Article body

1. La nécessité de mieux comprendre la planification pour une diversité de besoins

Dans la foulée du mouvement vers la démocratisation scolaire au Québec, les instances gouvernementales désirent soutenir la réussite et l’accès à une scolarisation de qualité pour tous les élèves qui fréquentent le système public (Goupil, 2014 ; Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007 ; Ministère de l’Éducation du Québec, 1999 ; Tardif et Levasseur, 2010). Par conséquent, dans ce projet, l’école doit tenir compte de la grande diversité de besoins pour apprendre des élèves. Ces besoins résultent de l’interaction entre la situation d’apprentissage (le contexte et ses exigences) et les différences avec lesquelles les élèves abordent cette situation d’apprentissage (par exemple sur le plan des rythmes et des niveaux d’apprentissage variés, des diverses caractéristiques individuelles, voire de la facilité à donner un sens aux savoirs scolaires et à s’approprier la culture de l’école). Toutefois, comme le démontrent certaines études en inclusion scolaire, la composante didactique soulève des défis importants pour les enseignant⋅e⋅s et des réticences (Bergeron, 2014 ; Granger, Debeurme et Kalubi, 2013 ; Rousseau et Thibodeau, 2011). Cette situation n’étonne pas, si l’on considère que tenir compte de la diversité des besoins exige de remettre en question la manière dont on planifie l’enseignement, un objet de la pratique enseignante fort complexe.

En effet, la planification de l’enseignement constitue un acte de création qui relève davantage de la résolution de problèmes, similaire au travail de l’architecte, du designer ou du médecin (Jalongo, Rieg et Helterbran, 2007 ; Perrenoud, 2010 ; Tochon, 2000 ; Viau, 1993 ; Wanlin, 2009). Elle ne peut se réduire à une somme de décisions séquentielles ; ce processus continu aux frontières nébuleuses suppose de prendre des décisions dans un contexte incertain et changeant, alors qu’aucune solution exacte n’est possible. Également, planifier suppose de prendre des décisions qui ne sont pas anodines puisqu’elles sont prises en fonction de contraintes programmatiques, didactiques et temporelles ; cela demande d’assurer un rapprochement entre la projection et la réalité, un resserrement entre le programme prescrit, enseigné et appris (Dufays, Bouhon, De Kesel et Plumat, 2013 ; Hong et Choi, 2011 ; Philippe, 2010 ; Tardif et Lessard, 1999 ; Wanlin, 2010). Ceci en fait d’ailleurs un aspect de la pratique enseignante porteur d’enjeux majeurs, enjeux plus prononcés s’il est question de considérer la diversité des besoins des élèves. Malgré cela, des représentations réductrices de cet acte perdurent (comme l’association avec des plans linéaires et figés ne permettant pas d’improviser et de s’adapter à la réalité des classes) (Jalongo, Rieg et Helterbran, 2007 ; Maulini et Vellas, 2003), et cet aspect de haut niveau de la pratique enseignante demeure peu étudié et peu développé explicitement, tant en recherche qu’en formation des enseignant⋅es (Dufays et coll., 2013 ; Lenoir, Maubant, Lebrun, Zaid, Lacourse, Araújo-Oliviera et Habboub, 2011 ; Maulini et Vellas, 2003 ; Scheepers, 2013).

Planifier pour une diversité de besoins constitue donc un objet de recherche qui porte sur un aspect complexe de la pratique enseignante nécessitant d’être mieux compris et élucidé. Afin d’appréhender les divers aspects de la pratique enseignante, certains sont d’avis qu’il vaut mieux chercher à saisir les systèmes de prise de décision et les rationalités des enseignant·e·s en situation (Bru, 2004  ; Bru et Talbot, 2001 ; Lenoir et coll., 2011 ; Lenoir et Vanhulle, 2006). En accord avec ce postulat, cet article rend compte de résultats issus d’une recherche collaborative permettant d’illustrer, d’une part, le rôle que joue l’analyse des besoins des élèves dans le cheminement intellectuel d’enseignant·e·s lors de la planification de l’enseignement pour une diversité et, d’autre part, les tensions qu’ils vivent dans ce processus.

