Corps de l’article

1. Introduction et problématique

L’éducation et la formation continue des adultes constituent un enjeu de taille pour la société québécoise. Depuis 2002, la promotion de la formation de base auprès des adultes québécois, qui correspond généralement aux onze premières années de scolarisation, est réalisée dans le cadre de la politique gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue et du plan d’action qui l’accompagnent (Gouvernement du Québec, 2002a; 2002b). Ainsi, de plus en plus d’adultes poursuivent leurs études en formation générale des adultes. En 2010-2011, ils étaient 199 439 adultes inscrits contre 132 601 en 2000-2001 (Voyer, Brodeur, Meilleur, et sous-comité de la Table du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport-Université, 2012). Offrant pas moins de dix services d’éducation des adultes, la formation générale des adultes accueille des adultes âgés de 16 ans et plus qui étudient à temps partiel, à temps plein ou à distance, et qui ont des situations de vie et des parcours scolaires diversifiés et souvent caractérisés par l’incertitude (Direction de l’éducation des adultes et de l’action communautaire, 2009; Boutinet, 1998). Précisons que la formation générale des adultes inclut la francisation, l’intégration sociale, l’intégration socioprofessionnelle, l’alphabétisation, le présecondaire, le premier cycle du secondaire, le second cycle du secondaire, la préparation à la formation professionnelle, la préparation aux études postsecondaires et le soutien pédagogique. Pour ces personnes, la poursuite des études n’est pas toujours synonyme de réussite scolaire. En effet, plusieurs adultes inscrits à la Formation générale des adultes font face à de nombreux défis. Ils doivent surmonter divers obstacles ou freins, en particulier une expérience scolaire passée et présente douloureuse, des difficultés financières, un manque de motivation, le défi de concilier travail-études-famille et des problèmes de santé physique ou psychologique (Baril et Bourdon, 2014; Bélanger, Carignan et Staiculescu, 2007; Lavoie, Lévesque, Aubin-Horth, Roy, et Roy 2004; Ouellet et les commissions scolaires de la Montérégie, 2007). Dans ce contexte, Gagnon et Brunel (2005) constataient que, parmi les jeunes adultes de leur recherche, 37 % avaient interrompu leurs études en formation générale des adultes six mois après leur inscription. Les statistiques ministérielles montrent également que la proportion des diplômés sortant des services d’enseignement de la formation générale des adultes n’était que de 16,6 % en 2004-2005 (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2009). Une des orientations de la politique gouvernementale de 2002 a alors été de lever les obstacles à l’accessibilité et à la persévérance scolaire des adultes. Notre questionnement de recherche s’inscrit donc dans cette orientation et se penche sur les dimensions ou expériences susceptibles de moduler la capacité de persévérer des adultes les plus faiblement scolarisés, inscrits en formation de base commune dans un centre d’éducation des adultes. Mentionnons ici que la formation de base commune fait partie de la formation générale des adultes et inclut l’alphabétisation, le présecondaire et le 1er cycle du secondaire. Ainsi, la recherche descriptive-interprétative que nous avons menée (Savoie-Zajc, 2011) dans un centre d’éducation des adultes de l’Estrie (Québec, Canada) s’intéresse à la persévérance scolaire, phénomène encore aujourd’hui peu étudié lorsqu’il concerne des adultes francophones québécois peu scolarisés en formation de base (Doray, Bélanger et Mason, 2005; Levesque, Lavoie et Aubin-Horth, 2008; Staiculescu, 2011).

Notre recherche comportait deux objectifs. Le premier objectif était de recueillir et d’analyser les points de vue et les expériences d’adultes inscrits en Formation de base commune afin de mieux comprendre les dimensions intrapersonnelles, interpersonnelles et institutionnelles qui entrent en jeu dans la capacité de ces adultes à persévérer. Le présecondaire et le premier cycle du secondaire ont été les services ciblés par la recherche en raison des défis de maintien aux études mis en évidence par le Centre d’éducation des adultes, partenaire de la recherche. De plus, notre recherche avait pour second objectif de recueillir et d’analyser les points de vue des formateurs qui leur enseignent, non seulement au regard des besoins énoncés par les adultes pour favoriser leur persévérance, mais aussi au regard des défis vécus par les formateurs d'adultes eux-mêmes. Cependant, compte tenu du degré d’avancement de la recherche, nous présentons uniquement des résultats d’analyse reliés au premier objectif de la recherche. Ainsi, après avoir exposé les cadres théorique et méthodologique de la recherche, nous décrirons les parcours scolaires passés et présents des soixante-cinq adultes rencontrés, leurs situations de vie actuelles ainsi que leurs projets d'avenir, afin de dégager des pistes d’action soutenant la persévérance des adultes inscrits en Formation de base commune.

2. La persévérance scolaire à l’âge adulte comme cadre théorique de recherche

La persévérance scolaire peut se définir comme le maintien plus ou moins grand, au fil des années, des effectifs scolaires admis dans le système d’éducation ou engagés dans un cycle ou un programme d’études, à une année donnée ou à un âge donné. (Legendre (2005, p. 1032). Selon ce même auteur, c’est aussi le fait qu’un apprenant poursuive ses études en passant à un niveau supérieur ou en débutant un autre type de formation. Quant à son équivalent dans les écrits de recherche anglophones, la persistance, Kerka (2005, p. 1) la définit comme le temps passé par l’adulte en apprentissage en classe ou en activité tutorée. L’abandon par l’adulte de son activité de formation constitue alors un manque de persistance. La persévérance scolaire à l’âge adulte constitue une dimension de la réussite scolaire, qui elle-même renvoie à la capacité des personnes à réussir leur projet de formation. La réalisation de ce dernier est porteuse d’espoir pour l’adulte, espoir associé à l’amélioration de sa situation professionnelle et économique (Staiculescu, 2011). Chenard et Doré (2005 : cité par Staiculescu, 2011) précisent que la réussite scolaire des adultes ne peut plus être considérée dans un tandem accès-cheminement, mais dans une quadripartition accès-cheminement-diplomation-insertion. La réussite scolaire des adultes ne peut non plus être uniquement appréhendée du point de vue des attentes institutionnelles de diplomation et de rehaussement de la formation de base des adultes québécois (Bélanger, Carignan et Staiculescu, 2007; Chenard et Fortier, 2005). Bélanger, Carignan et Staiculescu (2007) proposent le concept de réussite éducative qui adopte une vision plus progressive du cheminement scolaire et qui légitime la coexistence d’objectifs non scolaires. Pour les adultes, la persévérance scolaire s’inscrit également dans une temporalité bien souvent associée à l’adversité, celle du passé marqué d’expériences parfois très difficiles (scolaires, familiales, personnelles, professionnelles, etc.), celle d’un présent complexe (conjuguer les différents rôles sociaux) mais aussi celle de l’anticipation d’un avenir aux formes incertaines. Plusieurs recherches récentes s’intéressent à la persévérance scolaire des adultes, et ce, dans divers contextes éducatifs (Bélanger, Carignan et Staiculescu, 2007; Gagnon et Brunel, 2005; Savoie-Zajc et Dolbec, 2007; Staiculescu, 2011). Ces recherches mettent en lumière des expériences de retour aux études très positives, alors que pour d’autres adultes, il s’agit d’une épreuve non surmontée (Doray, Bélanger et Mason, 2005). La persévérance scolaire est aussi associée à d’autres concepts, comme celui de résilience scolaire; celle-ci est parfois définie par opposition aux concepts d’abandon et de décrochage scolaire (Sauvé, Debeurme, Fournier, Fontaine et Wright, 2006; Hutchinson, Freeman, Stock et Chan, 2004). Selon les auteurs, différents facteurs entrent en jeu dans la persévérance scolaire. Par exemple, Bélanger et ses collaborateurs (2007) établissent un rapport entre la réussite et l’expression d’un projet précis, personnel et surtout professionnel. Pour leur part, Marcotte, Cloutier et Fortin (2010) considèrent que lorsque les jeunes adultes ont une faible estime de soi, un sentiment d’incompétence, peu d’outils sur le plan des études et une piètre opinion de leurs capacités scolaires et cognitives, leurs chances de réussite sont plus faibles. Pour d’autres chercheurs, c’est le formateur et la qualité de relation adulte-formateur qui jouent un rôle crucial dans la réussite scolaire des adultes (Gauthier, Mellouki, Simard, Bissonnette et Richard 2004; Bélanger, Carignan et Staiculescu, 2007; Marcotte, Lachance et Lévesque, 2011). D’autres encore évoquent les choix institutionnels qui préconisent l’enseignement individualisé comme facteur de réussite ou de non-réussite. Ainsi, pour Lavoie, Lévesque, Aubin-Horth, Roy et Roy (2004), l’approche individualisée est très adaptée au style et aux besoins d’apprentissage des adultes; alors que pour Bélanger et ses collaborateurs (2007), tous les adultes ne peuvent y réussir, l’enseignement individualisé les confrontant, pour certains, rapidement à leurs propres limites. Hutchinson, Freeman, Stock et Chan, (2004) proposent une typologie intéressante répertoriant les divers facteurs qui entrent en jeu dans la persévérance scolaire des adultes. Ils distinguent trois grands types de dimensions : intrapersonnelles, interpersonnelles et institutionnelles : 1) les dimensions intrapersonnelles englobent la motivation interne, l’estime et la perception de soi, l’histoire personnelle, l’expérience scolaire, la santé physique et mentale, les projets de vie de l’adulte, ainsi que toute autre ressource personnelle mobilisée par l’adulte; 2) les dimensions interpersonnelles comprennent les relations avec la famille, les pairs, la communauté, le travail (employeurs) et le milieu éducatif (formateurs); enfin, 3) les dimensions institutionnelles concernent les aspects reliés aux programmes scolaires et parascolaires, à la culture et au climat scolaires. Ce sont ces trois types de dimensions que la recherche a permis d’explorer selon une perspective temporelle (passé, présent et futur).

