Number 90, 2023 L’alimentation, un enjeu de justice sociale : mouvements alimentaires, politiques publiques et inégalités Guest-edited by Renaud Hourcade and Nathan McClintock
Table of contents (17 articles)
Introduction
Section 1 – Les politiques alimentaires : renouveau de l’action publique et reproduction des exclusions
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Éduquer au risque d’exclure ? Le cas du projet d’alimentation durable Tast’in Fives
Alexandre Fauquette and Christophe Gibout
pp. 35–61
AbstractFR:
De plus en plus de villes se lancent dans des projets d’alimentation durable. Or la promotion d’une alimentation dite saine et durable, dont les principes et les pratiques correspondent à l’éthos culinaire des classes moyennes et/ou dominantes, peut parfois servir de cheval de Troie à des processus croissants de gentrification urbaine guidés par un substrat hygiéniste. On assiste alors à une inculcation des conduites qui, à travers la double injonction du manger sain et du devenir mince, utilise une « moralisation douce » qui tend à exclure les populations ne s’y conformant pas ou s’y refusant. C’est aux ressorts de cette inculcation des conduites et aux étiquetages qu’elle produit, mais aussi aux résistances qu’elle engendre, que nous proposons de nous intéresser dans cet article tiré d’une recherche-action sur le projet urbain Tast’in Fives (TIF), mis en oeuvre par la mairie de Lille et financé par l’Union européenne. Notre enquête se base sur de nombreuses observations participantes menées au sein d’ateliers de cuisine organisés dans le cadre de ce projet, ainsi que 50 entretiens approfondis auprès des organisateurs de ces ateliers et de leurs publics.
EN:
More and more cities are embarking on sustainable food projects. But the promotion of so-called healthy and sustainable food, whose principles and practices correspond to the culinary ethos of the middle and/or dominant classes, can sometimes serve as a Trojan horse for growing processes of urban gentrification guided by a hygienic substratum. To use Foucauldian’s terminology, we are then witnessing a new governmentality of bodies which consists, through the promotion of “eating well” and its corollary, the fight against junk food, of cleaning up human bodies in order to clean up urban bodies via a double implicit injunction: that of “eating well” and that of “becoming thin”. However, this governmentality of bodies, which uses a “gentle moralization” that tends to exclude populations that do not comply or refuse to comply, is not without creating certain reactions and/or resistance. It is to the roots of this governability of bodies and the labelling it produces, but also the resistance it generates, that we propose to focus in this article drawn from an action-research on the urban project Tast’in Fives (TIF), initiated by the Lille City Council and financed by the European Union. Our investigation is based on numerous participant observations carried out within the cooking workshops organised as part of this project, as well as 50 in-depth interviews with the organisers of these workshops and their audiences.
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Politique sur les saines habitudes de vie : analyse critique d’initiatives publiques visant à corriger des inégalités en santé à travers l’alimentation
Myriam Durocher
pp. 62–84
AbstractFR:
Dans cet article, je propose une analyse discursive de la nouvelle Politique sur les saines habitudes de vie de l’arrondissement de Montréal-Nord (Québec, Canada) et, plus largement, des enjeux et rapports de pouvoir qui la traversent et l’informent. L’analyse met en évidence les normes, présupposés, et processus d’exclusion qui prennent forme au sein de la Politique. D’abord, je mobilise les travaux issus des « critical fat studies » afin de démontrer comment cette politique s’inscrit dans la lignée des discours et pratiques « anti-obésité », favorisant ainsi l’émergence de formes d’oppression à l’intersection des corps, de l’alimentation et de la santé. Je procède ensuite à une analyse des discours hégémoniques et normatifs qui traversent la Politique et font de l’alimentation « saine » (entendue selon des savoirs occidentaux informés par le nutritionnisme [Scrinis, 2013]) une solution à adopter dans la lutte contre l’obésité ou les maladies chroniques. Tout au long de l’article, je mets en évidence comment des politiques publiques peuvent reproduire des formes de discrimination et d’oppression qui se conjuguent à celles existant déjà, et détourner l’attention des inégalités systémiques et structurelles qui se matérialisent à la longue en troubles de santé, actuellement associés à la diète. Je termine en comparant brièvement cette politique avec le nouveau plan adopté par le Conseil alimentaire de Toronto (le Toronto Black Food Sovereignty Plan), qui reconnaît le racisme systémique et son rôle dans les troubles de santé et d’accès à l’alimentation. Je discute certaines des orientations directrices de ce plan afin de mettre en évidence l’approche distincte qui y est privilégiée.
