Volume 51, Number 2, Summer 2020 Cyberstudies Cyberstudies Guest-edited by Sébastien-Yves Laurent
Table of contents (8 articles)
Section thématique / Thematic Section
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Ce que le Cyber (ne) fait (pas) aux Relations internationales
Sébastien-Yves Laurent
pp. 209–234
AbstractFR:
À l’échelle internationale, le cyber semble omniprésent et il est pourtant rare dans les relations internationales. Son ubiquité, qui le fait échapper aux critères classiques de l’international (territorialisation, régime juridique, etc.), rend son appréhension malaisée et constitue un obstacle épistémologique. En voulant analyser ce que le cyber fait ou non aux Relations internationales, cet article souhaite ouvrir un débat. L’étude aborde le cyberespace comme un système sociotechnique qui s’est progressivement globalisé au point de devenir un enjeu important pour le système international. L’article examine et discrimine deux options pour les Relations internationales : tenir le cyberespace pour l’une des composantes technologiques du système international ou l’aborder comme un système qui n’est plus seulement un enjeu, mais une nature propre dont l’autonomie est limitée par les interactions avec le système international.
EN:
At the international scale, cyber seems to be pervasive, though it is rarely mentioned in the International Relations. The ubiquitous nature of the cyber is not compliant with the classical criteria of the international (territorialization, legal framework, etc.). This leads to hinder the understanding of the cyber as a research topic and constitutes an epistemological impediment. By analyzing what the cyber makes – or not – to the International Relations, this article aims to initiate a debate. It deals with the cyberspace as a socio-technical system which gradually globalized to the point of being a major stake for the international system. It reviews and discriminates two options : tackling the cyberspace as one of the technological feature of the international system or addressing it as a system that is more than an issue but a nature per se whose autonomy is limited by the interactions with the international system.
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Dissuasion nucléaire : Le cyber comme instrument de contre-force
Adrien Schu
pp. 235–259
AbstractFR:
Après avoir déjà mené des opérations cyber dans une optique de lutte contre la prolifération nucléaire et balistique, les États-Unis entendent désormais aller plus loin et envisagent officiellement de recourir à des actions cyber pour saboter des parties de l’arsenal nucléaire déployé de certains États qui en sont dotés. L’intégration du cyber dans la panoplie des moyens de contre-force s’inscrit dans le cadre d’une nouvelle stratégie visant à protéger le territoire américain d’une attaque nucléaire et recouvrant, en complément de l’interception des missiles en vol, des opérations offensives, dites left of launch, visant à neutraliser les missiles au sol avant leur lancement. Cet article part de l’idée selon laquelle la volonté même de faire peser une menace sur l’arsenal nucléaire d’autres États est en soi déstabilisante, mais entend montrer que le cyber, du fait de ses caractéristiques propres, risque bien d’accentuer encore cet effet déstabilisateur.
EN:
While it has already conducted cyber operations in order to fight nuclear and ballistic proliferation, the United States now intends to go further and has officially endorsed the use of cyber tools to sabotage parts of other states’ deployed nuclear arsenal. The integration of cyber within the array of counterforce instruments stems from a new strategy designed to protect the territory of the United States from a nuclear attack. This strategy relies, in addition to the in-flight interception of missiles, on offensive operations, called “left of launch”, aimed at neutralizing missiles on the ground prior to their launch. This article acknowledges as a starting point that being willing to threaten the survivability of other states’ nuclear arsenal is by itself destabilizing, but intends to show that cyber operations, due to their distinctive features, risk increasing even further this destabilizing effect.