3. Méthodologie de recherche

3.1 Les adultes ciblés par la recherche

Soixante-cinq (65) adultes ont participé à la recherche. Les tranches d’âge ciblées étaient celles des 16-24 ans et des 25-44 ans, car ces dernières sont proportionnellement les plus représentées dans la population étudiante des centres d’éducation des adultes, au Québec en général, comme dans le centre d’éducation des adultes partenaire de la recherche en particulier (Direction de l’éducation des adultes et de l’action communautaire, 2011). Participant à la recherche de façon volontaire (les adultes ayant donné leurs coordonnées étaient recontactés après la présentation que nous en avons faite dans leur classe), les adultes devaient être inscrits en Formation de base commune au présecondaire ou au premier cycle du secondaire (en mathématique ou en français) depuis plus de trois mois et ne pas envisager d’abandon. Notre échantillon de 65 personnes était constitué de 36 hommes (55,4 %) et de 29 femmes (44,6 %). et formé d’une majorité de jeunes adultes (38 sur 65, soit 58,5 %, âgés de moins de 25 ans et d’un tiers d’immigrants (21 personnes, soit 32,3 % de notre échantillon) ayant le plus souvent un statut de résident permanent. La langue maternelle était le français pour 42 des 65 adultes de la recherche (64,6 %); l’anglais pour 2 d’entre eux (3,1 %); enfin, les 21 adultes restants (32,3 %), parlaient pas moins de 10 langues maternelles (espagnol, créole haïtien, lingala, dari, turque, arabe, bengali, swahili, japonais, russe, kinyarwanda et khmer). Parmi les 65 adultes rencontrés, 50 (76,9 %) présentaient un parcours scolaire avec interruption entre le secteur Jeunes et le secteur Adulte, alors que 15 (23,1 %) s’étaient inscrits au centre d’éducation des adultes dans un délai inférieur à 9 mois suivant l’arrêt de leurs études au secteur Jeunes.

3.2 Des entrevues individuelles semi-dirigées

Notre recherche de type descriptif-interprétatif reposait sur une épistémologie visant une compréhension riche d’un phénomène ancré dans le point de vue et le sens que les acteurs sociaux attribuent à leur réalité (Savoie-Zajc, 2009, p. 337). C’est l’entrevue individuelle semi-dirigée qui a été la stratégie de collecte de données choisie pour aborder la persévérance scolaire selon les expériences et le regard des adultes (Savoie-Zajc, 2009). En effet, Baribeau et Royer (2012, p. 26) soulignent que l’entrevue individuelle permet de saisir au mieux le point de vue des individus, leur compréhension d’une expérience particulière, leur vision du monde, en vue de les rendre explicites, de les comprendre en profondeur ou encore d’en apprendre davantage sur un objet donné. Un canevas de discussion, comprenant des questions ouvertes, semi-ouvertes et fermées, a été élaboré en 2010. Inspiré par d’autres recherches (Bélanger, Carignan et Staiculescu, 2007; Bergier et Francequin, 2005), ce canevas a fait l’objet d’une validation avec le concours de trois adultes scolarisés en Formation de base commune et de deux intervieweurs. Le canevas de discussion était organisé selon quatre grands thèmes : 1) les caractéristiques sociodémographiques de l’adulte; 2) ses expériences passées de nature scolaire, personnelle, familiale, voire professionnelle, ainsi que les motifs d’études en Formation de base commune; 3) les expériences actuelles de l’adulte reliées au projet de formation (dimensions scolaires, parascolaires et administratives) ainsi que leur vécu relationnel (au sein du centre d’éducation des adultes et en dehors); et 4) les projets d’avenir. Le concept d’expérience jouant un rôle clé dans notre collecte de données, nous entendons celle-ci comme l’ensemble des apprentissages réalisés par une personne dans un temps et un lieu donnés. De manière plus spécifique, pour un apprenant, l’expérience scolaire correspondrait à tout ce qu’il apprend dans son institution scolaire. Cette expérience n’est pas seulement d’ordre cognitif ou instrumental mais également d’ordre affectif, social, moral. Elle déborde largement les prescriptions officielles, les programmes explicites et peut même parfois les contredire (De Léonardis, Capdevielle-Mougnibas et Prêteur, 2006). Ce sont ces expériences scolaires et non scolaires, leur enchaînement et leur articulation, qui contribuent à la construction des parcours scolaires (Picard, Trottier et Doray, 2011).

3.3 Le déroulement des entrevues

La collecte des données s’est déroulée sur une période de trois mois durant l’année 2010. Les entrevues individuelles, d’une durée variant entre quarante-cinq et quatre-vingt-dix minutes, ont été réalisées sur le lieu d’apprentissage des adultes, dans un local attribué à cet effet, et ont fait l’objet d’un enregistrement audio. Chacune des questions a été posées oralement à chaque adulte. Deux faits sont à souligner : le recrutement de participants volontaires a été un processus plus compliqué que prévu, en ce sens qu’il a fallu réaliser des présentations de la recherche dans les classes en plus grand nombre que nous l’avions prévu initialement. Nous tenions néanmoins à ce que les adultes aient envie — sans équivoque — de se raconter, certains aspects de l’entrevue pouvant être très personnels. En conséquence, nous avions prévu rencontrer cent participants, mais seulement soixante-cinq ont été recrutés. Cette situation, nous le croyons, ne nuit pas à la qualité des résultats de la recherche, puisque le critère de saturation a été atteint (Baribeau et Royer, 2012). Également, durant les entrevues semi-dirigées, les intervieweurs ont dû relever le défi d’amener chaque adulte à formuler ses expériences et ses opinions. Les mots manquaient parfois pour décrire leur vécu, leur ressenti et leurs opinions.

3.4 Méthodes d’analyse des données

Les données recueillies durant la recherche ont été retranscrites sous la forme d’un verbatim. Ces derniers ont principalement fait l’objet d’une analyse qualitative de contenu (Paillé et Mucchielli, 2003) réalisée au moyen du logiciel Nvivo. Il s'agissait d’accéder au sens des données selon une logique inductive délibératoire, c’est-à-dire qui tienne compte de l’influence du cadre théorique concernant l’analyse des données (Savoie-Zajc, 2011). Ainsi, après avoir transcrit les données, nous avons réalisé une lecture flottante et itérative des verbatims afin d’en saisir le sens général et d’identifier des catégories d’unités de sens. Ces catégories ont permis le tri des données constituant un préalable à leur analyse. Cette dernière a enfin été effectuée au regard des objectifs de la recherche. Notons que les questions d’ordre sociodémographique ainsi que les questions fermées ont fait l’objet, aux fins de cet article, d’un traitement statistique descriptif simple.