EN:
In this article, I offer a discursive analysis of the new “Healthy” Lifestyle Habits Policy from the Montréal-Nord borough (Quebec, Canada), and more specifically of the broader issues and power relationships that permeate and inform it. The analysis highlights the norms, assumptions, and processes of exclusion that take form within the Policy. First, I mobilize works in Critical Fat Studies to demonstrate how this Policy is in line with anti-obesity discourses and practices, fostering the emergence of forms of oppression at the intersection of bodies, food and health. I then carry out an analysis of the hegemonic and normative discourses that permeate the Policy and make “healthy” food (understood following Western knowledge informed by nutritionism [Scrinis, 2013]) a solution to adopt in the fight against obesity or chronic diseases. Throughout the article, I bring forward how public policies can contribute to reproducing forms of discrimination and oppression that combine with existing ones, and can shift attention from systemic and structural inequalities that materialize eventually in health issues currently associated with diet. I conclude by briefly contrasting this Policy with the new plan adopted by the Toronto Food Council (Toronto Black Food Sovereignty Plan) which recognizes systemic racism and its role in health issues and food access. I discuss some of the guiding orientations of this Plan to highlight the privileged approach.
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La politisation des cantines scolaires en France : visibilité et conflits dans les arènes nationales et locales
Hélène Caune, Florent Frasque and Simon Persico
pp. 85–109
AbstractFR:
Repas végétariens, confessionnels, d’origine locale et/ou biologique, tarifs modulés, inscription des enfants de chômeurs… Les questions associées à la restauration scolaire sont devenues des enjeux de discorde accompagnant la politisation plus générale des questions d’alimentation depuis la fin des années 1990. Cet article étudie les formes de la politisation des cantines scolaires, autour de deux hypothèses principales. Premièrement, les enjeux de restauration scolaire seraient devenus plus visibles et plus conflictuels à l’échelle nationale parce qu’ils s’inscrivent dans les deux nouveaux clivages qui se sont développés au sein des systèmes politiques d’Europe de l’Ouest, entre identité et cosmopolitisme d’une part, et entre écologie et productivisme de l’autre. Deuxièmement, l’autonomie et la diversité des acteurs locaux dans la mise en oeuvre expliqueraient l’influence limitée et différenciée de cette politisation partisane nationale sur le débat public concernant la restauration scolaire à l’échelle locale. Pour confirmer ces hypothèses, nous analysons de manière quantitative (classification) et qualitative deux corpus de plus de 10 000 articles de presse consacrés à ce sujet, qui permettent de distinguer entre les arènes de politisation nationale et régionale; nous nous appuyons aussi sur cinq études de cas dans des communes rurales des deux départements, à partir de matériaux d’entretiens et d’observation. Ces données confirment l’hypothèse d’une politisation nationale passant par une augmentation de la visibilité et du conflit, ainsi que l’association aux nouveaux clivages, mais indiquent que les effets de cette politisation restent limités et différenciés à l’échelle locale.
EN:
Vegetarian meals, halal meat, local and organic food origin, modulated prices… The issues associated with school canteens have become issues of political conflict, accompanying the more general politicisation of food issues since the late 1990s. This article examines how school canteens have been politicised, based on two main hypotheses. First, school catering issues have become more visible and conflictual at the national level, in connection with the development of new cleavages in Western European political systems, between identity and cosmopolitanism, on the one hand, and between ecologism and productivism, on the other. Second hypothesis, the wide autonomy and diversity of local actors in the implementation limits the influence of this politicization on school catering policies at the local level. To test these hypotheses, we analyse quantitatively (classification) and qualitatively two corpora of more than 10,000 articles devoted to this subject and distinguish between national and regional arena; we also rely on five case studies in four rural towns, based on interviews and observation material. These data confirm the hypothesis of a national politicisation through increased visibility and conflict, as well as the association with new cleavages, but show the limited and differentiated effects of this national politicisation at the local level.
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Repas scolaires, cogestion et peuples autochtones : l’illusion d’un pouvoir infranational au Pérou
Emmanuelle Ricaud Oneto
pp. 110–130
AbstractFR:
Le Programme national d’alimentation scolaire du Pérou, Qaliwarma, repose sur un principe de coresponsabilité et de cogestion, et prône une adaptation aux habitudes alimentaires locales. En pratique, en contexte autochtone amazonien, il distribue des aliments industriels issus des régions andines et côtières, produits par de grandes entreprises nationales et internationales qui monopolisent le marché alimentaire. Pourtant, les bénéficiaires de ces peuples sont des collecteurs et producteurs d’aliments. À partir d’une enquête ethnographique menée entre 2013 et 2017, cet article explore les limites du modèle péruvien de cogestion ainsi que les aménagements et les résistances locales qu’il suscite chez deux peuples autochtones amazoniens, maijuna et napuruna. Il montre que les choix politiques relatifs à la conception et aux modalités d’application du programme prolongent de manière singulière des mécanismes de domination et de résistance existants. Le programme s’avère très centralisé et, prenant appui sur des directives internationales, favorise l’agro-industrie au détriment des petits producteurs et des peuples autochtones. Bien que des comités « participatifs » aient été créés, la cogestion se résume à une délégation technique et est peu outillée pour aménager des espaces de dialogue et s’adapter aux préférences alimentaires locales. Toutefois, la « collaboration » informelle des parents, en particulier des mères qui préparent les repas, joue un rôle fondamental en ce sens. L’article met ainsi en évidence le paradoxe suivant : leur action politique ne se situe pas dans l’espace de cogestion mis en avant par le gouvernement mais plutôt dans leur participation directe à la préparation des repas.
