. La recension des écrits montre que les antécédents scolaires (échecs antérieurs au cours suivi, cote R de rendement au collégial) et un certain nombre de variables sociodémographiques (le genre, par exemple) sont liés à la persévérance et à l’abandon. En ce qui concerne les variables liées aux antécédents scolaires, la proportion d’étudiants n’ayant jamais échoué le cours est plus forte dans le groupe expérimental (75,2 %) que dans le groupe témoin, cette différence étant significative (61,8 %, = 7,692 [2 ddl] ; p= 0,021). Leur cote R est aussi légèrement plus élevée (21,42 contre 20,31, F = 3,578 ; p = 0,059), mais cette différence n’est pas statistiquement significative. La cote R ou cote de rendement au collégial, est une mesure d’excellence du dossier scolaire, pondérée en fonction de différents indicateurs et utilisée par les universités pour sélectionner les candidats aux études.

Si la recension des écrits fait ressortir certaines variables de contrôle incontournables, d’autres variables sont issues d’analyses de l’effet de différentes variables sur la persévérance réalisée dans un autre volet de cette recherche (Poellhuber et Chomienne, 2006). Voici les variables qui sont ressorties comme significatives : le régime d’études (temps plein ou temps partiel), le fait d’étudier en commandite (un étudiant qui bénéficie d’une commandite est normalement inscrit à temps plein dans un autre cégep et suit le cours avec l’autorisation de ce dernier), et deux indicateurs d’auto-efficacité (la note anticipée et les résultats à l’échelle du Sentiment d’auto-efficacité envers la formation à distance). Nous avons donc comparé le groupe expérimental avec le groupe témoin relativement à ces autres dimensions pour nous assurer de leur comparabilité. Aucune différence n’était significative pour ces variables, à l’exception d’un indicateur du sentiment d’auto-efficacité : la note anticipée. En effet, les étudiants faisant partie du groupe expérimental anticipent un meilleur résultat au cours (79,84) que les étudiants du groupe témoin (77,15), une différence peu importante, mais significative (p = 0,037) selon le test F de Fisher.

En résumé, au départ, les étudiants du groupe expérimental et du groupe témoin ont une cote R semblable et ne diffèrent pas sur l’ensemble des variables de contrôle, mais les élèves du groupe expérimental sont avantagés en ayant moins d’échecs antérieurs et en anticipant une meilleure note.

4.5 Déroulement

Les interventions de tutorat individuel consistaient en l’envoi d’une lettre de bienvenue aux étudiants et en une relance effectuée après cinq semaines auprès des étudiants qui n’avaient pas remis de devoir ou manifesté de signe d’activité dans le cours. Avant de rédiger cette lettre de bienvenue et de réaliser les interventions de tutorat individuel, les tuteurs ont reçu une formation d’une durée de six mois portant sur le rôle du tuteur en ligne, sur l’évolution des groupes virtuels selon le modèle de Salmon (2000), sur la conception d’activités de collaboration et sur les principes de communication permettant de soutenir la motivation selon Barbeau (1994) et Keller (1987). Cette formation était donnée en mode asynchrone, en utilisant essentiellement les outils de communication dont les tuteurs allaient disposer pour leurs cours (messagerie et forums de discussion).

4.5.1 Lettre de bienvenue

Une lettre d’accueil était envoyée aux étudiants par leur tuteur au début de leur cours, par la poste ou par Internet dans le cas des cours avec une composante de ce type. Pour ces derniers, les tuteurs invitaient les étudiants à se présenter dans un forum de discussion. La lettre a été rédigée par les tuteurs en suivant les principes du modèle motivationnel ARCS (Keller, 1987) : Attention, Relevance, Confidence, Satisfaction. Par son aspect personnalisé et accueillant, cette lettre visait à attirer l’attention des étudiants. La structure adoptée visait aussi à accroître la perception de la pertinence des tâches proposées dans le cours (composante Relevance), et à convaincre l’étudiant qu’il était capable de réussir le cours (composante Confidence). Dans le vocabulaire du modèle de Pintrich (2003), cette lettre visait à favoriser la perception de la contrôlabilité de la tâche, du sentiment d’autoefficacité et de la valeur de la tâche (intérêt, utilité, importance).

