Hors thème

Note éditoriale : publier les sciences de l’éducation en anglais[Record]

  • Vincent Larivière

…more information

Ce texte a été révisé par : Charles-Étienne Tremblay

Quand Albert Einstein publie les quatre articles révolutionnaires de son Annus mirabilis de 1905, il n’a aucune hésitation quant à la revue et à la langue de publication qui sera utilisée : il publie dans Annalen der Physik, la revue allemande de physique éditée par Max Planck, où les chercheurs germanophones du domaine publient leurs découvertes. Quelques années plus tôt, Marie Curie avait pour sa part publié ses travaux sur la radioactivité dans les Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences. Ils seront suivis d’autres articles dans le Journal de physique et le radium, ainsi que d’un certain nombre de traités – tous en français. En fait, il faut attendre 1916 pour qu’Einstein publie son premier article en anglais (la traduction d’un article publié en allemand l’année précédente), et celui-ci viendra après cinq articles publiés en français entre 1910 et 1914. Dans l’ensemble de sa carrière, Einstein aura publié 272 articles savants, dont 210 en allemand et 50 en anglais – la vaste majorité de ces derniers étant publiée à partir des années 1930, alors qu’il quitte l’Allemagne pour les États-Unis. Dans le cas de Curie comme dans celui d’Einstein, la publication en français et en allemand n’a pas empêché leurs travaux d’avoir un impact international immédiat ! Bien sûr, les choses ont changé au cours des 100 dernières années. La Deuxième Guerre mondiale a marqué le déclin de l’allemand comme langue scientifique, puis la fin du régime soviétique a cristallisé le rôle de l’anglais comme langue quasi exclusive de diffusion dans les domaines scientifiques (Ammon, 2001). D’autres facteurs sont venus renforcer la place de l’anglais dans l’écosystème de la diffusion des connaissances, tels que son statut de « langue internationale » (Ammon, 2010) et le capital scientifique plus élevé qui y est rattaché (Bourdieu, 2001). En outre, le passage à des évaluations quantitatives de la recherche, fondées sur des bases de données bibliographiques indexant surtout des revues de langue anglaise, incite à la publication dans cette langue plutôt qu’une autre (Larivière, 2018). Aujourd’hui, la quasi-totalité des travaux dans les domaines des sciences naturelles et médicales est publiée en anglais, qu’ils proviennent de chercheurs étatsuniens, français, allemands ou chinois. Ces domaines, en raison de la portée souvent « universelle » de leurs résultats – les phénomènes physiques et autres réactions chimiques se manifestent en général de la même façon sur la Terre –, ont vu leurs échanges scientifiques s’internationaliser après la Deuxième Guerre mondiale, au bénéfice de l’anglais comme langue de diffusion (Gingras, 2002). Qu’en est-il des sciences de l’éducation ? Comme la plupart des disciplines des sciences sociales et humaines, les sciences de l’éducation revendiquent une importante spécificité nationale. Les systèmes d’éducation varient de façon importante en fonction des pays et autres régions du monde, et leur étude est en général associée à ce contexte culturel spécifique, qui, lui, est difficilement dissociable d’une langue. En outre, la diffusion dans la langue de la communauté étudiée permet aux résultats de la recherche d’être lus et compris par les différents groupes de professionnels actifs dans ces domaines et, ainsi, de maximiser l’impact sociétal de ceux-ci. Bien que cela puisse sembler trivial, la mesure de la langue de diffusion des connaissances n’est pas une tâche si simple. Les sources de données internationales ont des biais en faveur de l’anglais et, en conséquence, sous-estiment la place des autres langues dans la diffusion des connaissances. Afin de pallier ces limites, nous présentons ici les résultats sur la place de l’anglais en sciences de l’éducation à partir de trois sources de données : Dimensions (Herzog, Hook et Konkiel, 2020), Scopus …

Appendices