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En France, la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a consacré, pour la première fois, la notion de handicap psychique. Toutefois, le handicap psychique est difficile à identifier, à définir ou même à cerner et apparaît comme une spécificité bien française12. Pour chaque institution, qu’il s’agisse d’instances liées à la santé comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS), au travail comme l’Organisation internationale du travail (OIT), de l’Organisation des Nations unies ou de l’Union européenne, c’est la question de la définition du handicap qui sera examinée en premier lieu. Elle est importante, car elle a des conséquences sur l’étendue de la protection accordée aux personnes souffrant de troubles psychiques. L’étude des politiques européennes et internationales en direction des personnes handicapées révèle également le manque de dispositifs d’accompagnement spécifique des personnes en situation de handicap psychique vers l’accès ou le maintien en emploi. En revanche, une certaine porosité entre la prévention de la santé mentale et la question du handicap psychique peut être soulignée. Des réflexions et des initiatives concernant les problèmes liés à la santé mentale au travail méritent ainsi l’attention. Cet article se propose ainsi d’identifier s’il existe des réalisations concrètes traduisant la propension croissante, observée dans les textes juridiques, à encourager l’insertion professionnelle des personnes souffrant de troubles psychiques.

I. L’absence de reconnaissance explicite du handicap psychique

Les troubles psychiques sont-ils reconnus comme pouvant être à l’origine d’un handicap dans les systèmes normatifs supranationaux ? Si une réponse positive apparaît difficilement contestable, force est de constater qu’aucune définition univoque du handicap psychique n’est pour l’heure admise au plan européen et international.

L’OMS n’emploie pas le vocable de handicap psychique ni de troubles psychiques3. En revanche, elle reconnaît l’existence de troubles mentaux parmi lesquels figurent : la dépression, les troubles affectifs bipolaires, la schizophrénie et autres psychoses, la démence, la déficience intellectuelle et les troubles du développement, y compris l’autisme. Autrement dit, la distinction française entre handicap mental et handicap psychique ne se retrouve pas dans les travaux de l’OMS[i].

L’OMS a demandé à Philip Wood, épidémiologiste britannique, et à André Grossiord, créateur de la médecine de rééducation et de réadaptation en France, de former un groupe de travail afin d’élaborer une classification internationale du handicap4. En 1980, ces travaux proposant une modélisation du handicap sont publiés par l’OMS, en anglais, puis en français en 1988, sous l’appellation Classification internationale des handicaps : déficiences, incapacités, désavantages5. L’apport le plus important de cette classification a été la conceptualisation du handicap dans un cadre tridimensionnel. Elle propose, en effet, de distinguer trois niveaux ou trois plans d’expérience du handicap : celui des déficiences, celui des incapacités et celui du désavantage social. Cette conceptualisation du handicap a pour mérite de le dégager du seul champ médical. L’élaboration d’une telle classification apparaît délicate puisqu’elle doit aider, d’une part, à répondre à des demandes portant sur l’identification des personnes handicapées et, d’autre part, à tirer des conclusions en termes de besoins pour celles-ci et de politiques sociales pour y répondre5. L’éventail des applications envisagées a toutefois rapidement dépassé le cadre limité des statistiques médicales et de l’attribution de prestations financières spécifiques. En France, cette classification a notamment servi de référence pour créer le principal instrument réglementaire d’évaluation du handicap en vue de déterminer l’éligibilité des personnes aux prestations : le guide-barème établi par le décret n° 93-1216 du 4 novembre 19936. Parmi les nombreuses critiques adressées à cette modélisation du handicap, l’une d’elles est portée par des psychiatres qui dénoncent l’absence de prise en considération de la spécificité du handicap psychique7. Un premier processus de révision de la Classification internationale des handicaps est lancé en 19958. Celui-ci s’achève avec l’adoption par l’Assemblée mondiale de la santé, en mai 2001, d’une nouvelle classification : la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF)9. Le handicap y est désormais conçu comme le résultat de l’interaction entre les caractéristiques de la personne et les facteurs environnementaux. L’un des apports majeurs de la nouvelle classification, dans laquelle le terme « d’activité » se substitue à celui « d’incapacité », réside surtout dans l’introduction du concept de participation. Le handicap est désormais défini comme une restriction de participation sociale.