EN:
Peru’s National School Feeding Program, Qaliwarma, is based on a principle of co-responsibility and co-management, and advocates adaptation to local food habits. However, in the indigenous Amazonian context, it provides industrial food from the Andean and coastal regions, produced by large national and international companies that monopolize the food market. Yet, many of these peoples are food collectors and producers. Based on an ethnographic survey conducted between 2013 and 2017, this article explores the limitations of the Peruvian co-management model, and the local accommodations and resistance it generates among two Amazonian indigenous peoples, maijuna and napuruna. It shows that the political choices about the design and the modalities of application of the program extend in a singular way the existing mechanisms of domination and resistance. The program is highly centralized and, based on international guidelines, favors agribusiness to the detriment of small-scale producers and indigenous peoples. Although “participatory” committees have been created, co-management is limited to technical delegation and is ill-equipped to create spaces for dialogue and to adapt to local food habits. However, the informal “collaboration” of parents, especially mothers who prepare meals, plays a fundamental role in this respect. The article highlights the following paradox: their political action is not located in the space of co-management put forward by the government but rather in their direct participation in the provision of meals.
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Relevé du territoire : les souverainetés alimentaires autochtones
Michelle Daigle
pp. 131–161
AbstractFR:
La recherche dans le domaine de la souveraineté alimentaire vit actuellement un renouveau conceptuel qui vise à rendre compte des diverses expressions de la souveraineté telle qu’elle s’incarne dans l’espace en fonction des spécificités historiques et identitaires, et des situations et dynamiques socioécologiques locales. Les efforts pour en identifier les nombreuses assises ont permis d’attirer l’attention sur les enjeux particuliers de la souveraineté alimentaire autochtone en Amérique du Nord. Notamment, les spécialistes s’intéressent aujourd’hui aux liens qui unissent la régénération des pratiques de récolte et de partage des aliments avec les mouvements pour l’autodétermination et la décolonisation. Si on ne peut que se réjouir de ce nouvel intérêt, il reste toutefois beaucoup de travail à faire pour comprendre comment les multiples ordres et autorités autochtones en matière juridique et politique s’expriment au quotidien dans la pluralité des souverainetés alimentaires et des environnements. Dans cette contribution, je m’intéresse aux Anishinaabe vivant tant à l’intérieur qu’au-delà des limites du territoire couvert par le Traité no 3 (Ontario, Canada) : je veux mettre en lumière les actes de résurgence quotidiens, basés sur le principe du mino bimaadiziwin, avec lesquels ils protègent et revitalisent leurs terrains de récolte alimentaire, leurs eaux et leurs modes d’alimentation.
EN:
Food sovereignty scholars are increasingly re-conceptualizing sovereignty by accounting for its diverse expressions across space according to specific histories, identities, and local socio-ecological realities and dynamics. In grappling with the multiple bases of sovereignty, attention has been directed toward Indigenous food sovereignty in North America. Specifically, food scholars are examining how the regeneration of Indigenous food harvesting and sharing practices shapes movements for decolonization and self-determination. While this is a crucial and much-welcomed intervention, much more is needed to understand the diverse Indigenous political and legal orders and authorities that shape how multiple Indigenous food sovereignties are lived every day across diverse landscapes. In this contribution, I examine how Anishinaabe people in and beyond the Treaty 3 territory in Ontario, Canada, protect and renew their food harvesting grounds, waters and foodways through everyday acts of resurgence that are rooted in their law of mino bimaadiziwin.
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Repenser les luttes pour l’accès à la terre dans la ville postindustrielle
Sara Safransky
pp. 162–196
AbstractFR:
Les politiques raciales et culturelles concernant l’accès à la terre et la propriété sont au coeur des luttes urbaines, mais ont reçu relativement peu d’attention de la part des géographes. Cet article analyse les luttes pour l’accès à la terre qui ont cours à Détroit, où plus de 100 000 terrains sont classés comme « vacants ». Depuis 2010, les urbanistes et les autorités gouvernementales ont élaboré des plans controversés dans le but de ruraliser les quartiers « vacants » de Détroit dans le cadre d’un programme d’austérité fiscale, ranimant d’anciennes questions de dépossession liée à la race, de souveraineté et de luttes de libération. Cet article se penche sur ces politiques litigieuses à travers l’examen des conflits provoqués par la proposition d’un homme d’affaires blanc de construire la plus grande forêt urbaine du monde au centre d’une ville à majorité noire. Je me suis intéressée à la façon dont les résidents, les agriculteurs urbains et les activistes communautaires ont résisté au projet en revendiquant les terrains vacants en tant que communs urbains. Ils ont fait valoir que ces terres sont occupées et qu’elles appartiennent à ceux qui ont travaillé et souffert pour elles. En combinant l’ethnographie communautaire aux idées de la théorie critique de la propriété, des études critiques de la race et de la théorie postcoloniale, je soutiens que les luttes pour la terre à Détroit dépassent les conflits sur la redistribution des ressources. Elles sont indissociables des débats sur les notions de race, de propriété et de citoyenneté qui sous-tendent les démocraties libérales modernes et les luttes actuelles pour la décolonisation.
