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Depuis son implantation en 2008, le volet « Culture religieuse » du programme Éthique et culture religieuse (ECR) suscite de vifs débats (Baril et Baillargeon 2016). En 2020, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES) a lancé une large consultation sur une réforme de ce programme, dans laquelle la place de la culture religieuse ou plutôt sa réduction significative s’avère centrale. En effet, elle se trouve presque complètement évacuée de la consultation, réduite à une catégorie de l’un des huit thèmes proposés à la réflexion[1]. À titre de comparaison, soulignons qu’elle est présentement l’une des trois compétences disciplinaires du programme sous le libellé Manifester une compréhension du phénomène religieux et qu’elle représente le tiers des éléments de contenu du cours, aussi bien au primaire qu’au secondaire.

Des groupes et des personnes se réclamant du féminisme participent à ces débats sociaux sur la laïcité et l’éducation. Si tous et toutes oeuvrent pour l’égalité de droit et de fait entre les genres, des divergences profondes les séparent parfois sur certains sujets, notamment sur l’enseignement de la culture religieuse à l’école. Alors que des voix féministes estiment que le volet « Culture religieuse » du programme ECR va à l’encontre de l’égalité entre les sexes (El-Mabrouk et Sirois 2016; CSF 2011 et 2016), d’autres plaident au contraire qu’il constitue un outil précieux à son approfondissement (Kingué-Élonguélé 2012; Tremblay 2012).

Dans le présent article, nous verrons que les prises de position de différents groupes féministes sur l’enseignement de la culture religieuse à l’école découlent notamment de leurs conceptions respectives de la laïcité, qui s’inscrivent elles-mêmes plus globalement dans des conceptions spécifiques de la religion, oscillant entre deux modes de qualification, « domestique » ou « inspiré » (Boltanski et Thévenot 1991). Nous constaterons que ces conceptions étaient d’ailleurs implicitement les discours souvent contrastés de ces groupes sur l’enseignement de la culture religieuse. Nous terminerons en proposant deux pistes de solution en vue de surmonter la tension apparemment indissoluble entre les discours féministes sur le programme ECR.

Diverses conceptions du religieux

Même s’ils ne l’expriment pas toujours explicitement, les discours féministes qui se prononcent sur la laïcité et l’enseignement de la culture religieuse mobilisent souvent des conceptions différentes de la religion, de ses fondements et de sa portée dans l’orientation de la vie individuelle et collective. Par exemple, derrière de grands principes souvent désignés par des valeurs ou concepts communs, tels que l’« égalité », la « dignité » ou la « liberté », les postures privilégiées n’en développent pas moins des lectures bien spécifiques du contenu de ces valeurs potentiellement ancrées dans des grammaires variées de la justice ou du bien commun. En nous inspirant du modèle des « formes politiques de la grandeur » de Luc Boltanski et Laure Thévenot (1991), nous distinguons ainsi deux formes de qualification du « religieux » qui nous semblent entrer en jeu au coeur des constructions politiques du bien commun ou des « cités », sur lesquelles s’appuient précisément divers arguments féministes dont nous traiterons plus loin.

Une conception « inspirée » du religieux

La première vision du religieux convoquée dans les débats contemporains se rapproche de ce que Boltanski et Thévenot (1991) appellent la « cité de l’inspiration », par référence à saint Augustin dans la Cité de Dieu. Cette vision « évoque la possibilité d’une cité dont les membres fonderaient leur accord sur une acceptation totale de la grâce à laquelle ils n’opposeraient aucune résistance » (ibid. : 107). Ainsi, cette vision s’actualiserait concrètement dans la primauté dévolue à la subjectivité individuelle, à l’originalité ou encore, pour reprendre une catégorie usuelle dans les sciences sociales contemporaines, à l’« agentivité » de la personne présumée porteuse de cette « grâce » dont les origines religieuses sont naturellement peu mises en lumière, mais dont la sacralité est toujours opérante (ibid. : 203) :

C’est par ce qu’ils ont de plus original et de plus singulier, c’est-à-dire par leur génie propre, qu’ils se donnent aux autres et servent le bien commun. Ils ont donc pour devoir de secouer le joug, de s’écarter du troupeau, de rechercher la libération individuelle, non dans un but égoïste, mais pour accomplir la dignité humaine en rétablissant entre les êtres des relations authentiques.

Selon cette lecture, la valeur du religieux ou de ses modalités d’expression ne peut ainsi être interprétée qu’à la lumière de la quête intérieure ou du sentiment de véracité subjective, que nul ne peut juger ni évaluer de l’extérieur.

