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Le développement du tissu adipeux est un processus physiologique complexe qui permet à l’organisme de s’adapter aux modifications de son environnement nutritionnel. Un discret dérèglement du développement adipocytaire peut aboutir à l’établissement d’une obésité, facteur de risque majeur pour de nombreuses maladies comme le diabète de type II, l’hypertension ou les dyslipidémies. Bien que des études approfondies aient permis d’identifier plusieurs mécanismes moléculaires essentiels mis en jeu lors de la différenciation adipocytaire [1, 2], l’adipogenèse est encore loin d’avoir livré tous ses secrets.

Au cours de la différenciation, le pré-adipocyte subit une profonde modification de son programme transcriptionnel qui aboutit à l’apparition de nouvelles protéines impliquées dans diverses fonctions propres à la cellule adipeuse. Dans l’espoir de mieux comprendre la physiologie de l’adipocyte, la caractérisation des gènes exprimés au cours de la différenciation adipocytaire a été entreprise de façon systématique depuis plusieurs années, à l’aide de méthodologies telles que le differential display, le clonage soustractif ou les microarrays.

Mises au point au début des années 1990, les techniques dites de differential display [3, 4] ont largement favorisé l’identification de nouveaux gènes adipocytaires dont l’expression est associée à la différenciation. Le principe de ces méthodes est de comparer des niveaux d’expression génique dans deux conditions physiologiques ou physiopathologiques distinctes. Des amplifications aléatoires par RT-PCR sont réalisées à partir des ARN messagers, permettant ainsi d’obtenir des profils d’expression génique spécifiques de chaque situation, dont l’analyse comparative permet la mise en évidence de gènes d’expression différentielle.

L’application de cette technique aux modèles de différenciation adipocytaire en culture (principalement les lignées murines 3T3) a permis d’identifier et de caractériser de nouveaux facteurs impliqués dans la différenciation de l’adipocyte. Parmi ceux-ci, l’adiponectine, encore appelée AdipoQ ou Acrp30 [5], s’est révélée un acteur majeur du contrôle de l’équilibre glucido-lipidique de l’organisme et une cible thérapeutique pertinente de l’insulinorésistance et du diabète non insulino-dépendant chez l’homme. L’Acrp30/ AdipoQ/Adiponectine est donc un exemple probant d’un facteur issu d’un criblage différentiel et qui présente un intérêt potentiel majeur sur le plan physiologique et thérapeutique.

La situation n’est pas toujours aussi favorable. La mise en évidence de nouveaux gènes ne constitue de fait qu’une étape initiale qui doit être poursuivie par une caractérisation fonctionnelle approfondie. Cette étape peut s’avérer fastidieuse et incertaine. Récemment, notre groupe a ainsi identifié les ARNm codant pour plusieurs protéines d’expression adipocytaire comme la SSAO (semicarbazide-sensitive amine oxidase) [6], l’Adiponutrine [7] et la TIARP (TNFα-induced adipose related protein) [8]. Concernant ces deux dernières protéines, seuls des arguments indirects, tels que le profil de distribution tissulaire et subcellulaire, les caractéristiques d’expression et l’analyse structurale prédictive, permettent actuellement d’élaborer des hypothèses fonctionnelles.

La SSAO, une amine oxydase aux fonctions pléiotropes

C’est une approche de differential display où les profils d’expression génique des préadipocytes et des adipocytes ont été comparés qui a conduit au clonage de l’ADNc de la SSAO [6]. Cette amine oxydase est capable de métaboliser plusieurs amines primaires aliphatiques ou aromatiques pour produire l’aldéhyde correspondant, du peroxyde d’hydrogène et de l’ammoniaque. La SSAO est une protéine transmembranaire active sous forme de dimère qui comporte un court segment intracellulaire, un domaine membranaire, et un vaste domaine extracellulaire incluant l’activité catalytique de l’enzyme. L’activité de l’enzyme est massivement induite au cours de la différenciation adipocytaire. La SSAO est présente dans plusieurs tissus et types cellulaires, mais est exprimée de façon prépondérante dans les cellules musculaires lisses de la média des parois artérielles, dans certaines cellules endothéliales, et dans les adipocytes. La SSAO est également présente dans le plasma mais le site de production de cette forme soluble n’a pas été identifié. Bien que l’intérêt physiologique et physiopathologique de la SSAO ne soit pas encore clairement défini, les premières approches expérimentales à base d’outils pharmacologiques (substrats, inhibiteurs) ou immunologiques (anticorps bloquants) donnent des indications sur les multiples fonctions potentielles de l’enzyme en fonction du type cellulaire où elle est exprimée.

