FR:
Cet essai soutient que les films de Harun Farocki ont toujours oscillé entre les contraintes institutionnelles, d’une part, et les failles du cinéma indépendant (financé par l’État et la télévision) et des galeries d’art (commanditées), d’autre part. Cela dit, l’autorité morale et la crédibilité esthétique de ses films et de ses installations découlent d’une « critique » à double tranchant : ses oeuvres sont critiques parce que leur portée réflexive atteint même le réalisateur, et que la boucle de rétroaction (feedback) engage également l’artiste. Quiconque explore son travail/art découvre que Farocki est vraisemblablement l’un des rares réalisateurs contemporains à pouvoir contrecarrer le monde comme oeil machinique, en redonnant à l’oeil et la main, par moment, une puissance d’implication de soi et de solidarité. Conséquemment, toute l’actualité et l’urgence de l’oeuvre de Farocki tiennent dans un effort pour sauvegarder le cinéma de sa propre dialectique de mémoire et d’oubli, d’une évocation nostalgique d’une plénitude perdue et d’une auto-réflexivité moderne, en réinventant le « travail » comme « art », et l’« art » comme « travail ».
EN:
The essay argues that Harun Farocki’s films have always been poised between the institutional constraints and aesthetic faultlines of (state and television-funded) independent cinema and (commissioned) gallery art. But his films’ and installations’ moral authority and aesthetic credibility come from the fact that their “critique” cuts both ways: they are critical in the sense that their gestures of reflexivity are directed also at the director himself, and that the feedback loops implicate the artist as well. As one walks through his art/works, one realizes that he may be one of the few filmmakers today capable of countering the self-surveillance of the world as machine eye, with moments that re-instate the eye and the hand as instances of self-implication and solidarity. The true topicality and urgency of Farocki’s work may thus be nothing less than an effort to rescue the cinema from its own dialectic of memory and forgetting, of nostalgic evocation of a lost plenitude and modernist self-reflexivity, by reinventing “work” as “art”, and “art” as “work”.