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1. Introduction et problématique

Il existe de nombreuses raisons pouvant justifier l’évaluation d’un programme de formation universitaire en enseignement. Cette évaluation peut, par exemple, provenir d’un besoin d’améliorer les pratiques enseignantes (Berliani, 2014) ou se fonder sur les connaissances théoriques enseignées dans les cours et leurs répercussions en milieu de pratique (Fergusson, Horwood et Stanley, 2013). L’évaluation d’un programme de formation en enseignement peut également reposer sur une volonté de le comparer à d’autres programmes similaires (Yanpar Yelken, 2009), ou encore s’inscrire dans un processus administratif de régulation interne (Peacock, 2009). Pour sa part, le ministère de l’Éducation du Québec invitait, en 2001, les universités québécoises à revoir leurs divers programmes de formation à l’enseignement en fonction des orientations du renouveau pédagogique qu’il venait tout juste d’implanter. Essentiellement, ces nouvelles orientations se fondaient sur une volonté de professionnaliser la formation des enseignants (Bourgeois, 1991) et comprenait l’adoption d’une approche par compétences (Ashworth et Saxton 1990 ; Chambers 1993 ; Chappell, Gonczi et Hager, 2000 ; DeWald et McCann, 1999 ; Hawley et Valli, 1999). En réponse à cette invitation, et après plus de dix ans d’implantation de ces nouvelles orientations ancrées dans une approche par compétences, le milieu universitaire québécois a jugé nécessaire de faire le point sur l’organisation des divers programmes de formation à l’enseignement, de même que sur l’articulation des épisodes de formation théorique et de formation pratique auxquels sont soumis les étudiants en enseignement. Plus spécifiquement, cette remise en question touchait aux quatre aspects de la formation pratique que sont les modalités de stage, la supervision, l’évaluation et le guide de stage. Ce qui peut être perçu comme une retombée majeure de l’implantation d’une approche par compétences en formation à l’enseignement est l’augmentation de l’importance accordée à la formation pratique. Une telle augmentation nécessite la mobilisation et l’implication de divers acteurs du milieu scolaire, notamment les enseignants en exercice qui accueillent, en tant que formateurs de terrain, les étudiants en stage, ainsi que les directions d’établissement. Or, puisqu’ils sont fortement engagés dans la mise en oeuvre des nouvelles orientations de formation à l’enseignement, il est nécessaire d’impliquer ces intervenants lorsque vient le temps d’évaluer les programmes de formation pratique mis en place dans les universités québécoises. La recherche dont il sera question ici visait à répondre à ce besoin d’évaluer les programmes de stage en enseignement par ces acteurs de première ligne que sont les intervenants du milieu scolaire, c’est-à-dire les enseignants associés et les directions d’établissements scolaires. Cette préoccupation s’inscrit dans le courant de la recherche évaluative qui souligne, en quelque sorte, l’importance d’assurer que ces formateurs d’enseignants, parce qu’ils sont des détenteurs d’enjeux (stakeholders), soient considérés comme parties prenantes du processus évaluatif (Datta, 2006).

Les dernières décennies de la recherche en évaluation de programme ont vu augmenter l’importance accordée à la participation de toutes les parties impliquées dans un programme lorsque vient le temps d’évaluer ce programme (Hurteau, Houle, Marchand, Ndinga, Guillemette et Schleifer, 2012). Toutefois, les processus d’évaluation de programme de formation en enseignement appellent rarement les formateurs du milieu scolaire à participer à l’évaluation des stages dans lesquels ils sont engagés de manière importante (Beauchesne, Lévesque et Aubry, 1997 ; Boudreau et Baria, 1998 ; Gervais et Lepage, 2000 ; Gosselin, 2001 ; Portelance et Tremblay, 2006 ; Portelance, 2010). Dans cette perspective, pour la présente recherche, nous avons tenté de répondre à la question générale suivante : Quelle évaluation les formateurs de stagiaires en enseignement, formateurs en provenance du milieu scolaire, font-ils des modalités, de la supervision, de l’évaluation et des guides mis en place dans les différents programmes de stage en enseignement au Québec ?

2. Contexte théorique

Dans le contexte théorique de cette étude, nous précisons, d’une part, la place des stages dans la formation à l’enseignement et, d’autre part, la perspective d’évaluation de programme adoptée pour cette recherche.