2. Contexte théorique de la planification de l’enseignement

Différentes recherches et divers ouvrages de référence abordent la planification de l’enseignement, permettant ainsi de mieux comprendre cet aspect de la pratique enseignante. La consultation des écrits permet de distinguer au moins quatre approches aux frontières perméables. Certains écrits envisagent la planification comme un acte de design et d’ingénierie de formation. L’accent y est mis sur les étapes qui jalonnent le processus de conception d’une formation (parfois en ligne ou à distance), passant de l’analyse des besoins à l’évaluation du dispositif (Dick et Carey, 1996 ; Morrison, Ross, Kalman et Kemp, 2013 ; Paquette, 2004). D’autres écrits se centrent sur la planification de leçons et l’ingénierie pédagogique. Ils s’intéressent à la conception de périodes d’apprentissage en fonction d’un but, dans un laps de temps donné (souvent une leçon), tout en prévoyant l’évaluation de la réussite des élèves (McTighe et Wiggins, 2004 ; Schoenfeldt et Salsbury, 2009 ; Serdyukov et Ryan, 2008). Certains écrits abordent plutôt la planification sous l’angle de la conception d’activités qui assurent l’accès aux apprentissages à tous, entre autres par une analyse des besoins des élèves, ainsi que des obstacles pouvant les empêcher de progresser, approche que l’on associe au design universel (Meo, 2008 ; Meyer, Rose et Gordon, 2014 ; Rao, Ok et Bryant, 2014). Finalement, des écrits abordent les pensées planificatrices des enseignant·e·s et le design thinking et se focalisent sur le processus décisionnel et de résolution de problèmes propre à la planification (Altet, 2009 ; Hong et Choi, 2011 ; Tracey, Hutchinson et Grzebyk, 2014 ; Wanlin, 2009).

Puisant dans les constats des approches décrites ci-dessus, cette étude envisage à priori la planification de l’enseignement dans une démarche globale et comme un processus réflexif, décisionnel et de résolution de problèmes (Dufays et coll., 2013 ; Jalongo et coll., 2007 ; Tracey et coll., 2014 ; Wanlin, 2009). Il s’agit entre autres du caractère intellectuel et décisionnel de l’acte plutôt que du seul produit de la planification. En effet, les traces écrites reflètent rarement la totalité des décisions prises par les enseignant⋅e⋅s. La figure 1 illustre ce mouvement cyclique qui reprend les trois phases du processus de résolution de problèmes.

Figure 1

Dynamique décisionnelle et de résolution de problèmes de la planification de l’enseignement (adapté de Bergeron, 2016)

Dynamique décisionnelle et de résolution de problèmes de la planification de l’enseignement (adapté de Bergeron, 2016)

-> See the list of figures

Au départ, la planification est représentée comme étant réalisée à partir d’une analyse et d’une interprétation personnelles de la situation, ce qui met en évidence son caractère personnalisé et contextualisé (Hong et Choi, 2011 ; Tardif et Lessard, 1999 ; Wanlin, 2009). Cet attribut est représenté à gauche dans la figure 1 par l’influence que peuvent exercer les représentations et théories personnelles dans la dynamique décisionnelle. D’ailleurs, la définition du problème dépend de multiples impératifs auxquels les enseignant⋅e⋅s choisissent d’accorder de l’attention. La planification est considérée dans cette étude comme un processus duquel résulte un plan général qui demeurera flexible et sujet aux ajustements, ce qui met en lumière le caractère dynamique du processus de planification (Altet, 1993, 2009 ; Tochon, 2013). En effet, le travail d’anticipation gagne à prévoir de « ne pas être suivi à la lettre » puisque l’enseignement comporte une grande part d’improvisation et d’adaptation (Reuter, Cohen-Azria, Daunay, Delcambre et Lahanier-Reuter, 2013 ; Tochon, 2013). Ces constats de base représentent l’acceptation initiale de la planification de l’enseignement à partir de laquelle les données ont été écoutées et l’analyse a été réalisée (comme envisagé dans le type d’analyse des données priorisé dans cette étude).

3. Méthodologie : une recherche collaborative

Puisqu’elle cherchait à interpréter et à comprendre en profondeur un phénomène de même que le sens que les participants y donnent, l’étude dont il est question dans cet article s’inscrit dans un paradigme compréhensif et interprétatif comprenant différentes méthodologies (Paillé et Mucchielli, 2012 ; Savoie-Zajc, 2011 ; Savoie-Zajc et Karsenti, 2011). Il s’agit d’une recherche collaborative qui relève de la tradition s’étant amorcée au sein du contexte éducatif nord-américain dans les années 1990, principalement à partir des travaux de Desgagné et de Bednarz (Anadón, 2011 ; Bednarz, 2013). Cette démarche cherche à produire, « avec » les praticiens, des connaissances sur la pratique enseignante, plus spécifiquement sur la rationalité des enseignant·e·s en action (Bednarz, 2013 ; Desgagné, 2007 ; Desgagné et Bednarz, 2005).

3.1 Les acteurs de l’espace réflexif et le contexte de l’étude

L’étude a réuni trois enseignantes de première année du troisième cycle du primaire (élèves d’environ 11 ans) ainsi que le comité de direction (composé de la directrice d’établissement, présente à deux des cinq rencontres, et de la directrice adjointe responsable de ce cycle, présente tout au long du processus de recherche). Ce groupe de participants a été recruté selon un échantillonnage de convenance et ne visait donc pas la représentativité. Les trois enseignantes considéraient devoir composer avec une diversité d’élèves et de besoins dans leurs classes. Rappelons que le système scolaire québécois fait le choix de privilégier l’intégration scolaire en classe ordinaire dans le contexte le plus naturel possible, incite à accepter que la réussite puisse se traduire différemment selon les capacités et les besoins et encourage à adapter les services, les approches pédagogiques et le matériel pour les élèves handicapés ou en difficulté. À titre d’exemple, pour un nombre moyen de 25 élèves par groupe-classe, 12 bénéficiaient d’un plan d’intervention. Les trois enseignantes étaient formées en éducation préscolaire et en enseignement primaire et elles possédaient entre 14 et 25 années d’expérience dans le domaine de l’enseignement au moment du projet de recherche.