3.5 Considérations éthiques

Sur le plan éthique, la recherche a été validée par le comité éthique en sciences humaines de l’Université de Sherbrooke. La participation des adultes volontaires nous a amenés à rencontrer chaque classe d’adultes qui suivaient des cours de niveaux présecondaire et de 1er cycle du secondaire. Lors de chaque présentation de la recherche, les adultes pouvaient poser des questions sur la recherche et les implications requises. Après la présentation, les adultes intéressés remplissaient un feuillet indiquant leur nom, prénom et numéro de téléphone. L’équipe de recherche les rappelait ensuite pour fixer la date de l’entrevue. Les documents de consentement étaient acheminés par courrier. En préalable à chaque entrevue, lesdits formulaires étaient de nouveau présentés et discutés avant que l’adulte signe. La confidentialité des personnes participantes et des données a été assurée au moyen d’attribution de codes alphanumériques et de codes de sécurité pour les dossiers informatiques de la recherche. Les membres de l’équipe de recherche ont également tous signé un engagement au respect de la confidentialité dans le cadre de cette recherche.

4. Résultats de recherche

Nous présentons ici les résultats de la recherche selon une logique chronologique pour appréhender les expériences ou les évènements d'ordre intrapersonnel, interpersonnel et institutionnel vécus par les adultes rencontrés.

4.1 Parcours scolaires passés

Les adultes de la recherche ont décrit leur parcours scolaire passé. Deux profils ont été mis en évidence : les adultes ayant un parcours scolaire passé avec interruption entre le secteur Jeunes et le secteur Adulte et ceux ayant un parcours scolaires passé sans interruption.

4.1.1 Parcours scolaire passé avec interruption

Il apparaît que 50 des 65 adultes (76,9 %) de la recherche ont un parcours scolaire passé qui s’est interrompu plus de 9 mois avant leur entrée en formation au centre d’éducation des adultes. Sur les 21 personnes ayant immigré au Québec, 18 (85,7 %) déclarent un parcours scolaire avec interruption en raison de leur projet migratoire planifié ou subi. Du point de vue de la durée de l’arrêt, deux tendances se dessinent : 22 sur 50 (44 %) ont arrêté de 1 à 5 ans, alors que 18 sur 50 (36 %) l’ont fait depuis plus de 10 ans. Les différents niveaux de formation initiale atteints par les adultes se répartissent ainsi : 8 sur 50 (16 %) avaient atteint un niveau d’études primaires complet; 16 sur 50 (32 %) avaient atteint un niveau de 1er cycle du secondaire; 7 sur 50 (14 %) avaient atteint un niveau de 2e cycle du secondaire. De plus, 11 sur 50 (22 %) avaient poursuivi une formation dans un programme de cheminement particulier ou d’insertion socioprofessionnelle des jeunes. Rappelons que le programme de cheminement particulier s’adresse aux élèves ayant besoin d’un accompagnement spécifique afin de compléter leurs études ou consolider des acquis de base de niveaux primaire et secondaire. Le programme d’insertion socioprofessionnelle des jeunes est, pour sa part, axé sur l’emploi. Enfin, 4 sur 50 (8 %) ont suivi le parcours d’un diplôme d’études professionnelles sans forcément diplômer, et 4 sur 50 (8 %) ont atteint un niveau pré-universitaire (collégial) ou universitaire (abandon en première année). Si l’on compare les natifs du Québec avec les immigrants, il est possible de constater que les premiers ont un niveau d’études globalement plus faibles que les immigrants. Tous les natifs québécois ont abandonné leurs études au secondaire, ce qui n’est pas le cas de tous les immigrants.

L’arrêt des études en formation initiale est surtout expliqué par des dimensions intrapersonnelles : un manque de motivation, des comportements personnels inadéquats ou encore des difficultés d’apprentissage. Viennent ensuite des aspects interpersonnels : des contextes familiaux marqués par les conflits et la maladie d’un proche ont induit l’arrêt des études. D’importantes difficultés relationnelles avec les enseignants et leurs pairs sont aussi soulignées. Quant aux aspects institutionnels, les adultes dénoncent l’organisation du système éducatif, en particulier le manque de suivi des enseignants et le caractère répétitif et inadéquat des enseignements, compte tenu des besoins qu’ils ressentent. Ainsi, on trouve une perte de sens et d’intérêt par rapport aux études chez plusieurs adultes.

Parmi les 50 adultes ayant un parcours scolaire avec interruption, la moitié a suivi des programmes d’employabilité et a eu accès à des cours de perfectionnement proposés par leur employeur. Ces programmes ou cours ont précédé leur entrée actuelle au centre d’éducation des adultes. D’autres encore ont tenté d’autres types d’études qui ne leur ont pas plu. En particulier, 11 adultes ont amorcé un retour aux études dans un centre d’éducation des adultes et y ont mis fin. On comprend alors qu’ils n’en sont pas à leur première tentative de retour en formation. Toutefois, les éléments contextuels clarifiant les motifs antérieurs d’arrêt n’ont été que superficiellement abordés lors des entrevues.

Pour les natifs québécois comme pour les immigrants, des objectifs personnels et professionnels les motivent à retourner aux études. Leur volonté d’obtenir un meilleur emploi et l’encouragement de leur entourage ont été déterminants. L’importance des enfants dans leurs décisions est à souligner, en particulier pour les soutenir dans leurs apprentissages scolaires. Ce qui distingue, en revanche, les adultes migrants des adultes québécois, touche surtout des dimensions institutionnelles : les adultes migrants ont un grand besoin d’améliorer leurs compétences langagières au regard de leur nouvel environnement de vie et de se qualifier (manque de reconnaissance des diplômes) pour mieux s’y intégrer. Ils profitent aussi de l’accessibilité aux études offerte par le pays d’accueil. Quant aux natifs québécois, pour plusieurs d’entre eux, le soutien gouvernemental (centre local d’emploi) entre en jeu dans leur décision d’étudier. Ces motifs de retour aux études vont dans le sens des recherches menées par Bélanger et Voyer (2004), mais aussi Potvin et Leclercq (2014), sur la question des jeunes adultes issus de l’immigration inscrits à la Formation générale des adultes.

4.1.2 Parcours scolaire passé sans interruption

Parmi nos 65 adultes interviewés, 15 adultes (23,1 %) considèrent ne jamais avoir interrompu leurs études (dont 3 personnes immigrantes) : parmi eux, 10 sur 15 (66,6 %) étaient inscrits dans les programmes de cheminement particulier, d’insertion socioprofessionnelle des jeunes, ou ont obtenu une attestation pour l’exercice d’un métier semi-spécialisé; de plus, 4 sur 15 (26,7 %) ont atteint un niveau de 1er ou de 2e cycle du secondaire et un seul (6,7 %) d’origine étrangère détient une équivalence du diplôme d’études collégiales. La poursuite de leurs études en Formation de base commune est motivée par le fait qu’ils jugent leur formation actuelle limitée quant à sa portée, et que les perspectives professionnelles leur semblent nulles. Pour les natifs du Québec, un ressenti négatif par rapport au climat scolaire à l’école secondaire et au système éducatif en général est également évoqué pour transiter directement du secteur Jeunes au secteur Adulte. Le motif d’inscription de 12 des 15 adultes ayant un parcours scolaire sans interruption est, d’abord, celui de se prouver à eux-mêmes leur capacité à obtenir un diplôme d’études secondaires (dimension intrapersonnelle). Ils se sont réinscrits sous l’influence de leur entourage (dimension interpersonnelle) et ont espoir que l’organisation scolaire à l’éducation des adultes leur sera plus favorable (dimension institutionnelle). Quant aux 3 adultes immigrants, ils ont des motifs similaires aux adultes immigrants ayant un parcours scolaire avec interruption : ils ont défini un projet professionnel en vue de s’intégrer au marché du travail québécois.

L’analyse des deux types de parcours scolaires, avec ou sans interruption, met en évidence le fait que les adultes ayant un parcours sans interruption sont globalement plus jeunes et ont connu de plus grandes difficultés scolaires au secteur jeune. Pour les adultes ayant interrompu leurs études, certaines dimensions intrapersonnelles et interpersonnelles entrent d’abord en jeu dans leur abandon (la démotivation à l’égard du système scolaire, les difficultés d’ordre comportemental, les difficultés scolaires, le manque de soutien et les problèmes familiaux, les problèmes relationnels avec les formateurs et les pairs en classe). Pour ceux qui sont passés sans interruption du secteur secondaire au secteur Adulte, c’est surtout l’école qui pose problème (la dimension institutionnelle), ce qui va dans le sens de l’étude de Rousseau, Théberge, Bergevin, Tétreault, Samson, Dumont et Myre-Bisaillon (2010) : les limites de leur formation initiale (pas de diplôme et pas de progression des apprentissages), un climat scolaire difficile et un système éducatif inadéquat les ont motivés à transférer à la formation générale des adultes. Quant à l’ensemble des participants, peu ont une formation antérieure de type professionnel. Ils se voient avec un avenir limité; ils constatent ne pas pouvoir se réaliser pleinement. Les quelques informations rapportées de leurs histoires de vie respectives montrent une confrontation, parfois dès leur jeune âge, à des grands défis et à des ruptures, de nature personnelle et familiale, mais aussi à des situations de guerre.