2.1 Le rôle du stage dans la formation en enseignement

Comme la plupart des programmes de formation professionnelle, la formation en enseignement prévoit une articulation entre théorie et pratique (Perrenoud, 1998). À cet effet, le stage en enseignement est, en quelque sorte, un milieu de pratique supervisée (Guillemette et Lapointe, 2011) mis à la disposition de l’étudiant et qui s’avère essentiel à son développement professionnel (Fernagu-Oudet, 1999). L’équipe de formateurs, enseignant associé et superviseur universitaire, se partage une large part de l’encadrement, de la formation et de l’évaluation du stagiaire.

Certes, le stagiaire est au centre du stage. Il doit s’investir dans son expérience de formation pratique, d’abord en réfléchissant sur ses propres attentes et en se plaçant en état de recherche (Benson, 2008 ; Carré, Moisan, et Poisson, 2010 ; La Ganza, 2008 ; Malo, 2008 ; Martinez, 2001 ; Pelpel, 1995 ; Scharle et Szabò, 2000 ; Sinclair, 2008). Par cette attitude d’autoformation, le stagiaire en vient à établir une planification de son stage constamment ajustée à sa progression, c’est-à-dire à sa zone proximale de développement (Guillemette, 2004 ; Vygotsky, 1978). Dans la perspective de développer une perception éclairée de sa compétence personnelle (Bandura, 1997), le stagiaire participe à son évaluation formative de plusieurs façons, notamment en faisant des bilans réguliers de ses pratiques. Conscient que son développement professionnel s’inscrit dans une perspective à long terme, il fait preuve d’initiative (Forest et Lamarre, 2009 ; Grimmett, 1993 ; Gervais et Desrosiers, 2005), d’ouverture (Portelance et Tremblay, 2006) et de motivation quant à son propre cheminement (Viau, 2009).

Durant son stage, l’étudiant est entouré d’une équipe de formateurs (Portelance, Gervais, Lessard et Beaulieu, 2008). Cette équipe est d’abord constituée de l’enseignant associé auquel le stagiaire est jumelé. Cet accompagnateur est aux premières lignes en ce qui a trait à l’intégration du stagiaire dans le milieu scolaire (Boutin et Camaraire, 2001 ; Forest et Lamarre, 2009 ; Gervais et Desrosiers, 2005 ; Grimmett, 1993 ; Pelpel, 2003) ainsi qu’à son évaluation formative (Bélair, 2007). L’équipe de formateurs comprend également un superviseur universitaire, dont les tâches principales sont d’évaluer le stagiaire et de faire en sorte qu’il se développe selon les objectifs qui ont été fixés par le programme universitaire (évaluation certificative) (Bélair, 2007). Par diverses pratiques, les formateurs cherchent à favoriser les échanges avec le stagiaire afin, notamment, de l’aider à prendre conscience de son identité professionnelle, de son style d’enseignement, de ses motivations, de ses besoins de développement et de ses compétences (Guillemette et Lapointe, 2011). Ces pratiques d’accompagnement sont fortement liées à un modèle inspiré de celui du praticien réflexif tel qu’il a été développé par Schön (1983) ainsi que par de nombreux autres auteurs (voir à cet effet les nombreuses références dans l’article de Guillemette et Gauthier, 2008). Les principaux acteurs de la formation, c’est-à-dire le stagiaire, l’enseignant associé et le superviseur, sont impliqués activement dans l’expérience de formation pratique qu’est le stage en enseignement et s’assurent qu’elle ne constitue pas un temps mort pour l’enseignant en développement (Pelpel, 1995).

2.2 L’évaluation des programmes de formation pratique en enseignement

Les universités remettent régulièrement en question leurs divers programmes de formation (Easa, 2013, Peacock, 2009). Dans la formation en enseignement, les programmes sont diversifiés. Ils peuvent, par exemple, être accélérés ou encore viser le développement d’un aspect spécifique du métier d’enseignant (Fergusson, Horwood et Stanley, 2013). Dès lors, il importe, pour les institutions universitaires, de porter un jugement sur la valeur d’un programme en se basant sur la collecte, l’analyse et l’interprétation de données scientifiques (Peacock, 2009). L’étude sur laquelle cet article se fonde vise à dresser un bilan de divers programmes de stage en enseignement à partir de l’implication des formateurs du milieu scolaire.

3. Méthodologie

Une méthodologie mixte a été utilisée pour la réalisation de cette recherche. En effet, l’étude comportait un volet quantitatif et un volet qualitatif. Dans cet article, c’est le volet qualitatif qui est présenté. Il fait donc exclusivement état des résultats issus de l’analyse qualitative (Corbin et Strauss, 2008 ; Flick, 2009 ; Lichtman, 2010). Par conséquent, les variables sociodémographiques et spécifiquement quantitatives n’ont pas été prises en compte dans l’analyse. C’est ainsi que ne sont pas traitées les informations comme la durée des quatre stages, qui augmente progressivement du stage 1 au stage 4, ou encore le nombre d’années d’expérience des enseignants participants (on considère généralement qu’il faut un minimum de 10 ans d’expérience d’enseignement pour qu’un enseignant puisse accueillir un stagiaire).