4.5.2 Relance après cinq semaines

Après cinq semaines, les tuteurs devaient prendre l’initiative de communiquer avec les étudiants qui suivaient un cours à distance pour une première fois et qui n’avaient pas remis leur premier devoir. Ce contact devait être fait dans une perspective de soutien, et pouvait être réalisé par téléphone ou par messagerie. Le tuteur s’informait du cheminement des étudiants et leur offrait son aide.

4.6 Considérations éthiques

Le projet a obtenu un certificat d’éthique de l’Université de Montréal et les participants ont reçu l’ensemble des renseignements leur permettant de prendre une décision libre et éclairée. Le formulaire de consentement qui leur était fourni comprenait l’ensemble des engagements auxquels les participants se soumettaient tout en leur indiquant les moyens pris pour garantir la confidentialité des données recueillies. De plus, les procédures de retrait étaient simples et clairement exposées. Par ailleurs, le formulaire de consentement était identique pour les participants des groupes expérimental et témoin, et l’objectif général d’amélioration des cours y était mentionné plutôt que celui, plus spécifique, de l’encadrement comme objet de recherche.

Le rapport final de recherche a aussi été rendu accessible à l’ensemble des participants.

4.7 Méthodes d’analyse des données

4.7.1 Analyse des données qualitatives

Toutes les entrevues ont été enregistrées et transcrites. Selon les recommandations de L’Écuyer (1990), ainsi que celles de Miles et Huberman (2003), nous avons effectué un premier codage visant à nous approprier le matériel. Ainsi, deux chercheurs ont d’abord codé indépendamment l’ensemble du matériel à partir de catégories issues du cadre théorique, mais selon une approche de codage mixte (L’Écuyer, 1990) leur permettant de demeurer attentifs aux catégories émergentes.

Les deux chercheurs principaux ont ensuite adopté une approche consensuelle pour définir les catégories de la grille de codification. Un des chercheurs a codé l’ensemble du matériel dans le logiciel ATLAS-TI. Par la suite, les chercheurs ont hiérarchisé la liste des codes en procédant à un codage de nature plus théorique (Miles et Huberman, 2003), visant à rapprocher les codes du cadre théorique lorsque c’était possible et pertinent. À l’aide de la liste finale de catégories, nous avons d’abord revu la codification de l’ensemble du matériel d’entrevues en adoptant une approche consensuelle, une des méthodes recommandées par L’Écuyer (1990) pour la validation des catégories.

Les réponses aux questions ouvertes ont été intégrées au matériel à analyser pour les étudiants ayant répondu aux deux questionnaires. Par la suite, nous avons utilisé les catégories de la grille de codification pour codifier l’ensemble des réponses de tous les étudiants aux questions ouvertes des deux questionnaires.

4.7.2 Analyse des données quantitatives

Les données à analyser provenaient principalement des deux questionnaires et du système d’information du Cégep@distance (pour les données sur la persévérance). Des liens entre ces trois sources étaient établis par le biais de l’identification des répondants. Les données ont d’abord été fusionnées, nettoyées (élimination des doublons et des réponses aberrantes) et vérifiées. Par la suite, les méthodes d’analyses statistiques habituellement recommandées ont été appliquées, en utilisant les tests de mesures d’association appropriées : le V de Cramer (ou le Phi pour les tableaux 2 X 2) pour les croisements de variables catégorielles (Howell, 1998), et le test F de Fisher (pour l’analyse de variance) pour les croisements entre une variable catégorielle et une variable continue ont été utilisés pour comparer les moyennes des variables d’intervalles (par exemple les échelles de type Likert). Avant d’effectuer les analyses de variance, nous avons procédé à un test de normalité pour les variables analysées. Nous avons aussi comparé le groupe expérimental au groupe témoin pour nous assurer de leur comparabilité, en dépit du fait que les étudiants avaient été assignés au groupe expérimental ou témoin selon une technique d’échantillonnage systématique probabiliste. La question du traitement des échelles de type Likert comme des variables d’intervalle plutôt que des variables ordinales est défendue par plusieurs auteurs qui croient que les analyses paramétriques sont assez robustes pour l’utilisation de ce type d’échelle (Miles et Shevlin, 2001).