EN:
The racial and cultural politics of land and property are central to urban struggle, but have received relatively little attention in geography. This paper analyzes land struggles in Detroit where over 100,000 parcels of land are classified as “vacant”. Since 2010, planners and government officials have been developing controversial plans to ruralize Detroit’s “vacant” neighborhoods as part of a program of fiscal austerity, reigniting old questions of racialized dispossession, sovereignty, and struggles for liberation. This paper analyzes these contentious politics by examining disputes over a White businessman’s proposal to build the world’s largest urban forest in the center of a Black majority city. I focus on how residents, urban farmers, and community activists resisted the project by making counterclaims to vacant land as an urban commons. They argued that the land is inhabited not empty and that it belonged to those who labored upon and suffered for it. Combining community-based ethnography with insights from critical property theory, critical race studies, and postcolonial theory, I argue that land struggles in Detroit are more than distributional conflicts over resources. They are inextricable from debates over notions of race, property, and citizenship that undergird modern liberal democracies and ongoing struggles for decolonization.
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Travail invisible et liens informels entre campagne ordinaire et rue populaire : dans les pas du « maïs chaud » en région parisienne
Ségolène Darly
pp. 197–217
AbstractFR:
Cet article fait le récit de la vente informelle d’épis de maïs franciliens dans les rues de l’agglomération parisienne en montrant qu’une partie de cette activité contribue à la relocalisation silencieuse du système alimentaire urbain dans les quartiers populaires de la métropole. En l’abordant à travers les témoignages des travailleurs et non uniquement par la géographie des flux de marchandises, il a été possible de montrer le rôle moteur des efforts quotidiens de subsistance dans le renouvellement de la ville par ses marges. La vente de maïs dans la rue doit cependant faire face aux contradictions internes du modèle de la ville durable : alors qu’il n’a jamais été autant question de réduire l’empreinte écologique de l’alimentation des villes par la relocalisation des approvisionnements, la requalification urbaine des quartiers populaires réduit les possibilités de déploiement de systèmes intermédiaires frugaux qui renouvellent les liens avec la campagne voisine.
EN:
This paper draws the portrait of informal corn cob street vending in Greater Paris, showing that part of this activity contributes to the silent relocation of the urban food system in the working-class neighborhoods of the metropolis. By approaching it through the lens of workers’ narratives and not only through the geography of the food, it was possible to show the driving force of daily subsistence efforts in the renewal of the city from its margins. However, street vending must confront the internal contradictions of the sustainable city model: while there has never been so much discourses about reducing the ecological footprint of city food through the relocalization of supplies, the urban renewal of working-class neighborhoods reduces the possibilities for grass-roots systems that build bridges with the neighboring countryside.
Section 2 – L’activisme alimentaire social et communautaire et ses ambivalences
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L’accès à la saine alimentation dans l’est de l’île de Montréal : entre alignements et discordances
René Audet, Éliane Brisebois, Sylvain A. Lefèvre, Geneviève Mercille, Alessandra Gallani and Marjolaine Verville-Légaré
pp. 218–240
AbstractFR:
Face aux enjeux spatiaux et économiques d’accès à la saine alimentation dans l’est de l’île de Montréal, des instances de santé publique, des organisations communautaires et leurs partenaires ont mis sur pied le Réseau alimentaire de l’est de Montréal (RAEM) afin de mieux coordonner les interventions auprès des ménages à faible revenu (MFR). Ces interventions s’inscrivent notamment dans une perspective spatiale de l’accès à l’alimentation et dans des modèles qui diffèrent de ceux de l’aide alimentaire classique. Dans le cadre d’une recherche partenariale menée avec le RAEM visant à déterminer les points d’alignement et de discordance dans les représentations du problème d’accès alimentaire et les solutions privilégiées de trois types d’acteurs (les organisations membres du RAEM, les partenaires de soutien et les MFR), nous avons effectué une collecte de données par l’entremise de groupes d’entretien et d’entretiens individuels. L’analyse des données, réalisée à partir d’un modèle multidimensionnel de l’accès à la saine alimentation, permet de comparer les perspectives de chaque groupe d’acteurs. Il en ressort que la dimension spatiale n’est pas aussi centrale pour les MFR que pour les autres acteurs, et que la dimension personnelle de l’accès est perçue différemment selon les acteurs. Ces discordances ont une importance et un impact pour l’organisation du système alimentaire de l’est de l’île de Montréal, et mettent en lumière la nécessité d’une lecture critique d’un cadrage principalement spatial des problèmes d’accès à l’alimentation.
