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L’auteur de ce livre éloquent mais polémique aurait pu l’intituler Invective contre le capitalisme. De façon erronée selon moi, Yates baptise « capitaliste » le vaste mélange hétéroclite de systèmes économiques en dedans et entre les pays du monde contemporain. Cette affirmation lui permet ensuite de proclamer que l’application de la seule théorie économique néoclassique aurait causé l’inéquité, l’exploitation des travailleurs, les dictatures, les guerres, le mauvais traitement des peuples authochtones, le refus de traiter le vih, la privatisaiton des services publics, voire le commerce du sexe (pp. 29-30) !
Yates se fixe comme objectifs d’expliquer la position des travailleurs au sein d’une telle « économie capitaliste mondiale » et d’encourager la population à se soulever contre le système. Il réclame rien de moins qu’une révolution sociale de fond en comble, ciblant particulièrement l’Angleterre, la France et les États-Unis, pays originaires de la théorie néoclassique !
Bien que les problèmes que signale Yates sont aussi réels que déplorables, leurs causes me paraissent d’ordre politique autant qu’économique, d’autant plus que la dimension économique de notre nouveau siècle s’éloigne nettement de la théorie néoclassique. En réalité, la plupart des économies d’aujourd’hui mélangent un capitalisme de marché basé sur un secteur privé, d’une part avec une économie du bien-être basée sur un secteur public responsable, d’autre part et ce, précisément à cause des doubles défis historiques lancés par la théorie marxienne et la puissance soviétique d’autrefois.
Les injustices d’aujourd’hui ne doivent donc pas blâmer la théorie néoclassique mais la corruption politique et le succès stratégique mitigé de certains pays dans leurs efforts de gagner des marchés internationaux. De façon frappante, Yates oublie de mentionner que de tels marchés n’appartiennent pas au seul capitalisme. Les économies socialistes peuvent elles aussi se baser sur des marchés ; l’économie yougoslave a fonctionné à succès pendant des décennies sur le principe du socialisme de marché à firmes autogérées par les travailleurs. Étrangement, pour un expert dans le domaine, Yates néglige de mentionner la Yougoslavie, préférant demander au lecteur d’imaginer un tel cas (pp. 174-175) !
Dans ses quatre premiers chapitres, Yates expose les problèmes de l’inéquité, du chômage et des conditions de travail abusives du monde contemporain. Le chaptire 5 explique le « dogme » néoclassique qui aurait suscité de telles conditions, auquel Yates opposera la « perspective » radicale (chap. 6). Le chapitre 7, traitant des « contradictions » du capitalisme, analyse pourquoi – contrairement à ce que Marx avait prédit – le capitalisme est si « résistant », et décèle les « failles » que l’on devra exploiter afin de se battre pour établir un « monde meilleur » (chap. 8).
Non seulement Yates tente de réduire le capitalisme à la seule théorie microéconomique néoclassique, il prétend sur le plan macroéconomique, que Keynes endossait « fortement » le capitalisme et fut « ennemi du socialisme ». Cette prétention me paraît tout simplement fausse, car Keynes était actif dans la société socialiste des Fabiens et souhaitait vivement un avenir socialiste planétaire pour l’an 2030. De plus, Yates passe sous silence les premier et deuxième principes de l’économie du bien-être standard, qui revendique la redistribution de la richesse au sein de l’économie afin que les équilibres de marché donnent ensuite des résultats socialement acceptables.
Sur la base de telles distorsions, Yates de blâmer la théorie néoclassique pour les réalités complexes de l’économie planétaire. Il prétend par exemple qu’au début le capitalisme a résulté en des syndrômes de « saleté, vacarme, fumée, maladie et mort » (p. 165), mais néglige de mentionner que les mêmes fléaux étaient encore plus présents en Russie staliniste et en Chine maoïste. De même, l’auteur prétend (p. 166) que le « le capitalisme crée une classe universelle de personnes, qui partagent toutes le même statut : sans propriété ni liberté ». Je pense que la plupart des gens auraient substitué le mot « communisme » pour « capitalisme » dans cette phrase !
