Comptes rendusReviews

Stratégies missionnaires des jésuites français en Nouvelle-France et en Chine au XVIIe siècle. Par Shenwen Li. (Paris et Québec, L’Harmattan et Presses de l’Université Laval, 2001. Pp. xvi + 379, ill., ISBN 2-7637-7792-9)[Record]

  • Louis-Jacques Dorais

…more information

  • Louis-Jacques Dorais
    Université Laval, Québec

En 1611, deux jésuites français, les pères Pierre Biard et Enemond Massé, quittent Dieppe pour aller convertir les païens du Nouveau-Monde, ceux de l’Acadie en l’occurrence. Au même moment, un autre jésuite, le père Nicolas Trigault, arrive en Chine. Il pouvait donc s’avérer intéressant de comparer les stratégies missionnaires de prêtres issus d’un même milieu et oeuvrant à la même époque dans deux contextes très différents, quelques-uns d’entre eux, comme le père Greslon, ayant même connu les deux champs d’apostolat. C’est à cette tâche que s’est attelé avec succès l’historien Shenwen Li. Ses origines chinoises couplées à sa formation en milieu académique francophone en faisaient sans doute la personne la mieux placée pour avoir accès à la fois aux sources chinoises et françaises, comme le démontre l’abondance des références archivistiques et bibliographiques citées, tant en mandarin qu’en français ou en anglais. Son ouvrage se subdivise en quatre parties, traitant respectivement de la formation des missionnaires jésuites, de leurs missions en Nouvelle-France, de leur apostolat en Chine, et des réactions des Amérindiens et des Chinois à la christianisation. Chacune des deux parties principales, celles qui portent sur l’intervention missionnaire, s’ouvre sur un chapitre décrivant le milieu culturel « païen » où oeuvrent les jésuites. Celui traitant du monde amérindien pourra paraître assez sommaire au spécialiste de ce domaine, puisqu’il se base sur des sources secondaires. L’auteur y fait quand même un bon effort de description de l’organisation sociale, des croyances et des pratiques religieuses des populations algonquiennes et iroquoïennes de Nouvelle-France. Il souligne en particulier le fait que, contrairement à la société chinoise, la société amérindienne a été profondément transformée par le contact avec les Européens. Shenwen Li se sent beaucoup plus à l’aise dans le chapitre décrivant la Chine au temps des dynasties Ming et Qing, la seconde ayant remplacé la première au milieu même de l’époque étudiée, soit en 1644. Contrairement à ce qu’on peut observer en Nouvelle-France au même moment, la Chine du XVIIe siècle constitue un État centralisé possédant des philosophies religieuses et politiques bien développées (et consignées par écrit), où le confucianisme, le taoïsme et le bouddhisme forment l’idéologie officielle. Les stratégies des missionnaires ont donc dû s’adapter à ces situations bien différentes l’une de l’autre. En Nouvelle-France, il s’agit d’imposer aux autochtones l’autorité morale chrétienne, puisqu’on juge que, contrairement aux Chinois, les Amérindiens ne possèdent aucun code moral. Pour ce faire, on utilise deux types de stratégies. Dans les îlots de peuplement français, on a recours à l’embrigadement des Autochtones dans des séminaires ou, plus fréquemment, à leur confinement dans des réductions, ces villages où les jésuites exercent un contrôle étroit visant à remodeler totalement les habitudes de vie et les représentations symboliques amérindiennes. Dans les territoires autochtones, par contre, on fait usage de moyens de séduction (cadeaux, recours aux miracles) afin de contrer l’opposition des Amérindiens traditionalistes. Dans les deux cas, il s’agit donc de s’opposer aux traditions indigènes en les critiquant ou en les dénigrant, grâce à des dons (de médailles entre autres) et à des interventions apparemment miraculeuses qui démontrent la supériorité des missionnaires. Cette double action (réductions et travail sur le terrain) a pour effet de créer chez les convertis une nouvelle identité chrétienne qui s’oppose à l’identité première de leurs compatriotes demeurés païens. Il en va tout autrement en Chine, où les jésuites adoptent une stratégie d’adaptation aux coutumes locales, qu’on ne rejette pas, contrairement à celles des Amérindiens. On tente même une conciliation entre les idées chinoises et les dogmes chrétiens, en partant du postulat que « la doctrine confucéenne s’accorde parfaitement avec les principes de notre sainte …