Volume 40, numéro 1, printemps 2007 Conduites addictives et crimes Sous la direction de Serge Brochu
Sommaire (9 articles)
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Introduction
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Les psychotropes criminogènes
Mohamed Ben Amar
p. 11–30
RésuméFR :
Les psychotropes altèrent le psychisme d’un individu et peuvent affecter les perceptions, l’humeur, la conscience, le comportement et diverses fonctions psychologiques et physiques. Ils se divisent en cinq catégories : les dépresseurs du système nerveux central (SNC), les stimulants du SNC, les perturbateurs du SNC, les médicaments psychothérapeutiques et les androgènes et stéroïdes anabolisants.
L’abus de certains psychotropes peut conduire à la tolérance, la dépendance psychologique, la dépendance physique et la toxicomanie. Un des phénomènes liés à la toxicomanie est la criminalité. Les psychotropes criminogènes directs par excellence sont l’alcool, les amphétamines, la cocaïne et la phencyclidine (PCP). Leurs propriétés pharmacologiques et toxicologiques sont variées. La relation intoxication-criminalité est complexe et dépend de divers facteurs biopsychosociaux.
EN :
Psychotropics alter the psychism of an individual and can affect perceptions, mood, thinking, behaviour and various psychological and physical functions. They are divided in five categories: central nervous system (CNS) depressants, CNS stimulants, CNS disturbers, psychotherapeutic medications and androgens and anabolic steroids.
Abuse of some psychotropic substances can induce tolerance, psychological dependence, physical dependence and toxicomania. One of the phenomenons related to toxicomania is criminality. Direct criminogenic psychotropics are typically alcohol, amphetamines, cocaine and phencyclidine (PCP). Their pharmacological and toxicological properties are diverse. The intoxication-criminality relationship is complex and depends on several bio-psychosocial factors.
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Le prix d’une passion : la carrière du joueur compulsif
Barbara Wegrzycka
p. 31–58
RésuméFR :
Alors que les jeux de hasard et d’argent gagnent en accessibilité, de nombreuses études établissent un lien entre le jeu pathologique et la criminalité. La vie du joueur emprunterait un parcours précis vers la délinquance et s’inscrirait dans un cycle gambling-délinquance . Or, l’inscription des trajectoires délinquantes dans un cycle aussi statique nous paraît discutable. Dans cet article, nous soutenons que chaque individu est soumis à l’influence de facteurs pouvant modifier la carrière du joueur et sa propension à commettre des délits. À l’aide d’une vingtaine d’entrevues, nous avons retracé la trajectoire des joueurs en abordant des thèmes susceptibles d’apporter un éclairage sur les modalités d’apparition de la délinquance chez ces individus. En analysant leur vie en termes de carrière, nous observons l’apparition, l’évolution et, parfois même, l’arrêt du jeu et des activités délictuelles. Quant aux facteurs susceptibles de moduler l’apparition des comportements délinquants, nous examinons l’influence des proches en termes d’opportunités criminelles et de dissuasion, l’effet précipitant des tensions financières et familiales, l’effet dissuasif de la peur ou, au contraire, les prédispositions caractérielles ou comportementales des joueurs et, finalement, l’ingéniosité des joueurs à financer et prolonger leurs activités de jeu. Nous souhaitons ainsi mettre en perspective le cycle gambling-délinquance en étudiant les éléments constitutifs de la carrière des joueurs pathologiques qui ont pour effet de neutraliser, retarder ou accélérer le passage à l’agir délictuel.
EN :
As gambling activities became more accessible, an increasing amount of research established a link between pathological gambling and crime. The observation that a gambler’s lifestyle carries him toward involvement in crime became so common that the idea of a gambling-crime cycle became a fixture in past research. This seemingly evident ‘fact’ is, however, not given. This article illustrates how individuals are confronted with a series of factors that may modify their gambling careers and their involvement in crime. Based on twenty interviews, the personal trajectories of gamblers are examined in view of various features, which may make them susceptible to criminal involvement. Gambling trajectories are analyzed as careers and particular focus is aimed at revealing the onset, evolution, and, at times, desistance phases for gambling and crime involvement. Factors influencing the overlap between gambling and crime involvement include the presence of family and close friends as both agents of deterrence and suppliers of criminal opportunities, the expected effects of financial and family stress, fear, or, on the contrary, the pre-dispositional behavior of gamblers and, finally, the competency of gamblers who are able to finance and extend their gambling activities over prolonged periods. These observations permit a re-assessment of the gambling-crime cycle by introducing the basic features of a variety of pathological gambling careers that could neutralize, delay, or accelerate the passage to criminal involvement.