Une conception « domestique » du religieux

Une autre forme emblématique du religieux s’incarne dans la tradition au sens large selon laquelle « la grandeur des gens sera associée à leur position hiérarchique dans une chaîne de dépendances personnelles à l’intérieur d’“ un univers organisé par la pensée de Dieu avec des rangs et des degrés ” » (Boltanski et Thévenot 1991 : 116). Dans cette construction philosophique de type « domestique », caractéristique des sociétés paysannes du xviie au xixe siècle, « [l]a personne individuelle est un maillon dans la “ grande chaîne des êtres ” » (ibid.); « chacun se déplace avec ce halo autour de lui, qu’est l’histoire de son rang, de sa famille, de sa lignée patrimoniale, l’espace, le temps et la mémoire » (Élisabeth Claverie et Pierre Lamaison (1982 : 84), cités dans ibid.). Ainsi, dans ce cas de figure, la religion ne peut être appréhendée autrement qu’à travers ce lien hiérarchique à une famille, à une histoire ou à une nation, qui oriente et étaie la conduite individuelle de diverses manières. Autrement dit, sans le lien domestique ou l’autorité de la tradition (souvent patriarcale), la religion n’est pas. Cette conception est toutefois fortement disqualifiée dans le contexte des Lumières, qui s’affirment à travers une conception civique du lien politique traçant une nouvelle ligne de démarcation entre l’espace « privé » et l’espace « public ». Considéré comme un ancrage « archaïque » dont il convient de s’émanciper, le religieux est alors perçu comme un obstacle à la conquête de l’égalité, du lien civique car, dans cette perspective, « on accède à la grandeur en sacrifiant les intérêts particuliers et immédiats, en se dépassant soi-même, “ en ne plaçant pas des intérêts individuels avant des intérêts collectifs ” » (ibid. : 237).

Les féminismes et la laïcité

Ces deux conceptions génériques de la religion peuvent par ailleurs s’articuler de différentes manières, implicitement ou explicitement, dans les discours féministes tels qu’ils s’expriment au Québec. Dans sa thèse de doctorat, Caroline Jacquet (2017) a étudié l’histoire des représentations féministes de la laïcité et de la religion au Québec. Elle a effectué une analyse de discours choisis en fonction d’évènements clés (par exemple, des adoptions de loi ou des commissions d’enquête) portant sur des thèmes variés, dont l’éducation et la liberté de religion. Pour la période 2007-2013, elle a dégagé une typologie appliquée des courants féministes, qui nous semble opératoire, en complément des modes de qualification du religieux, pour saisir les arguments développés par les groupes féministes au sujet du programme ECR.

Les trois courants féministes

Le premier courant retenu par Jacquet est le féminisme moniste. D’après celui-ci, l’égalité entre les sexes doit primer la liberté de religion inscrite dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, et l’on y est en faveur d’une limitation des signes religieux. On considère le débat sur la laïcité comme urgent : d’abord, en raison de « pratiques culturelles et religieuses [qui] menacent les droits des femmes »; ensuite, à cause du système en place jugé « relativiste », permettant des dérives qui vont à l’encontre de l’égalité; et, finalement, parce que les valeurs québécoises seraient en péril (Jacquet 2017 : 324-325). En se référant à la typologie de la laïcité de Jean Baubérot et de Micheline Milot (2011), Jacquet mentionne que ce féminisme relève de trois idéaux-types : le premier est la « laïcité autoritaire », selon laquelle l’État doit surveiller et intervenir pour déterminer ce qui est « religieusement acceptable »; le deuxième est la « laïcité antireligieuse », qui associe la religion à l’obscurantisme et toute manifestation de cette dernière à un recul de la modernité; et le troisième est la « laïcité de foi civique », selon lequel la laïcité et les valeurs qui lui sont associées sont vues comme des objets auxquels on doit loyauté, le tout s’incarnant dans un habillement exempt de symboles religieux. Parmi les groupes que Jacquet a catégorisés comme monistes, on trouve Pour les droits des femmes du Québec (PDF-Q) et le Conseil du statut de la femme (CSF).

Le deuxième courant retenu par Jacquet est le féminisme antiraciste. Cette tendance d’orientation postcoloniale « rejette la priorisation de l’égalité des sexes sur la liberté de religion » et « repose sur une critique du racisme dans les débats sur la laïcité » (Jacquet 2017 : 309). Ainsi, on y plaide que le débat autour de la laïcité est factice, la réalité se situant plutôt dans un processus de ressac (backlash) (crise identitaire de la majorité devant le pluralisme) qui occulte les « inégalités systémiques au sein de la société québécoise » et qui aurait pour effet de renforcer les inégalités en général et l’islamophobie en particulier (Jacquet 2017 : 338). La sociologue Leïla Benhadjoudja (2018 : 111) fait aussi la même lecture, postulant que, « bien qu’au Québec ce soit l’argument d’une certaine forme de la laïcité (la républicaine) qui a été avancé pour restreindre le port du voile dans la sphère publique (du moins, pour le moment), ce n’est pas d’un débat sur la laïcité qu’il est question ». La laïcité qui est défendue dans le courant antiraciste est une « laïcité de la reconnaissance », qui accorde priorité à la liberté de conscience et à l’égalité des droits sur la neutralité étatique, dans la mesure où le religieux y est conçu comme partie intégrante de l’identité des individus et des groupes, notamment racisés. Les groupes classés dans cette catégorie sont, entre autres, la Collective des féministes musulmanes du Québec et Idle No More.