3.2 La production des données et le déroulement

Une zone d’argumentation et de négociation a été mise en place pour faire apparaitre un certain code de pratique de même que le sens que les praticiens donnaient à ce code (Bednarz, 2013 ; Desgagné, 2001). Elle a pris la forme d’une communauté d’apprentissage (Dionne, Lemyre et Savoie-Zajc, 2010 ; Fontaine, Savoie-Zajc et Cadieux, 2013). Les outils de réflexion collective ont été utilisés à titre d’outils méthodologiques, les activités réflexives devenant ainsi le lieu de collecte de données (Bednarz, 2013 ; Bourassa, Bélair et Chevalier, 2007). Pour soutenir l’explicitation, la démarche de recherche a été ponctuée d’activités réflexives d’analyse de pratiques animées à l’aide de techniques de verbalisation de l’action, dont la réflexion partagée (Forget, 2013 ; Tochon, 1996), le dialogue pédagogique (Forget, 2013  ; Le Poul, 2002 ; Murzeau, 2002) et le schéma d’action (Sonntag, 2002, 2004). À cinq rencontres collectives d’une demi-journée s’est ajouté un entretien final semi-dirigé d’une heure avec chacune des participantes, ayant aussi recours au schéma d’action. Le tableau 1 présente les techniques de verbalisation, les intentions poursuivies ainsi que des exemples de questions ayant pu être posées.

Tableau 1

Techniques de verbalisation selon les intentions poursuivies et exemples de questions

Techniques de verbalisation selon les intentions poursuivies et exemples de questions

-> See the list of tables

Cette étude s’est déroulée sur une année scolaire selon les trois phases habituelles de la recherche collaborative, soit la cosituation (les partenaires s’entendent sur l’objet et les modalités de la recherche), la coopération (la coconstruction du savoir) et la coproduction (la mise en lumière de connaissances accessibles et reflétant à la fois le monde de la pratique et le monde de la recherche) (Bednarz, 2013 ; Desgagné, 2007).

3.3 Les opérations d’analyse des données

Le corpus de données (les transcriptions des enregistrements audios des discussions) a été traité selon le processus d’analyse qualitative à l’aide des catégories conceptualisantes, approche d’analyse issue de la tradition de la théorisation ancrée initiée par Glaser et Strauss dans les années 1960 (Paillé et Mucchielli, 2012). En s’inspirant des procédures et des principes suggérés par Paillé et Mucchielli (2012), mais aussi par Guillemette et Lapointe (2012) et par Plouffe et Guillemette (2012), qui abordent l’opérationnalisation de théorisation enracinée, trois grandes opérations se sont imbriquées de manière circulaire lors de l’élaboration de la proposition théorique : le codage et l’élaboration du système catégoriel, le processus de réduction et le resserrement analytique, ainsi que la mise en relation par la modélisation et l’écriture. Suivant le cycle itératif de la recherche qualitative/interprétative et le caractère émergeant de ce design de recherche, les données ont été analysées au fur et à mesure que les rencontres se déroulaient. Il était alors possible d’effectuer une validation par le terrain afin de s’assurer de l’adéquation entre les résultats d’analyse et ce que vivaient les personnes qui expérimentaient le phénomène (Plouffe et Guillemette, 2012), confirmant ainsi les résultats et leur assurant une certaine crédibilité (Savoie-Zajc, 2011). Une mise à l’épreuve constante prenant la forme d’une démarche d’inspection, toujours afin de s’assurer de l’adéquation entre ces ébauches théoriques et la réalité empirique (basée sur l’idée de Guillemette et Lapointe, 2012), a aussi permis d’assurer la validité interne. Finalement, un exercice visant à confronter ces constats en ayant recours à deux reprises à un « ami critique » cherchait, quant à lui, à assurer la crédibilité des résultats (Savoie-Zajc, 2011).

3.4 Des considérations éthiques

Conformément à ce qui est exigé par le comité d’éthique, les participants ont été informés des objectifs de la recherche, des tâches associées à la participation volontaire au projet et de la manière dont serait assurée la confidentialité. Lors d’une rencontre préalable, une lettre d’information et un formulaire de consentement leur ont été présentés et ont été signés. À tout moment, les participants pouvaient se retirer du projet sans préjudice. La confidentialité des participants a été respectée dans la mesure où les extraits des discussions ont été associés à des codes numériques.

Jusqu’à la toute fin du processus, les participants ont été informés des résultats de la recherche par la validation constante par le terrain qui a été réalisée. Des écrits vulgarisés à caractère professionnel sont à prévoir et seront acheminés aux participants.