Sur le plan de ses fondements, la démarche méthodologique de cette étude s’inscrit dans une perspective de recherche évaluative. Dans les courants actuels de la recherche évaluative, on accorde une importance capitale à l’implication des différentes personnes concernées de près ou de loin par l’objet de l’évaluation (Hurteau et al. 2012). Dans le cas de notre recherche, nous avons recueilli les données spécifiquement auprès des acteurs du milieu scolaire, en excluant les formateurs, qui font partie du personnel universitaire.

3.1 Participants

Cinq cent quatre-vingts enseignants associés provenant de 6 commissions scolaires et d’établissements privés ont répondu à un questionnaire et y ont ajouté des commentaires et des précisions sur leurs réponses. De plus, divers acteurs provenant du milieu scolaire engagés dans la formation des stagiaires en enseignement se sont joints à l’étude en contribuant à une collecte de données par groupes de discussion. C’est le cas d’enseignants associés et de directeurs d’école.

3.2 Instrumentation

Les données qualitatives proviennent de deux sources. La première consiste en des groupes de discussion qui ont été animés selon les principes reconnus pour ce type d’instrument de collecte de données (Baribeau et Germain, 2010 ; Boutin, 2007 ; Carey et Asbury, 2012). Dans ce cas, les groupes de discussion ont été adaptés aux six programmes de baccalauréat en enseignement touchés par l’étude : arts plastiques, adaptation scolaire et sociale, préscolaire primaire, secondaire, éducation physique et à la santé, langues secondes. Ces groupes de discussion visaient à recueillir des données sur quatre aspects des programmes de stage : 1) les modalités du stage (moment dans l’année, durée du stage, nombre de jours à l’école, temps d’observation et de prise en charge) ; 2) la supervision du stage (nombre de visites, communication superviseur/enseignant associé) ; 3) l’évaluation du stage (nombre et fréquence des activités d’évaluation, grille d’évaluation, transmission de la grille) et 4) le guide de stage (clarté, contenu, mode de transmission, support papier ou électronique).

La seconde source de données est constituée de commentaires émis par les enseignants associés lors de leur participation au questionnaire écrit relevant du volet quantitatif de l’étude. Globalement, ces commentaires représentent des précisions, des réflexions et des questionnements qui portent sur les mêmes aspects que pour les groupes de discussion.

3.3 Déroulement

Au départ, 1380 enseignants associés ont été appelés à participer aux volets quantitatif et qualitatif de cette étude. Chacun de ces enseignants associés avait accueilli au moins un stagiaire entre les années 2007 et 2010. De ce nombre, 42 % ont répondu au questionnaire écrit qui leur avait été envoyé. Six groupes de discussion ont été mis sur pied (un groupe par programme de formation) et ont permis de recueillir un complément d’information sur les mêmes aspects de l’ensemble des stages du programme. Chaque groupe de discussion comprenait sept enseignants associés (un par commission scolaire et un représentant des établissements privés de la région de concertation) et deux directeurs d’école. Ces rencontres ont été animées par une chercheuse expérimentée dans ce genre d’animation. Les échanges ont été enregistrés et, pour chaque groupe, un rapport des échanges a été rédigé par un étudiant de cycle supérieur en éducation.

3.4 Méthode d’analyse des données

En ce qui concerne l’analyse des données, nous avons procédé à une analyse qualitative par codage, par catégorisation et par rédaction progressive d’énoncés d’interprétation (Allard-Poesi, 2003 ; Atkinson et Delamont, 2005 ; Bazeley, 2013 ; Paillé et Mucchielli, 2008). Ainsi, les données provenant des groupes de discussion et des commentaires découlant des questionnaires ont été transcrites et placées dans des documents distincts, pour ensuite être codées à l’aide du logiciel QSR NVivo (Baribeau, 2004 ; Roy, 2009 ; Savoie-Zajc, 2004). Un nombre important de codes ont été créés par codage ouvert (Wuest, 2012). Par la suite, ces codes ont été soumis à des opérations d’élaboration de nouvelles catégories générales et d’énoncés théoriques.