Le troisième courant est qualifié de féminisme intermédiaire. Globalement, les groupes désignés comme tels soulignent que les débats sur les accommodements raisonnables et la laïcité sont pertinents en rapport avec la question de l’égalité entre les femmes et les hommes, mais que ces éléments sont loin d’être exhaustifs, et l’on cite d’autres préoccupations, dont le masculinisme et la mondialisation de l’économie (Jacquet 2017 : 348). Sans nier, tout en le déplorant, le contexte de racisme systémique dans lequel se déroulent ces débats sur la laïcité, ils jugent néanmoins que ces derniers sont nécessaires. Selon les analyses de Jacquet, seule la Fédération des femmes du Québec (FFQ) représente cette tendance depuis 2010. La FFQ propose une nouvelle approche de la laïcité, une « laïcité de non-domination », qui recoupe à bien des égards la laïcité de la reconnaissance, par l’accent mis sur le pluralisme et les droits individuels, mais en y articulant une « critique des systèmes de domination imbriqués » (Jacquet 2017 : 428) et donc, intersectionnelle.

Puisqu’il s’agit de tendances, la catégorisation peut détourner l’attention de la diversité interne de ces mouvements. Néanmoins, la typologie de Jacquet permet de situer les points de vue les uns par rapport aux autres mais aussi, comme elle le mentionne, de synthétiser les grandes lignes des débats (Jacquet 2017 : 310). Ce travail en amont sur les conceptions de la religion et de la laïcité nous permettra ainsi de mieux comprendre la diversité des positions féministes concernant la place de l’enseignement de la culture religieuse à l’école.

Nous allons maintenant explorer les prises de position sur la laïcité depuis 2014, notamment sur le projet de loi n° 21 (PL-21), de PDF-Q, du CSF, de la FFQ et de la collective féministe et chrétienne L’autre Parole (AP). Adopté en juin 2019, le PL-21 interdit le port de symboles religieux dans le contexte de certaines fonctions publiques, en particulier dans l’enseignement. Nous verrons que le lien établi par chacun de ces groupes entre laïcité et droits des femmes ainsi que les prises de position sur le port de symboles religieux en milieu scolaire sont en cohérence avec les recommandations respectives qu’ils formulent sur la culture religieuse à l’école. Mentionnons que nous n’avons pas trouvé de publications d’organismes antiracistes sur le programme ECR, ce qui laisse croire que, dans sa forme actuelle, il ne suscite pas d’insatisfaction particulière de leur part.

Les féministes québécoises, la laïcité et le PL-21, après 2014

L’approche moniste/domestique de PDF-Q

La laïcité est synonyme d’avancée en matière de droits des femmes pour les monistes. Cette équation s’avère importante dans le plaidoyer de PDF-Q (2019 : 2) pour le rejet d’une « laïcité ouverte » dans son mémoire sur le PL-21 qui amalgame les avancées des droits des femmes à « l’émancipation progressive des dogmes religieux ». Pour PDF-Q, la laïcité est « nécessaire non seulement pour reconnaître le droit des femmes à l’égalité, mais également pour le protéger » (ibid. : 3). Cela passe notamment par la neutralité des personnes représentant l’État. PDF-Q priorise en effet « la liberté de conscience et de religion de la majorité », et insiste en particulier sur l’importance de ne pas « imposer » aux élèves des expressions de convictions religieuses (ibid. : 11). Ainsi, le port du hijab en milieu scolaire ne serait pas un exemple de liberté de conscience et de religion (LCR) de la femme qui le porte, mais bien une « imposition » d’un symbole sexiste faite aux élèves (ibid. : 13) :

Le message transmis est alors que ce sont les femmes qui doivent éviter de provoquer le désir des hommes. Après #Metoo et la prise de conscience qui s’en est suivie, il devient inacceptable qu’un signe religieux sexiste, car porté uniquement par les femmes, [il] envoie à l’enfant un message que c’est la femme qui serait coupable de susciter les désirs masculins.

Cet exemple illustre la conception domestique de la religion comme obstacle à l’égalité, ainsi que la priorisation accordée aux intérêts collectifs plutôt que particuliers.