4. Résultats

Décrits ici très brièvement, les résultats permettent d’illustrer le rôle que joue l’analyse des besoins des élèves dans le cheminement intellectuel d’enseignant⋅e⋅s lors de la planification de l’enseignement pour une diversité de besoins ainsi que les tensions qu’ils vivent dans ce processus.

4.1 Des divergences d’opinions sur le moment privilégié pour analyser les besoins

Les résultats soulignent que les enseignantes n’envisagent pas nécessairement d’analyser les besoins des élèves au même moment, dans la dynamique décisionnelle. Il semble possible d’envisager les démarches planificatrices à travers la seule association entre les contenus à aborder, les tâches à proposer ou à développer et le temps imparti :

La première affaire, c’est le contenu. On regarde les objectifs qu’on a à voir, et à partir de là, dans ce laps de temps, qu’est-ce qu’on peut voir. Puis, on regarde les moyens qu’on peut [utiliser], des activités qu’on peut monter.

R1-L390

Il est aussi apparu que lorsque les enseignantes envisagent de façon plus large la planification en englobant une réflexion consciente sur les besoins des élèves, cette analyse se révèle parfois plus logique à rebours, à partir des tâches proposées. Ainsi, plutôt que de s’appuyer sur une analyse préalable des besoins des élèves, il semble plus naturel pour certaines enseignantes de s’appuyer sur des tâches existantes pour analyser les obstacles potentiels à l’apprentissage et de tenter d’ajuster ces tâches aux besoins des élèves, analysés à rebours : [Tu] ne pars pas de rien ! Il y a des choses […] déjà faites, puis que tu ajustes. Puis tu rajoutes quelque chose des fois, tu l’enlèves, selon les besoins, les circonstances des élèves. (R5-L27)

Ainsi, les pensées planificatrices oscillent entre deux grandes orientations : soit elles traduisent une analyse préalable ou à rebours des besoins des élèves, soit cette analyse est évacuée des pensées planificatrices. Ces orientations sont représentées dans la figure 2, au centre.

Figure 2

Analyse des besoins des élèves dans la dynamique décisionnelle et de résolution de problèmes lors de la planification de l’enseignement (adapté de Bergeron, 2016)

Analyse des besoins des élèves dans la dynamique décisionnelle et de résolution de problèmes lors de la planification de l’enseignement (adapté de Bergeron, 2016)

-> See the list of figures

Le fait de ne pas envisager les élèves et leurs besoins au moment de la planification s’associe au choix de s’y ajuster pendant les tâches et la réalisation de la programmation didactique. Cette logique pousse les enseignantes à surtout adopter une posture dite réactive, au sens où elles prévoient réagir aux besoins qui émergeront : Ton besoin, je ne pense pas que tu le planifies au début. Tu vas l’apprendre… […] C’est de l’ajustement ! L’enseignement, c’est ça. (R4-L1053)

À l’inverse, le fait d’envisager au préalable une réflexion sur les élèves et leurs besoins donne lieu à une posture dite proactive, au sens où elle est orientée vers le futur et la prévision de problèmes et de leurs solutions. Cependant, les résultats mettent aussi en évidence que la logique proactive ne peut être suffisante en soi, puisque les enseignant·e·s ne peuvent tout prévoir. La directrice synthétise très bien cette complémentarité dynamique à la fin du processus collaboratif :

Il y en aura toujours, du réactif. Tu ne peux pas tout prévoir. Tu ne peux pas tout planifier, tout envisager, tout anticiper. Mais quand tu es obligé de réagir sur le moment parce que telle intervention, tu n’y avais pas pensé... […] garde-toi des traces écrites pour que justement, l’an prochain, tu sois encore plus planifié.

RI-1195

De plus, les résultats permettent de comprendre que l’ajustement aux besoins des élèves dans l’action (une gestion plus réactive de la diversité) exige un réajustement plus constant de la programmation temporelle. Les participantes démontrent être à la recherche de solutions en planifiant à plus court terme, tout en ayant une vue d’ensemble : On dirait que dans les dernières années, j’ai besoin d’y aller aux semaines. J’ai tellement d’ajustements ! (R1-L633)

Ainsi, la place que les enseignantes accordent à l’analyse des besoins lors de la planification joue aussi un rôle dans la manière dont elles réfléchissent à leurs intentions pédagogiques. Deux logiques se manifestent : l’une centrée sur les moyens (ce que l’enseignant·e fait avec un contenu, les tâches que les élèves réalisent) et l’autre centrée sur les fins poursuivies (ce que les élèves apprendront, comprendront et seront capables de faire en lien avec un contenu). Cette deuxième logique ouvre plus naturellement la porte à une analyse des élèves et de leurs besoins pour apprendre.