4.2. Situations de vie actuelles et expérience scolaire en cours

Nous présentons ci-dessous les situations de vie actuelles des 65 adultes et leur expérience scolaire en cours sans distinction de leur parcours scolaire antérieur, avec ou sans interruption scolaire. En effet, notre analyse comparative ne faisait pas ressortir de différence significative. Lorsque des différences spécifiques ont été notées, celles-ci sont rapportées dans notre propos.

4.2.1. Situations de vie actuelles

Les situations de vie des adultes sont rapportées selon trois dimensions : santé, situation familiale et situation financière.

4.2.1.1 Santé

Il apparaît que les adultes de la recherche ont une perception plutôt négative de leur santé : 13 sur 65 (20 %) déclarent éprouver des problèmes de santé qui, selon eux, peuvent entraver de façon importante leurs études (maladie cardiaque, diabète, arthrose, maux de dos, dépression, etc.) et 11 sur 65 (16,9 %) mentionnent des problèmes spécifiques, essentiellement chroniques, qui peuvent à l’occasion entrer en conflit avec les études. Il est important ici de constater que ce sont surtout des problèmes physiques qui sont nommées par les adultes, alors que ce sont les problèmes de santé mentale qui sont jugés préoccupants dans les centres d’éducation des adultes (Direction de l'éducation des adultes et de l'action communautaire, 2009). Dans leur étude auprès de jeunes adultes (16-24 ans), Marcotte et ses collaborateurs (2010) mettaient ainsi en évidence que 25 % de leur échantillon vivait un haut niveau de détresse psychologique, avait des idées suicidaires ou des problèmes de comportement extériorisés. Avoir un trouble déficitaire de l’attention ou un trouble d’apprentissage font partie des maladies mentionnées par 7 adultes de notre recherche. Une telle mention laisse supposer un diagnostic ou une médication lorsqu’elle est nécessaire. Notons ici que malgré leur jeunesse, la moyenne d’âge du groupe étant de 26 ans, plus du tiers s’autoévaluent comme ayant un état de santé susceptible d’entraver leurs études. Cette appréciation subjective négative de leur santé contraste avec les résultats de l’enquête québécoise sur la santé de la population. Camirand, Bernèche, Cazale, Dufour et Baulne (2010, p. 58) mettent en évidence que seulement 5,5 % des 15-24 ans et 6,1 % des 25-44 ans perçoivent leur état de santé comme étant passable ou mauvais. En revanche, pour les immigrants, une autre étude montre que ces derniers voient leur état de santé se dégrader après leur arrivée au Québec (Zunzunegui, Forster, Gauvin, Raynault et Willms, 2006).

4.2.1.2 Situation familiale

Les adultes de la recherche sont d’abord célibataires (48 sur 65, soit 73,9 %), mariés (11 sur 65, soit 16,9 %) et, moins souvent, conjoints de fait (6 sur 65, soit 9,2 %). Sur le plan parental, 45 des 65 adultes (70,1 %) n’ont pas d’enfants et s’ils sont parents (20 sur 65), 19 d’entre eux (94,7 %) ont un ou deux enfants maximum. Tous prétendent ainsi avoir une situation familiale plutôt favorable pour le retour aux études. Ils sont libres de contraintes familiales, et plusieurs bénéficient du soutien parental (le logement par exemple).

4.2.1.3 Situation financière

Si l’on considère leur revenu annuel, 26 des 65 adultes (40 %) ont un revenu inférieur à 9 999$, et 38,4 % ont un revenu compris entre 10 000$ et 19 000$ (les 21,6 % restants ont un revenu supérieur ou égal à 20 000$). Ces résultats montrent que nos participants sont relativement pauvres. En effet, le seuil de faible revenu modulé selon les régions habitées (rurales ou métropolitaines) oscille entre 16 038$/an et 23 298$/an (Statistique Canada, 2012). Par ailleurs, les revenus des adultes de la recherche se situent en-dessous des revenus de la population du Québec : 3,6 % des Québécois ont un revenu annuel de moins de 9 999$, alors que 10,8 % ont un revenu entre 10 000$ et 19 000$. (Institut de la Statistique, 2010). Ainsi, ils n'ont pas l'argent nécessaire pour se nourrir, se loger, se vêtir et pour étudier. Ils sont pourtant soutenus, pour beaucoup d’entre eux, par les programmes d’emploi-Québec et de l’aide sociale. Ils sont aussi, pour plusieurs, soutenus par leurs parents qui les prennent encore en charge (ce qui peut, en partie, relativiser la faiblesse des revenus individuels). Cette situation de pauvreté, les apprenants-adultes en parlent peu de manière directe, mais elle constitue un frein sur plusieurs dimensions de leur expérience scolaire. En effet, certains mentionnent avoir tardé à s’inscrire au Centre d’éducation des adultes, car ils n’avaient pas l’argent pour payer l’inscription; pour d’autres, ce sont les allers-retours du domicile au Centre d’éducation des adultes qui posent problème. Ils aimeraient des tarifs réduits pour le transport en commun ou le stationnement de leur véhicule. Ou encore, ils doivent faire des demandes spéciales à la direction du Centre d’éducation des adultes, car ils ne peuvent payer leur matériel scolaire. Ces constats de pauvreté des adultes de la recherche nous permettent de faire des liens avec la perception négative de leur santé : Barayandema et Frechet (2011) rappellent l’existence d’un lien très évident et très fort entre la santé et le revenu individuel, la pauvreté étant un des déterminants de la santé des populations. Quant à Camirand et ses collaborateurs (2010, p. 60), leur enquête montre que 27,2 % des adultes interrogés dont la situation financière est pauvre voire très pauvre perçoivent leur état de santé comme passable ou mauvais, contre 8,6 % des adultes ayant une situation financière à l’aise ou avec des revenus suffisants.

L’examen des sources de revenus des adultes de notre recherche met en évidence que seuls 11 des 65 adultes (17 %) ont un emploi à temps partiel. Cet emploi, constitue leur principale source de revenus. Ils n’ont pas le choix de travailler ou non. Leur survie en dépend. Or, ils constatent que leur emploi a un impact néfaste sur leurs études : ils font parfois des heures supplémentaires, ils sont fatigués et ont le sentiment de prendre du retard dans leurs études à cause de leur impossibilité d’étudier en dehors des heures de classe. Néanmoins, ils perçoivent de l’ouverture chez leur employeur. En effet, la conciliation travail-études est rendue possible grâce à des modifications d’horaires de travail et à une réduction des heures travaillées lorsqu’ils le jugent nécessaire. Pour 54 des 65 adultes qui ne travaillent pas (83 %), leurs principales sources de revenus sont les programmes d’aide à l’emploi et l’aide sociale d’Emploi-Québec. L’aide financière familiale est aussi importante : certains vivent encore chez leurs parents, compte tenu de leur jeunesse ou sont aidés par leur fratrie. Ceux qui ne travaillent pas jugent leur situation financière plus positivement que ceux qui ont un emploi.

En résumé, l’analyse des situations de vie des adultes met en évidence le fait que les adultes participants de notre recherche ont des conditions de vie difficiles : de faibles revenus, une conciliation études-travail qui pose problème pour ceux qui ont un emploi, et un état de santé jugé parfois négativement. Néanmoins, ils sont majoritairement célibataires et se disent libres de contraintes familiales.

4.2.2 Expérience scolaire en cours

Interroger les adultes de notre recherche sur leur expérience scolaire en cours a consisté à aborder des dimensions multiples et complémentaires. Tout d’abord ont été discutés le processus d’inscription au centre d’éducation des adultes, leur niveau de formation à l’entrée au centre ainsi que leur expérience du Service d’entrée en formation. Les adultes nous ont aussi fait part des défis qu’ils rencontraient dans les disciplines du français et des mathématiques. Ensuite, la pédagogie déployée dans les classes régulières, leur rythme d’apprentissage et leur perception de l’utilité de la formation ont fait l’objet de discussion. Enfin, les adultes nous ont parlé de leurs relations avec leurs pairs et leurs formateurs, de plusieurs aspects administratifs et parascolaires ainsi que de leur vie sociale hors les murs du centre d’éducation des adultes.