À l’aube du 21e siècle, en dépit des nombreuses actions entreprises, tant les instruments contraignants que les normes déclaratoires des Nations unies avaient échoué à garantir une protection effective des droits des personnes handicapées. Fort de ce constat, l’Organisation des Nations unies encourage l’adoption d’un nouveau traité, spécifiquement consacré aux droits des personnes handicapées : la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH).

La CDPH, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en décembre 2006, est un instrument juridique contraignant qui a pour objet de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque. Elle reflète le changement majeur dans la compréhension mondiale du handicap et les réponses qui y sont apportées, et souligne que le handicap est un concept évolutif. L’article 1er alinéa 2 de la Convention onusienne désigne les personnes handicapées comme des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres. La Convention consacre ainsi sans ambiguïté le modèle social du handicap. Même si la référence aux incapacités mentales ne couvre pas explicitement le handicap psychosocial, les personnes atteintes de troubles psychiques sont protégées par la CDPH. En revanche, la CDPH vise les personnes souffrant d’incapacités mentales lorsque celles-ci présentent un caractère intrinsèque durable. Or, en raison de la nature de la dépression, la fluctuation de la sévérité et la durée de celle-ci, la dépression ne répond pas toujours à l’exigence de persistance exprimée par le terme « durable ». La protection offerte par la CDPH peut donc apparaître restrictive alors même qu’il est admis que de courtes périodes de dépression peuvent entraîner des effets à long terme de stigmatisation et de discrimination.

De son côté, l’OIT a depuis longtemps pris l’engagement d’oeuvrer en faveur des personnes handicapées, engagement qui remonte aux années 1920. En effet, le premier instrument international contenant des dispositions en matière de réadaptation professionnelle des travailleurs handicapés est adopté par la Conférence internationale du travail en 1925, quelques années seulement après sa création10. Aussi, joue- t-elle un rôle incitatif d’importance, d’une part, à travers ses conventions et recommandations et, d’autre part, par le biais de ses rapports et recueils de directives pratiques. Parmi les travaux marquants visant à favoriser l’égalité des chances pour les personnes handicapées dans l’emploi, on relève la Recommandation n° 168 et la Convention n° 159 de 1983 sur la réadaptation professionnelle et l’emploi des personnes handicapées et le Recueil de directives pratiques sur la gestion du handicap sur le lieu de travail de 2001. L’article 1 de la Convention énonce qu’une personne handicapée désigne toute personne dont les perspectives de trouver et de conserver un emploi convenable ainsi que de progresser professionnellement sont sensiblement réduites à la suite d’un handicap physique ou mental dûment reconnu. L’absence de référence au handicap psychique s’explique par l’impossibilité de trouver un consensus sur cette notion. Dans le projet initial de rédaction de la Convention, la définition proposée pour l’expression « personne handicapée » incluait, outre le handicap physique et mental, le « handicap psychique »11. Les discussions portant sur la distinction entre le handicap mental et le handicap psychique ont permis, au cours de travaux préparatoires de la Convention, de prendre conscience de la difficulté de parvenir à un consensus sur le sens de ces deux concepts du point de vue de l’application des instruments de l’OIT12.