4.2 Les différents angles d’analyse des besoins des élèves

Les résultats démontrent que le regard que les enseignantes portent sur les élèves implique un angle d’analyse privilégié pour choisir les besoins auxquels elles décident de répondre. En effet, cette analyse s’inscrit parfois dans une démarche globalisante d’identification des besoins du groupe-classe en général. Cette démarche est globalisante au sens où les enseignantes envisagent l’ensemble comme une entité en soi (besoins de groupe, une fois trente élèves). Cerner les besoins de cette entité correspond à ce que les participantes nomment prendre lepouls du groupe. Comme la directrice le mentionne, l’idée est d’éviter de multiplier les interventions pour plutôt miser sur des solutions qui vont répondre aux besoins de plusieurs élèves à la fois. À l’inverse, un autre angle servant à analyser les besoins des élèves et à prendre des décisions pédagogiques est plutôt associé à une démarche individualisante (besoins individuels des élèves, trente fois un élève). Dans le cas des participantes, cette démarche est fortement associée à l’idée de répondre aux besoins des élèves en difficulté. À cela s’ajoute la prise en compte des besoins couramment rencontrés par les jeunes à partir de leurs représentations de l’apprentissage en général ou encore de l’apprentissage d’un contenu en particulier grâce à une analyse des obstacles didactiques (par exemple, les élèves ont généralement besoin de…). En plus de s’appuyer sur des besoins courants pour prendre des décisions pédagogiques, les enseignantes se basent aussi sur des besoins spécifiques au groupe-classe et aux élèves auxquels elles enseignent (par exemple, ce groupe d’élèves a besoin de…, ces quelques élèves ont besoin de…, cet élève a besoin de…). Dans ce cas-ci, leur interprétation dépend non pas de leurs représentations, mais de leurs démarches plus systématiques d’identification de ces besoins.

4.3 Des considérations pragmatiques qui dépassent les besoins perçus

Les résultats mettent en évidence qu’au moment de planifier, les enseignantes ont des considérations pragmatiques qui font office de filtre et qui influencent leur choix d’avoir ou non recours aux stratégies pédagogiques, et ce, au-delà des besoins des élèves qu’elles perçoivent. En ce qui concerne les participantes à ce projet de recherche, elles ont pris en considération l’accessibilité des stratégies pédagogiques et la facilité à les intégrer (par exemple, le temps de développement de matériel qu’elles exigent, les habitudes et les particularités du domaine d’apprentissage), les attitudes et les habiletés requises chez les élèves (par exemple, l’autonomie nécessaire au fonctionnement en plans de travail, une gestion de classe bien installée nécessaire au fonctionnement en ateliers) et l’efficacité dans l’accompagnement des apprentissages des élèves (par exemple, le fonctionnement en plans de travail permettant un accompagnement individuel, l’augmentation du soutien, qui a des limites si tous les élèves en ont besoin).

4.4 L’exigence de réfléchir et d’analyser

L’analyse des besoins des élèves au moment de planifier l’enseignement exige un temps de réflexion de la part des enseignantes qui est porteur d’une certaine lourdeur pour elles. En effet, ces dernières expriment le besoin que le temps qu’elles investissent soit rentable dans l’immédiat, comme si elles éprouvaient un sentiment d’urgence d’agir qui se traduisait par une certaine résistance au temps nécessaire pour une réflexion consciente au sujet des besoins des élèves. De plus, certaines considèrent que l’enseignement est une profession d’essais et d’erreurs et que les choix pédagogiques n’ont pas besoin d’être constamment appuyés par une réflexion préalable. Malgré cela, le désir de prendre le temps de réfléchir davantage se manifeste aussi : Je trouve ça le fun qu’on ait fait ça parce que ça me fait réfléchir et je trouve qu’en enseignement, on n’a pas de temps pour ça. On ne le fait pas souvent ; on passe par-dessus des choses. (R1-L1173)

4.5 La difficulté d’adopter une approche consciente et rationnelle

Analyser les besoins des élèves et faire des choix pédagogiques en fonction de ceux-ci suppose d’adopter une approche consciente et rationnelle. Or, les résultats de cette étude mettent en lumière un accès difficile au raisonnement conscient des enseignantes, qui peinent à nommer tant leur registre d’action (choix pédagogiques) que les raisons de leurs actions. En effet, elles ont souvent recours à des décisions pédagogiques qu’elles ont l’habitude de prendre, décisions qu’elles arrivent parfois à fonder sur un certain raisonnement à postériori, mais qui semblent si intégrées qu’elles ont le sentiment d’y avoir recours sans en être conscientes. Cette situation les amène d’ailleurs à avoir le sentiment d’être intuitives et d’improviser, sans avoir réellement planifié et pris ces décisions au préalable. Le processus de recherche a permis aux participantes de prendre conscience qu’elles planifient plus qu’elles le pensaient, et donc que plusieurs décisions planificatrices sont prises sans qu’elles soient de l’ordre du conscient :

Quand je le regarde comme ça, je m’aperçois qu’on dirait que je le planifie et que je ne m’en rends pas compte. Parce que tu m’aurais posé la question… Je suis tellement… Je sais où je m’en vais, c’est comme imprégné, donc on dirait que c’est planifié, mais c’est comme pas planifié.

RI-L949

Cela n’est peut-être pas étranger au fait que la planification se produit à tout moment, qu’il s’agisse d’une période libre, d’instants d’éveil dans la nuit ou encore de moments sur la route du matin.