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Un « cyber-mariage » arrangé ? Réalités et implications de la coopération cyber entre la Russie et la Chine
Julien Nocetti
pp. 261–285
AbstractFR:
En affichant une convergence rhétorique avec la Chine en matière de souveraineté et de sécurité dans le cyberespace, la Russie vise à la fois à cimenter sa relation avec la Chine hors des domaines traditionnels de coopération, à entreprendre une « sécurisation » du cyberespace ainsi qu’à afficher le basculement de la puissance hors de l’Occident. L’échelle internationale se révèle incontournable pour appréhender les accords et les divergences de positionnements respectifs de la Chine et de la Russie par rapport aux États-Unis, qui demeurent prééminents dans le cyberespace. Envisagé à la fois comme un domaine et un instrument au service d’objectifs, le cyberespace révèle toutefois, par-delà l’étroitesse de la coopération bilatérale, une asymétrie croissante entre les deux pays, mue par des approches divergentes de l’évolution du système international et par des facteurs économiques propres aux deux pays. Cette asymétrie, défavorable à la Russie, n’empêche pourtant pas ce pays d’approfondir sa coopération cyber avec la Chine.
EN:
Russia, while showcasing a rhetorical convergence with China in the fields of cyber-sovereignty and cybersecurity, aims at cementing its relationship with China beyond traditional areas of cooperation, undertaking the securitization of cyberspace as well as displaying power shift away from the West. The global level is essential in order to grasp the respective convergences and divergences of China and Russia in relation to the United States, which remain preeminent in cyberspace. Considered both as a domain and an instrument in the service of objectives, cyberspace nevertheless reveals, beyond the narrowness of the bilateral cooperation, a growing asymmetry between the two countries, driven by divergent approaches to the evolution of the international system, and by specific economic factors. This asymmetry, unfavorable to Russia, does not prevent this country from deepening its cyber cooperation with China.
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Droit international et normes pour le cyberespace : ambiguïtés et instrumentalisation géopolitique
François Delerue, Frédérick Douzet and Aude Géry
pp. 287–312
AbstractFR:
Le droit international et les normes de comportement responsable sont au coeur des discussions onusiennes sur les progrès de la téléinformatique dans le contexte de la sécurité internationale. L’objet du présent article est donc d’analyser la place du droit international, et de donner des pistes de réflexions à ce sujet, dans le cadre des deux processus en cours à l’Onu – le Groupe de travail à composition non limitée (gtcnl) et le Groupe d’experts gouvernementaux chargés d’examiner les progrès de la téléinformatique dans le contexte de la sécurité internationale (geg) –, et d’expliciter la façon dont le droit international est instrumentalisé dans les présentes négociations. Dans un premier temps, il expliquera dans quel contexte sont nés ces deux processus et quels sont leurs mandats respectifs. Dans un deuxième temps, il discutera de l’ambiguïté – voire de la confusion – sur le rôle des normes et du droit international dans la régulation du cyberespace et des motivations géopolitiques qui la sous-tendent.
EN:
International law and norms of responsible behaviour play a central role in un-led processes on Developments in the Field of icts in the Context of International Security. The purpose of this article is therefore to analyse –and provide insights on– the place of international law in the context of the ungge and oewg, and to explain how international law is being instrumentalized in the present discussions. Firstly, it will explain the context in which these two processes were established and their respective mandates. Secondly, it will discuss the ambiguity –or even confusion– about the role of norms and international law in the regulation of cyberspace and the geopolitical motivations behind it.
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Droit international et cyber-propagande : les défis d’adaptation du système international face à une menace grandissante
Alexandre Lodie
pp. 313–337
AbstractFR:
Les juristes se sont beaucoup intéressés à l’application du droit, et plus particulièrement du droit international, aux scenarios de cyberguerre, c’est-à-dire aux hypothèses dans lesquelles les États mèneraient des actions atteignant le seuil du recours à la force, voire de l’agression armée, par le biais d’outils numériques. En réalité, ces hypothèses, bien qu’extrêmement alarmantes, ne reflètent en rien la réalité des rapports de force dans le cyberespace. En effet, cet espace est d’abord le théâtre d’une lutte d’ordre idéologique, les moyens numériques permettant une diffusion instantanée des idées à travers le monde. L’outil numérique sert donc de vecteur de puissance, destiné à façonner d’une certaine façon les opinions publiques du monde entier et, le cas échéant, à changer le cours des élections. Cette contribution aura donc pour but de déterminer comment ce phénomène de « guerre de l’information numérique » est appréhendé par le droit en général, et le droit international en particulier.
