Volume 17, numéro 2, 2009 Querelles d’images ? Sous la direction de Nicole Dubreuil et Alain Gignac
Sommaire (12 articles)
Liminaire
Thème
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Material and Theological Identities: A Historical Discourse of Constructions of the Virgin Mary
James Bugslag
p. 19–67
RésuméEN :
This article charts, through the longue durée, two contested constructions of the Virgin Mary, the one theological, the other material. Material constructions, founded on such concrete material as relics, images, pilgrimage shrines and sacralized landscape features, differ considerably from, and have sometimes clashed with theological constructions. These two quite distinct hermeneutical strands of Marian identity, I contend, have always formed a discourse, and neither can be understood fully without reference to the other. This discursive consideration of Mary both broadens consideration of her historical identity beyond the hegemonic definition of the Church and creates a fuller appreciation of the diverse functions and meanings that Mary has had for her various constituencies.
FR :
Le présent article se penche, dans une optique de longue durée, sur deux constructions contestées de la Vierge Marie, l’une d’ordre théologique et l’autre d’ordre matériel. Les constructions matérielles, constituées de matériaux concrets, telles que les reliques, les images, les lieux de pèlerinage et les composantes géographiques sacralisées, sont fort différentes des constructions théologiques et elles s’entrechoquent parfois avec ces dernières. Nous sommes d’avis que ces deux courants herméneutiques distincts de l’identité mariale ont toujours constitué un discours, et que ni l’un ni l’autre ne peuvent être compris sans leur conjonction. Cette considération discursive de Marie permet d’une part d’élargir les paramètres de l’identité historique de Marie bien au-delà des limites hégémoniques prescrites par l’Église et, d’autre part, de mieux saisir la variété de fonctions et de sens conférés à la Vierge par ses diverses « clientèles ».
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Les protestants sont plus idolophobes qu’iconoclastes !
Olivier Bauer
p. 69–83
RésuméFR :
Cet article synthétise la théologie protestante des images en montrant qu’elle vise à prévenir l’idolâtrie. Il rappelle que l’iconoclasme de la Réforme a été sélectif. Il souligne l’existence de peintres protestants, de Hans Holbein le Jeune à André Bieler. Il explique comment les principaux réformateurs ont traité la question des images. Il distingue les positions luthérienne et calviniste, notamment quant à leur interprétation du commandement biblique qui interdit les idoles. Il précise enfin à quelles conditions une image peut transmettre l’Évangile.
EN :
This paper synthesizes protestant theology of pictures, showing that its aim is to prevent idolatry. It reminds that the Reform was selective in its iconoclasm. It emphasizes the existence of protestant painters, from Hans Holbein the Younger to André Bieler. It explains how Reformers dealt with the question of images. It contrasts Lutheran and Calvinist positions, especially regarding their interpretation of the second commandment, which forbids idols. It specifies under which conditions a picture is able to transmit Gospel.
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Brève histoire de la caricature des figures majeures du christianisme
François Boespflug
p. 85–110
RésuméFR :
L’affaire des caricatures de Mahomet (février 2006) a mis en lumière l’existence de seuils de tolérance à la moquerie visant les choses religieuses. Ces seuils varient beaucoup d’une religion à une autre. L’auteur entend souligner à quel point ils évoluent aussi à l’intérieur de la religion chrétienne, réputée plus placide que d’autres à cet égard. Avec une méthodologie d’historien et des repères de théologiens, il retrace les cinq grandes étapes (ou situations typiques) d’une histoire spécifique, celle des rapports entre le christianisme et la dérision, notamment sous la forme graphique de la caricature des figures caractéristiques de cette religion : l’Antiquité, le Moyen Âge, la Réforme, les dernières décennies du xixe siècle, puis la seconde moitié du xxe siècle. Il ressort que les seuils de tolérance ne sont jamais fixés une fois pour toutes et surtout varient selon qu’il s’agit de Dieu (du Christ) et de la Vierge, ou bien des saints, des curés ou des pratiques religieuses. En tout état de cause, ils sont toujours l’objet de subtiles négociations et font partie intégrante du pacte social dont chaque société a besoin pour éviter les heurts qui peuvent résulter du choc des sensibilités.