4.6 La gestion du temps coincée entre collectivité et singularité

L’alternance entre une démarche globalisante et une démarche individualisante dans l’analyse des besoins des élèves amène les enseignantes à partager leur attention entre ces deux entités (les élèves ou l’élève). Ce processus suppose de prendre position quant au rôle qu’elles s’attribuent et cause des tensions dans leurs manières de gérer le temps de classe. Notamment, le fait de choisir de planifier pour la moyenne, un rôle plus centré sur la collectivité que sur les singularités, s’appuie sur la crainte de niveler par le bas et l’importance de maintenir des attentes et exigences égales pour tous. Ce choix active une certaine représentation du rôle de l’enseignant·e :

Jusqu’à quel point, aussi, on est capable en tant qu’enseignant ? Il y a des limites, aussi. C’est quoi les limites de l’enseignant, c’est quoi qui nous appartient puis c’est quoi qui appartient à l’orthopédagogue, aussi ? […] Si tu adaptes [et qu’il] faut que tu fasses de la 3e année, de la 4e, de la 2e, de la 1re

R3-L26

À l’inverse, le rôle de l’enseignant·e peut être perçu en fonction des élèves en difficulté :

Je ne pars pas de la moyenne, je pars du début, début, début, et je monte par en haut ! […] Moi, j’ai toujours eu des groupes faibles. On dirait que ça va de soi de partir [par exemple] de [la] 4e année.

RI-L677

Choisir en fonction de qui sera conduit l’enseignement implique parfois des décisions douloureuses, comme cesser d’investir du temps pour certains élèves : Je sais qu’il y en a deux, trois qui n’y arriveront pas. Mais j’essaie que tout le monde comprenne, au minimum. (RI-L325)

Avant de lâcher prise, les enseignantes expliquent avoir confiance que l’élève n’ayant pas atteint les exigences aura l’occasion de retravailler ce contenu ultérieurement (soit l’année suivante ou encore en envisageant le redoublement), tout en valorisant ce qui est tout de même réussi : Mon but, c’est qu’ils vivent des petites réussites, puis des fois, je leur dis : mon homme, tu es parti de loin ! Regarde tout le chemin que tu as fait ! Sois fier de ce que tu es ! (R3-1453)

5. Discussion

Ces résultats, qui apportent un éclairage sur le rôle que joue l’analyse des besoins des élèves dans la dynamique du processus décisionnel des enseignants, aident à redéfinir la planification de l’enseignement pour une diversité de besoins et à en clarifier les contours.

5.1 Une confusion entre la planification-produit et la planification-processus

Cette étude permet de mettre en évidence qu’une confusion est tangible lorsqu’il est question d’aborder la planification de l’enseignement avec des enseignant·e·s en raison des diverses façons qu’il existe de se représenter ce volet de la pratique enseignante. Comme il a été démontré dans les résultats, réfléchir à la situation, l’analyser au préalable en fonction des besoins des élèves ainsi qu’adopter une approche consciente et rationnelle pour faire des choix pédagogiques cohérents ne sont pas envisagés de prime abord par les enseignantes comme partie prenante de ce qu’elles entendent par planifier.

Ces représentations de la planification peuvent s’expliquer, en partie, par la prépondérance de l’approche de la planification de leçons et de l’ingénierie pédagogique, associée à une méthode linéaire où les enseignant·e·s ciblent des objectifs, identifient des tâches et conçoivent des périodes d’apprentissage permettant de les atteindre, souvent sous forme de leçons (McTighe et Wiggins, 2004 ; Schoenfeldt et Salsbury, 2009 ; Serdyukov et Ryan, 2008). Il ne faudrait pas négliger les apports de cette approche, notamment quant à l’importance de définir les résultats d’apprentissage escomptés afin que la planification serve ce but. Cependant, il demeure que la prédominance de ces modèles linéaires (menant à une leçon écrite) a le désavantage de s’éloigner, semble-t-il, de l’analyse des besoins des élèves. À cela s’ajoute qu’elle ne rend pas compte du processus continu de prise de décision, de la complexité cyclique de la planification et de l’interrelation entre chaque moment de planification (Dufays et coll., 2013 ; Jalongo et coll., 2007 ; Tracey et coll., 2014 ; Wanlin, 2009). Les enseignant·e·s en viennent à oublier que les traces écrites ne sont que la partie visible du processus décisionnel, ce qui leur donne le sentiment que les décisions planificatrices prises n’en sont pas réellement si elles ne sont pas écrites. Or, la planification de l’enseignement est avant tout un processus cyclique complexe et la planification-produit n’en est que le résultat sous forme écrite. D’ailleurs, les enseignant·e·s d’expérience affirment avoir peu recours à ce type de planification autrement qu’en formation initiale afin de répondre aux exigences évaluatives (Altet, 2009 ; Jalongo et coll., 2007 ; Wanlin, 2009). Cette étude amène donc à réitérer l’importance de distinguer la planification-produit de la planification-processus.