Enfin, le droit de l’Union européenne ne comporte pas de définition harmonisée du handicap et des personnes handicapées. Toutefois, dans un arrêt du 11 avril 2013, HK Danmark (aff. jointes C-335/11 et C-337/11), la Cour de justice de l’Union européenne a indiqué que la notion de handicap doit être interprétée en ce sens qu’elle inclut un état pathologique causé par une maladie médicalement constatée comme curable ou incurable. Elle précise que cette maladie doit entraîner une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs. Elle ajoute que cette limitation doit être de longue durée. Un arrêt du 1er décembre 2016, Daouidi (aff. C-395/15), apporte des précisions sur le caractère durable des atteintes caractéristiques du handicap. Pour apprécier le critère durable de la limitation de la participation à la vie professionnelle, élément constitutif de la définition du handicap, deux indices, présentés comme alternatifs, fondés sur un pronostic médical, sont proposés. Constitue ainsi un premier indice du caractère durable de la limitation le fait qu’à la date de l’acte litigieux, l’incapacité de la personne ne présente pas une perspective bien délimitée quant à son achèvement à court terme. Le second indice possible réside dans la prolongation significative de l’incapacité de travail avant le rétablissement de la personne13. De nouveau, les exigences liées au critère durable des limitations constitutives du handicap peuvent parfois mal s’accorder avec les spécificités du handicap psychique.

L’adoption d’une approche sociale ayant pour objectif de se focaliser moins sur les problèmes médicaux en tant que tels que sur les barrières empêchant la pleine et effective participation des personnes handicapées à la vie professionnelle et se traduisant par la formulation de définitions relativement larges de la notion de handicap, a pour conséquence d’inclure, dans le champ d’application des politiques institutionnelles en direction des personnes handicapées, les personnes atteintes de déficiences psychiques. Mais pour autant le handicap psychique fait-il l’objet d’une attention particulière ?

II. Des initiatives souvent indifférentes au handicap psychique

Un bref tour d’horizon des normes supra-étatiques existantes permet de souligner la dynamique des politiques européennes et internationales basées essentiellement sur l’inclusion et la lutte contre les discriminations dont sont victimes les personnes en situation de handicap. Il s’agit désormais de favoriser un égal accès aux droits, aux biens et aux services, tout en égalisant les chances d’accès à l’éducation, à l’emploi et, d’une manière générale, à une vie sociale épanouissante.

La conception du handicap prônée par les classifications de l’OMS a influencé peu ou prou les représentations, les pratiques, mais aussi les législations en matière de handicap. Les problèmes liés aux troubles psychiques appellent des réponses pour lesquelles le mode de fonctionnement de la personne, plus que le diagnostic, prévaut pour déterminer le type d’aides dont elle a besoin. L’OMS ne fournit pas de lignes directrices susceptibles d’aider l’évaluation psychosociale du handicap, délicate en raison de la complexité, de la variabilité et de l’imprévisibilité des maladies mentales. En France, au sein des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), les équipes pluridisciplinaires chargées de cette évaluation pour estimer un taux d’incapacité sont pourtant confrontées à de réelles difficultés pour appréhender les situations des personnes souffrant de troubles psychiques14. Malgré le rôle potentiellement performatif de la CIF pour la conception de dispositifs relatifs au handicap psychique15, aucune recommandation de l’OMS qui prendrait en compte les spécificités liées à ce type de handicap n’a pu être recensée, notamment dans le Rapport mondial sur le handicap publié en 201216.

La Convention des Nations unies impose aux États Parties de garantir et de promouvoir la pleine jouissance de tous les droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux des personnes en situation de handicap. Il s’agit essentiellement d’établir des lignes directrices du point de vue macro-politique. Hormis l’injonction normative imposant aux employeurs de fournir des aménagements raisonnables, on ne relève aucune préconisation concernant la mise en oeuvre de dispositifs visant à favoriser l’accès à l’emploi des personnes en situation de handicap psychique.