5. Résultats

Dans cette section, nous présenterons d’abord, puis les résultats relatifs aux effets des interventions de tutorat individuel, en lien avec les différentes variables exerçant un effet sur la persévérance. Ensuite, nous présenterons les résultats relatifs aux effets des interventions de tutorat individuel, d’abord sur la persévérance et la réussite, puis sur le sentiment d’auto-efficacité. Nous présenterons enfin quelques résultats issus de l’analyse qualitative.

5.1 Effets du tutorat individuel

5.1.1 Effet du traitement (tutorat individuel) sur la persévérance et sur la réussite

Le tableau 1 montre que les taux de remise des trois premiers devoirs sont plus élevés pour les étudiants du groupe expérimental que pour les étudiants du groupe témoin, cette différence étant significative pour le premier et le troisième devoir et approchant le seuil de signification pour le deuxième devoir.

Tableau 1

Les indicateurs hâtifs de persévérance (devoirs) en fonction du traitement (%)

Les indicateurs hâtifs de persévérance (devoirs) en fonction du traitement (%)

1 Phi = 0,081 ; p = 0,024 (test exact de Fisher unilatéral)

2 Phi = 0,065 ; p = 0,061 (test exact de Fisher unilatéral)

3 Phi = 0,086 ; p = 0,019 (test exact de Fisher unilatéral)

Note : les données présentées dans ce tableau et les prochains excluent les étudiants s’étant désinscrits du cours, ce qui explique la différence avec le n présenté plus haut pour les réponses au questionnaire 1.

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Comme le montre le tableau 2, l’effet sur la persévérance dans le cours est important et statistiquement significatif (p < 0,01).

Tableau 2

La persévérance au cours en fonction du traitement (%)

La persévérance au cours en fonction du traitement (%)

Phi = 0,113 ; p = 0,004 **

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De plus, les différences entre les deux groupes ne se manifestent pas seulement dans les taux de persévérance, mais aussi dans les taux de réussite et les taux d’échec (Tableau 3). Le taux de réussite des étudiants du groupe expérimental est supérieur de 18,4 % à celui des étudiants du groupe témoin. Si dans le tableau 3, le V de Cramer indique qu’il y a une différence significative, le test post-hoc de proportion des colonnes permet de distinguer les sous-groupes pour lesquels c’est le cas. Ici, le test post-hoc de proportion des colonnes montre que c’est pour la réussite et l’abandon que les différences sont significatives (l’indice a étant le même pour les deux groupes pour l’échec correspondant à une différence non significative).

Tableau 3

Le verdict final au cours en fonction du traitement (%)

Le verdict final au cours en fonction du traitement (%)

V de Cramer = 0,138 (p = 0,002) **

Remarque : Les valeurs des mêmes lignes et du tableau ne partageant pas le même indice (a ou b) diffèrent significativement de p < 0,05 dans le test bilatéral d’égalité pour proportions de colonne (avec correction de Bonferronni)

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Le tableau 4 présente l’analyse de l’effet du traitement sur le verdict final obtenu pour le cours en fonction du niveau de la cote de rendement au collégial (cote R). Pour ce faire, nous avons recodé la cote R en trois catégories différentes regroupant chacune un nombre semblable d’étudiants : faible (de 5 à 19,99), moyenne (de 20,00 à 24,99) et forte (25,00 et plus).