EN :
The case raised by Muhammad’s caricatures (feb. 2006) has shown that there could be limits to the mocking of religious matters. If the limits can vary from a religion to an other, in this paper it will be pointed how they evolved within the Catholic religion, that is considered more tolerant in these matters. Using a historical methodology and theological coordinates, five important landmarks or typical situations are presented within the history of the relationships between Christianity and mockery, focusing on the pictorial caricature of this religion’s great figures?: the Antiquity, the Middle Ages, the Reformation, the last decades of the 19th century, and the second half of the 20th century. It is shown that tolerance towards mockery varies depending on the “target”?: God, Christ, the Virgin Mary, or the saints, the priests and the religious practices. In any case, tolerance always has to be negotiated within the social pact that is central to every society, in order to prevent the problems that can result from clashes of sensitivity.
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Caïn, protégé du Seigneur ? Les voix de Gn 4,1-16 dans une perspective narratologique
Alain Gignac
p. 111–134
RésuméFR :
La Bible interdit de représenter Dieu « en image » mais ne se prive pas de le mettre en scène dans des récits. Comment alors éviter que le lecteur ne se fabrique une « image de Dieu narrative » idolâtre ? À partir du récit de Caïn et Abel (Gn 4), analysé sous l’angle des dialogues et des points de vue différenciés des personnages, l’article démontre que la narration biblique, par la manière dont elle raconte, brouille la représentation de Dieu et invite à une lecture dialogique. Loin de la lecture moralisante et culpabilisante traditionnelle (qui reprend uniquement le point de vue de Caïn), on se rend compte que le récit insiste sur les multiples initiatives divines pour entrer en discussion avec Caïn afin de le faire advenir réellement à lui-même, comme individu moralement responsable. En introduction, une réflexion est proposée quant à l’intérêt de la narratologie pour évaluer le jeu des multiples relectures artistiques d’un récit biblique et pour établir un dialogue interdisciplinaire entre l’exégèse et l’histoire de l’art.
EN :
The Bible forbids any human made representation of God in the form of an image but it does present him as an actor in the narratives. How then can we avoid the fact that the reader can make for him/herself an idolatrous image of God ? This article analyses the story of Cain and Abel (Gen 4) from the point of view of the dialogues and of the different viewpoints of the actors. It shows that be biblical narrative muddles up the representation of God and thus paves the way for a dialogical reading. Far from the traditional reading which interprets the text in a moral way while inducing a guilt feeling (which only takes into account Cain’s point of view), it can be seen that the narrative insists on the multiple initiatives of God in order to create a dialogue with Cain so that he may become really himself, as an morally responsible individual. The introduction proposes a reflection on the interest of narratology to evaluate the reading of the multiple artistic interpretations of a biblical narrative and to establish an interdisciplinary dialogue between exegesis and the history of art.
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Images d’un meurtre : la Genèse des artistes
Alain Laframboise
p. 135–155
RésuméFR :
Jacopo della Quercia, Lorenzo Ghiberti, le Titien et combien de leurs prédécesseurs aussi bien que de leurs contemporains ont-ils représenté la scène où Caïn tue son frère Abel. Que pouvait signifier, à la Renaissance, la représentation de cet épisode de la Genèse ? Quelles étaient les moyens et les limites de la représentation figurative lorsqu’elle se donnait pour objectif la relation à un récit ? Cet article veut suggérer l’ampleur des réseaux de signification à prendre en compte quand vient le temps d’interpréter les images dites narratives : les usages de la tradition figurative, les nouvelles conceptions de l’art qui émergent et les fonctions qu’on attribue aux oeuvres, la richesse de la pensée humaniste, les attentes des théologiens aussi bien que parfois des aspects politiques.