4.2.2.1 Le processus d’inscription

Une très large majorité des adultes de la recherche se dit très satisfaite de l’accueil reçu au moment de l’inscription, des informations, des conseils et des services d’orientation reçus. Les Services d’accueil, de références, de conseils et d’accompagnement semblent donc appréciés et ne font pas obstacle au projet scolaire en émergence. Nous nuancerons leurs propos lorsque nous examinerons les projets d’avenir des adultes. Au niveau institutionnel, c’est l’impossibilité de recevoir une aide financière pour leurs études ainsi que les délais d’entrée au centre d’éducation des adultes qui ont été les aspects les moins appréciés. Une fois prise la décision de retourner aux études, les adultes souhaitent mettre en oeuvre leur projet rapidement.

4.2.2.2 Le niveau de formation à l’entrée (avec ou sans tests de classement)

Le niveau présecondaire est largement représenté chez les adultes de la recherche au moment de leur entrée au centre d’éducation des adultes. En français, il faut noter que les adultes semblent avoir un niveau plus faible qu’en mathématiques : seuls 14 des 65 adultes (21,5 %) sont classés au 1er cycle du secondaire en français contre 18 (27,7 %) en mathématiques. Rappelons que nos critères de sélection étaient que les adultes soient au présecondaire ou au 1er cycle du secondaire dans une des deux matières principales, le français ou les mathématiques. Certes, ces critères orientent nos présents résultats, mais, comme nous le voyons dans le tableau 1 ci-dessous, leurs expériences d’apprentissage en français et en mathématiques sont fort différentes et vont dans le sens de plus grands défis à relever dans la discipline du français.

Tableau 1

Niveau de formation à l’entrée - centre d’éducation des adultes

Niveau de formation à l’entrée - centre d’éducation des adultes

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Parmi les 65 adultes, 52 ont passé un test de classement à leur entrée au centre d’éducation des adultes. Pour la plupart, les résultats des tests de classement les ont déçus et insatisfaits, car ils ont été déclassés, à des niveaux plus bas que ceux qu’ils avaient atteints par le passé. Notons que ces tests de classement permettent d’évaluer les acquis scolaires, le plus souvent, en français et en mathématiques et qu’une grande variété de tests coexiste selon les centres (Bélanger, Carignan et Staiculescu, 2007). Parmi ceux qui n’ont pas passé de test, plusieurs ont été par la suite déclassés au regard des difficultés rencontrées en classe. Certains entrevoient néanmoins ce déclassement comme la possibilité de réviser des matières et de consolider les bases de leurs connaissances et ainsi mieux réussir.

4.2.2.3 Le Service d’entrée en formation

Il apparaît que 54 des 65 adultes (87,3 %) de la recherche ont été intégrés au Service d’entrée en formation, pour une durée de quatre semaines, avant de commencer leurs apprentissages dans les classes régulières. Ceux dont la formation a débuté par les cours de francisation n’ont souvent pas profité de ce service. Ceux qui en ont bénéficié, l’apprécient beaucoup, car il s’agit d’une bonne préparation globale pour les cours réguliers : selon les adultes qui ont quitté l’école depuis plusieurs années, il faut apprendre à revenir en formation. Ainsi, ce service leur aurait facilité cette période de transition en diminuant leurs appréhensions et leur stress, en les familiarisant avec le fonctionnement général de l’institution scolaire. Le Service d’entrée en formation favoriserait également la création de liens particuliers avec les formateurs qui sont jugés ouverts et dévoués. Leur capacité d’écoute est appréciée. Le Service d’entrée en formation maintiendrait aussi leur motivation et augmenterait leur estime et leur confiance en soi. Enfin, ce service est un creuset pour briser l’isolement : le contexte d’apprentissage est propice aux échanges avec les pairs. Cela dit, notre analyse met en évidence que les contenus de formation enseignés au Service d’entrée en formation sont peu mentionnés, au profit des aspects organisationnels et relationnels. Lorsqu’on les questionne, sur l’apprentissage des stratégies d’études, qui se réalise au Service, avec pour objectif de les aider à choisir des moyens d’apprentissage appropriés à leur démarche de formation, les adultes considèrent un tel apprentissage comme généralement utile (26 sur 65 : 40 %). Néanmoins, pour plusieurs, l’appréciation est mitigée (15 sur 65 : 23 %). D’autres adultes ne savent pas trop quoi dire (18 sur 65 : 27,7 %) et 6 sur 65 (9,2 %) ont des opinions très défavorables. Pour ceux qui ont apprécié les contenus d’apprentissage associés aux stratégies d’études, ils trouvent utile de développer des stratégies qui améliorent leur concentration et leurs capacités de mémorisation, de se rappeler les saines habitudes de vie pour étudier, de revoir les stratégies de prise de notes, de correction de ses fautes, de compréhension de texte et de motivation générale. À l’opposé, les adultes plus nuancés, plus négatifs, considèrent avoir déjà leur répertoire personnel de stratégies d’études. Déjà informés de l’ensemble du contenu du cours, ils ont ainsi le sentiment d’avoir perdu leur temps. Quant à savoir si les adultes utiliseront les stratégies d’études enseignées durant leur formation future, 23 sur 65 (35,4 %) pensent les utiliser ; 12 sur 65 (18,5 %) ne les utiliseront pas ; 16 sur 65 (24,6 %) ont une position mitigée et 14 sur 65 (21,5 %) ne savent pas. Enfin, les formateurs les incitent-ils à utiliser les stratégies d’études depuis leur intégration dans les classes régulières? Parmi les 53 adultes qui ont fourni une réponse claire à cette question : 30 (56,6 %) ont répondu positivement, contre 23 (43,4 %) qui ont répondu négativement. Ainsi, près de la moitié des adultes ne transfèrent pas les stratégies d’études apprises au Service d’entrée en formation dans les classes régulières. On peut supposer, comme le mentionnent Cartier (2000) et Bégin (2008), que ces stratégies d’études n’ont pas été suffisamment enseignées dans le contexte d’apprentissage spécifique aux mathématiques et au français, afin de favoriser leur appropriation.

Enfin, lorsqu’il est question du Service d’entrée en formation, il apparaît qu’une même inquiétude habite la majorité des adultes : le Service d’entrée en formation est-il nécessaire au regard de l’urgence ressentie par les adultes de plonger rapidement dans les cahiers d’apprentissage inscrits dans leur profil de formation? Ainsi, si le Service d’entrée en formation constitue une période d’intégration en douceur des adultes qui est sécurisante pour eux et qui leur permet de développer des relations positives (avec les formateurs et les pairs), les apprentissages qui y sont réalisés sont peu nommés et le cours spécifique dédié aux stratégies d’apprentissage est peu réinvesti dans le cadre des classes régulières. C’est aussi ce que constatent Coster et Drolet dans leur étude (2001 : cité par Solar et Tremblay, 2007, p.34) : les adultes à la Formation générale des adultes utilisent un répertoire restreint de stratégies. Pourtant, les stratégies d’apprentissage sont considérées comme des ressources essentielles que l’apprenant devrait mobiliser dans l’exercice de ses compétences (Bégin, 2008). En effet, avoir de bonnes stratégies d’apprentissage favorise un meilleur rendement scolaire. Par exemple, l’enquête du PISA — Programme international du suivi des acquis des élèves (Organisation de coopération et de développement économiques-OCDE, 2012) — démontre que plus les apprenants ont des stratégies d’apprentissage efficaces pour résumer un texte, plus ils performent sur le plan scolaire. Cette enquête montre également que les élèves défavorisés ont de moins bonnes stratégies. Ainsi, travailler les stratégies d’apprentissage avec les adultes semble une aide indispensable à leur réussite, mais elles devraient certainement être mieux ancrées dans les apprentissages disciplinaires pour en favoriser le transfert.

