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Cet ouvrage consiste en un manuel de référence sur les différentes politiques d’immigration en Europe. Chaque État est présenté en fonction de plusieurs caractéristiques qui permettent de comparer certains ensembles géopolitiques et des dynamiques transnationales entre les 25 États membres de l’Europe. Depuis quelques décennies, le contexte européen a en effet évolué de manière considérable. La fin de la bipolarité (1945-1989), l’effondrement du bloc soviétique, l’élargissement de la famille européenne et l’intégration des sociétés de l’Est ont sensiblement modifié le tableau.
L’introduction permet de bien cerner une nouvelle mobilité migratoire depuis le début des années quatre-vingt-dix. Cette mobilité poursuit une évolution historique qui débute à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945 lorsque le continent européen part à la recherche d’une main-d’oeuvre non qualifiée : Italiens et Portugais se déplacent vers la France et la Suisse; une immigration du Sud vient de l’Algérie (Kabylie). Les années soixante-dix marquent un changement dans la circulation des migrants, les flux se réduisant en raison du ralentissement économique et de la mise sur pied de politiques plus restrictives par les États européens. Il est intéressant de noter que la même dynamique migratoire existe dans les pays du pacte de Varsovie, sans être de la même amplitude. Enfin, depuis quelques décennies, le phénomène migratoire s’inscrit dans la libéralisation et la globalisation de l’économie. À l’image du Canada et de l’Australie, l’Europe encourage un accroissement de la mobilité et souhaite une immigration plus flexible, qualifiée et temporaire.
Chaque chapitre présente un aperçu de la situation nationale, ce qui permet d’avoir une meilleure représentation des caractéristiques des 25 États membres de l’Europe. Le lecteur pourra distinguer des trajectoires assez différentes entre les pays européens, considérant l’ouverture des frontières entre l’Ouest et l’Est, la mobilité croissante et diversifiée des immigrants entre les pays membres, la tradition d’accueil différente entre les pays du Sud et du Nord en raison des variables de la religion et de l’éthnicité. Ce qui se dégage de l’ensemble est un tableau européen riche et complexe.
Les pays sont regroupés selon leur histoire en matière d’immigration et de gestion de la diversité : pays historiques d’accueil (Europe du Nord et de l’Ouest, nouveaux pays d’accueil (Italie, Portugal, Espagne), pays de transition (République tchèque), pays insulaires (Malte, Chypre), pays de non-immigration (États baltes). Chaque chapitre est structuré autour des points suivants : les changements importants des politiques depuis les années 1990 ; les caractéristiques sociodémographiques de la population migrante ; les droits des immigrants dans la société d’accueil, les représentations de la diversité ethnique, religieuse et culturelle. Plusieurs aspects intéressants se dégagent des différents chapitres.
D’abord, il faut remarquer une évolution des politiques d’immigration en raison de l’émergence de nouveaux partis politiques populistes de droite (Autriche, Belgique, France, Italie) qui ont imposé un nouveau discours autour de l’immigration et ont obtenu des appuis populaires. Cette poussée de la droite au début des années quatre-vingt-dix a obligé les partis traditionnels à employer un discours plus musclé sur l’immigration, notamment envers les migrants clandestins, et un resserrement des frontières.
Un autre chantier important de l’intégration européenne est la participation citoyenne des immigrants dans la vie publique. La plupart des auteurs soulignent que cette population reste sous-représentée dans les instances décisionnelles et qu’elle participe peu au processus démocratique. La plupart des auteurs soulignent que la participation des populations immigrantes au processus politique est une condition importante à une intégration réussie.
Enfin, dans la plupart des sociétés européennes, les médias ont largement exploité certaines nouvelles peurs collectives : la menace de l’islamisme, l’assassinat de Theo Van Gogh, les caricatures du Prophète, etc. Dans ce contexte, un discours plus ouvertement critique avance que les politiques du multiculturalisme sont allées trop loin en acceptant les valeurs et coutumes des nouveaux arrivants sans pour autant définir les bases d’une identité commune. Un malaise identitaire de la majorité est perceptible dans plusieurs pays. Certains ont adopté des mesures visant à renforcer la cohésion nationale de crainte de perdre une identité commune (Pays-Bas, Autriche). La situation est encore plus tendue dans les nouveaux pays d’immigration (République tchèque) où certaines populations sont l’objet de violences et de propos racistes. Dans le contexte de la récession économique, les populations nationales expriment des sentiments de méfiance à l’endroit des étrangers accusés de venir prendre des emplois.
Cet ouvrage a le mérite de préciser les différents parcours migratoires, anciens et récents, qui traversent l’Europe communautaire. Cette présentation, pays par pays, illustre la profondeur des grands clivages historiques, culturels et religieux, entre le Nord et le Sud, tels que présentés dans un travail classique par le sociologue norvégien Stein Rokkan. L’ouvrage apparaît également comme une source précieuse d’information pour le chercheur intéressé par les questions d’immigration et de gestion de la diversité. Cependant, il est important d’aller au-delà de certaines images sensationnelles d’une Europe fragilisée et frileuse afin de percevoir la grande diversité de la population européenne, notamment son métissage produit par l’immigration. Dans un contexte où l’immigration est l’objet d’une féroce compétition entre plusieurs pays, l’image d’une Europe fermée risque de nuire grandement à son développement économique et social. De nombreux immigrants disent en effet préférer un pays comme le Canada, perçu comme plus accueillant que les sociétés européennes.