3.5 Considérations éthiques

Pour cette étude, nous avons respecté toutes les règles déontologiques du comité d’éthique de l’établissement universitaire concerné. Les participants ont tous accepté de participer volontairement au projet. Les données, les noms, les lieux ont été conservés dans un ordinateur portatif muni d’un code d’accès connu uniquement par le chercheur responsable. Les noms, les lieux et les autres informations de nature personnelle ont été protégés afin qu’il soit impossible d’identifier les participants.

4. Résultats

Étant donné que nous n’avons tenu compte que du contenu sémantique des données qualitatives analysées, les résultats décrits dans la présente sous-section ne seront pas reliés aux données sociodémographiques des personnes qui ont fourni ce contenu. Dès lors, l’analyse des données qualitatives montre que l’accueil d’un stagiaire est un événement stimulant et motivant pour un enseignant associé. Selon cette catégorie d’intervenants, il s’agit d’une occasion d’améliorer ses propres stratégies d’enseignement. Les enseignants associés souhaitent revivre l’expérience de l’accompagnement de stagiaire, et ce, malgré quelques expériences négatives vécues par certains d’entre eux. De plus, les enseignants associés considèrent généralement que le milieu universitaire accompagne convenablement les stagiaires dans leur développement professionnel. Cependant, en tant qu’enseignants associés, ils considèrent qu’ils ont un point de vue et des informations spécifiques pouvant particulièrement aider les facultés d’éducation à améliorer encore davantage la formation des stagiaires. Pour plus de précision et de clarté, les résultats sont présentés en tenant compte des quatre aspects distincts de l’expérience de stage : les modalités de stage, la supervision du stagiaire, l’évaluation du stagiaire et le guide de stage.

4.1 Les modalités de stage

Aux fins de la recherche, les modalités de stage concernent diverses caractéristiques liées au calendrier du stage. Ces caractéristiques sont liées au moment de l’année où le stage se déroule, à sa durée, au nombre de jours où le stagiaire est présent dans son milieu scolaire, au temps d’observation du stagiaire par l’enseignant associé et au temps de prise en charge de la classe par le stagiaire.

S’ils semblent conscients de l’absence d’un calendrier scolaire universel pour toutes les commissions scolaires du Québec, les enseignants associés jugent que le milieu universitaire doit tenir compte des grandes périodes de perturbation que sont, par exemple, la période des Fêtes, la semaine de relâche et les évaluations de fin d’année (précédées d’une période de révision des contenus). À propos du calendrier, certains intervenants soulignent l’importance, pour le stagiaire, de vivre des débuts d’année ; d’autres mentionnent la pertinence de vivre des fins d’étape, des remises de bulletins, des rencontres de parents, etc. Par ailleurs, plusieurs commentaires font ressortir la pertinence d’augmenter le nombre de jours de stage. En effet, les enseignants associés sont d’avis que les stagiaires auraient tout avantage à bénéficier de plus d’expérience pratique à leur sortie du programme universitaire. En ce qui a trait à la préparation offerte aux stagiaires par le milieu universitaire, certains enseignants associés ont identifié des lacunes. Parmi celles-ci, ils mentionnent la faiblesse de la formation à la planification (à moyen ou long terme) et le manque de pratique, d’expérience et d’outils en gestion comportementale des élèves. Or, désireux d’améliorer la formation universitaire offerte aux étudiants, des enseignants associés font quelques suggestions pour pallier les lacunes mentionnées. Par exemple, certains jugent qu’il serait pertinent de repousser la tenue du premier stage afin de permettre à l’étudiant de bénéficier d’un plus large bagage de connaissances théoriques en pédagogie. Pour d’autres, ce manque de formation théorique devrait entraîner une diminution des attentes liées à la planification et à la gestion des élèves.

4.2 La supervision

La supervision concerne plus spécifiquement les caractéristiques de l’accompagnement du stagiaire par le superviseur universitaire. Ainsi, des éléments liés au nombre de visites du superviseur, à la nature et à la qualité de la communication entre le superviseur et l’enseignant associé sont pris en compte.