4.2.2.4 La discipline du français

Les adultes de la recherche ont été invités à identifier les défis qu’ils rencontrent dans la discipline du français. Il semble que 7 adultes (10,8 %) n’éprouvent aucune difficulté. Pour les autres, les difficultés reliées au français sont multiples et variées. Elles concernent d’abord l’apprentissage de la grammaire. Les difficultés nommées sont celles qui touchent la syntaxe et l’analyse syntaxique, des difficultés grammaticales générales et, finalement, des difficultés liées à l’application des règles de grammaire lors de la rédaction ou de la correction d’un texte. Viennent ensuite les défis associés à la rédaction de textes, à savoir la composition en elle-même (trouver et structurer ses idées, composer un texte d’un type particulier) et la correction du français écrit (écrire sans fautes et corriger ses fautes). Un autre type de difficulté rapporté est celui des difficultés liées à la lecture et la compréhension de texte. Enfin, plusieurs adultes d’origine immigrante soulignent leur difficulté à s’exprimer oralement en français.

Dans ce contexte, les adultes considèrent que le soutien apporté par les formateurs (facteur interpersonnel) est le plus important pour surmonter les difficultés vécues en français. Certains participants disent apprécier les explications et les exemples concrets donnés ou les stratégies suggérées. Mais les adultes comptent également sur plusieurs dimensions intrapersonnelles, leur motivation et leurs efforts personnels, pour apprendre le français. Lire davantage est aussi une stratégie rapportée par plusieurs. Enfin, surmonter ses difficultés, c’est bénéficier des services du soutien pédagogique offerts par leur centre d’éducation des adultes, et ce, en dehors des cours (dimension institutionnelle).

4.2.2.5 La discipline des mathématiques

Parmi les 65 adultes, 37 se disent à l’aise avec les mathématiques : ils n’ont pas de difficulté particulière. L’autre moitié mentionne des difficultés en rapport avec des dimensions spécifiques des mathématiques, telles que l’algèbre, la géométrie et la résolution de problèmes. Les difficultés d’apprentissage liées à des souvenirs trop lointains de la matière surgissent lors de l’entrée en formation. Parfois, c’est même la maîtrise de la langue française qui représente un obstacle à l’étude des mathématiques. Un participant résume ainsi ses difficultés en mathématiques : s’il améliore son français, il va mieux réussir les mathématiques.

Lorsque les difficultés en mathématiques sont présentes, les adultes se donnent deux types de stratégies de nature institutionnelle et intrapersonnelle pour les surmonter : 1) utiliser les ressources humaines disponibles au sein du centre d’éducation des adultes, à savoir leurs formateurs et, ensuite, le service de soutien pédagogique; 2) sur le plan intrapersonnel, ils insistent alors sur leur capacité à faire preuve de persévérance par le biais de l’entraînement en faisant des exercices, d’une bonne gestion du temps (prendre son temps) et par leur motivation intrinsèque. En ce sens, ils comptent sur leur propre engagement et sur l’adoption de bonnes attitudes pour réussir.

4.2.2.6 La pédagogie dans les classes régulières

Selon les adultes interrogés, la pédagogie des formateurs en français et en mathématiques, dans les classes de présecondaire et de 1er cycle du secondaire, est principalement basée sur l’approche individualisée. À de rares occasions, les adultes indiquent que l’enseignement magistral est utilisé. La dominance de l’approche individualisée n’est pas surprenante. Elle est aussi constatée par d’autres auteurs, comme Potvin et Leclercq (2010). Dans le cadre de l’approche individualisée, les adultes réalisent leurs apprentissages au moyen de cahiers d’apprentissage et sollicitent au besoin le formateur, qui selon la perception des adultes, attend d’être sollicité pour des explications. Mais parfois, c’est le formateur qui peut être attendu par les adultes. En effet, les adultes doivent inscrire leur nom sur une liste d’attente avant de pouvoir rencontrer leur formateur pour résoudre les difficultés qui les empêchent d’avancer. Et, parfois, selon eux, l’attente peut être longue, compte tenu du nombre d’apprenants dans la classe. Ce constat est aussi relevé par les adultes interrogés dans une récente étude de Potvin et Leclercq (2014, p. 330).

Quand les adultes sont interrogés sur leurs préférences en matière d’approche pédagogique, s’ils avaient le choix, il est intéressant de noter que l’approche individualisée ne serait pas toujours privilégiée. Certes, 32 des 65 des adultes (49,5 %) préfèrent l'approche individualisée, car elle respecterait mieux le rythme de chacun, le souhait d’apprendre seul et de rester concentré. Mais 12 autres adultes (18,5 %) aimeraient plutôt l’approche magistrale parce qu’elle leur permettrait, selon eux, de mieux comprendre la matière enseignée. Enfin, 21 personnes interrogées (32,3 %) souhaiteraient une mixité des approches individualisée et magistrale, car elles sont jugées complémentaires. Dans les trois situations, le choix de l’approche est motivé par un meilleur rythme d’apprentissage, rythme qui, nous le verrons, pose des défis à plusieurs adultes rencontrés. Cette appréciation variable de l’approche individualisée est également soulignée dans plusieurs recherches menées à la formation générale des adultes. Par exemple, pour Rousseau et ses collaborateurs (2010), l’approche individualisée serait une spécificité à maintenir absolument, en raison de l’engouement qu’elle suscite chez les adultes, alors que pour Bélanger, Carignan et Staiculescu (2007), ainsi que Potvin et Leclercq (2014), elle constitue un motif sérieux de non-persévérance et de démotivation. En effet, elle ferait trop reposer sur l’adulte la responsabilité de son apprentissage en présupposant qu’il est capable d’autonomie et d’interaction avec les formateurs (Bélanger, Carignan et Staiculescu, 2007).

4.2.2.7 Le rythme d’apprentissage

Les adultes ont abordé la question du rythme d’apprentissage à travers le temps qu’ils prennent pour réaliser chaque cours inscrit dans leur profil de formation. Rappelons que, pour chaque cours, une norme ministérielle précise le temps d’apprentissage correspondant. Par exemple, le cours Français d’aujourd’hui (FRA-P104-4) de niveau présecondaire est évalué à 100 heures d’apprentissage. Or, plusieurs adultes de la recherche expliquent qu’ils prennent le double, voire le triple, du temps prescrit par le ministère pour effectuer les apprentissages de chacun de leur cours. Une telle situation met en évidence le fait que ces adultes vivent des difficultés et que la nature de celles-ci doit être clarifiée.

4.2.2.8 La perception de l’utilité de la formation

La majorité des participants reconnaissent l’utilité de la formation qu’ils poursuivent. Les connaissances acquises durant la formation pourront être transférées dans leur quotidien, que ce soit en français ou en mathématiques. Quand certains adultes s'interrogent sur l’utilité de la formation, ce sont des aspects spécifiques qu’ils remettent en question. Par exemple, la trigonométrie sera inutile pour l’exercice du métier de cuisinière. L’utilité de la formation est aussi appréciée par les adultes au regard de leur projet professionnel ultérieur. Ils y voient un réel intérêt selon le métier qu’ils veulent faire ou, plus largement, selon la carrière professionnelle envisagée. C’est important pour eux de bien écrire, de bien parler et de savoir compter pour réussir dans la vie. Se former prend aussi tout son sens au regard des effets de la formation sur la personne. Elle améliore son estime de soi et le regard des autres qui sont des moteurs de persévérance. Au final, il est surprenant de constater qu’aucun adulte de la recherche ne mentionne la formation comme utile à l’obtention d’un diplôme. Ces constats à propos de l’utilité́ de la formation posent la question de la valeur que les apprenants-adultes accordent à l’apprentissage, valeur qui a un impact sur la motivation scolaire. Ils soulèvent également des interrogations quant à l’intérêt que les apprenants-adultes portent à leurs apprentissages (Smith, 2012). Enfin, ces constats suggèrent la nécessité́ de favoriser le transfert des apprentissages à la vie de tous les jours (Péladeau, Forget et Gagné, 2005), ce que propose le renouveau pédagogique. Selon Smith (2012, p. 29), reprenant les propos de Wigfield, Eccles, Schiefele, Roeser et Davis-Kean (2006) ainsi que ceux d’Eccles (2005), l’utilité́ correspond à un jugement de l’apprenant sur 1) la valeur de la tâche, 2) son attrait à s’y engager, 3) la perception de sa propre compétence et de la difficulté́ de la tâche, 4) ses expériences passées, ainsi que 5) les attitudes et attentes de l’entourage. Au regard de ces éléments, il est possible de constater le pouvoir des formateurs sur la perception de l’utilité́ de la formation.