EN :
Jacopo della Quercia, Lorenzo Ghiberti, Titian and many more before them have depicted Cain slaying Abel. What could be the meaning of this depiction of the Genesis narrative at Renaissance times ? What were the means and limits of pictorial representation when it had the reference to a narrative as its very goal ? This paper points at the multiple meanings that have to be taken into account when it is time to interpret the so-called narrative images —the ways of figurative tradition, the new emerging concepts in art, the function attributed to works of art, the depth of human imagination, the theologians’ expectations, as well as (sometimes) political considerations.
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L’art et la Bible au risque de leurs interprètes : dialogue interdisciplinaire entre un exégète biblique et un historien de l’art (Post-scriptum)
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Les arts visuels dans l’espace ecclésial : continuité et renouveau depuis Vatican II : quelques exemples en France
Isabelle Saint-Martin
p. 169–196
RésuméFR :
Alors que les années qui ont suivi le concile de Vatican II se souciaient davantage de l’aménagement liturgique que des questions artistiques dans l’espace ecclésial, un tournant est apparu dans les années 1980. Deux facteurs indépendants, le retour de visibilité dans la pastorale de l’Église d’une part, l’intérêt de la commande publique en France pour l’inscription d’oeuvres contemporaines dans les lieux de culte d’autre part, ont favorisé une attention accrue à la place de l’art dans l’église. Mettre en évidence ce contraste interroge la capacité des édifices cultuels à accueillir l’art contemporain comme ils ont intégré à chaque époque les productions de leur temps et soulève la question des processus de commande et du dialogue entre artistes, commanditaires et fidèles qui vivent la liturgie en ces lieux.
EN :
While the years following the Vatican II Council were more concerned with liturgical developments than artistic questions in the ecclesiastical field, a turning point occured through in the nineteen eighties. Two independent factors influenced a renewed attention in the importance of art within the sanctuary : on the one hand its noticeable reappearance among the pastoral of the Church. On the other hand, the interest from French public procurement contractors for the incorporation of contemporary art works in places of worship. Highlighting this contrast questions the capacity of religious buildings to accommodate contemporary art, in the same way as they included, in each period of history, the contemporary artistic productions. It also raises the question of the process of commissioning and contracting, and of the dialogue between artists, commissioners and the believers who participate in the liturgy.
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Le dispositif de l’icône dans la peinture américaine de l’après-Deuxième Guerre mondiale : le cas Barnett Newman
Nicole Dubreuil
p. 197–224
RésuméFR :
En prenant la production de Barnett Newman comme exemple, cet article examine la survivance d’une dimension iconique dans la peinture abstraite américaine de l’après-Deuxième Guerre mondiale. Les tableaux dits du champ coloré (color field paintings) qui, au cours des décennies 1950 et 1960, marquent l’apogée de la tendance moderniste à l’autodéfinition du médium, semblent de prime abord complètement étrangers à toute forme de signification religieuse. Non seulement ont-ils abandonné la figuration et, par voie de conséquence, l’iconographie chrétienne : ils travaillent même à effacer toute distinction formelle entre une figure et un fond dans le but d’établir le plan du tableau comme pure expansion chromatique. En tant qu’objets culturels, ces tableaux modernes ont le musée pour référence et les lois du marché comme indice de valeur. Notre étude veut cependant démontrer que certains de leurs aspects, une fixation sur la poursuite du grand sujet, un goût pour la frontalisation de l’image et pour les symétries bilatérales ainsi qu’un mode d’adresse particulier exploitant le rapport au format conservent des analogies avec la tradition des icônes, notamment avec le rôle central qu’y tient le concept de présence. Chez Barnett Newman, un artiste que son origine juive disposait à l’iconoclastie, la pratique d’un dessin réduit à sa plus simple expression mérite entre autres d’être confrontée aux débats théologiques byzantins entourant la circonscription.
