Recherches sémiotiques
Semiotic Inquiry
Volume 37, numéro 1-2, 2017 Sémiotique et musique. Tome 2 Semiotics and Music. Tome 2
Le présent tome fait suite au volume 36 (2016) no. 3
This tome completes volume 36 (2016) no. 3
Sommaire (8 articles)
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Entendre (x) comme (une) oeuvre
Alessandro Arbo
p. 3–25
RésuméFR :
Quel sens convient-il de donner à l’invite à « entendre (x) comme une oeuvre (musicale) »? Cette locution désigne une perception aspectuelle impliquant un type d’objet et un type d’attention. On vise l’action, dans la saisie des propriétés esthétiques, de connaissances relatives à la production de l’artefact. Si un premier niveau de compréhension coïncide avec la capacité à identifier les objets musicaux et à suivre leur concaténation, le passage au niveau supérieur dépend du repérage de références symboliques, intentionnelles et plus généralement contextuelles. À un premier niveau, on vise les propriétés (esthético-)expressives survenant sur les propriétés physico-phénoménales de l’objet musical; à un deuxième niveau, on se concentre sur les propriétés (esthético-) artistiques de l’oeuvre survenant sur les propriétés expressives et structurelles. En demandant à un auditeur d’entendre une musique comme oeuvre, nous l’invitons à identifier un type structurel dans les sons qu’il entend et à appliquer les dispositions qui lui permettent de choisir, parmi les propriétés esthétiques survenant sur la base physico-phénoménale, celles qui possèdent un intérêt artistique dans un contexte culturel donné.
EN :
What does it mean to ask someone to try to “hear (x) as a (musical) work”? This sentence refers to an aspectual perception involving a type of object and a type of attention, in such a process, the active role of knowledge with regards to the production of an artifact is highlighted. Here, a first level of understanding will coincide with one’s capacity to identify musical objects and follow their concatenation. The transition to the upper level of understanding depends on the identification of symbolic, intentional and more generally contextual references. While at the first level the listener considers the expressive properties supervenient upon the physical and phenomenal properties of the musical object, at the upper level, he or she focuses on the artistic properties of the work supervenient upon expressive and structural properties. By asking someone to try to hear a piece of music “as a work”, we thus invite that person to identify a structural type in the sounds being heard, and to apply criteria which allow the choice of aesthetic properties with an artistic value among those supervenient upon the physical and phenomenal base.
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Territories of Music
Peter Nelson
p. 27–38
RésuméEN :
Music can be understood as a phenomenon that entwines sound and listening : sounds are not just there for the taking, they have to be identified – constructed even – in an interplay between the phenomenon of the sound and the phenomenon of the listening. This formulation goes to the heart of a contemporary ethos, which is an evening out of the hierarchies of the world in a way that places humans as no more than equal with other phenomena. Thus listening actually constitutes sound, in the sense that our activity of listening in the world negotiates a territory, where the negotiation has to deal with, rather than impose on the world. What are the territories of music? And in particular, what territories can only be negotiated through music?
FR :
La musique peut être comprise comme un phénomène mêlant son et écoute : les sons ne sont pas là uniquement pour être consommés, ils doivent être identifiés – construits même – dans une interaction entre le phénomène sonore et le phénomène de l’écoute. Cette formulation est au coeur même d’un éthos contemporain, lequel met fin aux hiérarchies du monde d’une façon qui place les êtres humains à égalité avec les autres phénomènes. Ainsi l’écoute constitue en réalité le son, en ce sens que notre activité d’écoute dans le monde négocie un territoire, sur lequel la négociation doit « traiter avec » plutôt que de s’imposer au monde. Quels sont les territoires de la musique? Et en particulier, quels territoires ne peuvent être négociés que par la musique?
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La musique au défi de la phénoménologie de Charles Peirce (ou : y a-t-il une secondéité musicale?)
Dominique Chateau
p. 39–49
RésuméFR :
La discussion sur la musique qui utilise la plus célèbre des triades peirciennes – icône, indice, symbole – achoppe, ce qui ne signifie nullement que la discussion soit close. On propose ici de la transporter sur un autre plan du système du sémioticien, celui quoffre la triade phénoménologique de la priméité, secondéité et tiercéité. Plus précisément, il s’agit de se demander si on peut parler de tiercéité en musique, c’est-à-dire de pensée. On la dit volontiers asémantique ; est-ce à dire qu’elle ne communique aucune pensée ?