4.2.2.9 Les relations avec les pairs et les formateurs (dimensions interpersonnelles)

En ce qui concerne les relations avec les pairs, les propos rapportés par les adultes de la recherche sur la dynamique relationnelle des groupes classes montrent que la cohabitation entre les générations est un défi. Si les jeunes disent apprécier la présence des plus âgés dans les classes, parce qu’ils bénéficient de leur expérience et que ces derniers les obligent à se comporter en adultes, l’inverse est moins évident. Beaucoup d’adultes de la tranche d’âge 25-44 ans ont une vision négative associée à la présence des jeunes adultes au centre d’éducation des adultes, en raison de leurs comportements (bavardages, attitudes moins respectueuses, etc.) susceptibles de créer quelques tensions. Les jeunes sont décrits comme moins motivés par rapport à leurs études, plus enclins à déranger les autres et moins matures. Ces tensions intergénérationnelles, mises en évidence dans notre recherche, sont à prendre au sérieux, dans la mesure où les 16-24 ans sont de plus en plus nombreux à la formation générale des adultes (Marcotte, Villatte et Levesque, 2014) et que les adultes plus âgés s’y sentiraient de moins en moins à leur place (Direction de l’éducation des adultes et de l’action communautaire, 2009). Quant à la mixité culturelle, elle n’apparaît pas problématique dans la composition des groupes, puisqu’elle est globalement perçue positivement. Le regroupement des adultes selon leur communauté linguistique constitue, néanmoins, une barrière aux échanges entre les personnes issues de différentes communautés linguistiques.

En ce qui a trait aux relations avec les formateurs, les adultes de la recherche éprouvent un grand besoin d’être écoutés. Sur le plan personnel, les adultes attendent que les formateurs comprennent leurs difficultés, qu’ils soient à l’écoute et disponibles afin de leur donner des conseils. Sur le plan scolaire, les adultes souhaitent que les formateurs répondent à leurs questions, et, avec clarté, jusqu’à ce qu’ils comprennent. Majoritairement satisfaits de leur relation avec leurs formateurs, l’écoute de ces derniers permet, selon les répondants, de les motiver à poursuivre leurs études. Certains adultes croient même que, sans l’écoute des formateurs, ils auraient déjà abandonné leurs études. D’autres déplorent, néanmoins, le délai d’attente pour voir le formateur (manque de disponibilité pour répondre aux questions) et, parfois, leurs propres difficultés à comprendre les explications. Selon les adultes de la recherche, la relation formateur-adulte ou maître-élève joue ainsi un rôle déterminant. Elle influence leur participation en classe, leur bien-être et leur motivation et, comme le soulignent Fortin, Plante et Bradley (2011), elle favorise leur engagement, leur réussite et leur persévérance scolaires.

4.2.2.10 Les dimensions administratives et parascolaires (dimensions institutionnelles)

Les adultes connaissent assez bien la direction de leur établissement (directeur principal et aux directeurs adjoints du centre) : ils ont des communications régulières avec celle-ci. Toutefois, selon eux, ces communications ont lieu lorsque des problèmes de comportement ou des difficultés scolaires surviennent. Les adultes aimeraient que d’autres contextes communicationnels soient créés, afin de se sentir mieux entourés et écoutés. En ce qui concernent les autres instances directionnelles (Conseil d’établissement et Conseil étudiant), les adultes les connaissent peu : seulement 12 sur 65 (18,5 %) connaissent l’existence du Conseil d’établissement et 35 sur 65 (53,8 %) sont informés de l’existence du Conseil étudiant. Toutefois, tous voudraient être mieux informés des mandats respectifs de chacun, qu’ils estiment ne pas connaître.

Enfin, la participation des adultes à la vie du centre d’éducation des adultes apparaît très limitée. Si 18 sur 65 (27,7 %) se sont engagés de façon ponctuelle par le passé, seulement 2 adultes (3,1 %) avaient encore des engagements au moment de l’entrevue. Ceux qui ont été impliqués ou le sont encore mentionnent que cet engagement a eu des effets positifs sur les plans personnel et scolaire. Pour ceux qui n’ont eu aucun engagement parascolaire, les motifs énoncés sont le manque d’intérêt, le manque de temps ou encore une énergie personnelle concentrée uniquement sur les études. Enfin, quelques-uns déplorent le manque d’information reçue au sujet des activités parascolaires disponibles. Connaître son milieu d’apprentissage et participer à la vie de ce milieu sont pourtant des dimensions constitutives du sentiment d’appartenance des adultes à leur Centre d’éducation des adultes, facteur à prendre en considération dans la capacité des apprenants à persévérer et à réussir leurs études.

4.2.2.11 Le vécu relationnel hors les murs du centre d’éducation des adultes

Les personnes interrogées désignent d’abord l’entourage familial et ensuite les amis lorsqu’il est question de leur vie hors les murs du centre d’éducation des adultes (dimensions interpersonnelles). Elles évoquent la famille — les parents et, secondairement, les conjoints — pour le soutien moral, financier et matériel au projet d’études en cours. Plus ponctuellement, la famille peut soutenir l’apprentissage scolaire. Quant aux amis, les adultes considèrent qu’ils ont peu d’influence sur leurs études et leur motivation à poursuivre : c’est un projet personnel. Paradoxalement, plusieurs mentionnent qu’ils ont délaissé ceux qui avaient une influence négative sur eux (sans plus de précision). Ils se distancient également de certains amis, car ils ne veulent pas être comme eux, sans diplôme. Par contre, plusieurs amis leur servent d’exemples de réussite et de persévérance. Ces amis partagent en effet avec eux leurs expériences scolaires et leur apportent ponctuellement une aide scolaire. La valeur que leurs amis attribuent aux études les encourage fortement à poursuivre leurs propres projets d’études.

4.3 Se projeter dans l’avenir

Les adultes de la recherche connaissent bien leur profil de formation en lien avec les objectifs établis au Centre d’éducation des adultes. Ainsi, 45 sur 65 (64,6 %) souhaitent obtenir leur diplôme d’études secondaires alors que les 19 autres (28,9 %) ont l’intention de terminer leur secondaire 3, ou 4, ou encore de passer des tests d’équivalence, pour ensuite se diriger vers des formations professionnelles et obtenir un diplôme d’études professionnelles. Les objectifs à atteindre s’inscrivent souvent dans la durée, puisqu’ils ont la plupart du temps plus de trois niveaux de secondaire à réussir et qu’ensuite, ils devront s’inscrire en formation professionnelle. Pour plusieurs adultes, l’obtention du diplôme d’études secondaires semble être énoncée comme une fin en soi qui ne débouche pas sur un projet professionnel concret. Ainsi, un quart d’entre eux sont indécis ou ne savent pas (26,2 %) comment arrimer leurs études à un projet professionnel concret. En revanche, 30 des 65 adultes (46,2 %) ont un projet de formation professionnelle (qui est associée à l’obtention d’un diplôme d’études professionnelles dans des domaines d’emploi très variés) et 13 (20 %) souhaitent obtenir un diplôme d’études collégiales (domaines variés précisés). Les 5 adultes restants (7,6 %) envisagent de faire carrière dans l’Armée. Ces résultats mis en perspective avec les profils de formation des adultes montrent que parmi les 65 adultes de la recherche, 42 d’entre eux (64,6 %) visent l’obtention d’un diplôme d’études secondaires. Pourtant, ce dernier ne serait pas toujours une condition nécessaire. En effet, 30 des 65 adultes (46,2 %) ont choisi des voies de formation professionnelle qui ne requiert pas nécessairement un diplôme d’études secondaires pour y être admis. Ces résultats portent ainsi à croire que des zones d’ombre persistent dans la définition d’un projet professionnel précis, ce qui est pourtant essentiel dans le maintien de la motivation scolaire (Bélanger, Carignan et Staiculescu, 2007). L’accompagnement dans l’orientation des adultes quant à leur choix de carrière serait certainement une piste d’action pour améliorer la situation constatée (Le Corff et Gingras, 2011).

5. Discussion

À la lumière des résultats d’analyse que nous venons de présenter, nous proposons trois dimensions de discussion relatives à l’expérience d’apprendre en formation générale des adultes : 1) les adultes se sont inscrits dans un centre d’éducation des adultes, car ils veulent un meilleur avenir, et la formation est une clé d’émancipation; 2) ils considèrent bénéficier de conditions relativement favorables sur le plan interpersonnel, que cela soit au centre d’éducation des adultes et hors les murs de celui-ci; 3) l’institution scolaire où ils étudient leur est peu familière et ils y sont peu attachés; et leur expérience d’apprendre au centre d’éducation des adultes, elle reste une expérience solitaire qui les renvoie à leurs propres limites.