Pour les enseignants consultés, la rencontre de supervision ne doit pas se faire de façon trop précipitée ou trop tardive afin de maintenir un haut degré d’efficacité. Dans cette perspective, ils déplorent la pratique de certains superviseurs qui consiste à observer le stagiaire en classe durant une très courte durée (15-20 minutes), alors que le milieu universitaire demande un minimum d’une période complète d’observation par visite. Par ailleurs, la rencontre de rétroaction permet une certaine forme de complémentarité entre le milieu universitaire et le milieu scolaire. En effet, cette rencontre permet au superviseur de cibler les éléments à analyser et de donner au stagiaire des conseils théoriques en lien avec la formation universitaire, tandis que l’enseignant associé adopte un regard plus global en ce qui concerne, entre autres, la gestion de classe. À cet effet, les rencontres en triade sont très appréciées et considérées comme nécessaires : lorsque le stagiaire, le superviseur et l’enseignant associé peuvent se rencontrer et discuter ensemble, les échanges sont perçus comme plus transparents et plus riches. Malgré cela, plusieurs enseignants associés affirment ne pas vivre de rencontre en triade (stagiaire, superviseur universitaire et enseignant associé), mais plutôt en dyade (superviseur universitaire et enseignant associé). Parallèlement à cette contrariété, le nombre de visites de supervision est considéré comme une force du milieu universitaire pour les intervenants consultés. Ils apprécient particulièrement la possibilité de recevoir plus de visites de la part du superviseur si le besoin s’en fait sentir. Ils trouvent également important qu’une large place soit faite à leurs commentaires et observations dans les échanges avec le superviseur. Ainsi, ces échanges sont mieux ancrés dans la réalité du milieu. Selon cette perspective, un superviseur universitaire se doit d’être disponible et à l’écoute.

4.3 L’évaluation

Ce troisième aspect concerne les caractéristiques liées à l’évaluation du stagiaire ; par exemple, le nombre et la fréquence des activités d’évaluation auxquelles le stagiaire est soumis, les diverses composantes de la grille d’évaluation et l’accès aux documents officiels d’évaluation. À cet effet, l’analyse qualitative fait ressortir quelques sources de questionnement chez les intervenants. Ceux-ci remettent en cause, d’une certaine façon, certains éléments liés à l’évaluation du stagiaire. On peut notamment déceler dans leurs propos une insécurité liée à la grille d’évaluation en particulier et à toute la formule d’évaluation en général. Selon certains intervenants, cette insécurité est en partie due au nombre élevé d’indicateurs d’évaluation qui, aux yeux des utilisateurs, rendent la grille déconcertante lorsque vient le temps de poser un jugement. Ainsi, certains aspects, comme le nombre d’indicateurs et le vocabulaire utilisé, sont remis en question. D’une façon plus spécifique, les intervenants se questionnent également sur la valeur d’une évaluation formelle portant sur le premier stage. En effet, le premier stage est toujours d’une durée plus courte que les subséquents, et ce, dans tous les programmes liés à cette recherche. Pour les intervenants consultés lors des groupes de discussion, le premier stage s’apparente davantage à un premier contact qu’à une réelle expérience professionnelle, ce qui, à leurs yeux, enlève de la pertinence à une évaluation formelle.

En ce qui concerne la formule d’évaluation, les enseignants associés se questionnent sur l’intelligibilité des énoncés relatifs à certaines compétences. Selon eux, ces énoncés sont difficiles à comprendre pour le stagiaire. Par conséquent, les enseignants associés ont parfois le sentiment de confondre leur rôle avec celui du superviseur en tentant, par exemple, d’expliquer le sens et la nature de chaque compétence professionnelle.

Enfin, dans les groupes de discussion auxquels ils participent et dans les commentaires qu’ils font dans les questionnaires, les enseignants associés font ressortir l’importance d’être bien préparés pour relever le défi de l’évaluation d’un stagiaire. Pour plusieurs, cette préparation passe nécessairement par une formation en accompagnement de stagiaire en enseignement. Une telle formation devient donc une nécessité pour des enseignants associés.

4.4 Le guide de stage

Le volet de la recherche consacré au guide de stage concerne les éléments de fond que sont la clarté et la qualité de son contenu et la progression des stages. Ce dernier volet concerne également des éléments de forme du guide de stage, comme sa diffusion, sa présentation et son type de support.

De façon générale, le guide de stage est considéré par les participants à l’étude comme un outil de référence principalement utilisé lors de l’évaluation du stagiaire. C’est un document perçu comme à la fois complet et complexe. Toutefois, en lien avec la clarté du guide, les intervenants précisent que la présentation de celui-ci pourrait être revue afin qu’il soit plus facile de s’y repérer. En effet, certains dénoncent le fait que toutes les composantes semblent avoir la même importance. Des enseignants associés aimeraient aussi y trouver davantage de tableaux où l’information serait présentée de façon condensée et plus facilement accessible. Ils suggèrent également la création d’une section spécialement adressée à l’enseignant associé contenant l’information prioritaire à retenir pour ce dernier. Aussi, les enseignants associés soulignent l’importance, pour eux, de posséder une version papier du guide de stage. À leurs yeux, une version papier possède certains avantages qu’une version électronique ne possède pas, en permettant notamment la prise de notes rapide, le marquage en couleurs, etc. Toujours selon eux, il pourrait cependant être utile qu’une copie électronique soit disponible en ligne et mise à la disposition de ceux qui le désirent.