Dans les cellules endothéliales du système lymphatique et dans les sinusoïdes radiés hépatiques, la SSAO (également baptisée VAP-1 pour vascular adhesion protein-1) peut jouer le rôle de ligand d’adhérence lymphocytaire et participer par ce biais à la genèse de pathologies inflammatoires [9].

Dans les adipocytes de plusieurs espèces, dont l’homme, l’activation de l’enzyme stimule le transport du glucose [10, 11] par un mécanisme dépendant de la production de peroxyde d’hydrogène. L’administration combinée de benzylamine (un substrat pharmacologique de la SSAO) et de petites doses de vanadate (un inhibiteur de tyrosine phosphatase) peut même corriger complètement l’hyperglycémie d’animaux rendus diabétiques par la streptozotocine, grâce à une utilisation accrue du glucose en périphérie [12].

Au niveau des parois artérielles, la SSAO, à l’état physiologique, contribuerait à l’organisation de la matrice extracellulaire, et en particulier du réseau d’élastine [14]. Cependant, les aldéhydes et le peroxyde d’hydrogène formés après activation de la SSAO sont délétères pour les cellules endothéliales. Or, l’activité SSAO est augmentée dans le sérum de patients diabétiques, ce qui a conduit à l’hypothèse selon laquelle cet excès d’activité participerait à la survenue des complications dégénératives associées au diabète, en particulier macro-angiopathiques [13].

Du point de vue thérapeutique, le caractère pléiotrope des fonctions potentielles de la SSAO soulève d’emblée des problèmes conceptuels. Dans le contexte du diabète, un dilemme se pose en effet entre deux stratégies opposées: faut-il activer la SSAO à l’aide de substrats sélectifs, et améliorer ainsi l’utilisation périphérique du glucose et le contrôle de la glycémie? Est-il au contraire préférable d’inhiber spécifiquement la SSAO, afin de prévenir la production d’aldéhydes et de peroxyde d’hydrogène et l’apparition de complications dégénératives micro- ou macro-angiopathiques? Le développement d’un modèle d’invalidation du gène codant pour la SSAO, par l’équipe finlandaise de S. Jalkanen, apportera sans doute des réponses plus précises sur les implications physiologiques exactes de la SSAO et ses possibilités d’applications thérapeutiques.

L’adiponutrine, une nouvelle protéine impliquée dans le métabolisme lipidique?

L’expression de l’adiponutrine, totalement absente dans les pré-adipocytes 3T3, croît de manière spectaculaire au cours de la différenciation adipocytaire [7] et est restreinte au seul tissu adipeux. In vitro, l’expression du gène de l’adiponutrine est induite par le glucose et réprimée par les effecteurs de la voie AMPc. In vivo, l’expression de cette protéine est largement contrôlée par les conditions nutritionnelles (expression réduite par le jeûne et augmentée par l’apport alimentaire), d’où son nom, adiponutrine. De plus, elle est fortement surexprimée dans le tissu adipeux d’animaux obèses (rat Zucker). Ces variations d’expression rappellent celles des enzymes lipogéniques. L’adiponutrine, protéine membranaire d’environ 45 kDa, présente précisément des homologies structurales avec une famille de protéines dotées d’une activité estérase de type phospholipase (Figure 1). Cependant, malgré ces caractéristiques de structure et d’expression, aucune donnée fonctionnelle ne permet pour l’instant de définir clairement la fonction de l’adiponutrine dans le métabolisme adipocytaire.

Figure 1

Structure et localisation subcellulaire de l’adiponutrine.

Structure et localisation subcellulaire de l’adiponutrine.

