Cinémas
Revue d'études cinématographiques
Journal of Film Studies
Volume 25, numéro 1, automne 2014 L’acteur entre les arts et les médias Sous la direction de Serge Cardinal
Sommaire (11 articles)
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Vingt-cinq ans de Cinémas…
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Présentation
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La déploration, de Sarah Bernhardt à Al Pacino. Permanence et migration d’une posture codifiée (arts visuels, théâtre, cinéma)
Christophe Damour
p. 17–37
RésuméFR :
L’acteur demeure au coeur de la palette expressive d’artistes (qu’ils soient cinéastes, photographes ou metteurs en scène) recourant à des procédés rhétoriques similaires fondés sur la puissance iconique de certains gestes. Cet article ébauche une enquête figurative sur la reprise stylistique d’un motif partagé par différents champs scéniques et visuels (du théâtre classique au photojournalisme) et des cinématographies diverses (des cinémas muets européen et russe au cinéma hollywoodien contemporain) : la gestuelle codifiée et esthétisée de la déploration (affaissement, cris, mains portées aux tempes ou levées vers le ciel). L’analyse comparative et généalogique de telles survivances de la peinture romantique, de l’expressionnisme, de l’opéra et du mélodrame, qui révèle l’existence de véritables filiations artistiques, va ici de la Sarah Bernhardt de La Tosca (1887) au Pacino du troisième volet du Parrain (1990), en passant par certaines images-choc redondantes qui prolifèrent dans le champ médiatique.
EN :
The actor remains at the heart of the expressive palette of artists (whether filmmakers, photographers or theatre directors) who employ similar rhetorical methods based on the iconic power of certain gestures. This article sketches out a figurative enquiry into the stylistic use of a motif in various fields of visual and theatrical arts (from classical theatre to photojournalism) and cinematic forms (from European and Russian silent film to contemporary Hollywood cinema): the codified and aestheticized gestures of lamentation (prostration, cries, hands placed on the temples or raised to the sky). The comparative and genealogical analysis of such holdovers from Romantic painting, Expressionism, opera and melodrama brings out the existence of true artistic filiations, from Sarah Bernhardt in La Tosca (1887) to Pacino in The Godfather: Part III (1990) by way of various shock images which proliferate in the media.
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Le chagrin d’Achille et la colère de Brad : réflexion sur une médiation oubliée dans la représentation des affects extrêmes
Johanne Lamoureux
p. 39–58
RésuméFR :
À partir d’une critique de l’interprétation du personnage d’Achille par Brad Pitt dans Troie (Troy, 2004), cet article montre que le jeu de l’acteur, lorsqu’il s’agit d’exprimer les affects extrêmes de la colère et du chagrin qui caractérisent le héros homérique, reconduit des conventions figuratives et des effets de censure déjà mis en place par la représentation des mêmes épisodes au sein des beaux-arts. Or c’est là une médiation négligée par les spécialistes des études cinématographiques et des queer studies qui ont beaucoup commenté le film, en déclinant la longue liste des écarts entre l’oeuvre épique et son adaptation cinématographique, mais sans tenir compte de la tradition figurative, revisitée par la peinture de la fin du xviiie siècle, qui s’est trouvée elle aussi confrontée aux difficultés d’adapter visuellement la démesure affective et expressive de l’Achille d’Homère, pour un public dont l’idéal antique de beauté virile s’appuyait désormais sur un canon classique postérieur de plusieurs siècles à l’Iliade.
EN :
Taking as its starting point a critique of Brad Pitt’s role as Achilles in Troy (2014), this article shows that acting, when it comes to expressing extreme emotions such as the anger and distress experienced by Homer’s hero, extends the figurative conventions and condemnation already established in the depiction of the same scenes in the visual arts. This mediation has been neglected by the film studies and queer studies scholars who have commented on the film by remarking the long list of discrepancies between the literary epic and its cinematic adaptation. This view does not take into account the figurative tradition, revisited by late eighteenth-century painting, which was also confronted with the difficulties of adapting visually the emotional and expressive excesses of Homer’s Achilles for an audience for whom the ideal of virile beauty drawn from Antiquity now rested on a classical canon that post-dated the Iliad by several centuries.
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Pantomime, danse et stylisation (Cary Grant, James Cagney, Fred Astaire)
Christian Viviani
p. 59–83
RésuméFR :
Music-hall et pantomime placent les acteurs qui en sont issus au carrefour de plusieurs formes artistiques et entraînent chez eux une stylisation antinaturaliste du jeu corporel. Trois cas, relevant du cinéma classique hollywoodien, sont analysés dans cet article : Cary Grant, James Cagney et Fred Astaire. De ces trois acteurs formés à l’école de la pantomime et de la danse populaires, un seul, Astaire, a privilégié le genre musical ; les incursions dans le film non dansé sont pour lui exceptionnelles, comme celles de Cagney, grande figure du cinéma criminel, dans le film musical. Quant à Grant, qui a su imposer un jeu non naturaliste, la formation chorégraphique et pantomimique est peut-être pour lui un moyen de mieux entrer dans le mystère de l’équilibre entre réalité et fiction des corps cinématographiques qu’il incarne. Les traces d’une formation chorégraphique ou pantomimique favorisent le passage du banal à l’exceptionnel sans entamer la crédibilité. Le filigrane féminin vient ainsi enrichir la virilité affichée. L’acteur de cinéma doit-il être un peu mime et danseur pour pouvoir proposer un corps proprement cinématographique ?