5. Discussion des résultats

Le fait d’opter pour une approche qualitative dans une perspective d’évaluation nous a permis d’élargir notre compréhension du phénomène étudié et de générer des résultats éclairants pour les formateurs et les stagiaires eux-mêmes. Afin d’alimenter la réflexion sur le vécu des différents acteurs de la formation pratique, nous soumettons cette interprétation à l’épreuve d’autres recherches connexes et d’autres publications portant sur les stages en enseignement.

5.1 Le stage : expérience de formation ou expérience d’enseignement ?

D’abord, certains enseignants associés affirment que les éléments propres au stage (guide, formation universitaire) ne cadrent pas toujours avec la réalité du milieu scolaire. À première vue, ces quelques lacunes semblent remettre en question la capacité du milieu universitaire à bien préparer le stagiaire à vivre les stages. Or, à notre avis, plutôt que de montrer l’incompétence du milieu universitaire, ces résultats mettent en lumière un certain flou, présent chez les enseignants associés, à propos de la distinction entre une expérience de stage et une simple expérience d’enseignement. Pour un enseignant, la pratique du terrain joue un rôle non négligeable dans la construction de ses compétences professionnelles (Anderson, 1986 ; Colardyn, 1996 ; Fernagu-Oudet, 1999). Par contre, la seule accumulation d’expériences n’est pas garante du développement de compétences (Guillemette et Gauthier, 2008 ; Marzouk, 1997 ; Mayen, 2006 ; Portelance et Tremblay, 2006). Tout comme il ne suffit pas de pratiquer pour devenir praticien, il ne suffit pas d’enseigner pour devenir enseignant (Boutet, 2002). Comme nous l’avons précisé plus haut, un stage qui reposerait uniquement sur l’accumulation d’expériences devrait être vu comme un temps mort dans la formation et serait largement insuffisant pour favoriser le développement de compétences professionnelles (Pelpel, 1995). En sciences de l’éducation, il est reconnu que l’expérience est nécessaire, mais insuffisante s’il n’y a pas de réflexivité qui l’accompagne (Bouclet et Huguet 1999 ; Charlier, 2000 ; Furlong et Maynard, 1995 ; Gervais, 1998 ; Lafortune, Bélanger, Lachapelle et Milot, 2006 ; Malo, 2008). Pour Perrenoud (1994), cette réflexivité représente d’ailleurs le moteur cognitif de la formation elle-même. Ainsi, un rôle fondamental de l’enseignant associé est de favoriser et d’encourager le stagiaire à réfléchir de manière systématique sur ses pratiques (Forest et Lamarre, 2009). À cet effet, les éléments qui, pour les enseignants associés, représentent des lacunes du milieu universitaire relèvent plutôt du référentiel de compétences professionnelles en enseignement (ministère de l’Éducation du Québec, 2001). Ces aspects sont au coeur de la formation pratique et ne découlent pas de la seule accumulation de connaissances théoriques. Par conséquent, ils ne doivent pas être confinés au seul milieu universitaire. Par exemple, selon certains répondants, les stagiaires montrent une faiblesse dans leur formation en ce qui a trait à la planification des activités d’enseignement et à la gestion comportementale des élèves, et proposent à cet effet de revoir les attentes envers le stagiaire. Or, ces aspects, qui sont directement liés à la sixième compétence professionnelle en enseignement (ministère de l’Éducation du Québec, 2001), se développeront tout au long de la formation pratique (Tardif, 2006). En échelonnant le développement des compétences professionnelles de la sorte, l’enseignant associé, comme tout accompagnateur du stagiaire, doit nécessairement tenir compte de la progression du stagiaire (Boudreau et Pharand, 2008 ; Boutin et Camaraire, 2001 ; Portelance et Tremblay, 2006). Durant son stage, l’étudiant est conscient que son développement professionnel s’inscrit dans une perspective à long terme et que celui-ci est progressif, c’est-à-dire qu’il évolue à travers des étapes qui doivent être, chacune en soi, une réussite. Pour favoriser la progression du stagiaire, l’enseignant associé, qui connaît mieux que quiconque le contexte scolaire dans lequel le stage se déroule, doit placer le stagiaire dans des situations qui viseront à lui faire vivre des réussites (Boutin et Camaraire, 2001 ; Gervais et Desrosiers, 2005). Si ce dernier est constamment placé dans des situations stressantes, il ne pourra pas faire progresser le développement de ses compétences professionnelles ni même arriver à réfléchir sur les actes qu’il pose. L’enseignant associé doit fournir au stagiaire un soutien (des étayages) qui, progressivement, lui sera retiré (Vygotsky, 1978).