5.1. Je suis motivé à me former… pour un avenir meilleur

Pour les adultes de la recherche, il semble que la volonté de retourner aux études et de parvenir à finaliser le projet de formation entrepris prenne racine dans des expériences scolaires et professionnelles passées. Ils veulent s’inscrire en rupture avec celles-ci. Du point de vue scolaire, ils ne voient pas comment valoriser l’expérience passée et la concrétiser dans un projet professionnel satisfaisant. Ils espèrent mieux et comptent sur leur engagement en formation pour y parvenir. Quant aux expériences professionnelles, elles leur offrent peu de perspectives d’amélioration de leurs conditions de vie. Ainsi, les adultes sont motivés à se former parce que pour la plupart, ils jugent que ce qu’ils apprennent est utile pour leur vie de tous les jours. Toutefois, le rôle de ces savoirs dans l’obtention d’un diplôme n’est pas mentionné. Les adultes ont un projet qu’ils qualifient le plus souvent de professionnel. Leur motivation se traduit par certaines valeurs, attitudes, de même que certains comportements qui vont leur permettre de s’insérer socialement et de participer pleinement aux transformations sociales (Bouchard et Saint-Amant, 1996). Néanmoins, ce projet professionnel semble lointain et flou. En effet, ils veulent d’abord obtenir un diplôme d’études secondaires, pour ensuite obtenir un diplôme d’études professionnelles, alors que l’entrée en formation professionnelle ne requiert pas toujours un niveau de secondaire 5. Ainsi, la valeur accordée aux études secondaires de type général, inscrite dans une sorte de désirabilité sociale, semble supplanter l’énoncé d’un projet précis de formation. Il pourrait donc être très porteur d’expérimenter des outils comme celui de l’Inventaire du développement de carrière (Le Corff et Gingras, 2011) pour que les adultes définissent mieux leur projet de carrière. Par ailleurs, les répondants ont, pour la plupart, un faible niveau de scolarité au moment de l’entrevue ou une faible maîtrise du français comme langue secondaire. Certains ont un état de santé qu’ils jugent médiocre, tandis que 7 des 65 adultes (10,8 %) ont déclaré un trouble d’apprentissage ou un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité. Ces caractéristiques personnelles peuvent, le cas échéant, constituer un obstacle aux études en cours. Notons qu’en matière de santé physique, celle-ci peut également être appréhendée comme une conséquence de la sous-scolarisation. En effet, Bernèche, Traoré et Perron (2012) ont mis en évidence que les compétences des adultes en littératie sont liées de façon positive à l’état de santé des individus au Québec.

5.2. Ma famille, mes amis et mes formateurs sont des soutiens de persévérance!

Globalement, les adultes de la recherche ont peu de contraintes associées à leur situation de vie actuelle. Certes, quelques-uns travaillent, mais beaucoup sont soutenus financièrement et matériellement par Emploi Québec. Leurs parents et leur fratrie soutiennent beaucoup leur projet de retour aux études. Également, peu ont des responsabilités parentales, facteur jugé favorable aux études (Lavoie et al., 2004). Ainsi, comme Marcotte, Cloutier et Fortin (2010) le rapportent, l’existence d’un capital social pour un jeune adulte (soutien familial et amical) est fondamentale dans son développement identitaire, mais également dans le développement de sa capacité à s’accomplir. En ce qui a trait aux conditions de vie des adultes de la recherche, c’est davantage le manque d’argent pour vivre et pour payer les études qui pourrait entraver leur processus de formation (Bélanger, Carignan et Staiculescu, 2007).

Enfin, selon le point de vue des répondants, les formateurs qui accompagnent leur expérience scolaire en cours jouent un rôle clé : leurs relations avec eux sont généralement très positives. Ils obtiennent de leur part, d’abord, un soutien affectif; ensuite, un soutien pédagogique par des rétroactions et des explications complémentaires. De plus, l’existence d’un service de soutien pédagogique dans le centre d’éducation des adultes où s’est déroulée la recherche constitue un atout de taille pour les adultes : dès qu’ils ont des difficultés, ils font appel à leurs formateurs et au service de soutien pédagogique. Ainsi, comme l’ont constaté Rousseau et ses collaborateurs, (2010), les adultes apprécient l’appui, l’écoute, l’absence de jugement, les encouragements et la disponibilité des enseignants, dans un contexte d’anonymat.

5.3. Je connais peu mon Centre et mon expérience d’apprendre est solitaire

L’expérience scolaire rapportée par les adultes de la recherche est une expérience que nous qualifions de solitaire. Ils connaissent peu l’institution qui les accueille, s’y intéressent peu et ne s’y engagent pas. Par ailleurs, dans les classes, si le relationnel avec les pairs est jugé positivement, il n’est jamais question de liens forts, de création de réseaux de pairs et d’entraide. L’hétérogénéité des classes ne semble pas favoriser la création de liens entre les adultes (Potvin et Leclercq, 2010; Bélanger, Carignan et Staiculescu, 2007). Ainsi, les conditions ne sont pas réunies pour que les adultes développent un sentiment d’appartenance à leur centre d’éducation des adultes. Ils ont le sentiment de n’y faire rien d’autre que transiter.

Parmi les 65 adultes consultés, un dernier défi pour eux est celui de l’enseignement individualisé, pour lequel les opinions sont très partagées. À notre sens, le contexte de réforme éducative mis en oeuvre à la formation générale des adultes devrait servir de levier pour les formateurs. Ces derniers disposent de nouveaux programmes de formation, ouvrant la voie à une diversification des approches pédagogiques à l’éducation des adultes. En effet, le nouveau curriculum de la formation générale des adultes repose sur un ensemble de principes — approche par compétences, situations de vie des adultes, socioconstructivisme, etc. (Medzo et Ettayebi, 2004) — qui invitent à revoir les pratiques d’enseignement en vue de permettre la réussite scolaire d’un plus grand nombre d’adultes. L’enseignement individualisé ne peut être maintenu en raison des seules contraintes organisationnelles perçues. Il devrait être revu en fonction de ses fondements humanistes et du pouvoir que peuvent se donner les formateurs d’expérimenter de nouvelles pratiques d’enseignement.

6. Conclusion

La recherche dont nous venons de présenter les premiers résultats comporte des limites. En effet, il s’agit d’une recherche essentiellement qualitative réalisée avec un nombre de participants limité ; de plus, les participants, tous inscrits en formation de base commune, ne sauraient refléter le point de vue de l’ensemble des adultes du centre d’éducation des adultes de la recherche. Par exemple, les élèves en formation de base diversifiée sont absents de notre échantillon. Les premiers résultats de notre recherche mettent néanmoins en évidence que les adultes interviewés accordent une importante valeur aux études. Ils comptent sur leurs ressources personnelles et sur les ressources pédagogiques du milieu d’enseignement pour parvenir à finaliser leurs projets d’études. Malheureusement, les adultes n’arrivent pas à cerner ni à définir un projet de formation qui soit en lien direct avec un projet de carrière concret (Villemagne et Myre-Bisaillon, 2015). Leur volonté de s’émanciper de leur situation de vie actuelle ne réussit pas à être transposée dans ce projet professionnel encore à définir. Ainsi, ces résultats mettent en lumière la nécessité de mieux orienter les adultes lors de leur entrée au centre d’éducation des adultes. Par ailleurs, si les adultes de notre recherche sont bien entourés, ils ne sont pas suffisamment soutenus financièrement par les instances gouvernementales qui, pourtant, les incitent à se former davantage. Leurs expériences d’apprendre montrent également qu’ils ont un grand besoin d’être épaulés pour réussir leurs études : ils souhaitent être accompagnés socioaffectivement par leurs formateurs. Le soutien à l’apprentissage, sous toutes ses formes, est également essentiel. Dans un contexte où peu de centres d’éducation des adultes ont les moyens d’offrir aux adultes du soutien pédagogique, il apparaît pertinent de se questionner sur les facteurs de réussite scolaire qui peuvent se matérialiser dans la classe. Les formateurs jouent, à ce sujet, un rôle clé : la pédagogie qu’ils développent ainsi que la qualité relation maitre-élève sont, en effet, d’importants leviers pouvant faire l’objet d’une innovation éducative. D’autres recherches de type recherche-action-formation pourraient donc être envisagées avec la participation des formateurs. La conception et l’expérimentation de modalités d’apprentissage autres que l’approche individualisée — telle que mise en oeuvre dans sa forme actuelle — pourraient en constituer le coeur.