A. L’adiponutrine possède 4 segments transmembranaires présomptifs prédits par les analyses in silico (TM1 à 4). La partie N-terminale de la protéine contient un domaine caractéristique d’une sous-classe d’enzymes dotées d’activité phospholipase. B. La distribution subcellulaire de la protéine dans des adipocytes en culture a été déterminée par immunocytochimie et microscopie confocale. On observe une répartition cytoplasmique avec un fort enrichissement au niveau de la membrane plasmique, qui suggèrent que l’adiponutrine est une protéine membranaire associée à des éléments cellulaires contenus dans le cytoplasme des adipocytes.

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La TIARP, une nouvelle protéine induite par le TNFa et la différenciation adipocytaire

Le tissu adipeux constitue une cible privilégiée du TNFα (tumor necrosis factor-α). Cette cytokine participe en effet par plusieurs mécanismes à l’amaigrissement extrême (cachexie) observé lors des états septiques et cancéreux, mais pourrait également être impliquée dans la physiopathologie de l’insulinorésistance associée à l’obésité. Afin d’identifier les molécules relayant les effets du TNFα sur la cellule adipeuse, une stratégie de differential display a été utilisée sur de jeunes adipocytes exposés ou non à la cytokine. La protéine TIARP (TNFα-induced adipose-related protein) a ainsi été identifiée [8]. Son expression, qui n’est pas limitée au tissu adipeux, est induite par le TNFα, mais elle apparaît également spontanément au cours de la différenciation adipocytaire. La TIARP est une protéine de 470 acides aminés dont l’analyse structurale prédit 6 domaines transmembranaires, structure qui rappelle celle de plusieurs transporteurs et canaux: la localisation membranaire de la protéine est d’ailleurs confirmée par immunocytochimie. Une autre caractéristique structurale originale de la TIARP est l’existence, dans sa portion N-terminale, d’homologies significatives avec plusieurs NADP/NADPH oxydo-réductases fongiques ou bactériennes.

Néanmoins, un travail considérable reste à effectuer pour établir les propriétés biochimiques et physiologiques de cette protéine ainsi que son implication dans les effets du TNFα sur l’adipocyte.

Les études du transcriptome adipocytaire par microarrays

Alors que l’approche par differential display ne permet l’étude que d’un nombre limité de gènes, le développement des technologies issues des puces à ADN (microarrays, micro- ou oligo-chips) a permis de changer d’échelle de travail en analysant en parallèle l’expression de plusieurs milliers de gènes [15-17]. Appliquée à l’adipogenèse, la puissance de ces méthodologies a permis d’identifier un nombre considérable (plusieurs centaines voire milliers) de nouveaux événements moléculaires associés à la différenciation des adipocytes. Parmi les facteurs nouveaux identifiés figurent en particulier des facteurs transcriptionnels et des molécules de signalisation, dont le rôle dans l’adipogenèse reste à déterminer. Ces études ont également montré que le nombre de gènes induits au cours de l’adipogenèse est supérieur à celui des gènes réprimés. Plusieurs procédures ont été utilisées pour regrouper les gènes selon leur profil d’expression, analyse qui souligne la complexité de l’adipogenèse. Enfin, ces analyses ont révélé la grande similitude des changements d’expression génique associés au développement adipocytaire in vitro et in vivo [16]. Cependant, plusieurs gènes sont beaucoup plus fortement exprimés dans les adipocytes isolés à partir de tissu frais, que dans les adipocytes dérivés de lignées en culture, suggérant l’intervention de facteurs additionnels pour l’acquisition d’un phénotype d’adipocyte mature in vivo.

Ces approches extrêmement puissantes d’analyse du transcriptome adipocytaire apportent et apporteront encore une masse considérable de données originales. De plus, elles ne sont évidemment pas restreintes au modèle de la différenciation et sont d’ailleurs déjà utilisées pour l’étude du tissu adipeux dans des contextes physiopathologiques tels que l’obésité [18]. Ces données devraient permettre à la communauté médicale et scientifique d’acquérir de nouvelles connaissances sur le développement normal et pathologique du tissu adipeux, mais également de proposer de nouvelles stratégies thérapeutiques pour le traitement des obésités, des lipodystrophies, et de l’insulinorésistance.