EN:
Facing spatial and economic challenges to nutritious food access in eastern Montreal, public health authorities, community organizations and their partners have established the Réseau alimentaire de l’est de Montréal (RAEM) to coordinate their interventions with low-income households (LIH). These interventions are in line with a spatial perspective in nutritious food access, and with alternative models to conventional food aid. In the context of a partnership research with the RAEM that aimed at identifying alignments and discords in representations of the problem of food access and solutions of three types of actors (member organizations, support partners and LIH), we have carried out a qualitative data collection through focus group and individual interviews. The data were analyzed with a multidimensional model of nutritious food access, which allowed to compare the perspectives of each group of actors. We found that the spatial dimension is not equally important to each actor, and that the personal dimension of food access is perceived differently by each of them. These discords have their importance and impact on the organization of the eastern Montreal food system and highlight the necessity of a critical reading of the mainly spatial framing of food access problems.
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Les frigos collectifs : l’émergence d’une pratique autonome dans le paysage de la redistribution alimentaire à Montréal et à Québec
Laurence Bherer and Agathe Lelièvre
pp. 241–264
AbstractFR:
Cet article rend compte de l’émergence d’une pratique discrète de gestion des surplus alimentaires : le stockage et la redistribution depuis les frigos collectifs. Pour ce faire, il s’appuie sur une enquête ethnographique conduite entre 2016 et 2020 dans les villes de Montréal et de Québec. Il montre que ces pratiques s’insèrent dans les interstices du circuit classique de redistribution alimentaire pour proposer une gestion alternative des surplus. Les frigos n’opèrent toutefois pas en rupture avec le modèle des banques alimentaires mais plutôt en complémentarité, car ils offrent, à plus petite échelle, une avenue de plus pour disposer des surplus produits par l’industrie alimentaire. Aussi, c’est surtout dans le rapport aux donataires que les frigos apparaissent s’inscrire dans une pratique alternative. Avec le temps, ces frigos se révèlent néanmoins fragiles et tendent à disparaître ou à se formaliser.
EN:
This article reports on the emergence of a discreet practice for managing food surpluses: storage and redistribution from collective fridges. To do so, it relies on an ethnographic investigation that took place between 2016 and 2020 in the cities of Montreal and Quebec. It demonstrates that these practices fit into the gaps of the traditional food redistribution circuit as an extension of dumpster diving to propose an alternative management of surpluses. In a pragmatic logic, the fridges’ actors indeed advocate autonomous organizations to fight waste and/or food insecurity. However, collective fridges appear fragile over time and tend to disappear or become more formalized.
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La réponse à l’insécurité alimentaire au temps de la COVID-19 : distance physique et lien social
Laurence Godin, Émilie Dionne, Justine Langlois, Laurence Bastien, Laure Saulais and Véronique Provencher
pp. 265–288
AbstractFR:
Au Québec, l’arrivée de la COVID-19 en mars 2020 a rapidement mis l’insécurité alimentaire à l’avant-scène. L’enjeu, présent et connu depuis longtemps, semble maintenant prendre une ampleur inédite. Avant la pandémie, la littérature sur l’organisation et le soutien social et communautaire révélait déjà la prévalence d’une réponse à l’insécurité alimentaire dominée par l’aide d’urgence, la philanthropie et l’action a posteriori. Il était déjà démontré que cette approche tend à occulter l’expérience des personnes touchées. Effectivement, au Canada, la majorité des ménages vivant une situation d’insécurité alimentaire n’a pas recours à ces formes d’aide d’urgence. Plus encore, ces services tendent à perpétuer la stigmatisation et le sentiment de honte qui l’accompagnent souvent. Dans la ville de Québec, pendant l’été 2021, nous nous sommes intéressées aux enjeux qu’ont pu rencontrer les acteurs communautaires dans leurs activités en lien avec les différentes facettes de l’insécurité alimentaire, activités qui ont été fortement affectées par la pandémie et les réactions qu’elle a entraînées chez les gouvernements, les communautés et les individus. Nous avons conçu un cadre conceptuel où l’aide alimentaire d’urgence est jaugée à partir d’une critique de la réponse néolibérale aux problèmes sociaux. Notre analyse est menée sur des données qualitatives collectées auprès d’une trentaine d’acteurs du milieu communautaire. Elle se penche sur les nouveaux enjeux et défis rencontrés lors de la pandémie, les réponses des organismes communautaires à ce contexte nouveau et la manière dont ils ont contourné les difficultés liées à l’apparition de la COVID-19. Notre discussion porte sur le rôle des relations sociales dans la réponse à l’insécurité alimentaire.