Le CSF : une approche hybride, en évolution

Alors que PDF-Q demeure bien ancré dans l’approche domestique/moniste, nous observons un certain déplacement du CSF vers une tendance un peu plus inspirée/intermédiaire. En 2011, l’organisme associe en effet religion et infériorisation des femmes et affirme explicitement que, « à mesure que l’État s’est dissocié de la religion, les femmes ont progressé sur la voie de l’égalité » (CSF 2011 : 12), associant par là directement la séparation de l’Église et de l’État à la conquête de l’autonomisation des femmes, image typique de la conception domestique du religieux. Or, dans son avis sur le PL-21, le CSF (2019) met en avant que d’autres efforts doivent être déployés pour atteindre l’égalité. De plus, alors qu’en 2011 il recommandait la neutralité pour l’ensemble des agentes et des agents de l’État, en 2019 il « reconnaît l’importance de prendre en considération la diversité des points de vue sur la signification du foulard islamique » (ibid. : 12). Un équilibre semble donc recherché ici entre le respect de la LCR pensée pour la « majorité » culturelle, caractéristique des monistes, et celle qui l’est pour les « minorités » du côté des intermédiaires. Ainsi, le CSF propose plutôt de mener « des études et consultations afin de mieux comprendre les effets du port de signes religieux par le personnel scolaire » (ibid. : 11). Ces nuances apportées à l’association laïcité/égalité et la plus grande prise en considération des femmes visées par le port de signes religieux constituent un léger déplacement du CSF d’une position moniste/domestique vers une approche plus intermédiaire/inspirée, tenant compte des subjectivités individuelles. Nous verrons que ces nuances apportées sur la laïcité et le port de symboles religieux en milieu scolaire pendant la période 2011-2019 se transposent également sur les prises de position du CSF au sujet de la culture religieuse de 2016 à 2020.

L’approche inspirée/intermédiaire de la FFQ

Dans son avis sur le PL-21, la FFQ (2019 : 6) précise par ailleurs « [q]u’il est faux d’associer automatiquement religion et oppression des femmes, tout comme il est faux d’associer automatiquement laïcité et égalité entre les hommes et les femmes ». Elle rappelle que des avancées ont été faites parfois contre des personnes croyantes, parfois avec celles-ci, et pose comme principe central « que les femmes doivent avoir le plein contrôle sur leur corps ». Le principe d’agentivité se trouve ainsi au coeur de son argumentaire, tel qu’il apparaît dans l’approche inspirée du religieux. La FFQ s’oppose alors au PL-21 en considérant qu’il « n’est qu’une forme différente d’oppression envers les femmes » (ibid. : 3). Interdire aux femmes de porter des symboles religieux, notamment en milieu scolaire, est pour la FFQ une « suspension des droits et libertés » dont les conséquences touchent en premier lieu des musulmanes, et constituent autant d’embûches à leur cheminement professionnel. Dès lors, l’organisme prône « une laïcité réellement respectueuse des droits des femmes et non [une] laïcité qui prétend émanciper les femmes de la religion malgré elles » (ibid. : 5) et il insiste sur l’importance d’écouter les personnes principalement visées, dont la dignité intrinsèque leur confère le pouvoir d’autodétermination sur elles-mêmes.

Une approche inspirée/interventionniste de l’AP

Critiquant les pratiques sexistes subsistant au sein du christianisme, tout en proposant des relectures féministes de certains récits bibliques, l’AP se situe aussi dans une approche inspirée de la religion, mais développée différemment. Comme les intermédiaires et les antiracistes, l’AP refuse en effet d’associer d’emblée l’égalité et la laïcité. À l’instar des intermédiaires, l’AP considère ensuite le débat sur la laïcité comme nécessaire, tout en jetant un regard plus critique sur la liberté de conscience et de religion. En effet, abordant la laïcité à travers le prisme de ses conséquences sur la majorité de culture catholique, l’AP affirme que « [l’]on ne voit plus la discrimination subie par les femmes dans la religion majoritaire », notamment au sein de l’Église catholique, où l’on permet une discrimination basée sur le genre et l’orientation sexuelle (Couture 2015 : 17). L’AP critique ainsi le principe de séparation entre les sphères étatiques et religieuses, affirmant que cette discrimination est permise uniquement dans les institutions religieuses puisque, selon l’interprétation juridiquement dominante de la LCR, les femmes peuvent quitter leur groupe religieux en tout temps. Les croyantes seraient par conséquent réduites à choisir entre le fait de s’associer à un groupe religieux ou de ne pas être discriminées. Cela en viendrait à brimer les débats sur l’égalité à l’interne et à laisser une place accrue aux fondamentalismes. Les membres de l’AP réclament donc une intervention de l’État, qui pourrait se traduire spécialement par le fait de cesser « d’accorder des privilèges à des groupes religieux qui discriminent les femmes et les personnes homosexuelles » (Philipps 2015 : 38).

Cette perspective plus critique sur la LCR se manifeste aussi dans le fait que les membres de l’AP sont divisées sur la question du port de symboles religieux dans la fonction publique, et ne prennent donc pas officiellement position sur la question (Philipps 2015 : 5).

Les féministes et le programme ECR

Comme nous le verrons, les conceptions de la laïcité soutenues par les féministes québécoises se transposent dans le débat éducatif au sujet du programme ECR. Notons d’entrée de jeu qu’aucun discours féministe ne rejette le volet éthique. Nous constaterons que la conception dite « domestique » de la religion semble associée, chez les féministes monistes, à la proposition de déplacer la culture religieuse vers le programme Histoire et éducation à la citoyenneté, alors qu’une vision dite inspirée se révèle plutôt compatible avec une approche plus critique et féministe de la religion dans le programme ECR.