EN:
Legal scholars have been interested in the application of law, and mostly, international Law, in case of a “Cyberwar” scenario, i.e, hypothesis in which States would engage in actions which meet the “use of force” threshold or the “armed force” threshold, through cyber means. In reality, these hypotheses, even if very concerning, do not really fit with the actual power relations in cyberspace. Indeed, this new space is, above all, the scene of an ideological struggle between States. It is true that digital means allow an instantaneous broadcast of ideas throughout the world. This tool is thus a vector for power, aimed at shaping minds and public opinions across the world, in a certain way, and at influencing elections results. The purpose of this article will be to determine how this “digital information warfare” is taken into account by law, in general, and more particularly, by International Law.
Section hors thème / Non-Thematic Section
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Identité politique, structure de conflit, et médiation
Miloud Chennoufi
pp. 339–361
AbstractFR:
La présente étude tente de montrer que la médiation est mieux comprise et ses chances de succès mieux évaluées si l’analyse conçoit le conflit selon un rapport de codétermination entre la structure des rapports de forces et l’identité des acteurs. Une telle approche permet de raffiner les enseignements de la théorie de la maturité qu’on trouve dans la littérature sur les négociations. Une fois articulé dans la première partie, ce cadre conceptuel sera mis à profit, d’abord dans la description du conflit syrien, et ensuite dans l’analyse de la médiation entreprise par la Ligue arabe de 2011 à 2012. Ainsi, il sera possible de comprendre que l’échec de cette médiation a partie liée avec le fait que la stratégie de la Ligue était fondée sur une hypothèse de travail étrangère aux termes structurels et identitaires du conflit qu’elle était censée régler.
EN:
The present contribution attempts to show that mediation is better understood and its chances of success better evaluated if carried out through an approach that conceives conflict according to an analysis of the codetermination of the power structure and the identity of actors. Such an approach would be helpful in refining the theory of maturity found in negotiations literature. As articulated in the first section, this approach will be used in application to the Syrian conflict, and later in an analysis of a mediation undertaken by the Arab League from 2011 to 2012. The main finding is that the failure of this mediation process was partly related to the League’s strategy, based on a working hypothesis which was alien to the structural and identity terms of the conflict.
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L’interventionnisme comme stratégie de défense : la neutralité active de l’Irlande et le maintien de la paix
Antoine Rayroux
pp. 363–388
AbstractFR:
Élue en juin 2020 pour deux ans et pour la quatrième fois de son histoire comme membre non-permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, l’Irlande représente un cas particulier de petit État sur la scène internationale, dont la stratégie de défense est tournée quasi exclusivement vers les opérations extérieures de maintien de la paix. Comment cette politique interventionniste sert-elle l’intérêt national et la souveraineté de l’Irlande ? L’article argumente que l’Irlande a su développer une posture stratégique originale autour de la notion de « neutralité active », qui permet de se tailler une certaine influence dans la communauté de la sécurité internationale, en permettant aux acteurs irlandais de la défense de mobiliser des ressources sociales, culturelles et symboliques qu’ils ont su développer de façon systématique sur plusieurs décennies. Ces ressources font apparaître le pays comme un acteur crédible et respecté du maintien de la paix au niveau international. L’article est illustré par une étude de cas du rôle de l’Irlande dans l’opération Eufor Tchad/République centrafricaine.
EN:
Recently elected for two years and for the fourth time in its history as a non-permanent member of the United Nations Security Council, Ireland is a one-of-a-kind small state in the international system, whose defense strategy is almost exclusively focused on overseas peacekeeping operations. How does such interventionist policy serve Ireland’s national interest and sovereignty ? The article argues that Ireland has succeeded in developing an original strategic posture centered around the concept of “active neutrality,” which allows for mobilizing social, cultural and symbolic resources that Irish defense actors have built on over several decades. These resources help the country being recognized as a credible and trusted actor of the global peacekeeping field. The article is illustrated with a case study of Ireland’s role during the operation Eufor Chad/Central African