La stratégie de l’OIT et son plan d’action 2014-2017 pour l’inclusion des personnes handicapées vise à orienter les travaux de l’OIT afin de donner davantage d’importance à l’accès des personnes en situation de handicap au marché du travail ordinaire et aux programmes et services relatifs à l’emploi destinés à tous les publics. Cette stratégie se donne pour but d’atteindre six objectifs distincts, reliés entre eux et complémentaires, qui seront étayés par des mesures efficaces de communication interne et externe. Une double démarche a été adoptée pour parvenir à ces résultats, d’une part, en renforçant la visibilité des questions relatives au handicap dans l’ensemble des activités et moyens d’action de l’OIT, y compris par les modes de fonctionnement internes, et d’autre part, en soulignant la nécessité d’actions propres aux questions de handicap pour redresser des situations de désavantage marqué. Les mesures et actions nécessaires pour réaliser les résultats sont décrites dans le Plan d’action 2014-17 pour l’inclusion des personnes handicapées, mais aucune ne vise expressément le handicap psychique.

Le réseau ILO Global Business and Disability Network (GBDN) est un exemple d’initiative réussie pour sensibiliser les représentants de sociétés multinationales aux enjeux de l’emploi des personnes handicapées17. La principale raison qui a conduit l’OIT à créer ce réseau réside dans la prise de conscience que le meilleur moyen de convaincre une entreprise qui n’emploie pas de personnes handicapées consiste à la mettre en relation avec une autre entreprise qui a fait l’expérience de l’embauche et de l’accompagnement de ce public particulier. En octobre 2015, onze grandes entreprises ont signé à Genève la charte de ce réseau. En 2016, six nouveaux signataires de la charte ont rejoint le réseau. Cette charte couvre toute une série de domaines, de la protection du personnel en situation de handicap contre toute forme de discrimination jusqu’à la complète accessibilité des locaux de l’entreprise en passant par la communication interne relative aux employés handicapés. La signature de cette charte a été suivie de différents débats, dont un sur la santé mentale au travail. L’OIT commence véritablement à s’intéresser à la problématique du handicap psychique par le biais de la santé mentale au travail et a constitué, à ce titre, un groupe de travail nommé Mental Health at work. Le but de ce groupe de travail est de faciliter la collecte et l’échange de connaissances sur les questions de santé mentale au travail entre les sociétés membres du réseau et d’autres parties prenantes intéressées. Ces connaissances incluent les bonnes pratiques développées par les entreprises, tant en termes de prévention et de gestion des problèmes de santé mentale que de bonnes politiques publiques qui permettent aux entreprises de recruter, de retenir et de faire progresser dans leur carrière les personnes avec des problèmes de santé mentale[ii].

À l’heure actuelle, les réflexions ont essentiellement porté sur la lutte contre la stigmatisation des personnes atteintes de troubles psychiques et la mise en oeuvre de stratégies de sensibilisation efficaces. Des campagnes de sensibilisation visant à informer aussi bien sur les troubles eux-mêmes que sur les droits des salariés et les responsabilités de l’employeur sont encouragées. L’objectif est de déstigmatiser le handicap psychique pour que les employeurs n’aient plus de réticences à embaucher ou maintenir en emploi des personnes souffrant de ce type de maladie, notamment en mettant l’accent sur les capacités professionnelles, souvent sous-estimées. Certains constats sont à l’origine de préconisations en matière de handicap psychique. Parmi les enjeux pointés par Stefan Tromel, Senior Disability Specialist à l’OIT, l’adoption d’une approche de détection précoce pour empêcher que ce type de troubles ne se développent de façon exponentielle est la meilleure solution. En ce sens, les réflexions de l’OIT portent inévitablement sur l’opportunité de dévoiler le handicap, mais les opinions sur ce dilemme sont loin d’être unanimes au sein de l’organisation. L’attention doit être aussi portée sur une pratique répandue dans différents pays où les personnes présentant des troubles psychiques sont souvent classées comme inaptes au travail plutôt que d’être accompagnées vers l’emploi. Stefan Tromel juge qu’il faudra beaucoup de temps et d’efforts pour réaliser de véritables progrès dans le domaine du handicap psychique[iii]. Plus récemment, le groupe de travail s’est également intéressé aux questions relatives à la divulgation au travail en lien avec la demande d’aménagement raisonnable.