La conception domestique de la religion et la culture religieuse à l’école

Nous présentons ici une synthèse et une brève analyse des constats et des recommandations formulées par le CSF et PDF-Q à cet égard.

Le CSF (2016)

En 2015, le CSF a entrepris une analyse des manuels scolaires approuvés par le ministère de l’Éducation au primaire et au secondaire pour les programmes ECR et Histoire et éducation à la citoyenneté. Il présente ses constats et conclusions dans un avis intitulé Égalité entre les sexes en milieu scolaire (CSF 2016). En ce qui concerne le programme ECR, le CSF déplore l’absence de perspectives critiques dans la présentation de récits sacrés, considérés, conformément à une lecture essentialiste de la religion, comme « éminemment sexistes », ou encore « des récits fondateurs de sociétés patriarcales » (ibid. : 65). Le CSF regrette aussi que les femmes soient marginales dans l’histoire religieuse, mais il souligne tout de même qu’elles occupent « une place un peu plus importante dans l’histoire religieuse du Québec » (ibid. : 67). Il dénonce également le fait que les inégalités entre les sexes, dont leur exclusion de certains rituels, sont tues. Bref, le CSF estime que « le programme et les manuels d’éthique et culture religieuse ne présentent pas les différentes religions comme des institutions sociales dont les doctrines et les pratiques sont fortement inégalitaires et sexistes » (ibid. : 73).

Le CSF recommande que le Ministère « suggère au personnel enseignant que les contenus culturels utilisés en classe fassent l’objet d’une discussion critique lorsqu’ils comprennent des représentations sexistes » (ibid. : 74). Cela s’inscrit logiquement dans son analyse du matériel scolaire en ce qui a trait au programme ECR. Cependant, alors que le CSF se désole d’une absence de critiques ou de remises en question à propos de la situation des femmes décrites dans les grandes religions, il ne préconise pas de mettre plus en avant l’agentivité des femmes (comme il le fait pourtant en éthique et en histoire), par exemple en offrant des modèles de femmes qui exercent du pouvoir comme Déborah, femme juge et prophétesse dans la Bible, ne suggère pas de présenter des interprétations féministes de ces récits, ni plus largement de mettre en valeur une dimension critique des effets qu’ont eus et que peuvent avoir les dogmes religieux dans la vie des femmes. Le CSF propose plutôt de transférer la culture religieuse au programme Histoire et éducation à la citoyenneté.

Or, en omettant de mettre en scène les femmes elles-mêmes dans leur travail de réflexivité religieuse, le CSF rejoint la tendance domestique qui nie ultimement la liberté de pensée à l’échelle individuelle au profit d’une vision normative de la religion, imposée par la filiation et sertie de liens hiérarchiques traditionnels. En proposant un déplacement de ce savoir scolaire en histoire, le CSF réaffirme aussi l’impossibilité pour la religion d’être traitée rigoureusement autrement que par la discipline historique, certes tout à fait pertinente à son avis, mais pas nécessairement suffisante au regard des enjeux herméneutiques inhérents au contenu du programme ECR. De plus, le CSF (2016 : 73) justifie ce déplacement en considérant que « le programme et les manuels d’éthique et culture religieuse ne présentent pas les différentes religions comme des institutions sociales dont les doctrines et les pratiques sont fortement inégalitaires et sexistes ». Cette prémisse s’inscrit résolument dans une approche domestique de la religion, pour qui cette dernière est un obstacle à l’égalité, et permet probablement de comprendre la raison pour laquelle, en analysant du matériel scolaire, le CSF conclut en remettant en question la pertinence sociale de cet objet d’étude. En effet, alors que des lacunes sont également observées dans les manuels d’histoire, l’organisme ne conteste pas pour autant l’enseignement de la discipline historique.

PDF-Q (2016)

Dans le contexte des activités de PDF-Q, Nadia El-Mabrouk et Michèle Sirois, quant à elles, ont entrepris une analyse de 23 manuels approuvés par le ministère de l’Éducation et de 6 cahiers d’activités destinés au primaire ainsi que d’un document pour la formation initiale de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Elles ont voulu « voir de quelle façon le thème des rapports sociaux entre les sexes et entre les différents groupes culturels était abordé » (El-Mabrouk et Sirois 2016 : 121). Les deux autrices examinent la question du traitement différencié dans les religions. Par exemple, elles déplorent que l’on ne mentionne pas dans le matériel analysé la différence des rôles entre les genres dans l’accès aux fonctions sacerdotales. Elles remarquent aussi qu’il y a nettement plus de photos d’hommes que de femmes lorsqu’il est question de culture religieuse. Si ces critiques méritent que l’on s’y penche, on observe ici également un fossé entre le travail effectué par les autrices sur le matériel scolaire et leur conclusion, suivant laquelle l’approche culturelle ne saurait être conciliable avec une éducation à l’égalité entre les sexes (ibid. : 145). Pour elles, les images de femmes dans les manuels les présentent comme inférieures aux hommes et s’inscriraient dans un programme misant sur la dimension confessionnelle plutôt qu’historique ou sociopolitique. Pourtant, les exemples proposés ne permettent pas de tirer une conclusion aussi radicale, laquelle semble découler de la logique propre à la conception domestique de la religion.