5.2 L’évaluation du stagiaire : en faire plus ou moins ?

Dans un autre ordre d’idées, les résultats montrent que, selon les acteurs de la formation, soumettre le stagiaire à davantage d’évaluations formelles ne l’aiderait en rien, mais aurait plutôt des conséquences négatives sur certains aspects du stage comme l’expérimentation de nouvelles stratégies, qui relèvent de la créativité et de l’innovation. À cet effet, si le stagiaire est placé dans une situation où il est constamment évalué avec des critères de performance professionnelle, il risque de ne pas se permettre d’essayer des pratiques pour lesquelles il n’a pas la garantie qu’elles auront des conséquences positives (Paquay, 2004). Il semble bien que tout apprentissage par l’action implique la possibilité de faire des erreurs et d’apprendre à les corriger (Depover et Noël, 1999 ; Figari, 2001 ; Lecointre, 1997 ; Paquay, 2004 ; Tardif, 2006).

Comme nous l’avons spécifié antérieurement, il est généralement admis que l’évaluation du stagiaire a deux finalités : l’une formative et l’autre certificative (Boutin et Camaraire, 2001 ; Depover et Noël, 1999 ; Figari, 2001 ; Lecointre, 1997 ; Paquay, 2004, 2006 ; Tardif, 2006). Le rôle de l’enseignant associé est fortement lié à la première forme d’évaluation, qui consiste à identifier la zone proximale de développement du stagiaire, c’est-à-dire de connaître suffisamment la place où celui-ci se situe sur la flèche du développement de ses compétences. L’enseignant associé peut ensuite proposer à l’étudiant des défis qu’il le croit en mesure de relever moyennant un certain effort et une motivation soutenue (Boutet, 2002). Ainsi, le stagiaire se maintient dans une zone qui est à la fois une zone de croissance et une zone de réussite (Vygotsky, 1978).

5.3 Le partage d’expérience et la collégialité : principales sources d’apprentissage pour le stagiaire ?

D’une manière générale, les résultats obtenus ont montré qu’accueillir un stagiaire et l’aider à se développer professionnellement est une expérience stimulante et motivante pour un enseignant associé. Ces résultats viennent mettre en évidence le rôle de tout premier ordre que joue l’enseignant associé en tant qu’accompagnateur du stagiaire. À cet effet, soulignons qu’un stagiaire confronté à une difficulté devrait nécessairement faire appel aux différents intervenants de son stage (Correa Molina et Gervais, 2008 ; Forest et Lamarre, 2009 ; Gervais et Desrosiers, 2005 ; Portelance et Tremblay, 2006). Plusieurs auteurs ont identifié un ensemble de stratégies pour accueillir le stagiaire dans son milieu du stage (Boudreau, 2000 ; Boutin et Camaraire, 2001 ; Forest et Lamarre, 2009 ; Gervais et Desrosiers, 2005 ; Grimmett, 1993 ; Pelpel, 2003 ; Perrenoud, 1994). Celui-ci peut, par exemple, questionner l’enseignant associé sur ses pratiques ou encore lui demander des rétroactions à la suite d’une intervention qu’il a lui-même faite. Lorsque le stagiaire est conscient de se trouver en formation, et non seulement sous évaluation, il se sent davantage à l’aise pour poser des questions à ses différents accompagnateurs. D’ailleurs, le fait de partager avec l’enseignant associé son expérience quotidienne de la profession demeure, pour le stagiaire, la principale source d’apprentissage en stage (Boutet, 2002).