EN:
In the province of Quebec, the arrival of the COVID-19 pandemic in March 2020 has rapidly brought food insecurity to the fore. While already well established and documented, the pandemic brought it to an unprecedented scale. Pre-pandemic, the literature on organization and social and community support already revealed a prevalence of an organizational response focusing on emergency aid. Consequently, such heavy reliance on philanthropy and ex-post action means that the response to food insecurity overlooks large parts of its experience, for example the fact that in Canada, the majority of households concerned does not use them, or that these services can perpetuate the stigma and the feelings of shame that often accompanies it. In this context, we aimed to study the issues encountered by front-line actors and workers in response to food insecurity in Quebec City in the summer 2021, during the COVID-19 pandemic. To this effect, we propose a conceptual framework where the emergency food aid is gauged against a critique of the dominant neoliberal response to social problems. We conducted our critical analysis on qualitative data collected with about thirty community actors, which touches upon challenges met during the pandemic, the organisational response and the strategies put forward to overcome difficulties. We conclude by exploring the role of social relations in the response to food insecurity.
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Faire face à l’insécurité alimentaire des sans-abri en temps de pandémie. Quel droit à l’alimentation ?
Marine Maurin and Lola Vives
pp. 289–309
AbstractFR:
Le confinement strict décrété le 17 mars 2020 en France pour contenir l’épidémie de COVID-19 a engendré un nouveau problème pour les sans-abri : celui de l’insécurité alimentaire. Pour faire face à cette situation inédite d’urgence alimentaire, une multitude d’actions et de coopérations ont vu le jour. Dans ce contexte, nourrir les sans-abri nécessite une reconfiguration des espaces d’action, parfois préexistants. Prenant appui sur une recherche sociologique collective portant sur les ajustements de l’action publique visant les sans-abri pendant la crise sanitaire, dont l’aide alimentaire fait partie, cet article examine la manière dont l’alimentation des sans-abri est devenue un problème public lors de la crise sanitaire liée à la COVID-19 en France. Nous verrons en effet que les distributions d’aides alimentaires avec des colis, principale réponse à l’urgence alimentaire, rendent visibles des coopérations plurielles situées au croisement du militantisme, du caritatif, du travail social et des autorités publiques locales. Nous mettrons également en lumière le fait que ces distributions alimentaires aux personnes sans-abri là où elles ont été confinées font exister un droit à l’alimentation principalement axé sur la disponibilité et l’accessibilité des denrées alimentaires, délaissant en partie la notion de choix et le respect des goûts, des pratiques et sociabilités pourtant au coeur de l’alimentation, même des plus pauvres.
EN:
The strict lockdown decreed on March 17, 2020 in France to address and contain the COVID-19 epidemic led to a new problem for the homeless: food insecurity. To address this unprecedented situation of food emergency, plural actions and cooperations have emerged. In this context, feeding the homeless requires the reconfiguration of scopes for actions, that were sometimes pre-existing. Based on a collective sociological research related to the adjustments of public action towards the homeless during the health crisis, including the food aid, this paper aims to analyze how feeding the homeless became a public problem during the COVID-19 health crisis in France. We will see that the distribution of food aid, mainly by food package, was the main response to the food emergency that makes visible plural cooperations at the crossroads of activism, charity, social work and local public authorities. We will thus see that these food distributions to homeless people where they have been isolated underline the existence to a right to food mainly focused on the availability and accessibility of foodstuffs, partly neglecting choices and the respect of tastes, practices and sociabilities, which are also at the heart of the food of the poorest.
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Des circuits courts à la sécurité sociale de l’alimentation : économies concrètes et récit politique pour la solidarité alimentaire
Yuna Chiffoleau, Grégori Akermann, Dominique Paturel and Julien Noël
pp. 310–329
AbstractFR:
Les inégalités d’accès à une alimentation de qualité sont un marqueur des sociétés contemporaines. En les confirmant, la crise de la COVID-19 a aussi donné plus de visibilité aux initiatives de solidarité alimentaire visant à réduire ces inégalités, en s’appuyant notamment sur les circuits courts et l’alimentation locale. Dans cet article, après avoir présenté les deux principales approches de ces initiatives dans la littérature, nous proposons un cadre d’analyse interdisciplinaire qui nous permet de les interroger en tant qu’économies concrètes, encastrées dans des relations sociales, ancrées dans les territoires et participatives, façonnées en partie à travers leurs relations avec les politiques publiques. Nous appliquons ce cadre à une large gamme d’initiatives recensées en France en 2020, et montrons ainsi une diversité de stratégies mises en oeuvre en vue de faciliter l’accès des personnes précaires à une alimentation de qualité, tout en soulignant les difficultés associées. Si combiner certaines stratégies peut aider à toucher plus de personnes précaires, les initiatives de solidarité alimentaire n’ont pas la capacité de permettre à tous d’accéder à une alimentation de qualité. Nous concluons alors sur la perspective universaliste ouverte par le projet de sécurité sociale de l’alimentation, en tant que récit politique fédérant une diversité d’acteurs et d’initiatives, mais suscitant aussi des débats, à l’échelle nationale et à travers des expérimentations locales.