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La pratique des jeux de hasard et d’argent, les comportements délinquants et la consommation problématique de substances psychotropes : une perspective développementale
Frank Vitaro, Brigitte Wanner, René Carbonneau et Richard E. Tremblay
p. 59–77
RésuméFR :
Cette étude comporte deux objectifs : 1) vérifier si les liens entre la pratique problématique des jeux de hasard et d’argent, les comportements délinquants et les problèmes de consommation de substances psychotropes diminuent au début de l’âge adulte par rapport au milieu de l’adolescence, et 2) vérifier si les liens entre ces trois ordres de comportements problématiques au début de l’âge adulte sont, en partie ou en totalité, attribuables à des antécédents communs. Deux échantillons populationnels de répondants de sexe masculin ont été mis à contribution afin de vérifier ces objectifs. Les mesures recueillies à 12 ans (i.e. les présumés antécédents communs) couvrent des aspects liés aux caractéristiques personnelles, familiales et sociales des participants. Celles recueillies à 16 et 23 ans se rapportent à leurs habitudes de jeu, à leurs comportements délinquants et à leur consommation de substances psychotropes. Ces dernières sont autorévélées alors que les précédentes font appel à des sources variées d’évaluation. Les résultats révèlent que les liens entre la pratique des jeux de hasard et d’argent, les comportements délinquants et la consommation de psychotropes au début de l’âge adulte (23 ans) sont similaires aux liens qui existent déjà à 16 ans. Ces liens ne peuvent toutefois pas être attribuables aux antécédents communs mesurés à la préadolescence (12 ans). La discussion explore les retombées pratiques et théoriques de ces résultats.
EN :
This study addressed two questions: 1) Are the concurrent links between gambling, delinquency and drug use weaker during early adulthood than during middle adolescence; 2) Can the concurrent links by early adulthood be explained, at least in part, by common antecedent factors? Two population based samples of males were used to answer these questions. The putative common antecedent factors were assessed when the participants were 12 years old. These factors include variables from three domains of functioning: self, family and peers. Gambling, delinquency and drug use were assessed at age 16 years and again at age 23. Results show that the links between gambling, delinquency and drug use are not weaker by early adulthood (i.e. age 23) than they were by middle adolescence (i.e. age 16). In addition, these links cannot be explained by the age 12 antecedent factors. The discussion stresses the theoretical and applied implications of these findings.
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Portrait des activités délinquantes et de l’usage de substances psychoactives chez des jeunes consultant un centre de réadaptation pour personnes alcooliques et toxicomanes
Joël Tremblay, Natacha Brunelle et Nadine Blanchette-Martin
p. 79–104
RésuméFR :
Près de 900 jeunes présentant une problématique sévère de toxicomanie ont été évalués lors de leur demande de service en centre spécialisé. Un portrait de leur consommation de substances psychoactives est dressé et comparé en fonction des types d’encadrement judiciaire auquel est soumis l’individu, mais aussi en fonction du sexe. On constate des variations importantes de consommation de drogues entre les groupes (jeunes contrevenants par rapport aux jeunes en situation de protection ou encore, sous aucun encadrement légal) permettant d’appuyer l’hypothèse de liens entre, d’une part, l’intensité et le type de consommation de substances psychoactives et, d’autre part, la gravité des activités délictueuses. On tente d’identifier la portion de délits commis pour des fins de consommation de substances psychoactives et, donc, d’évaluer la proportion de jeunes qui cesseraient probablement les activités délictueuses si on pouvait les aider à cesser cette consommation de drogues. Les différences entre les sexes sont également mises en évidence.
