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Charlevoix ou la création d’une région folklorique. Par Serge Gauthier. (Québec, Presses de l’Université Laval, 2006. Pp. 208, ISBN 2-7637-8370-8)[Record]

  • Pascal Huot

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  • Pascal Huot
    Université Laval
    Québec

La région de Charlevoix occupe une place privilégiée dans l’histoire de l’ethnologie au Québec. Serge Gauthier a choisi ce terrain pour y développer une réflexion sur la pratique des premiers folkloristes québécois en milieu régional. Cet ouvrage permet une diffusion plus large de sa thèse de doctorat en ethnologie, soutenue en 2004 à l’Université Laval. Inspiré du sociologue Pierre Bourdieu, Serge Gauthier veut réaliser une « ethnologie de l’ethnologie » (19), afin de démontrer comment Marius Barbeau (1883-1969), Félix-Antoine Savard (1896-1982) et Luc Lacourcière (1910-1989) notamment ont, par leur approche du terrain, érigé Charlevoix en région folklorique. Si l’auteur propose une relecture de l’expérience de terrain des folkloristes au Québec, son analyse ne porte cependant pas sur la matière folklorique recueillie, mais bien sur son contexte de production. Il cherche à mettre en évidence les conditions d’émergence de Charlevoix comme « bastion de folklore ». L’auteur « retient donc l’idée que ces lieux folkloriques régionaux ou bastions folkloriques sont un élément de la construction méthodologique et intellectuelle de ces folkloristes québécois face au terrain d’enquête » (21). Divisé en cinq chapitres, l’ouvrage suit une chronologie qui permet aux lecteurs d’avoir les bases historiques nécessaires pour bien suivre et comprendre la thèse développée. Serge Gauthier analyse dans un premier temps le discours tenu par les intellectuels canadiens-français au XIXe siècle, discours qui prend forme principalement dans des ouvrages littéraires. Il s’intéresse ensuite aux vies de Barbeau, Lacourcière et Savard avant d’examiner leur approche folklorique du terrain. Ces prémisses lui permettent de développer le concept de région en présentant un Charlevoix historique, suivi d’un Charlevoix folklorique. L’ethnologue ouvre enfin la démonstration en présentant les héritiers de Marius Barbeau. Le premier chapitre définit les assises du discours des folkloristes québécois dans un contexte historique tant national qu’international. En dressant un portrait de la discipline, Serge Gauthier cherche à démontrer que l’approche du terrain développée par les folkloristes québécois du début du XXe siècle est moderne pour leur époque. Elle est d’abord issue d’une démarche anthropologique, tributaire de la formation universitaire de Marius Barbeau. C’est la littérature dite orale, auprès d’une « population qui ne sait pas écrire ou qui est peu en contact avec le livresque » (36), qui retient l’attention. Cette façon de faire s’inscrit dans l’idéologie de survivance du Québec du XIXe siècle. À cette période, l’élite intellectuelle canadienne-française pense l’histoire nationale, dans une volonté des Français de durer en Amérique du Nord, face à la présence croissante des anglophones. À la suite de la période de conflit menée par le parti Patriote (1830-1840), où les insurrections sont durement réprimées par la Couronne britannique, le rapport Durham vient clore ce moment clé de l’histoire. Le discours dit de « survivance » est donc la réponse de l’élite canadienne d’expression française à Durham. Et si « le peuple lui-même connaît peu le rapport Durham » (40), c’est grâce à lui que la tradition de source française issue de la littérature orale subsiste. Les intellectuels canadiens-français s’approprient le folklore et les traditions populaires par les oeuvres littéraires. Ce courant sera diffusé par les écrits de Joseph-Charles Taché, l’abbé Henri-Raymond Casgrain et Honoré Beaugrand. Cependant, c’est Marius Barbeau qui va offrir à l’élite canadienne-française une accréditation scientifique à la démarche. « Le folkloriste formé sur une base universitaire est ainsi chargé de relever les preuves d’une tradition orale jusqu’alors présumée et identifiée par la littérature, mais désormais justifiée par une pratique trouvant place dans le milieu universitaire » (43-44). Les résultats de ses enquêtes sont constitués de contes, de légendes, de chansons et de faits de folklore. Influencé par la pensée …

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