EN:
Inequalities in access to quality food are a marker of contemporary societies. By confirming them, the COVID-19 crisis has also given greater visibility to food solidarity initiatives aimed at reducing these inequalities by relying in particular on short food chains and local food. In this article, after presenting the two main approaches to these initiatives in the literature, we propose an interdisciplinary analytical framework that allows us to question them as concrete economies, embedded in social relations, rooted in territories and participatory, shaped in part through their relations with public policies. We apply this framework to a wide range of initiatives identified in France in 2020 and thus show a diversity of strategies implemented to facilitate access to quality food for people in precarious situations, while highlighting the associated difficulties. While combining certain strategies can help reach more precarious people, food solidarity initiatives do not have the capacity to provide access to quality food for all. We then conclude on the universalist perspective opened up by the social security for food project, as a political narrative federating a diversity of actors and initiatives, but also giving rise to debates, on a national scale and through local experiments.
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Un introuvable levier de justice sociale. Démesure militante des circuits courts alimentaires alternatifs
Gabriel Montrieux
pp. 330–353
AbstractFR:
Les systèmes de circuits-courts alimentaires alternatifs, incarnés en France par le modèle des Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), ont initialement pour objectif d’établir des liens de solidarité entre consommation et production. Ces systèmes alimentaires ont progressivement été investis d’enjeux supplémentaires, particulièrement en matière de justice sociale, en visant à donner accès au plus grand nombre à des produits alimentaires inaccessibles dans les circuits conventionnels de distribution. Pourtant, malgré le travail fourni au sein du mouvement amapien pour atteindre cette ouverture sociale, les catégories intermédiaires et dominantes restent fortement surreprésentées parmi les adhérent·e·s de ces systèmes. Cet article vise à saisir les principes à l’oeuvre dans la faible ouverture sociale des AMAP. Il mobilise des données qualitatives (entretiens biographiques et observations) produites lors d’un travail d’enquête mené entre 2013 et 2019 dans l’agglomération lyonnaise, auprès d’AMAP locales et des réseaux militants qui coordonnent le mouvement amapien. La multiplication des enjeux projetés sur les AMAP génère des contradictions internes, avec lesquelles les responsables des collectifs amapiens composent difficilement. Alors que les AMAP apparaissent désarmées pour mettre en place une plus grande accessibilité économique des circuits-courts, l’ouverture sociale de ces systèmes apparaît susceptible de menacer l’entre-soi social sur lequel les collectifs amapiens se sont localement constitués. La difficulté des AMAP à inclure économiquement, symboliquement et socialement des catégories dominées doit en réalité beaucoup à la manière dont ces catégories sont exclues, en amont, des processus de définition des enjeux opérés par les réseaux militants amapiens et par les collectivités territoriales qui entendent lutter contre la précarité alimentaire.
EN:
Alternative short food networks, embodied in France by the Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) model, initially aimed to establish links of solidarity between consumption and production. These food systems have progressively been invested with additional stakes, particularly in terms of social justice, by aiming to give the greatest number of people access to food products that are inaccessible in conventional distribution channels. However, despite the work done within the amapien movement to achieve this social opening, the members of these systems remain strongly concentrated in the intermediate and dominant categories. This article aims to understand the principles at work in the low social openness of AMAPs. It uses qualitative data (biographical interviews and observations) produced during a survey conducted between 2013 and 2019 in the Lyon area, among the activist networks that coordinate the AMAP movement and among local AMAPs. The multiplication of issues projected onto the AMAPs generates internal contradictions, with which the members of AMAPs have difficulty coping. While the AMAPs are not equipped to implement greater economic accessibility of short circuits, the social openness of these systems appears likely to threaten the social interdependence on which the AMAP collectives have been formed locally. The difficulty of the AMAPs to include economically, symbolically and socially dominated categories owes much to the way in which these categories are excluded, upstream, from the processes of definition of the stakes operated by the AMAP activist networks and by the local authorities that intend to fight against food insecurity.