EN :
Nearly 900 heavy alcohol or drug adolescent users were evaluated at their admission into a substance abuse center. Description of their alcohol and drug use is done in interaction with the legal status in which they are embedded but also by sex. Differences are observed between groups (offenders versus the child welfare or without legal restrictions). Those differences give support to the presumed link between severity of substances abuse and importance of criminality. Efforts are made to calculate proportions of subjects for which criminal activities would presumably reduce or stopped by the instauration of abstinence. Differences between sexes are also analyzed.
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Points de vue de femmes incarcérées dans des établissements fédéraux concernant les impacts du contexte carcéral sur leur trajectoire de consommation de drogues
Chantal Plourde, Serge Brochu, Amélie Couvrette et Annie Gendron
p. 105–134
RésuméFR :
La consommation de substances psychoactives (SPA) chez les femmes détenues ne fait que très rarement l’objet de recherches. Pourtant, l’usage de SPA chez les femmes judiciarisées avant leur incarcération est fréquent. Le matériel qualitatif traité dans le cadre de cet article de même que les analyses qui en découlent visent à améliorer notre compréhension des trajectoires de consommation des femmes incarcérées et à aborder des dimensions essentielles de la vie de ces femmes qui méritent d’être mieux comprises des intervenants et des chercheurs. À partir d’une recherche à devis mixte s’intéressant aux trajectoires de consommation des femmes détenues (avant et pendant l’incarcération) dans cinq établissements carcéraux du Canada, trois thèmes reliés à l’expérience d’enfermement carcéral en rapport avec la consommation de drogues ont émergé des discours : le moment charnière, la trêve, les blâmes. L’exercice fut réalisé à partir des propos de 38 femmes ayant à la fois affirmé éprouver un quelconque problème avec l’alcool ou une autre drogue avant leur incarcération et ayant abordé spontanément la question de l’effet de l’incarcération sur leur cheminement en regard de la consommation.
EN :
Substance use amongst women inmates has rarely been a subject of research. Yet, psychoactive substance (PAS) use is frequent before their incarceration. Qualitative data and its subsequent analysis aim at furthering our understanding of women inmates’ trajectories of alcohol and drug use that need to be better understood by practicians and researchers. From a study of mixed methodology interested in trajectories of PAS use in women inmates (before and during incarceration) from five federal incarceration establishments in Canada, three themes linked to the experience of detention in relation to PAS use emerged from the narratives; the turning point, a truce, blaming. Analysis was based on the narratives of 38 women who both stated having a problem before their incarceration with alcohol, or other drugs and who spontaneously spoke about the impact their detention had had on a personnel process as regards PAS use.
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Une légalisation des drogues inscrite en promotion de la santé : les conditions
Line Beauchesne
p. 135–154
RésuméFR :
La prohibition des drogues accroît les problèmes de santé publique et brime des fondements de la démocratie. Leur légalisation, soutenue par une réglementation appropriée, pourrait faciliter la mise en place d’une politique en matière de drogues, qui appuie un objectif de promotion de la santé dans un cadre démocratique. Dans cet article, nous identifierons les conditions auxquelles l’État doit souscrire afin que la légalisation des drogues soit un outil qui serve cet objectif dans le respect des citoyens.
EN :
Drug prohibition exacerbates public health problems and weakens the foundations of democracy. The legalisation of drugs, supported by appropriate regulation, could facilitate the introduction of a policy on drugs which would support a health promotion objective within the principles of democracy. In this article, I will discuss the conditions that the State needs to implement for the legalisation of drugs to become a tool that would serve the health promotion objective while respecting its citizens.
Hors thème
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Efficacité du programme de probation intensive du Centre jeunesse de Montréal-Institut universitaire : la récidive officielle
Louis-Georges Cournoyer et Jacques Dionne
p. 155–184
RésuméFR :
Le programme de probation intensive du Centre jeunesse de Montréal-Institut universitaire a été mis en place en tant qu’alternative à la mise sous garde ouverte continue pour des délinquants présentant à la fois un risque élevé de récidive et une réceptivité face à une intervention intensive dans la communauté. La présente étude fait état de l’efficacité de ce programme en termes de non-récidive selon les données officielles. Des données sur 99 délinquants juvéniles pris en charge par le CJM-IU, selon trois modalités différentes (probation intensive, garde ouverte continue, probation régulière), ont été colligées jusqu’à un an après la fin de l’ordonnance faisant l’objet de la recherche. Les résultats confirment la validité des procédures d’évaluation des jeunes relativement à leur orientation dans les différentes modalités de suivi. En conformité avec l’intensité du programme, un plus grand nombre de manquements aux conditions de l’ordonnance ont été rapportés pour les jeunes suivis en probation intensive. Le taux d’efficacité, en termes de non-récidive des jeunes suivis en probation intensive (76,2 %), confirme que ce programme peut être considéré comme une alternative valable à la garde ouverte continue (47,7 %). Ces résultats sont discutés à la lumière des méta-analyses récentes sur la réadaptation des délinquants présentant un haut risque de récidive.