Tableau 4

Le verdict final au cours en fonction de la cote de rendement au collégial et du traitement (%)

Le verdict final au cours en fonction de la cote de rendement au collégial et du traitement (%)

1 Phi = 0,114 ; p = 0,243

2 Phi = 0,219 ; p = 0,011**

3 Phi = 0,073 ; p = 0,531

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Bien que le taux d’abandon des étudiants du groupe expérimental soit inférieur à celui des étudiants du groupe témoin dans les trois catégories, les tests statistiques montrent que cette différence n’est significative que pour les étudiants qui ont une cote R moyenne, ce qui semble indiquer que les interventions de tutorat individuel ne sont que peu ou pas efficaces avec les étudiants plus faibles ayant une cote R en-dessous de la moyenne ou avec les étudiants qui ont une cote R élevée.

5.1.2 Effet du traitement (tutorat individuel) sur le sentiment d’auto-efficacité

Une analyse de variance à mesures répétées montre qu’il n’y a pas de différence entre les deux groupes au post-test à la sous-échelle d’auto-efficacité du Motivated strategies for learning questionnaire et à l’échelle du Sentiment d’auto-efficacité envers la formation à distance.

5.2 Résultats qualitatifs

Le volet qualitatif de la recherche nous permet de mieux comprendre l’effet constaté sur la persévérance. Il est difficile d’isoler l’effet d’une ou l’autre des interventions des tuteurs. Dans les entrevues, les étudiants ont peu parlé de la lettre de bienvenue ou de la relance. Ils n’avaient pas nécessairement le souvenir de cette communication précise. Par ailleurs, ils ont parlé abondamment des rapports avec les tuteurs, et presque toujours de façon positive. Les données provenant de l’environnement numérique d’apprentissage montrent que, pour les six cas d’abandon (parmi les 22 personnes interrogées en entrevue), les contacts avec les tuteurs par la messagerie étaient presque inexistants (0 ou 1 contact). À l’inverse, dans le cas des personnes qui ont réussi le cours, les contacts avec les tuteurs étaient souvent nombreux, dépassant la vingtaine ou même la quarantaine. Certains étudiants misent donc sur les outils de communication électronique pour obtenir du soutien de la part de leur tuteur. Parmi les huit étudiants interrogés en entrevue qui ont réussi, quatre ont eu seulement un ou deux contacts avec leur tuteur par messagerie, un a eu trois contacts téléphoniques et l’autre, quatre.

Lorsque les étudiants parlaient des tuteurs dans les entrevues ou dans les réponses aux questions ouvertes du deuxième questionnaire, les catégories suivantes ont émergé : la perception de la disponibilité d’un soutien cognitif (Cela m’a permis de voir que, si j’avais des difficultés, il y avait quelqu’un pour moi, et ça m’a motivé à poursuivre le cours.) ; une perception positive de la relation avec le tuteur (J’ai trouvé cela très sympathique.) ; la perception de la présence et de la disponibilité humaines du tuteur (Nous sentions qu’il y avait un contact humain, qu’il y avait quelqu’un de l’autre côté.) ; une motivation (Cette lettre a eu sur moi un effet d’encouragement que j’ai grandement apprécié.) ; le sentiment d’être bien accueilli (Je me suis sentie la bienvenue.) ; la confiance et le sentiment d’être rassuré (C’est rassurant de savoir qu’il y a quelqu’un qui peut nous aider. On se sent moins seul.) ; la facilitation des contacts ultérieurs.

Cependant, le tuteur n’est pas toujours la seule ou même la principale source de soutien cognitif pour les étudiants. Plusieurs ont mentionné le fait qu’ils recouraient à un soutien cognitif dans leur entourage, au soutien des amis ou des parents qui allaient jusqu’à lire les textes et à faire les exercices avec eux. (J’ai une amie qui a fait des cours de français avec moi. Je l’ai forcée à lire certains textes avec moi ; dans l’analyse littéraire, par exemple, je demandais c’était quoi ça, et elle pouvait m’en parler, me dire ça sert à quoi.)