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Des logiques militantes et productives en tension ? L’exemple de la politique d’achat et de vente d’une coopérative alimentaire parisienne
Bérangère Véron
pp. 354–376
AbstractFR:
Cet article entend nuancer une thèse mise en avant par de nombreux travaux sur les coopératives alimentaires, qui souligne les tensions entre leurs objectifs militants et productifs. En mobilisant les données d’une enquête ethnographique réalisée à Paris sur une période de deux ans, et en s’appuyant sur le modèle de l’articulation contingente segmentée proposé par Giry et Wokuri (2020), l’article montre que ces tensions sont loin d’être unanimement perçues « de l’intérieur ». À travers l’exemple de la politique d’achat et de vente de la coopérative étudiée, nous montrons que l’articulation de ses objectifs militants et productifs, telle qu’elle transparaît dans les discours des enquêtés, est bien contingente et segmentée. La politique d’achat et de vente est ici déclinée en trois segments : la politique tarifaire de la coopérative, le choix des produits, et le fonctionnement hybride du magasin. La première partie montre que pour chacun de ces trois segments, les coopérateurs ont des points de vue hétérogènes sur les rapports entre rendements militants et productifs, ceux-ci étant tout aussi bien décrits comme divergents, convergents ou indépendants. La seconde partie montre que les perceptions des coopérateurs, et plus largement leur engagement dans la coopérative, sont partiellement stabilisés à travers diverses activités de régulation (Le Velly, 2017). La conclusion souligne que se pencher sur la manière dont les coopérateurs définissent « ce qui compte » pour eux permet de nourrir une réflexion plus large sur la pérennité des initiatives alternatives qui se montent actuellement, et sur le potentiel d’essaimage des coopératives.
EN:
This article seeks to bring nuances to a common thesis on food co-ops, which emphasizes the tensions between their activist and productive objectives. By relying both on ethnographic data collected in Paris over a period of two years, and on the theoretical framework provided by Giry and Wokuri (2020), the article shows that these tensions are far from being unanimously perceived “from the inside”. Through the example of the purchasing policy of a specific food co-op, we show that the articulation between activist and production-oriented objectives, as reported by members, is indeed contingent and segmented. The purchasing policy can be divided into three segments: the pricing policy of the food co-op, the choice of the products on sale, and the hybrid nature of the way the store operates. The first part shows that for each of these segments, members have heterogeneous viewpoints on the dynamics between activist and productive values, which may as well be described as divergent, convergent or independent. The second part shows that members’ perceptions and involvement in the food co-op are partially stabilized through various regulation activities (Le Velly, 2017). The conclusion underlines that addressing what co-op members define as “what matters” to them contributes to the ongoing debates on how sustainable are recently-created food alternatives, and on how to expand food co-ops.
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Démocratie alimentaire et approches sensibles dans la transition écologique
Laurence Granchamp, Claire Lamine, Guy El Karim Berthomé, Martina Tuscano and Morgan Jenatton
pp. 377–399
AbstractFR:
Cet article interroge la place accordée aux dimensions sensibles (au sens d’attachement, de ce qui « fait sens », ce à quoi l’on tient) ainsi que leur rôle au sein des dispositifs et expérimentations qui visent la transition écologique dans et par les systèmes alimentaires, à travers six cas situés dans différentes régions de France. Plus précisément, il sonde ces attachements afin de voir ce qu’ils peuvent apporter à la participation de publics à première vue éloignés des enjeux de transition écologique, et en explore la portée en matière de politisation. Il montre que la prise en compte de ces attachements offre un contrepoint aux approches technicistes et normatives de la transition écologique, tout en permettant de traiter les enjeux de la démocratie et de la justice alimentaires. Il identifie trois voies de politisation, diversement combinées dans les six expérimentations étudiées : la capacitation/l’augmentation du pouvoir d’agir (empowerment), la valorisation des pratiques et/ou des savoirs, et la formation de collectifs. Il suggère, enfin, qu’en dépit des limites que nous identifions, la prise en compte de ces dimensions sensibles favorise, sous certaines conditions, l’inclusion et la participation de ces publics. Cette prise en compte offre en outre une voie privilégiée pour l’articulation des enjeux de justice et de démocratie alimentaires aux enjeux environnementaux, ce qui mériterait d’être davantage considéré ou du moins discuté dans le cadre des politiques de transition écologique.
EN:
This article examines the place given to and the role of “sensitive” elements (that is, of the senses but also of attachment, of what “makes sense” and is valued) in projects and experiments aiming for an ecological transition within and through food systems, by presenting six case studies located in different regions of France. More precisely, it questions how these attachments can lead audiences a priori unfamiliar with ecological transition to be a part of it, and explores their scope in terms of politicization. It shows that taking into account these attachments offers a counterpoint to technicist and normative approaches of the ecological transition, while also addressing issues of food democracy and food justice. It identifies three paths of politicization, variously combined in the six experiments studied: empowerment, the valorization of practices and/or knowledge, and the formation of collectives. Finally, it suggests that, despite some identified limitations, taking these sensitive dimensions into account favors, under certain conditions, the inclusion and participation of these actors. Moreover, it also offers a means of bringing together the issues of food justice and food democracy with environmental issues, promising enough to warrant further consideration or at least discussion at the policy level of the ecological transition.