EN :
Debate on music using the most famous percean triad of icon, index, symbol, are highly unsatisfactory. But this does not mean the end of all such debates. I propose rather to move the debate on a different new level whithin Peirce’s overall system : the phenomenological level with its triad of Firstness, Secondness and Thirdness. More specifically, I will ask whether it is relevant at all to speak of Thirdness, i.e., of thought, regarding music. If music is asemantic as some people might say, must we assume it communicates nothing?
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Nine Modes of Listening to Music
Lucia Santaella
p. 51–60
RésuméEN :
Listening has become a major issue of musical composition from the middle of last century on, since Pierre Schaeffer inaugurated with concrete music one of the trends of what would be established under the name of electroacoustic music. The classification of the modes of listening to music that will be presented in this paper is not concerned with the chronological study of listening by means of musical examples from historical periods and their respective social context. As my classification aims at the processes of reception and in a broad sense, I found its foundation in the different interpretative levels formulated by Peirce in his classification of the interpretants.
FR :
Écouter est devenu un enjeu majeur de la composition musicale depuis le milieu du siècle dernier, alors que Pierre Schaeffer inaugurait avec la musique concrète une des tendances de ce qui s’établirait sous le nom de musique électroacoustique. La classification des modes d’écoute de la musique présentés dans cet article n’est pas concernée par l’étude chronologique de l’écoute au moyen d’exemples musicaux historiques et de leur contexte social respectif. Comme la classification que je propose ici vise à analyser les processus de réception, au sens large, j’ai trouvé son fondement dans les différents niveaux d'interprétation formulées par Peirce dans sa classification des interprétants.
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La musique et l’indescriptible
Miriana Yanakieva
p. 61–73
RésuméFR :
L’oeuvre de musique en tant que telle est inexprimable dans le sens où il est impossible de transmettre au moyen des mots son contenu ou sens immanent. L’oeuvre de musique en tant que telle est également indescriptible dans le sens où il est impossible de donner à entendre sa matière sonore au moyen du langage. Par contre, et c’est la thèse principale du présent article, la description verbale de l’expérience de l’écoute musicale est possible et même souvent indispensable à la prise de conscience de cette expérience de la part du sujet.
Dans son argumentation l’article s’appuie sur la conception wittgensteinienne de la description comme création d’images destinées à servir d’instruments d’une attitude active à l’égard de ce que nous vivons, et non comme simple énuméraion des parties ou des aspects d’une chose.
EN :
The work of music as such is inexpressible in the sense that its content or its immanent sense cannot be communicated through word. It is also indescribable in the sense that its sound matter cannot be heared through language. By contrast, however, and this is the main thesis of the present article, verbal description of the experience of listening to music is possible and often indispensable to the realization of this experience.
The argument presented here is based on Wittgenstein’s conception of description as the creation of images intended to serve as instruments of an active attitude towards what we live, and not as a mere listing of the parts or aspects that otherwise make up a given thing.
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Semiotic Niche Construction in Musical Meaning
Pedro Atã et João Queiroz
p. 75–87
RésuméEN :
According to Peirce’s pragmatic semiotics, meaning (semiosis) is not an infused concept, but a power to engender interpretants. Semiosis is a triadic, context-sensitive (situated), interpreter-dependent (dialogic), materially extended (embodied and distributed) dynamic process. Although meaning is context-sensitive and materially extended, its locus is not well-captured by the notion of an environment. Inspired by biological concepts, we suggest the locus of meaning to be a niche. Here, we develop a semiotic account of musical meaning that emphasizes the location of musical signs in semiotic niches.
FR :
Selon la sémiotique pragmatiste de Peirce, le sens (sémiose) n’est pas un concept réifié, mais une puissance à engendrer des interprétants. La sémiose est un processus dynamique triadique, sensible au contexte (positionné), relatif à l’interprète (dialogique), se déployant matériellement (incarné et diffus). Bien que sensible au contexte et se déployant matériellement, son milieu n’est pas bien cerné par la notion d’environnement. Inspiré par les concepts biologiques, nous suggérons que le milieu propre à la signification est une niche. Nous élaborons une conception sémiotique de la signification musicale qui met l’accent sur la localisation des signes musicaux dans des niches sémiotiques.