EN :
The Montreal’s Youth Centre intensive probation program for youth offenders was designed as an alternative for youth offender who would have normally been referred to a measure of open custody. In consideration of the scientific literature on the effectiveness of intensive supervision program, youth admitted to this program were high risk offenders (n = 99) who manifested receptivity for such an intervention in the community. The present study addresses the efficacy of the program in term of official recidivism. The results confirm the validity of the evaluation procedures for juvenile delinquents and their referral to the different programs (intensive probation, open custody, regular probation). Coherent with the intensity of the intensive probation program, subjects followed in this modality of treatment were more often the subject of reports identifying failure to comply with dispositions (e.g. breach of probation) of their sentences. At the one-year post-treatment follow-up, the non-recidivism rate of youth placed in intensive probation (76.2%) confirms that this measure can be seen as a valid alternative to open custody (47.4%). A logistic regression equation confirms that the two groups differed in their non-recidivism rate even when the initial characteristics of the youth were controlled for.
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Peurs en milieu carcéral : quand sentiments et expériences diffèrent
Marion Vacheret et Martine Milton
p. 185–211
RésuméFR :
Depuis les années 1980 et surtout tout au long des années 1990, de nombreux auteurs se sont penchés sur le travail des agents de correction en milieu carcéral, mettant en lumière les difficultés auxquelles ils doivent faire face. Pour plusieurs, la prison serait à l’heure actuelle un lieu de travail potentiellement dangereux, dans lequel peur, stress, incertitude et sentiment d’insécurité constituent les réalités quotidiennes des gardiens. Notre recherche avait pour objet d’approfondir ce sentiment d’insécurité chez les agents correctionnels selon une démarche quantitative. Quelque 368 agents de correction des établissements fédéraux pour hommes du Québec ont répondu aux questionnaires qui leur ont été distribués. Tenus d’effectuer un certain nombre de tâches particulièrement intrusives ou coercitives et devant faire face, dans de nombreux cas, à une forte population dans des lieux où le contrôle est difficile, un nombre important de gardiens ne se sentent pas en sécurité dans leur milieu. Toutefois, si les craintes sont manifestes, ces dernières ne s’appuient pas sur un phénomène de victimisation marqué. Il ressort ainsi des données recueillies que ce milieu est un univers de paradoxes tant sur le plan de l’absence de concordance entre les risques réels encourus que sur le plan de l’absence de concordance entre la position d’autorité des surveillants et leur sentiment de vulnérabilité et d’impuissance. Dans l’exercice de leur travail et malgré les mesures de contrôle et de coercition mises en place dans les institutions carcérales, les agents de correction se sentent vulnérables.
EN :
Since 1980 and especially throughout the years 1990, many authors have been interested by the work of correctional agents in prison. They clarify the difficulties to which they are confronted. For many people, the prison would be a potentially dangerous workplace, in which fear, stress, uncertainty and feeling of insecurity constitute daily realities of the guards. Our research had the aim of looking further into this feeling of insecurity of correctional agents using a quantitative method. Over 368 correctional agents working in federal establishments for men in Quebec answered the questionnaires distributed to them. A significant number of guards do not feel safe in their workplace because they must carry out a certain number of tasks particularly intrusive or coercive and they are confronted in many cases with a large population in places where control is difficult. However, if fears are manifested, they do not rely a high level of victimisation. It arises thus from the data collected that this workplace is a universe of paradoxes as well on the absence of agreement between the real risks incurred and on the absence of agreement between the position of authority of the supervisors and their feeling of vulnerability and impotence. In spite of control measurements and coercion in the prison institutions, the correctional agents feel vulnerable when doing their work.