Par ailleurs, une analyse qualitative des six parcours des étudiants interrogés ayant finalement abandonné leur cours a montré que les sources principales des variations à la baisse de l’engagement étaient les difficultés que les étudiants éprouvaient dans le cours, et plus particulièrement les difficultés de compréhension et de gestion du temps (Poellhuber et collab., 2008b). En effet, 4 des 6 étudiants rapportaient des difficultés de compréhension dans les entrevues (26 extraits) et les 6 rapportaient des difficultés avec la gestion du temps (20 extraits). Dans les propos des étudiants, ces difficultés ont été mises en relation avec la diminution du sentiment d’auto-efficacité et de l’engagement, ainsi qu’avec des attributions externes (Poellhuber et collab, 2008b).

6. Discussion des résultats

L’objectif de cette recherche était d’explorer les effets du tutorat individuel sur le sentiment d’auto-efficacité et sur la persévérance des étudiants en formation à distance. Nous voulions d’abord déterminer si les interventions de tutorat individuel avaient un effet sur les attentes et la persévérance des étudiants. Il s’avère qu’elles ont eu un effet significatif et important sur la persévérance dans le cours : les différences dans les taux de persévérance atteignaient 14,8 %, et les différences dans les taux de réussite, 18,6 %. Il semble donc possible d’établir un lien entre les interventions de tutorat individuel et la persévérance. Il semble également possible de prévenir en partie le phénomène de l’abandon en formation à distance par l’introduction de mesures de tutorat individualisé. Par ailleurs, certaines différences initiales entre les groupes (sur la note anticipée et les échecs antérieurs) pourraient expliquer une partie de cet effet.

Un effet de type Hawthorne (Wickström et Bendix, 2000) pourrait aussi être invoqué. En effet, les étudiants des groupes expérimentaux peuvent avoir ressenti qu’ils faisaient l’objet d’une attention particulière des tuteurs, plus spécialement ceux qui avaient déjà suivi des cours au Cégep@distance, et ils se peut qu’ils aient ajusté leurs comportements en conséquence. D’ailleurs, cette perception se rapproche passablement de ce qui était aussi visé par les interventions de tutorat individuel.

En outre, il est difficile de séparer la contribution spécifique de chacune des interventions de tutorat (la lettre de bienvenue, la relance de la sixième semaine), d’autant que les contacts entre les étudiants et les tuteurs ne se sont pas limités à ces deux interventions dont l’initiative leur revenait. En fait, c’est la dynamique de communication qui s’est créée entre les étudiants et les tuteurs dans les groupes expérimentaux qui semble responsable de l’effet observé.

Cependant, les interventions spécifiques des tuteurs n’ont pas pu être contrôlées autant que l’exigerait un paradigme positiviste, et même si la formation avait pour but d’uniformiser les pratiques, les interventions individuelles des tuteurs n’étaient pas rigoureusement identiques. Des analyses supplémentaires pourraient être menées pour mesurer un éventuel effet tuteur, mais le nombre d’étudiants dans les groupes expérimentaux n’était pas suffisant pour permettre de réaliser ces analyses.

