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L’enquête sur laquelle se fonde l’ouvrage rédigé par Labbé (2020) offre un point de vue sombre, mais d’une importance certaine sur la situation des enseignant⋅e⋅s du Québec en ce qui a trait aux congés de maladie. En préambule, quelques statistiques illustrent l’ampleur de phénomènes associés, comme la hausse des symptômes d’épuisement professionnel ou encore l’augmentation des couts associés à l’assurance salaire dans la dernière décennie. Cet ouvrage, divisé en quatre chapitres, offre un point de vue intime de la situation en portant la voix de 27 enseignant⋅e⋅s. Ces témoignages rendent compte des évènements qui ont précédé leur départ en congé de maladie. Dans le premier chapitre, il est question des demandes d’aides refusées, des relations interpersonnelles complexes au travail ou encore du désenchantement d’enseignant⋅e⋅s novices. D’autres participant⋅e⋅s racontent plutôt comment leurs efforts et les ressources mobilisées n’étaient simplement pas suffisants pour soutenir les élèves ayant des parcours diversifiés. La⋅le lecteur⋅rice a donc accès à une tension entre le désir d’aider et l’épuisement qui s’installe tantôt sournoisement, tantôt brutalement.

À la suite de ces témoignages, une deuxième section est consacrée au travail des enseignant⋅e⋅s et de sa contribution à l’augmentation des congés de maladie. La lourdeur de la tâche, la délimitation floue entre le travail prescrit et le travail assumé, la différenciation pédagogique, les réformes et la correction des travaux ne sont que quelques thèmes discutés. La responsabilité de la réussite des élèves est également un sujet abordé. Au moyen d’extraits d’entrevues, la⋅le lecteur⋅rice comprend alors mieux les sentiments et la potentielle remise en question de l’enseignant⋅e lorsque l’élève réussit, mais surtout, lorsque cette⋅ce dernier⋅ère échoue. Le troisième chapitre explore la relation entre l’enseignant⋅e, l’élève et les parents des élèves. Dès lors, l’auteur aborde la complexité des relations interpersonnelles et les potentielles retombées de ces rapports sur l’enseignant⋅e, notamment par la diversité des besoins, la lourdeur des cas d’élèves ou encore les différentes attitudes des parents (du désengagé à l’inquiet, en passant par le quérulent). Après ces perspectives, Labbé (2020) propose une lecture contextuelle des possibles difficultés vécues en détaillant des aspects systémiques (par exemple, la précarité d’emploi), organisationnels (par exemple, l’attitude de certaines directions scolaires), sociétaux (par exemple, la reconnaissance du travail), mais aussi personnels (par exemple, le niveau scolaire enseigné). L’ouvrage se conclut sur quelques données qui renforcent les idées phares du texte et sur une citation d’Hannah Arendt qui ouvre la réflexion sur l’importance d’un système éducatif dans une société.

La pertinence de ce livre est certaine. Les voix des enseignant⋅e⋅s contraint⋅e⋅s de quitter leur emploi en congé de maladie sont rarement portées. La pandémie a amplifié ces voix, puisque les réalités sont devenues d’autant plus difficiles pour les enseignant⋅e⋅s dans les milieux scolaires. Cela dit, ces situations ne sont pas inédites. L’ouvrage de Labbé rend cette diversité des parcours qui ont mené vers l’épuisement professionnel et les congés de maladie. Il met aussi en exergue le caractère multidimensionnel de ces situations qui se construisent dans un contexte interpersonnel, organisationnel et sociétal. Ainsi, la responsabilité d’un « mal-être » ne doit pas incomber à la personne seule : le mal-être doit être compris dans un contexte où les demandes sont grandes et où les ressources ne sont pas toujours suffisantes pour soutenir les enseignant⋅e⋅s en exercice.

L’ouvrage est appuyé sur une majorité de publications issues de la littérature « grise » : articles de journaux, publications ministérielles, communications syndicales, etc. Il ne s’agit pas d’un livre qui s’inscrit dans une tradition de recherche où l’on analyse les témoignages à l’aune de cadres de référence explicites ou encore en prenant appui sur des travaux antérieurs. Quelques statistiques sont données pour faire état de la situation, mais la voix est surtout laissée aux enseignant⋅e⋅s qui ont participé à l’enquête de terrain. Si l’approche est intéressante, un ancrage dans les travaux menés entre autres par des chercheurses aurait pu accentuer la récurrence de certains thèmes, maintes fois repris dans les recherches des dernières années. Bien que l’ouvrage s’attache en priorité à décrire les contextes alimentant l’« épidémie » de congés de maladie, peu de place est laissée aux enseignant⋅e⋅s qui, malgré les défis, continuent de voir le beau dans l’éducation. Si le fait de se centrer uniquement sur les aspects négatifs du travail et les symptômes d’épuisement professionnel peut engager les décideurses vers l’action, cette analyse ne permet pas de comprendre les enchevêtrements complexes entre les facteurs positifs et négatifs qui alimentent la situation des enseignant⋅e⋅s. Un portrait pessimiste du travail est alors brossé, mais de potentiels leviers peuvent être écartés compte tenu de l’angle adopté. Finalement, dans ce portrait qui se veut multidimensionnel et systémique, les grands oubliés sont les autres acteur⋅rice⋅s scolaires touché⋅e⋅s par les problèmes évoqués. Pensons par exemple aux directions scolaires qui jonglent avec les différentes tâches sans toujours avoir les appuis dans leur établissement.

En somme, ce livre offre un éclairage sur une réalité enseignante peu documentée. Les histoires poignantes des participant⋅e⋅s à l’enquête de terrain contribuent à alimenter les réflexions sur ces problèmes. Cet ouvrage s’adresse aux enseignant⋅e⋅s, aux chercheur⋅se⋅s et aux gestionnaires qui souhaitent s’informer ou s’engager dans un changement au sein des milieux éducatifs.