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Sémiotique, sens et démocratie. Oeuvres musicales et dispositifs participatifs
Christine Esclapez
p. 89–108
RésuméFR :
Il s’agira dans cette contribution de questionner le sens du musical à partir de l’ancienne notion de « parole » issue de la linguistique saussurienne et de l’élargir à celle de « participation » qui connaît à l’heure actuelle un intérêt croissant dans notre monde contemporain. Cet arrière-fond théorique s’incarnera dans une « situation » particulière : le développement des dispositifs interactifs scène-artiste-public qui est progressivement devenu, depuis le début du XXIe siècle, le lieu d’une expérience artistique à échelle collective. Dans le champ musical, ces situations sont particulièrement effectives dans les concerts participatifs qui sont de véritables expériences, émotionnellement intenses car vécues collectivement en live. À la suite des travaux de la philosophe Joëlle Zask (2011), nous proposerons un protocole sémiotique qui permette d’analyser ces dispositifs sous l’angle de la réappropriation individuelle de la langue, de son individuation, de sa création ou re-création. Nous nous donnerons ainsi l’opportunité de retravailler notre rapport à la démocratie en considérant les concerts participatifs comme de possibles zones d’apprentissage (ou de réapprentissage) de notre engagement (ou ré-engagement) personnel.
EN :
This paper question “sense” in music on the basis of the old concept of “parole” from Saussure’s linguistics, expanding it to the field of “participation” – a field for which there is currently much interest. This theoretical backdrop will be embodied in a very specific “situation”, namely the development of artist-audience-stage interactive devices. Since the beginning of XXIe century, such devices have become a locus of a collective experience of art, including music. Following the works of philosopher Zask Joëlle (2011), we propose a semiotic protocol that allows us to analyze live concerts from the perspective of “parole”, namely an individual appropriation of “langue”, its individuation, its creation or re-creation. This leads to an exciting opportunity to reconsider our relationship to democracy through participatory concerts as potential agents for learning (or relearning) about our personnal engagement (or re-engagement) in the social and political sphere through art.
Article hors-dossier / Individual Article
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Analyse comparée d’attributs de Dieu et des bouddhas
Louis Hébert
p. 111–139
RésuméFR :
Le bouddhisme est, avec le jaïnisme, la seule religion traditionnelle non théiste. Le bouddhisme considère que tous les êtres sensibles deviendront inévitablement un jour un bouddha à l’égal de tous les bouddhas passés, présents et futurs. Or un bouddha n’est pas (un) Dieu. Selon le bouddhisme, Dieu n’existe pas. Le bouddhisme, confronté depuis sa fondation jusqu’à aujourd’hui aux religions théistes majoritaires ou dominantes, a développé une posture et un argumentaire pour soutenir sa position. Nous n’irons pas dans cette direction.
Après avoir situé sommairement les attitudes face à la spiritualité – croyance, incroyance (dont l’athéisme), acroyance (agnosticismes), non-croyance (indifférence, ignorance), etc. –, nous expliquerons le statut des dieux dans le bouddhisme. Ensuite, nous comparerons sommairement les principales caractéristiques des bouddhas avec les principales caractéristiques de Dieu dans le judéo-christianisme, en regard principalement de : l’omnipotence, l’omniscience, “l’omni-amour” (omnibienveillance).
Nous croiserons en route d’importantes questions philosophiques – comme l’existence de l’indicible, la coexistence de la pensée duelle et de la pensée non duelle, l’infinité des caractéristiques d’un objet – et théologiques – comme la cohabitation de la transcendance « toute-amour » et de la souffrance immanente omniprésente des êtres. Nous ne pourrons évidemment pas répondre à ces questions, mais nous les poserons dans un cadre rigoureux, fourni par une sémiotique accessible, ce qui est déjà un pas vers les réponses.
EN :
Buddhism, along with Jainism, is the only non-theistic traditional religion. The Buddhist view is that all sentient beings will inevitably become Buddhas one day, equal to all Buddhas of the past, present and future. Now, a Buddha is not (a) God. According to Buddhism, God does not exist. As Buddhism has been confronted with the majority or dominant theistic religions from its foundation to the present day, it has developed a stance and a set of arguments to support its position. First we will briefly situate religious beliefs within a spectrum: belief, disbelief (including atheism), lack of belief (the forms of agnosticism), non-belief (indifference), and the like; then we will explain the status of the gods in Buddhism. Rebirth as a god is only one of many possible rebirths. It is the highest possible rebirth; however, as with any rebirth, it is still temporary and marred by suffering. Only Buddhas and Bodhisattvas of a certain level are liberated from suffering and from compulsory and involuntary rebirths, which are driven by karma, good or bad. After this we will briefly compare the primary characteristics of the Buddhas with those of the Judeo-Christian God, mainly in terms of : omnipotence, omniscience, “all-lovingness”. Along the way, we will encounter important theological questions, such as the cohabitation of “all-loving” transcendence with the immanent, omnipresent suffering of beings. Of course we will not be able to answer these questions, but we will pose them within a sound framework provided by a user-friendly semiotics, thus paving a way toward the answers.