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L’intérêt que porte la Chine à l’Asie centrale n’est pas nouveau. En effet, à cause de sa situation géographique, de son historique, et en raison de l’identité turcique que partage l’ethnie ouïgoure du Xinjiang avec des peuples d’Asie centrale, la stabilité de cette région a toujours été perçue comme essentielle au maintien de la sécurité du territoire chinois. La Chine entretenait donc depuis fort longtemps de nombreux contacts avec cette région, mais l’effondrement de l’Union soviétique et l’accession à l’indépendance des cinq républiques situées dans la région ont conduit à une reconfiguration géopolitique importante et, bien entendu, à un réajustement de la politique étrangère chinoise envers ce nouvel espace indépendant. The New Silk Road Diplomacy d’Hasan Karrar explore ce réalignement dans la politique étrangère de la Chine au travers du développement de ses relations avec les États d’Asie centrale.
L’auteur explique que la politique étrangère de la Chine envers l’Asie centrale postsoviétique a été motivée par divers intérêts de nature économique et sécuritaire. Avec ses 60 millions d’habitants, le vaste marché que représentait ce nouvel espace était vu par Beijing comme une occasion de dynamiser sa région ouest, une partie du pays reculée et sous-développée. Également, la Chine considérait que la richesse en minéraux et en hydrocarbures du sous-sol du centre asiatique lui offrait la possibilité de diversifier les sources de son approvisionnement énergétique. Toutefois, au-delà de ces considérations économiques, Karrar soutient que, depuis 1991, la politique de la Chine en Asie centrale a principalement été influencée par son désir d’empêcher tout soulèvement au Xinjiang et d’y assurer son contrôle politique.
La région autonome du Xinjiang, aujourd’hui peuplée à 50 % par les Ouïgours, une ethnie majoritairement turcophone et musulmane, a été intégrée au territoire chinois au milieu du 18e siècle. Depuis, la stabilité du Xinjiang a toujours été au centre des préoccupations sécuritaires de la Chine. Cependant, ainsi que le souligne l’auteur dès les premières pages du livre, la peur du vide politique créé en Asie centrale par la dissolution de l’Union soviétique a amené Beijing à reconfigurer sa politique à l’égard de ce nouvel espace. Le régime chinois voulait empêcher que toute déstabilisation dans la région ne gagne sa province du Xinjiang.
Afin d’étayer sa thèse, l’auteur a procédé à l’examen de l’établissement des relations entre la Chine et les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale de façon chronologique. Après un premier chapitre revenant sur l’historique des relations qu’a entretenues la Chine en Asie centrale et sur l’importance des événements historiques qui ont façonné l’histoire du Xinjiang, Karrar a admirablement retracé l’évolution de la politique étrangère de la Chine en Asie centrale depuis l’effondrement de l’Union soviétique, grâce à une narration qu’il a divisée en quatre périodes distinctes.
La première période, qui s’étend de 1992 à 1996, revient sur le développement graduel des relations de la Chine avec les anciennes républiques soviétiques. L’auteur affirme que c’est essentiellement en raison du respect de l’équilibre des puissances en place et de la reconnaissance de l’influence de la Russie dans la région que Beijing ne s’est que discrètement intégré à la structure régionale. L’auteur explique que la Chine a d’abord simplement cherché à augmenter ses échanges économiques avec ses nouveaux voisins, et s’est assurée de leur intention de ne pas adopter de politiques favorisant l’émancipation du mouvement d’indépendance ouïgour.
Karrar illustre ensuite que la période entre 1996 et 2001 a été marquée par l’approfondissement des relations économiques entre la Chine et ses nouveaux voisins, mais surtout par la création du « Groupe des cinq », dont le but était d’en arriver à assurer la stabilité régionale par un renforcement de la confiance mutuelle. Par la suite, les conséquences des attentats aux États-Unis en 2001 constituent le principal sujet de la période 2001-2002, période au cours de laquelle les efforts de la Chine d’accroître ses relations avec les États d’Asie centrale ont été dilués par le déploiement des forces américaines dans la région, notamment en raison de l’opération militaire américaine en Afghanistan.
Enfin, le dernier chapitre du livre analyse la période qui a débuté en 2002. L’auteur explique en détail que, malgré la présence accrue des États-Unis en Asie centrale après 2001, les efforts de Beijing de renforcer l’Organisation de coopération de Shanghai (ocs) ont fini par lui rapporter des bénéfices et lui ont permis de restaurer rapidement son influence dans la région. En plus de ses considérations de sécurité interne, l’auteur conclut que la Chine a été irritée par l’intrusion des forces américaines à l’intérieur de sa périphérie, ce qui a motivé ses efforts de rapprochement avec l’ocs.
En conclusion, il faut mentionner que la thèse principale qu’avance l’auteur à propos de la primauté de la stabilité du Xinjiang comme étant le vecteur principal de la politique de la Chine vis-à-vis de l’Asie centrale n’est pas novatrice. Cette lecture de la situation constitue l’argument principal de plusieurs publications qui étudient la politique chinoise en Asie centrale. Toutefois, à défaut d’apporter un éclairage nouveau sur cette problématique, cet ouvrage est probablement celui qui va le plus en profondeur dans l’analyse de la politique étrangère de la Chine en Asie centrale. En effet, la plupart des autres publications sur le sujet ne survolent qu’à l’intérieur d’un article ou d’un chapitre d’ouvrage collectif ce qu’Hassan Karrar explore tout au long de son ouvrage dans le plus grand des détails. Le degré d’analyse de ce livre implique qu’il conviendra à toute personne intéressée autant par l’Asie centrale que par la politique étrangère de la Chine en général. De plus, par le style d’écriture adopté, ce livre devrait intéresser autant le spécialiste que le lecteur averti.