5.2 Des frontières subtiles entre le raisonnement conscient et l’intuition

À la lumière des résultats, force est d’admettre que toutes les décisions planificatrices des enseignantes ne résultent pas d’un raisonnement entièrement conscient. Il n’est pas toujours facile pour elles de nommer tant leur registre d’action (choix pédagogiques) que les raisons de leurs actions. De plus, elles ont souvent recours à des décisions pédagogiques si bien intégrées qu’elles ont le sentiment d’être intuitives et d’improviser, sans réellement planifier et avoir pris ces décisions au préalable. Face aux frontières subtiles entre le raisonnement conscient et l’intuition, il devient difficile de distinguer et d’identifier les décisions prises sur le vif de celles qui sont des décisions planificatrices, mais dont les enseignantes n’ont pas conscience ou qu’elles n’arrivent pas à verbaliser avec clarté. De surcroit, ces décisions intuitives, même si elles ne sont pas consientes, ne sont pas pour autant irrationnelles et déraisonnables. Il s’agit plutôt d’une intuition raisonnée qui s’appuie sur l’expérience intégrée par les enseignant⋅e⋅s.

Cette idée que les décisions planificatrices sont plus ou moins conscientes et que les enseignant·e·s ont recours à des routines sans nécessairement s’en rendre compte n’est pas nouvelle (Bressoux, Amigues, Arnoux, Barré-De Miniac, Clanet, Dessus, Halté, Maurice, Perrin-Glorian et Raby, 2002 ; Wanlin, 2009). Selon Perrenoud (2010), il demeure un inconscient pratique chez les enseignant·e·s qui les amène à « faire », sans toujours savoir comment ils le font. Une recherche effectuée auprès de futures enseignantes laisse aussi entrevoir des démarches planificatrices de sens commun fonctionnant selon des schèmes opératoires implicites et des modalités empiriques de nature intuitive, qui se différencient d’une démarche à caractère scientifique (construction et résolution d’une situation problème) (Araújo-Oliviera, Lisée, Lenoir et Maubant, 2011). Certains, surtout dans le domaine de l’éthique en éducation, sont tentés d’associer la professionnalisation en enseignement à cette quête de démarches rationnelles au moyen entre autres du jugement professionnel, de l’autonomie et de la responsabilité de rendre compte de ses choix (Desaulniers et Jutras, 2012 ; Jutras, Legault et Desaulnier, 2007). Les théories de l’action rationnelle et planifiée, quant à elles, mettent l’accent sur la liberté de l’acteur et de ses choix, liberté qui transige par la rationalité, la conscience, l’intention, l’intérêt et les stratégies (Bourgeault, 2014 ; Girard, 2007). Or, il est légitime de se demander, d’abord, si cette quête est réaliste et, ensuite, si elle est souhaitable. Toute action n’est pas nécessairement consciente. Ainsi, Bourgeault (2014) conclut en incitant à la prudence, qui exige que l’on tente loyalement de prévoir les conséquences possibles de ses actes avant de les entreprendre, mais en prenant acte de garder en tête l’incertitude des situations, de demeurer vigilant et à l’affut de manière à moduler les plans grâce à son intuition. Les résultats de cette étude permettent de préciser que s’il convient de développer le raisonnement et les démarches rationnelles chez les enseignant·e·s, il ne faudrait pas le faire au détriment de la valorisation et du développement de l’intuition, qui se révèle souvent plus raisonnée qu’irrationnelle.

5.3 Un délicat équilibre à trouver entre réflexion préalable et spontanéité

Cette recherche met aussi en lumière le fait qu’aborder la planification de l’enseignement, c’est soulever l’importance de la spontanéité dans l’enseignement. À la lumière des résultats, les enseignantes priorisent les besoins liés à la rentabilité et à l’action immédiate en salle de classe. La valeur accordée à la réflexion est plus ou moins mise en opposition avec la valeur accordée à l’action, ce qu’elles nomment leur côté « praticopratique ». En trame de fond, l’importance de l’action permet d’expliquer le bienfondé et la valeur de la spontanéité en enseignement, en plus de mettre en doute une trop grande importance accordée aux capacités d’analyse réflexive. Les résultats démontrent en outre que la nécessité d’ajuster dans l’action ce qui a été planifié et réfléchi est inévitable, surtout face aux besoins des élèves qui émergent.