La protection des droits fondamentaux des personnes handicapées occupe une place importante dans la législation de l’Union européenne. Toutefois, il existe aussi des instruments non législatifs relatifs au handicap. Le handicap est essentiellement saisi par le prisme du cadre législatif anti-discrimination. Avec le traité d’Amsterdam, signé en 1997, les institutions européennes acquièrent le pouvoir de légiférer pour combattre les discriminations fondées sur le handicap. Dès 2000, elles font usage de ce nouveau pouvoir en adoptant deux directives. L’une d’elles, la Directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, interdit les discriminations fondées sur le handicap dans l’emploi. Cet instrument de droit dérivé atteste la volonté politique d’insertion professionnelle des personnes handicapées qui se matérialise dans un texte ayant force obligatoire pour les États membres. La Directive prévoit notamment, en son article 5, l’obligation d’apporter des aménagements raisonnables pour les personnes handicapées. Selon un rapport de l’agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, publié en 2011, le terme « raisonnable » est interprété de deux manières par les lois nationales transposant la Directive. Certaines législations l’interprètent comme un aménagement ne déclenchant pas des coûts ou difficultés excessifs pour l’employeur, tandis que d’autres l’associent à la qualité de l’aménagement du point de vue de son efficacité pour la personne handicapée. Par ailleurs, l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne interdit toute discrimination fondée sur un handicap et l’article 26 de ce même texte garantit l’autonomie, l’intégration sociale et professionnelle et la participation à la vie de la communauté des personnes handicapées.

L’instrument clé de la politique de l’Union européenne en matière de handicap est la Stratégie européenne 2010-2020 en faveur des personnes handicapées18. Son principal objectif est de mettre les personnes handicapées en mesure d’exercer l’ensemble de leurs droits et de tirer pleinement parti de leur participation à la société et à l’économie sur un pied d’égalité avec les autres citoyens. Parmi les huit domaines d’action que vise la Stratégie, figure l’emploi. Pour chaque domaine, des mesures phares ont été prévues. Leur mise en oeuvre s’appuie sur des instruments tels que la sensibilisation, le soutien financier, les statistiques, la collecte de données et le suivi. La Commission européenne réfléchit actuellement à l’élaboration de nouvelles initiatives et à la révision de la Stratégie, compte tenu notamment, de la conjoncture économique du marché de l’emploi. La Commission suit la mise en oeuvre de la Stratégie et des mesures prévues. La stratégie de l’Union européenne n’est pas un processus isolé des évolutions internationales. En effet, l’Union européenne a ratifié la Convention onusienne le 23 décembre 2010, devenant ainsi la première organisation interétatique à adhérer à un traité international sur les droits de l’Homme. La Stratégie européenne vise donc également à garantir la mise en oeuvre effective de la Convention des Nations unies à l’échelle de l’Union européenne. Dans ce cadre, la Commission encourage l’échange de bonnes pratiques au sein du Groupe de haut niveau sur le handicap. Cependant, comme l’explique Tania Tsiora, chargée de projets auprès de la Commission européenne, et qui travaille dans l’unité « Droits des personnes handicapées » au sein de la DG Emploi, affaires sociales et inclusion, la Commission européenne traite du handicap de façon générale et n’accorde pas une attention particulière au handicap psychique[iv]. Des financements peuvent être octroyés par le Fonds social européen (FSE) pour des dispositifs dédiés aux personnes handicapées psychiques. Néanmoins, ces modes de financement ne permettent pas d’inscrire l’action dans la durée ce qui convient mal au besoin d’accompagnement, parfois en continu, de la personne en situation de handicap psychique. De même, il n’existe, à ce jour, aucun plan d’action pour lutter contre les troubles psychiques.

