Abstracts
Résumé
La fiction se distinguerait du mensonge ou de la supercherie en étant une « feintise partagée » (Schaeffer) entre l’auteur et le lecteur, partenaires coopérants liés par un pacte de lecture où chacun respecte les règles du jeu. Pourtant, certaines fictions remettent en cause ce rapport de connivence en refusant de partager avec le lecteur le lieu ou la nature précis de la feintise qui serait dès lors non pas partagée mais plutôt dissimulée, et de ce fait non pas ludique mais sérieuse. La fiction moderne a largement exploité la figure du narrateur peu fiable comme source des erreurs, voire des mensonges desquels le lecteur tombe victime. Or, que conclure quand ce narrateur, bouc émissaire de l’auteur, n’existe pas? Nous explorerons un corpus de romans québécois où la fiction apparente est un leurre derrière lequel se dissimule le véritable lieu de la feintise, piégeant le lecteur dans des paradoxes sans issue. Ces pactes de lecture rompus ne peuvent pas être mis sur le compte d’un narrateur bouc émissaire mais plutôt sur celui de l’auteur réel — rusé, tricheur — qui s’impose comme autorité finale, tireur des ficelles non seulement du récit, mais de son lecteur.
Abstract
Fiction would be distinguished from lying or deceit by being a "shared pretense" (Schaeffer) between the author and the reader, cooperating partners bound by a reading pact where everyone respects the rules of the game. However, some fictions question this relationship of complicity by refusing to share with the reader the precise place or nature of the pretense, which would then not be shared but rather hidden, and therefore not playful but serious. Modern fiction has largely exploited the figure of the unreliable narrator as a source of errors, even lies, of which the reader falls victim. But what can we conclude when this narrator, the author's scapegoat, does not exist? We will explore a corpus of Quebec novels where apparent fiction is a lure behind which lies the true place of pretense. These broken reading pacts cannot be blamed on a scapegoat narrator but rather on the real author - cunning, cheating - who imposes himself as the final authority, pulling the strings not only of the story, but of its reader.
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Appendices
Note biographique
Marilyn Randall est professeure émérite au Département d’études françaises à l’Université de Western Ontario à London (Canada), où elle a enseigné la littérature québécoise et la théorie littéraire. Elle a collaboré avec Janet Paterson pour l’édition critique de Trou de mémoire d’Hubert Aquin (Bibliothèque québécoise, 1993) et a fait paraître de nombreux articles sur le roman de la Révolution tranquille, surtout sur l’œuvre d’Hubert Aquin et de Réjean Ducharme (Le contexte littéraire. Lecture pragmatique d’Hubert Aquin et de Réjean Ducharme, Préambule, 1990). Au fil des années elle s’est intéressée à l’histoire et à la pragmatique du plagiat littéraire (Pragmatic plagiarism. Authorship, profit and power, U. of Toronto Press, 2001) ainsi qu’à la figure du Patriote et aux représentations des femmes à l’heure des Rébellions 1837-38 au Québec (Les femmes dans l’espace rebelle, Nota Bene, 2013). Elle explore actuellement les perspectives paradoxales de la logique narrative et diégétique dans le roman québécois depuis 1965.
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