Les autrices déplorent par ailleurs que l’on ne parle ni de dérives sectaires, ni d’excision, ni de châtiments en cas d’adultère à des élèves du primaire. Or, ces sujets sont abordés, selon les ouvrages et les milieux, au secondaire. Par exemple, dans le cahier-manuel « Dialogue » (Bertrand et Dubois 2008), toute une situation d’apprentissage et d’évaluation porte sur le féminisme. On y parle notamment de « l’instrumentalisation de la religion pour contrôler le corps des femmes » (ibid. : 204) et de « la tragédie des femmes sous le régime des talibans » (ibid. : 209). Par ailleurs, « L’avortement » et « Des relations entre les pouvoirs religieux et politiques » figurent parmi les exemples indicatifs mentionnés dans le programme ECR au secondaire.

La forte corrélation « religion-intégrisme » que font les monistes dans l’ensemble de leurs discours sur la religion et la laïcité (Jacquet 2017 : 406) peut donc permettre de comprendre la manière dont, à partir de lacunes dans du matériel scolaire, ces groupes en viennent à la conclusion que la culture religieuse devrait se limiter à une partie du programme d’histoire.

Rappelons que Jacquet a associé le monisme à trois formes de laïcité, soit la « laïcité autoritaire », la « laïcité antireligieuse » et la « laïcité de foi civique ». Les deux premières formes s’incarnent concrètement dans cette recommandation. En effet, la volonté de réduire la culture religieuse à l’école à sa dimension historique, voire de l’effacer, s’inscrit dans la logique du « récit séculariste », concept que Jacquet a emprunté à Janet Jakobsen et Anne Pellegrini (2008), qui présentent une « évolution » linéaire des sociétés occidentales dans laquelle la raison et les droits individuels s’imposent, délogeant de cette manière les religions qui disparaissent progressivement de l’espace public. Jacquet associe les monistes à ce récit. Ainsi, une conception de la religion comme menace à la modernité – et l’association entre laïcité et égalité – peut éclairer cette inquiétude à parler de religion dans un autre registre que celui de la prophylaxie. Ce type d’interprétation, abordant la religion à travers la lorgnette de la domination (patriarcale, postcoloniale ou autre), est d’ailleurs typique des lectures à tendance domestique, qui traitent de la religion d’un point de vue décontextualisé, sans tenir compte des négociations possibles avec les fluctuations du réel (Mayer 2001). Par exemple, El-Mabrouk et Sirois (2016 : 145) estiment que « l’école devrait plutôt prémunir les jeunes contre des rituels rétrogrades qui sont pratiqués au nom de la religion, et qui portent atteinte à l’intégrité morale ou physique des enfants ». Par conséquent, cette recommandation radicale, en ce qu’elle dénigre unilatéralement le phénomène religieux en lui-même, nous semble plus idéologique qu’ancrée dans les besoins de formation issus de la réalité que les autrices analysent elles-mêmes.

La conception inspirée de la religion et la culture religieuse à l’école

Nous présenterons ci-dessous les discours associés à la conception provenant de la FFQ et de l’AP. Nous verrons que le CSF a réexaminé des éléments de sa réflexion sur la place de la culture religieuse à l’école en 2020, comme il l’avait fait sur la question plus large de la laïcité. En considérant les éléments de rupture et de continuité entre les propositions faites en 2016, nous observerons que le plus récent mémoire du CSF le repositionne dans une approche plus inspirée qu’intermédiaire en 2020.

La FFQ (2013)

À notre connaissance, la FFQ n’a pas produit d’avis lors de la consultation sur le programme ECR, mais elle recommandait ceci en 2013 :

[I]nclure dans les cours d’éthique et cultures religieuses [sic] dispensés dans les écoles une perspective féministe critique des différents dogmes religieux et l’ajout de l’enseignement de l’athéisme […] Le réseau public doit être un lieu où les jeunes apprennent le « vivre ensemble » et développent un regard critique sur leur monde.

La FFQ ne souhaite donc pas retrancher le volet « culture religieuse » du programme ECR : elle propose qu’une perspective critique, notamment féministe, soit incluse dans son enseignement. Cela se présente aussi de façon cohérente avec la conception inspirée de la religion, qui priorise la liberté de conscience des personnes qui croient et vivent la religion selon diverses modalités. La FFQ rejoint ainsi la proposition consistant à instaurer une « laïcité sans domination », qui nécessite une perspective critique de toutes les formes potentielles d’oppression, dont la religion.