Yates insiste beaucoup sur les hauts et les bas du cycle macroéconomique comme facteur de crise à répétition du système capitaliste. Mais nous n’avons qu’à regarder les périodes de chaos économique en urss et la perte de 30 millions de vies pendant le Grand bond en avant en Chine pour nous rendre compte que d’autres types de systèmes économiques génèrent des périodes de crise encore plus tumultueuses.
Que l’on soit d’accord ou pas avec Yates, il écrit extrêmement bien. Bien qu’il emploie trop de jargon marxiste, tel « hégémonique », « aliénation », et l’« armée de réserve des chômeurs » pour qualifier le capitalisme, son livre demeure passionné et percutant. Pour ne citer qu’un passage, « …Dire que des milliers de gens vivent et travaillent dans les tas d’ordures dans les banlieues de Manille aux Philippines parce qu’ils auraient fait un ensemble de choix de maximisation inefficace équivaut à ne rien dire. Dire qu’ils doivent aller chercher plus de scolarisation relève d’une naïveté indicible. Dire qu’ils manquent de productivité ne nous avance en rien. Dire qu’ils sont des chômeurs volontaires paraît tout de suite farfelu. Dire qu’ils seront aidés si le gouvernement épouse le néolibéralisme est tout simplement faux… »
Malheureusement, le livre est loin d’être objectif. Yates persiste à comparer les avantages d’un marxisme hors marché théorique avec la réalité du système économique mondial qu’il qualifie de « capitaliste » de façon simpliste. Yates en conclut que la société devrait se reconstruire sur la théorie de la valeur basée uniquement sur le travail. Mais il oublie d’expliquer que quand Ricardo et Marx ont développé ladite théorie, le changement technique et l’économie du savoir étaient presque inconnus. Aujourd’hui, la source de valeur dans l’économie mondiale moderne s’avère être le savoir (capital humain) plutôt que le travail (force physique). Le savoir peut servir autant à la préservation de la culture (par le biais du tourisme culturel) qu’à sa destruction : créer des emplois basés sur le savoir est la façon la plus sûre de sortir de la corvée des ouvriers exploités.
Yates fait également tout un plat de la pauvreté relative (p. 55), mais ne choisit pas de citer le fait largement reconnu que, malgré une croissance massive de la population mondiale, le nombre absolu de gens vivant dans la pauvreté a diminué au cours des 50 dernières années ! Yates se plaint que le coefficient de Gini ait grimpé aux États-Unis dans la période 1967-2000, mais néglige de dire que le Vietnam socialiste d’aujourd’hui affiche exactement le même niveau d’inégalité relative (p.46) !
Certes on peut tenter de se convaincre que le Vietnam est devenu « capitaliste ». Yates va jusqu’à dire : « Dans le monde entier, seules Cuba et la Corée du Nord manifestent des caractéristiques majoritairement socialistes » (p. 37). Est-ce à dire que Yates identifie la Corée du Nord, où des millions de personnes souffrent de faim comme résultat direct de l’investissement étatique dans les armes nucléaires comme un idéal de justice économique pour les travailleurs ? De même, Yates avance que le « capitalisme chinois » exploite brutalement les jeunes travailleuses dans les usines de fabrication pour les exportations et emprisonne, met à mort ou enferme dans des asiles tout dissident. En réalité, la Chine est toujours considérée par ses leaders et peuple comme un État socialiste, en fait l’État socialiste qui a joui du plus grand succès économique de l’histoire ! De telles hyperboles ne servent qu’à donner l’impression que Yates dirait n’importe quoi pour marquer un point.
Je recommanderais ce livre à tout économiste radical convaincu qui cherche une expression éloquente de ses opinions ainsi qu’à des clubs de débats universitaires qui cherchent des façons percutantes pour gagner des points. Mais je ne le recommanderais pas à tout lecteur sérieux cherchant à comprendre les raisons de la pauvreté dans le monde.