Il est surprenant que l’effet des interventions de tutorat individuel ne se soit pas manifesté sur les indicateurs quantitatifs d’auto-efficacité retenus (le Motivated strategies for learning questionnaire et le Sentiment d’auto-efficacité envers la formation à distance), mais le nombre de répondants au deuxième questionnaire était peu élevé et peu d’étudiants ayant finalement abandonné y ont répondu. Il est difficile de convaincre des étudiants qui ne sont plus motivés à poursuivre un cours à répondre à un questionnaire sur celui-ci. Par ailleurs, les mécanismes d’action du tutorat individuel sont peut-être trop subtils pour être bien mesurés par l’outil retenu. Bref, il ressort nettement que la perception que les étudiants ont des contacts avec les tuteurs en général est positive, même si on n’arrive pas à détecter des effets directs sur le sentiment d’auto-efficacité. Dans les entrevues, les étudiants mettent surtout l’accent sur le soutien cognitif des tuteurs ou sur l’aspect positif de la relation. Il semble que la première intervention de tutorat ait permis de briser la glace et favorisé une perception positive du tuteur. Il est probable que les étudiants ont senti que leur tuteur était disponible pour les aider en cas de besoin et cela a sans doute facilité les contacts ultérieurs. Comme les étudiants qui ont abandonné rapportent avoir rencontré des difficultés de compréhension, on peut émettre l’hypothèse que c’est au moment où les étudiants éprouvent ces difficultés que les contacts avec les tuteurs deviennent plus nécessaires. Sans agir directement sur le sentiment d’auto-efficacité des apprenants, ces contacts permettraient de résoudre les difficultés de compréhension qui se présentent en cours de route et d’éviter, en quelque sorte, la diminution du sentiment d’auto-efficacité et de l’engagement cognitif associés aux moments où les difficultés se présentent. Cela pourrait expliquer les résultats obtenus.

Par ailleurs, devant ces difficultés, certains vont demander de l’aide dans leur entourage. D’autres, que l’on pourrait peut-être rapprocher de la catégorie des démunis (Glikman, 2002), ne semblent pas disposer d’un soutien cognitif dans leur entourage et ne recourent pas à l’aide de leur tuteur. Cela soulève des questions sur les capacités de certains étudiants à adopter des comportements de demande d’aide efficaces. Selon Ryan et Pintrich (1998), la capacité à demander de l’aide peut être vue comme faisant partie des stratégies d’autorégulation des apprentissages. Les étudiants qui ont un sentiment d’auto-efficacité faible risquent plus de trouver menaçant le fait de demander de l’aide que ceux qui ont un sentiment d’auto-efficacité fort. Il est fort possible que ce phénomène se manifeste surtout pour ceux qui ont des résultats en-dessous de la moyenne, ce qui serait une explication plausible de l’inefficacité du tutorat individuel avec les étudiants plus faibles.

Pour appuyer cette thèse, des analyses supplémentaires ont montré que l’intervention de tutorat était surtout efficace pour ceux qui ont une cote R dans la moyenne. Pour ceux qui ont déjà essuyé un échec ou qui ont une cote R en dessous ou au-dessus de la moyenne des étudiants admis, les différences entre le groupe expérimental et le groupe témoin ne sont pas significatives.

En outre, les étudiants du groupe expérimental étaient favorisés sur le plan des antécédents scolaires (moins d’échecs antérieurs) et d’une des mesures initiales du sentiment d’auto-efficacité (la note anticipée). Ces différences observées sur des variables importantes en lien avec la réussite scolaire pourraient expliquer les résultats obtenus.

Enfin, les interventions des tuteurs ont été concentrées dans les premières semaines et n’ont pas suffi à faire en sorte que les étudiants ayant des antécédents scolaires défavorables puissent persévérer et réussir, ou même recourir vraiment à l’aide de leur tuteur. Nombre d’entre eux ont quand même remis un premier devoir. Cela suggère que les interventions spécifiques de tutorat devraient peut-être se prolonger au-delà des six premières semaines pour inclure une intervention portant sur les attributions causales à la suite de la première note, de manière à aider les étudiants à attribuer leurs résultats à la qualité de leurs efforts et à orienter la nature de ces efforts pour les travaux futurs.