L’AP (2009)

En 2009, un numéro spécial du bulletin L’autre Parole a porté sur le programme ECR. On y trouve, entre autres, un survol historique du programme, quelques analyses féministes du matériel scolaire au secondaire et des récits de pratique. Les commentaires sur la place des femmes dans le programme ECR et dans le matériel sont plus abondants et variés que ceux de PDF-Q et du CSF. En effet, si des lacunes sont notées relativement à une éducation à l’égalité en culture religieuse, on relève également de bons coups. Par exemple, on remarque, dans un cahier du primaire, que peu de femmes jouent le rôle de guides spirituelles (Deschamps 2009 : 23), mais on salue par ailleurs la présence d’un chapitre sur le féminisme et une mise en valeur des femmes à l’intérieur du matériel didactique du programme ECR créé pour le secondaire (Dumais 2009 : 37-38). Bref, sans nier les défis que pose ce programme, et en relevant des améliorations à apporter à certains manuels, l’AP porte un regard global favorable sur la culture religieuse à l’école, considérée comme un savoir essentiel en contexte pluraliste (Bernatchez 2009 : 28).

Un changement de cap pour le CSF (2020)

À la suite de la consultation sur la réforme du programme ECR, le CSF a produit un mémoire intitulé L’égalité entre les sexes : un incontournable du programme Éthique et culture religieuse (2020). Mentionnons que les membres du CSF, ainsi que l’équipe de recherche et de rédaction, ont changé. Pour ce mémoire, le CSF a pris appui sur le programme ECR et les documents produits par le MEES à l’occasion de la consultation menée en 2020, sur ses propres travaux antérieurs, ainsi que sur des documents de spécialistes de la discipline, dont le mémoire du Département de sciences des religions de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), un ouvrage scolaire pour l’enseignement du programme ECR intitulé Le féminisme (Bertrand et Dubois 2014) et le mémoire produit par l’Association québécoise en éthique et culture religieuse[2]. Nous émettons l’hypothèse que cette prise en considération de la littérature a favorisé une reconnaissance du potentiel émancipateur d’un enseignement de la culture religieuse donné par des spécialistes grâce à sa possible dimension critique.

Par exemple, si les recommandations concernant le matériel et la formation des enseignantes et des enseignants demeurent, il n’est plus question de transférer ce contenu disciplinaire dans les cours d’histoire : on propose plutôt de continuer sur le chemin concerté ayant mené à l’implantation du programme ECR afin de favoriser un meilleur vivre-ensemble dans toute société pluraliste (CSF 2020 : 17). Un éclairage féministe est estimé possible dans l’enseignement de la culture religieuse, même essentiel. On peut donc parler d’un tournant « inspiré » du CSF.

En guise de synthèse

Ainsi, les quatre principes de la laïcité énoncés dans le PL-21 sont objet d’interprétations diverses. Si tous les groupes féministes posent au coeur de la réflexion sur la laïcité l’égalité individuelle et entre les genres, ils s’appuient différemment sur les trois autres principes que sont la neutralité, la séparation entre l’Église et l’État de même que la liberté de conscience et de religion (Milot 2002). Ces priorités reposent sur les conceptions de la religion de chaque groupe et s’avèrent cohérentes par rapport aux positions relatives au programme ECR. Le tableau suivant présente une mise en parallèle des conceptions de la religion, des principes de la laïcité priorisés et l’enseignement de la culture religieuse à l’école.

Positionnements des groupes féministes sur l’enseignement de la culture religieuse à l’école

Positionnements des groupes féministes sur l’enseignement de la culture religieuse à l’école

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Pour PDF-Q, tout comme pour le CSF en 2011 et en 2016, l’atteinte de l’égalité des genres nécessite de reléguer la religion dans la sphère privée, notamment par l’imposition d’une neutralité de toute personne représentant l’État, y compris à l’école, afin de « protéger » les élèves. Cet argumentaire s’appuie implicitement sur une conception domestique de la religion selon laquelle cette dernière « s’impose » de l’extérieur à l’individu. La position de PDF-Q et du CSF endosse aussi la critique civique de la même approche qui considère que les personnes, en tant que membres d’un espace public commun, doivent consentir à sacrifier leurs attachements particuliers au nom d’intérêts supérieurs communs.

Pour la FFQ, l’égalité est pensée à l’aide de deux repères, soit l’agentivité, présente dans la conception inspirée de la religion, et l’intersectionnalité. Cela se traduit par une plus grande importance accordée au principe de la LCR, qui non seulement implique de laisser les personnes visées définir le sens qu’elles accordent notamment aux symboles religieux et à leur expérience religieuse, mais aussi de considérer les effets des interprétations de la laïcité sur les groupes minoritaires. Ainsi, pour la FFQ, interdire le port de symboles religieux à l’école constitue un obstacle inacceptable à l’épanouissement professionnel de femmes, principalement des musulmanes portant le hijab, ce qui va à l’encontre de la primauté accordée à la subjectivité individuelle propre à l’approche inspirée de la religion.