EN :
Actors who emerged from music hall entertainment and pantomime were situated at the crossroads of several artistic forms and brought to them an anti-naturalistic stylization of corporeal performance. Three cases, taken from classical Hollywood cinema, are analyzed in this article: Cary Grant, James Cagney and Fred Astaire. Of these three actors, who trained in pantomime and popular dance, only one, Astaire, worked in the musical genre. It was exceedingly rare for him to work in non-dance films, just as it was exceptional for Cagney, a great figure of the crime film, to work in the musical. As for Grant, who was able to assert a non-naturalist acting style, his background in dance and pantomime may have been a means for him to better enter into the mystery of the balance between reality and fiction in the cinematic roles he played. His dance and pantomime training background facilitated a movement from the everyday to the exceptional without undermining his credibility. A latent femininity thus enriched the virility he placed on display. Should a film actor be part mime and part dancer in order to create a properly cinematic role?
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Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma idéale
Michel Duchesneau
p. 85–107
RésuméFR :
Dans les années 1930, le compositeur Charles Koechlin (1867-1950) se découvre une passion pour le cinéma parlant ; outre ses articles sur le sujet, il a laissé des notes personnelles et des projets de scénarios et de musiques de film, allant jusqu’à concevoir des scénarios cinématographiques pour une musique qui n’existe pas et une musique pour des images qui n’existent pas — mais qui, dans son imaginaire, sont à la fois compatibles et de la plus haute tenue artistique. À cette passion s’ajoute celle qu’il éprouve pour les stars du cinéma et plus particulièrement pour l’actrice Lilian Harvey (1906-1968) ; Koechlin sublimera cet amour en musique et composera plus d’une centaine de pièces réunies dans les deux Albums de Lilian et dans Le portrait de Daisy Hamilton. Cet article tente une analyse des trois éléments cinématographiques — mouvement, ligne et expression — que Koechlin s’attache à transposer en musique dans ses « sketches pour un film imaginaire », et montre qu’au-delà des principes esthétiques qui l’animent, le compositeur trouve dans l’image sonore un matériau d’un dynamisme, d’une plasticité et d’une sensualité qu’aucune autre forme d’inspiration n’avait pu lui donner jusque-là.
EN :
In the 1930s, the composer Charles Koechlin (1867-1950) developed a passion for sound film. In addition to his articles on the topic, he left personal notes on and projects for film scripts and music, going so far as to conceive film scripts for music that did not exist and music for images that did not exist—but which, in his imagination, were both compatible and of the highest artistic quality. This passion was accompanied by a passion for movie stars and in particular for the actress Lilian Harvey (1906-1968). Koechlin sublimated this love in music and composed more than a hundred pieces, gathered together in two Albums de Lilian and in Le portrait de Daisy Hamilton. This article undertakes an analysis of the three cinematic elements—movement, line and expression—that Koechlin endeavoured to transpose into music in his “sketches for an imaginary film” and shows that beyond the aesthetic principles behind his work, the composer found in the sound image a material with dynamic, plastic and sensual qualities which no other form of inspiration had been able to provide him with hitherto.
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Stage Actors and Modern Acting Methods Move to Hollywood in the 1930s
Cynthia Baron
p. 109–129
RésuméEN :
In this article, the author considers factors in commercial 1930s American theatre and film which led to the unusual circumstance of many stage-trained actors employing ostensibly theatrical acting methods to respond effectively to the challenges and opportunities of industrial sound film production. The author proposes that with American sound cinema fundamentally changing employment prospects on Broadway and Hollywood production practices, the 1930s represent a unique moment in the history of American performing arts, wherein stage-trained actors in New York and Hollywood developed performances according to principles of modern acting articulated by Stanislavsky, the American Academy of Dramatic Arts in New York and the acting manuals written by theatre-trained professionals and used by both stage and screen actors. To illustrate certain aspects of the era’s conception of modern acting, the author analyzes a scene from Captains Courageous (Victor Flemining, 1937) with Spencer Tracy and a scene from The Guardsman (Sidney Franklin, 1931) with Alfred Lunt and Lynn Fontanne.