Pour les institutions qui cherchent à améliorer la persévérance dans les formations à distance, le tutorat individuel semble une avenue efficace. Cependant, le succès de cette mesure a aussi un coût, qui peut se calculer en nombre d’interventions et en temps de tutorat. Au-delà des coûts, la logistique exigée des tuteurs pour effectuer les relances s’est avérée très complexe à gérer et elle a pris beaucoup de leur temps selon leurs dires. Si elles veulent recourir davantage au tutorat individuel, les institutions offrant de la formation à distance auraient intérêt à mettre au point des systèmes permettant d’automatiser et de faciliter le suivi et la communication avec les étudiants. Les interventions de tutorat devraient mettre l’accent sur l’aspect humain de la relation apprenants-tuteur et faire en sorte que les apprenants se sentent à l’aise de communiquer avec leurs tuteurs, en ciblant de manière plus particulière les étudiants qui ont des antécédents scolaires défavorables.

7. Conclusion

La présente recherche visait à explorer les effets du tutorat individuel sur le sentiment d’auto-efficacité et la persévérance dans les cours de formation ouverte et à distance. Elle met en évidence un lien entre le tutorat individuel et la persévérance des étudiants. Il semble possible, pour les tuteurs, d’influencer la persévérance de leurs étudiants s’ils adoptent un rôle proactif. Dans l’ensemble, les interventions de tutorat ont été perçues favorablement par les étudiants. Elles ont favorisé la perception de la disponibilité du tuteur, facilité les contacts ultérieurs avec celui-ci et indirectement favorisé la persévérance dans le cours. Ces résultats confirment le bien-fondé du regain d’intérêt pour les dispositifs de soutien et d’encadrement dans les formations à distance. Ils soulèvent cependant des questions sur le type d’encadrement que l’on devrait offrir aux étudiants ayant des antécédents scolaires défavorables.

Cet effet positif du tutorat individuel sur la persévérance a été mis en lumière par l’utilisation d’un design quasi-expérimental, où plusieurs variables potentiellement sources de confusion étaient contrôlées (variables confondantes). La méthodologie mixte utilisée nous a permis de mieux comprendre les effets du tutorat, particulièrement ceux qui concernent la perception que les apprenants ont des tuteurs.

Par ailleurs, cette recherche présente certaines limites. La participation volontaire des tuteurs a pu entraîner un effet expérimentateur de type Hawthorne où les résultats vont dans le sens des attentes de ceux qui sont à l’origine de la recherche. Un effet de type Hawthorne est aussi théoriquement possible pour les étudiants du groupe expérimental. Même si les étudiants des groupes expérimental et témoin ont reçu les mêmes renseignements sur la recherche, les étudiants du groupe expérimental peuvent avoir été conscients non seulement des interventions plus proactives des tuteurs, mais également de leurs attentes plus élevées quant à leur persévérance, et plus particulièrement s’ils avaient déjà une expérience des cours du Cégep@distance.

Comme la sélection des cours et des étudiants n’était pas aléatoire, le fait que les tuteurs étaient des volontaires peut avoir engendré un biais d’auto-sélection. Bien qu’on ait contrôlé l’effet de la sélection, certaines différences entre les groupes pouvaient favoriser les étudiants du groupe expérimental sur le plan de la persévérance. Un nombre assez restreint d’étudiants a répondu au deuxième questionnaire, parmi lesquels très peu d’étudiants ayant abandonné, ce qui a limité les analyses statistiques réalisées et la puissance de celles-ci.

En ce qui concerne la lettre de bienvenue personnalisée rédigée selon une structure de soutien à la motivation, il s’agit d’une mesure simple à élaborer et à implanter. Si les résultats ne permettent pas de nous prononcer sur son efficacité, elle est facile à introduire et peu coûteuse.

La recherche future pourrait s’intéresser aux comportements de demande d’aide des étudiants à risques, ainsi qu’au parcours des étudiants entre le premier et le deuxième devoir. Le potentiel d’interventions portant sur les attributions serait à explorer. Par ailleurs, certains étudiants ayant des antécédents scolaires faibles et peu de soutien cognitif de la part de leur tuteur ou dans leur environnement ont suivi et réussi les cours auxquels ils étaient inscrits. Une étude de ces cas pourrait nous éclairer sur les manières de réussir de tels étudiants.