Le fait qu’aborder la planification soulève l’importance et la valeur de la spontanéité en enseignement a déjà été mis en lumière par Maulini et Vellas (2003). Ainsi, les auteurs expliquent que certains peuvent douter de la nécessité de réfléchir et de travailler sur la planification de l’enseignement si l’essentiel se joue dans l’interaction. En ce qui concerne la place de la spontanéité et de l’ajustement de ce qui a été planifié, les résultats de cette recherche corroborent l’idée qu’il est salutaire de planifier en ayant conscience de l’importance de s’ajuster, d’avoir recours à des décisions conditionnées et donc dépendantes du contexte (Altet, 1993, 2009 ; Charlier et Donnay, 1993). Les comportements improvisationnels des enseignant·e·s, lorsqu’ils acquièrent de l’expérience, leur permettent de s’adapter et de répondre à l’imprévisibilité des situations de classe (Tochon, 2000). L’expérience aidant, l’utilisation des routines et des schémas devient une trame de fond sur laquelle ils peuvent s’appuyer, ce qui les amène à se faire davantage confiance et à délaisser la planification et la réflexion proactive. Azema et Leblanc (2014) précisent toutefois qu’une sensibilité à ce qui se produit dans l’action est nécessaire pour que l’improvisation soit efficace. Ainsi, l’éclairage apporté par cette recherche fait apparaitre la problématique sous un nouveau jour. En effet, plutôt que de chercher à remplacer une posture réactive par une posture proactive de même qu’à remplacer la spontanéité par la réflexion, il convient de chercher à miser sur l’équilibre à trouver entre ces deux habiletés complémentaires en enseignement qui doivent se côtoyer sans s’exclure.

6. Conclusion

Cet article porte sur l’analyse de diverses activités réflexives menées dans l’idée de permettre aux participantes d’expliciter leurs pensées planificatrices. Grâce à une analyse par catégories conceptualisantes, les résultats permettent d’illustrer le rôle que joue l’analyse des besoins des élèves dans le cheminement intellectuel d’enseignant⋅e⋅s lors de la planification de l’enseignement pour une diversité de besoins, ainsi que les tensions qu’ils vivent dans ce processus. Notamment, ils permettent de constater que cette dynamique est influencée par le moment où les enseignant⋅e⋅s considèrent devoir analyser les besoins de leurs élèves selon l’angle d’analyse qu’ils privilégient pour réfléchir auxdits besoins ainsi que par des considérations pragmatiques qui dépassent les besoins perçus. De plus, l’analyse des besoins des élèves au moment de planifier engendre des tensions telles que l’exigence perçue de réfléchir et d’analyser, la difficulté d’adopter une approche consciente et rationnelle ainsi que la gestion du temps, qui se retrouve coincée entre collectivité et singularité.

Les résultats doivent être interprétés avec prudence, considérant les limites que l’étude présente. Ne cherchant pas à assurer la représentativité, la théorisation proposée ne prétend en aucun cas à une application universelle. De plus, la difficulté d’avoir accès au raisonnement et à l’explicitation des pensées planificatrices des enseignant⋅e⋅s a nécessité de redoubler de prudence pour s’éloigner d’une analyse des pratiques déclarées, sans oublier que l’interprétation des données qualitatives s’expose aux défis méthodologiques de rendre justice aux données, et ce, indépendamment de l’univers interprétatif et des sensibilités de la chercheuse ayant contribué à être à leur écoute. Malgré cela, les résultats ont une portée certaine pour la communauté scientifique et la communauté de pratique, soit pour orienter les chercheurs dans leurs projets à venir, soit pour guider les accompagnateur·trice·s à la formation initiale et continue dans la planification en fonction d’une diversité de besoins.

Certaines pistes de recherche pour de futurs projets sont à envisager. En particulier, il serait pertinent de chercher à mieux comprendre, dans l’identification des besoins des élèves, les meilleures manières de concilier une démarche collective et une démarche individualisante ainsi qu’une analyse de besoins courants et de besoins spécifiques. Aussi, les résultats concernant la gestion du temps soulèvent la nécessité de mieux comprendre les distinctions entre une programmation des activités et une programmation temporelle, structure qui permettrait peut-être de réduire les tensions associées à la différence entre le rythme collectif et les rythmes individuels. Cette étude amène également à s’intéresser plus largement à la quête de cohérence entre une analyse des besoins des élèves et les décisions pédagogiques des enseignant·e·s, ainsi qu’aux outils d’aide à l’analyse et aux dispositifs de soutien à la planification pour une diversité de besoins.

D’autres pistes sont à prendre en considération concernant la formation initiale et continue. Les résultats permettent d’insister sur l’importance d’une formation mettant en évidence la complexité réelle de planifier, et ce, sans la réduire à la planification-produit. Ainsi, il faudrait éviter de la réduire aux traces écrites ou de cantonner la planification-produit dans un canevas uniforme, donnant ainsi l’impression aux étudiant⋅es que planifier consiste à écrire le déroulement d’une ou de plusieurs tâches dans un canevas. Une réflexion collective apparait nécessaire sur les attentes évaluatives en formation initiale, plus spécifiquement en formation pratique et dans les cours de didactique. Aussi, les résultats invitent à soutenir en formation initiale et continue le développement du raisonnement et du savoir-analyser. Si soutenir la formation à la planification ne peut se faire sans reconnaitre la place et la valeur de l’intuition, de la spontanéité et de l’ajustement à l’égard des besoins des élèves qui émergent, elle gagne à cultiver le jugement professionnel et la capacité des étudiant·e·s et des enseignant⋅es à appuyer leurs décisions planificatrices sur un raisonnement conscient qu’ils peuvent expliciter.