FR :
Dans cet article, l’auteure s’intéresse aux facteurs qui, dans les années 1930 aux États-Unis, ont amené de nombreux acteurs issus du théâtre à livrer, sur la scène aussi bien qu’à l’écran, des performances basées sur les principes du jeu théâtral moderne (articulés par Stanislavski, enseignés à l’American Academy of Dramatic Arts de New York ou décrits dans les manuels d’art dramatique) pour s’adapter à l’arrivée du parlant, puis à l’industrialisation du cinéma sonore, qui ont profondément bouleversé les perspectives d’emploi à Broadway et les méthodes de production à Hollywood. Pour illustrer certains aspects de la conception que les acteurs formés aux arts de la scène se faisaient du jeu moderne à cette époque exceptionnelle de l’histoire américaine des arts du spectacle, l’auteure analyse une scène jouée par Spencer Tracy dans Captains Courageous (Capitaines courageux, Victor Fleming, 1937) et une scène du film The Guardsman (L’officier de la garde, Sidney Franklin, 1931) interprétée par Alfred Lunt et Lynn Fontanne.
Hors dossier / Miscellaneous
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La photographie stéréoscopique animée, avant la chronophotographie
Caroline Chik
p. 133–156
RésuméFR :
La photographie stéréoscopique animée ne saurait se réduire à une forme archaïque et inaboutie de « pré-cinéma » : tel est le postulat de cet article, qui étudie les expériences fondatrices et les premiers dispositifs de photographie stéréoscopique animée dans leur contexte historique, celui de la photographie des années 1850-1860. Expliquant tout d’abord comment s’est opéré le passage originel de la photographie stéréoscopique à la photographie animée, et comment l’apport d’une nouvelle dimension spatiale a pu engendrer l’apparition d’une dimension temporelle — et par là même d’une forme de mouvement, si minimale fût-elle —, l’auteure tente de mettre en lumière, à travers une série d’exemples, l’intérêt que présente l’étude de cette forme photographique marginale, qui se caractérise par des prises de vue image par image en nombre restreint destinées à composer artificiellement un mouvement séquentiel et à être animées selon des techniques spécifiques.
EN :
Animated stereoscopic photography cannot be reduced to an archaic and incomplete form of “pre-cinema”: that is the postulate of this article, which examines the founding experiments and earliest devices of animated stereoscopic photography in their historical context, that of photography in the 1850s and 60s. Explaining first of all how the original passage from stereoscopic photographs to animated photographs took place, and how the contribution of a new spatial dimension brought about the appearance of a temporal dimension—and, thereby, of a form of movement, as minimal as it may have been—the author seeks to demonstrate, through a series of examples, the value of the study of this marginal form of photography, characterized by its method of taking a limited number of pictures one by one in order to artificially create sequential movement by means of specific techniques.
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Le territoire des ombres. Pour n’en jamais finir avec les hommes imaginaires du cinéma…
Gaëlle Lombard
p. 157–175
RésuméFR :
Le cinéma propose un reflet des choses qui le contraint à se conjuguer au passé même s’il nous invite à le vivre comme un présent. C’est ce qui en fait le lieu idoine de l’incarnation de la mémoire : depuis les débuts de leur histoire, les films proposent des modalités de représentation différentes du retour et de la persistance de ce qui a été dans ce qui est. Si la figure du spectre (cet être translucide, voire transparent, qui rappelle le vivant qu’il a habité) s’est imposée comme la plus à même de remplir cette fonction, et ce, sous diverses formes témoignant d’une réflexion du médium sur lui-même, ses attributs ont su dépasser le cadre du fantastique pour s’incarner dans des procédés cinématographiques (flash-back, anaphores musicales, surimpressions) qui traduisent certains mécanismes de la vie psychique et qui engagent à une lecture anthropologique du cinéma dans le sillage du livre d’Edgar Morin, Le cinéma ou L’homme imaginaire. De fait, si la possibilité de représenter la mémoire permet de réfléchir à sa spécificité, la réciproque est pareillement vraie, car rien ne nous éclaire plus sur l’homme, éveillé ou assoupi, présent, passé ou futur, que l’analyse de ses créations.
EN :
The cinema offers a reflection of things which constrains it to the use of the past tense, even as it invites us to experience it in the present. This is what makes it the fit site for embodying memory: since the beginning of film history, films have offered different ways of depicting the return and continuance of what was in what is. While the spectre (that translucent and at times transparent being who calls to mind the living body it inhabited) took on the role of the figure most apt to carry out this function, in diverse forms in which the medium reflected upon itself, its attributes went beyond the framework of the fantastic to be embodied in those filmmaking techniques (flashbacks, musical anaphora, superimpositions) which convey certain mechanisms of our psychic lives and engage an anthropological reading of cinema similar to that of Edgar Morin in his book The Cinema, or the Imaginary Man. Thus while the possibility of depicting memory makes it possible to think about its specificity, the converse is also true, for nothing tells us more about man, whether awake or dozing, present, past or future, than an analysis of his artistic creations.