Actuellement, il n’y a donc pas véritablement de politique spécifique adressée aux personnes en situation de handicap psychique, mais une politique plus globale d’accès à l’emploi des personnes handicapées. Si les avancées normatives dans le domaine du handicap ne semblent pas avoir contribué à améliorer l’insertion professionnelle des personnes souffrant de troubles psychiques, en revanche les politiques liées à la santé mentale au travail offrent quelques pistes de réflexion intéressantes. L’Union européenne joue un rôle d’impulsion non négligeable en la matière. Dès 2005, l’adoption du Livre vert de la Commission européenne sur la santé mentale vise à sensibiliser les acteurs aux coûts et bénéfices de la santé mentale19. Avec le Pacte européen pour la santé mentale et le bien-être lancé en 2008 à l’issue de la conférence de haut niveau « Ensemble pour la santé mentale et le bien-être », l’Union européenne plaide en faveur d’une stratégie transversale qui excède le secteur sanitaire et vise à assurer un niveau élevé de bien-être mental, notamment dans la sphère de l’emploi20. Le Comité économique et social européen (CESE) a adopté, en décembre 2012, un avis sur l’Année européenne de la santé mentale. Ce document met également l’accent sur l’importance de protéger la santé au travail dans le contexte des stratégies européennes en matière de santé mentale et de santé et sécurité au travail. Ces différentes initiatives suggèrent des actions qui recoupent les recommandations de l’OMS, mais, également, les prolongent. Il est donc préconisé de mettre en oeuvre des programmes d’évaluation et de prévention des situations qui peuvent causer des effets néfastes sur la santé mentale des travailleurs et des interventions sur le lieu de travail, et de soutenir le recrutement, la réhabilitation et le retour au travail des personnes ayant des problèmes de santé mentale. Le pacte invite la Commission européenne et les États membres à collaborer avec les organisations internationales et les parties concernées afin de mettre sur pied un mécanisme d’échange d’informations, d’identifier les bonnes pratiques et les facteurs de réussite des politiques et des actions des intervenants, et de communiquer les résultats des travaux par le truchement d’un ensemble de conférences sur les thèmes prioritaires du pacte. Il est ainsi porté attention à différentes problématiques comme celle de la dépression, que l’on classe parmi les maladies entraînant le handicap psychique.

Si le handicap psychique peut émerger indépendamment de la situation professionnelle, des conditions de travail délétères peuvent aussi servir de déclencheur21. L’organisation du travail peut en effet être productrice de troubles psychiques. L’entrée par la protection et la prévention de la santé mentale au travail se révèle donc intéressante parce qu’elle préconise une détection précoce des troubles, mais également parce qu’elle promeut l’organisation du travail en fonction d’un rythme adapté au travailleur et plus largement d’une adaptation du travail à la personne22. C’est ce que décrit le rapport de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail intitulé Promotion de la santé mentale au travail – Un rapport sur les bonnes pratiques qui présente un certain nombre d’expériences réussies en la matière23.

Conclusion

Les textes juridiques européens et internationaux témoignent de l’intérêt porté aux travailleurs handicapés à travers le prisme de l’exigence de non-discrimination. Toutefois, à l’exception notable de l’OIT, les différentes institutions supranationales se contentent d’inclure les troubles psychiques dans la notion englobante de « handicap » et ne cherchent pas véritablement à prendre en considération les particularités de ces troubles. Il semble, toutefois, qu’ouvrir une réflexion quant à ces spécificités participerait à l’amélioration de l’efficacité des dispositifs à l’égard des personnes handicapées conçus pour la plupart, à l’heure actuelle, sans distinction entre les handicaps. Il ressort notamment de l’étude que l’accès et le maintien dans l’emploi des personnes souffrant de troubles psychiques nécessitent un meilleur accompagnement. Dans cette perspective, le croisement des politiques relatives au handicap et des politiques de promotion de la santé mentale au travail pourrait être prometteur.