5.4 Accueillir un stagiaire : expérience bilatérale ?

La recherche montre que l’expérience de formation n’est pas unilatérale et que, comme le mentionnent les enseignants associés, accueillir un stagiaire est aussi pour eux l’occasion d’améliorer leurs propres pratiques d’enseignement. Ces résultats sont en phase avec ceux présentés antérieurement par Gervais et Desrosiers (2005). Sur les retombées de l’accueil d’un stagiaire, les auteurs, qui ont recensé plusieurs recherches sur la question, concluent qu’il s’agit notamment, pour les enseignants associés, d’une source de stimulation et de satisfaction, d’un engagement professionnel gratifiant, d’un générateur de temps précieux et d’une occasion de réfléchir sur leurs propres pratiques. En effet, toutes les compétences professionnelles de l’enseignant associé sont sollicitées lorsqu’il accompagne un stagiaire (Boutet, 2001). En échangeant avec le stagiaire sur différents aspects de sa formation (ses expériences d’enseignement, sa vision de l’enseignement, ses motivations à s’engager dans la profession, ses valeurs et sa culture, etc.), l’enseignant associé en vient, lui aussi, à se questionner sur son identité professionnelle, son style d’enseignement, ses motivations, ses besoins de développement, ses compétences, ses forces personnelles, ses valeurs, etc. (Portelance et Tremblay, 2006). C’est donc dire qu’en jouant un rôle de facilitateur de la réflexion (Guillemette et Lapointe, 2012), l’enseignant associé s’inscrit, parfois même malgré lui, dans une démarche proche du modèle du praticien réflexif (Boutet, 2002 ; Guillemette et Gauthier, 2008 ; Paquay, Darras, et Saussez, 2001). Par conséquent, les retombées de l’accueil d’un stagiaire peuvent être généralement perçues comme positives (Gervais et Desrosiers, 2005).

6. Conclusion

Ancrée dans le processus d’évaluation des programmes de formation pratique à l’enseignement, cette recherche qualitative visait à impliquer ces acteurs de première ligne que sont les intervenants du milieu scolaire, c’est-à-dire les enseignants associés et les directions d’établissements scolaires, dans l’évaluation de différents aspects que sont les modalités, la supervision, l’évaluation et les guides de stage. Globalement, les résultats obtenus permettent de concevoir l’accueil d’un stagiaire comme une source de motivation et comme un événement positif pour les enseignants associés. En ce qui concerne les modalités de stage, les enseignants associés font savoir que, malgré les nombreuses perturbations qui surgissent dans le calendrier scolaire, il est important de permettre aux stagiaires de vivre diverses périodes de ce calendrier. De plus, ils considèrent que les stages devraient être d’une durée plus longue. En ce qui a trait à la supervision des stagiaires, les enseignants associés considèrent que les rencontres de rétroaction sont utiles pour le stagiaire et suggèrent même une augmentation du nombre de visites du superviseur universitaire. Toutefois, ils précisent que ces visites doivent nécessairement comprendre deux caractéristiques : 1) être fondées sur une période d’observation suffisante et 2) se dérouler en triade, c’est-à-dire en compagnie du stagiaire, du superviseur universitaire et de l’enseignant associé. L’évaluation du stagiaire est l’aspect le plus fortement remis en question par les enseignants associés. En effet, ils se considèrent comme peu outillés pour utiliser adéquatement les grilles d’évaluation qui leur sont soumises. Par ailleurs, ils remettent généralement en question la pertinence de procéder à l’évaluation formelle du stagiaire lorsque celui-ci en est à son premier stage. Enfin, en ce qui a trait au guide de stage, les enseignants associés considèrent que le document est plutôt hermétique et difficile d’utilisation, et qu’une facture plus attractive et intelligible les aiderait certainement davantage. D’une façon générale, ils disent souhaiter revivre l’expérience de l’accompagnement de stagiaire, bien qu’ils jugent pouvoir aider le milieu universitaire à pallier certaines lacunes, qui font d’ailleurs l’objet de suggestions de leur part.

Certaines limites de cette recherche peuvent être identifiées, notamment en ce qui concerne la compréhension des perceptions des formateurs. Elle se limite à identifier globalement certaines forces et certaines lacunes aux yeux des intervenants, sans nécessairement chercher à résoudre les problèmes identifiés ou à améliorer les aspects concernés. À ce titre, nous suggérons certaines pistes pouvant ultérieurement être explorées. Ainsi, des recherches qualitatives nécessitant le recours à des entretiens avec divers intervenants en milieu de stage devraient être menées. Par ailleurs, la recherche limite son champ d’investigation aux quatre aspects du stage que sont les modalités, la supervision, l’évaluation et le guide. Or, les pistes de recherches liées aux stages en enseignement sont multiples et diversifiées. Ainsi, des recherches ultérieures devraient avoir pour objet la compréhension d’autres aspects liés à l’expérience de stage, tels que les rôles spécifiques de chaque acteur de la formation pratique ou encore les caractéristiques d’un milieu d’accueil favorable à la réussite du stagiaire en enseignement. Également, d’autres études devraient avoir lieu dans d’autres territoires du Québec, afin de vérifier l’adéquation des résultats obtenus. Enfin, des recherches visant la clarification des perceptions des stagiaires seraient indispensables afin de bien saisir l’ampleur des répercussions des réaménagements ministériels apportés aux programmes de stage.