Par ailleurs, nous avons vu que l’AP est un groupe s’inscrivant aussi dans une approche inspirée de la religion, mais selon une perspective plus critique de la LCR et abordant les effets de celle-ci sur la majorité de la population de culture catholique. Remettant en question le principe de séparation, soit la non-intervention de l’État dans le domaine religieux et vice-versa, elles plaident en quelque sorte que le « privé est politique », ce qui vient ébranler la frontière étanche construite historiquement entre l’espace privé et l’espace public. Elles soutiennent par conséquent que l’État doit appuyer l’égalité des genres au sein même des groupes religieux plutôt que de s’en tenir à une stricte « séparation », qui risque de valider indirectement une vision patriarcale et passéiste de la religion. Réclamant plus d’intervention de l’État dans le domaine religieux afin d’y faire appliquer les droits des femmes, elles misent aussi sur l’agentivité de ces dernières au sein de leurs traditions respectives afin de faire progresser leurs droits. Rappelons que les membres de l’AP sont partagées sur la question du port de symboles religieux à l’école. Par ailleurs, nous avons vu que le récent déplacement du CSF lui fait tenir des propos plus nuancés sur cette question, ce qui suggère de faire des études avant de se positionner.

Les regards féministes favorables à l’enseignement de la culture religieuse à l’école ont ainsi en commun le fait de ne pas aborder a priori la religion comme des univers de croyances et de pratiques clos ou homogènes. Ils focalisent plutôt sur l’agentivité des croyants et des croyantes (FFQ) de même que sur les relations dynamiques entre les personnes et les groupes évoluant à l’intérieur de ces traditions en mouvement (AP). Ne considérant pas les religions comme figées dans le temps, misant sur l’autodétermination des personnes croyantes et valorisant la recherche de la liberté individuelle à l’intérieur ou à l’extérieur d’une tradition religieuse, ces groupes estiment que l’éducation devient une clé incontournable en vue de la conquête ou de l’approfondissement de l’égalité. C’est pourquoi, malgré des perspectives différentes sur la LCR, la FFQ, l’AP et le CSF justifient la pertinence de la culture religieuse à l’école, à la condition qu’elle fasse place à une approche féministe du religieux.

Les groupes porteurs d’une vision domestique de la religion insistent plutôt sur l’importance de protéger les élèves de la religion, notamment de ces symboles que l’on veut interdire des milieux scolaires, de les mettre en garde contre les religions et le sexisme qui leur serait inhérent. Autrement dit, on désapprouve les représentations jugées sexistes des femmes présentées dans le matériel recueilli, mais on ne recommande pas de mettre en lumière des interprétations plus critiques au sein des mêmes religions parce que, dans cette vision, la religion n’est pas d’abord une affaire de conscience individuelle, mais bien d’ancrage historique et institutionnel.

Conclusion

En guise de conclusion, nous proposons deux pistes concrètes, selon un point de vue pédagogique, pour surmonter l’apparent clivage opposant les courants féministes présentés sur la culture religieuse à l’école qui porte respectivement sur le matériel didactique ainsi que sur la formation initiale et continue. Rappelons que les principales critiques sur le matériel scolaire concernent le volet « Culture religieuse ». C’est le Bureau d’approbation du matériel didactique (2010) qui procède à l’évaluation du matériel scolaire en fonction de différents critères, notamment centrés sur les aspects pédagogiques, linguistiques et socioculturels. Deux principes guident ce dernier aspect, soit « l’égalité entre les hommes et les femmes » de même que « la représentation de la diversité socioculturelle ». Ce processus, par sa rigueur et la pertinence de ses critères, a sans doute contribué aux résultats positifs énoncés pour le volet « Éthique » par El-Mabrouk et Sirois (2016). À la lumière de cette analyse, nous estimons cependant qu’il faut réfléchir aux représentations dans le contexte spécifique de la culture religieuse. Par exemple, il conviendrait de se pencher sur la manière de rendre visible la diversité interne des traditions religieuses ou de présenter des mouvements féministes qui existent dans chacune d’elles. Cette recommandation permettrait de répondre à certaines lacunes mises en évidence et ainsi d’éviter la transmission de visions stéréotypées, objectif faisant généralement consensus chez les féministes de tout acabit.

Enfin, sur un plan plus pédagogique, Collet (2018) propose un cours à option de 30 heures portant sur le genre en éducation et en formation, intitulé « Éthique et cultures religieuses », proposé en enseignement du primaire à l’Université de Genève, en Suisse, pays qui est d’ailleurs reconnu pour l’enseignement d’un cours analogue à celui du programme ECR. Les prises de conscience qu’on y suggère apparaissent essentielles pour la formation des enseignantes et des enseignants du primaire, et tout autant pour les spécialistes du secondaire, peu importe leur discipline. Rappelons que cet exercice de réflexion sur l’éducation à l’égalité entre les genres ne concerne évidemment pas que l’enseignement du programme ECR : il est aussi hautement utile dans toutes les disciplines et approches pédagogiques.