EN :
Taking Barnett Newman as a main reference, this article examines the survival of an iconic dimension in American abstract painting after the Second World War. The so-called color field pictures that, through the 1950’s and 1960’s, mark the height of modern painting’s orientation towards the medium’s self definition, seem at first sight completely alien to religious meaning. They have not only relinquished figuration and, by the same token, the whole access to Christian iconography : they have even eradicated the formal distinction between figure and ground in order to establish the picture plane as pure chromatic expanse. As cultural objects, these modern pictures belong to the museum and their value is connected with market transactions. Our study intends nonetheless to demonstrate that certain of these paintings’ features— an aspiration towards a universal Subject matter, a preference for frontal structures and bilateral symmetry, and a particular mode of address that depends largely on format— can be somewhat related to the old tradition of the icon, notably through the concept of presence that is central to that art. As an artist of Jewish origin, Barnett Newman was a natural/cultural iconoclast ; but his conception of drawing as a minimal but meaningful act bears some affinity with the Byzantine debates around circumscription.
Hors-thème
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La théologie des religions de Claude Geffré
Wasim Salman
p. 225–244
RésuméFR :
L’article expose la théologie des religions de Claude Geffré en la situant dans son contexte de théologie catholique des religions. De Babel à Pentecôte est l’ouvrage dans lequel le théologien français se rend compte de la situation pluraliste du monde. Il s’agit d’une approche théologique qui propose des solutions et fait une lecture créative de la tradition chrétienne, notamment de celle des semences du Verbe. Nous retenons certains points essentiels de la théologie de Geffré : le caractère kénotique du christianisme et la réflexion sur la signification du pluralisme.
EN :
This article sets forth Claude Geffré’s theology of religions and situates it in the wider context of the Catholic theology of religions. In De Babel à Pentecôte, Geffré shows his awareness of a world characterized by religious pluralism, suggesting some solutions. He sheds a new light on Tradition, especially that of the seeds of the Logos. This article especially emphasizes some key points of Geffré’s theology : the kenotic nature of Christianity and his reflection on the meaning of religious pluralism.
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Présent absolu et avenir absolu : Nishida et Rahner (2)
Jacynthe Tremblay
p. 245–263
RésuméFR :
De nombreux points de comparaison sont possibles entre la philosophie de Nishida Kitarō (1870-1945) et la philosophie de la religion de Karl Rahner (1904-1984), notamment concernant la temporalité, thème à propos duquel ces deux auteurs réfléchirent radicalement. En réexaminant la notion rahnérienne d’avenir absolu à la lumière de la notion nishidienne de présent absolu, il est possible d’apporter une solution au problème suivant : rejoint-on Dieu (Rahner) ou l’absolu (Nishida) dans un avenir situé au-delà de la temporalité ou bien dans l’instant présent, compris comme le lieu même du jaillissement de la temporalité ? Dans la mesure où elle s’appuie sur une philosophie du néant absolu, la pensée de Nishida permet de dégager la philosophie de la religion de Rahner des cloisons de l’onto-théo-téléologie qui l’enserrent et, la plaçant ainsi sur un horizon plus vaste, la rend apte à exprimer, d’une manière qu’on espère nouvelle, les nombreuses potentialités qu’elle recèle encore. En retour, une lecture de la temporalité nishidienne à travers le regard de Rahner permet de l’approfondir et de faire ressortir des éléments inédits.
EN :
Many points of comparison are possible between the philosophy of Nishida Kitarō (1870-1945) and the philosophy of Religion of Karl Rahner (1904-1984), particularly temporality, a theme around which these two authors thought radically. In reconsidering Rahner’s concept of absolute future in the light of Nishida’s concept of absolute present, it is possible to solve the following problem : do we join God (Rahner) or the absolute (Nishida) in a future located beyond temporality or in the present instant, understood as the very place of emergence of temporality ? Insofar as it is based on a philosophy of absolute nothingness, Nishida’s philosophy allows to overtake the onto-theo-teleological character of Rahner’s philosophy of religion and, situating it on a wider horizon, to make it fit to express, in a new way, its many hidden possibilities. In return, a reading of Nishida’s temporality through the eyes of Rahner allows to deepen it and to bring out new elements.