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Le récit du baptême du Sauveur dans la Paraphrase de Sem (ParaSem), premier traité du codex VII des textes coptes de Nag Hammadi (1,1-49,9)[1], se termine par une violente polémique antibaptismale, dont l’importance doit être soulignée, puisque l’auteur y consacre deux pages entières de son traité. Par ailleurs, plusieurs indices, notamment la polémique anti-platonicienne visant le système de Numénius d’Apamée et surtout celui des Oracles chaldaïques[2], nous amènent à situer l’origine de ce texte en Syrie orientale, plus précisément à Édesse. De plus, la ParaSem présente un système cosmologique et anthropologique très élaboré, ayant des affinités à la fois avec le système des séthiens et avec celui des valentiniens[3], ce qui nous permet de situer sa rédaction à une époque où ces grands systèmes gnostiques étaient bien établis et alors que la polémique contre la Grande Église était à son apogée, c’est-à-dire dans la première moitié du troisième siècle[4]. Le mouvement baptiste d’Elkasaï connaissait alors un renouveau grâce à la prédication d’Alcibiade d’Apamée (vers 220). Or le Codex Manichéen de Cologne (CMC) intitulé « Sur la naissance de son corps[5] » nous apprend que Mani, depuis l’âge de quatre ans (CMC, 11-12), a été éduqué pendant vingt ans, entre 220 et 240, dans une communauté elkasaïte (CMC, 94,10), située dans la région mésopotamienne, à laquelle son père avait adhéré. On peut dès lors supposer que le jeune Mani a été témoin des âpres discussions qui ont dû avoir cours entre les adeptes de cette secte et ceux qui propageaient la doctrine de la ParaSem dirigée contre les pratiques baptismales elkasaïtes (I). On peut aussi se demander si les controverses suscitées par ce texte ont pu avoir influencé le jeune Mani dans sa décision de quitter sa communauté et dans l’élaboration de sa doctrine antibaptismale (II), mais aussi, de façon plus générale dans quelques points de l’élaboration de son système (III).

I. La polémique antibaptismale dans la ParaSem

1. L’importance du baptême du Sauveur dans la ParaSem (30,4b-38,28a)

L’analyse de la ParaSem du point de vue du temps racontant ou temps du récit[6] considère la façon dont l’auteur implicite à travers le narrateur omniscient, Derdekeas, raconte les événements selon la durée ou le temps pris pour raconter tel ou tel événement. Ce point de vue permet de saisir dans notre texte l’importance accordée au mythe des origines (1,16b-23,8) et, dans le temps historique, à l’événement du baptême du Sauveur : près de 9 pages sur 22 (30,4b-38,28a), alors que le récit de la crucifixion s’étend sur à peine deux pages et quelques lignes (38,28b-40,31a) ; le mythe des origines, d’une part, pour sa valeur paradigmatique, puisque l’auteur y met en place une économie du salut fondée sur la distinction entre deux races de sauvés : les noétiques et les pneumatiques ; le récit du baptême du Sauveur, d’autre part, à cause de l’importance accordée à la transmission du Mémorial et du Témoignage, les listes des entités cosmiques que devront réciter les sauvés lors de leur remontée à travers les sphères pour atteindre le lieu de leur repos. De plus, la polémique antibaptismale constitue le point culminant de ce récit qu’on peut diviser en dix épisodes :

1) Introduction : lien avec l’histoire antécédente (30,4b-21a). La ParaSem ne retient de la carrière terrestre du Sauveur que le baptême et la crucifixion. Ces deux événements marquent le terme d’une histoire du salut qui a débuté avec le déluge. À partir de ce moment, la Nature essaiera de garder les hommes sous son joug en leur imposant sa foi (40,2) par l’intermédiaire de l’archonte mauvais, le démon trompeur (27,19-20) aux nombreux visages, apparu dans l’armature céleste (30,8-12) en usurpant la place du Juste, le Sauveur (27,2-2) Il envoie des démons (28,13-15) à forme humaine (29,17) pour instaurer la foi de la Nature, c’est-à-dire la religion juive sous ses diverses formes : l’alliance et la circoncision (29,15-19 ; 29,33-30,4), la Loi (28,17) et l’enseignement des prophètes (28,18). En d’autres termes, Abraham, Moïse et les prophètes ne seront que des manifestations du dieu de l’Ancien Testament, l’archonte mauvais et la contrefaçon du Juste, qui se manifestera dans la création, afin de garder pour la Nature la puissance de la lumière (30,8-21 ; comparer 28,24-25 ; 29,7-10 ; 30,12-18). En fait, ces manifestations n’auront réussi qu’à bouleverser l’univers entier (30,12b-21a). Le baptême sera la manifestation de la Nature « sous sa forme dernière » (30,6). Sa dernière tentative pour imposer sa foi.

2) L’action des deux protagonistes (30,21b-31,4a). Le démon (30,22 ; cf. 30,8) se manifestera pour la dernière fois au Jourdain sous les traits de Jean-Baptiste, afin de lier les hommes aux oeuvres de la Nature par le baptême. C’est justement ce lien avec le rite impur de l’eau qui « démasquera » (cf. 30,7) l’origine mauvaise de la foi de la Nature. Alors le Sauveur viendra mettre un terme aux oeuvres de la Nature en se manifestant avec son corps démoniaque pour tromper la Nature. Le narrateur prend soin de préciser que ce démon s’appelle Soldas, pour le distinguer du démon déjà mentionné, celui qui baptise. Mais afin de faire passer la lumière de l’Esprit (30,33-34) et la lumière de la Foi (30,27-29) sur son vêtement céleste, le Sauveur se servira de son vêtement terrestre (30,31-35), le corps de feu (cf. 39,31-32 ; 44,8-9), démoniaque, qu’il aura revêtu pour tromper l’archonte mauvais.

3) Révélation du Mémorial et du Témoignage (31,4b-32,5a). Le récit des événements est ici interrompu pour laisser la place à une révélation qui constitue le centre de gravité du traité et qui vise à remplacer le rite impur du baptême : d’abord la révélation du Mémorial de Derdekeas (31,4b-31,13a), puis du Témoignage de la Foi (31,13b-32,5a). Ce sont les listes contenant les noms des entités cosmiques qui ont joué un rôle dans la cosmogonie et dont la récitation permettra aux élus de franchir sans encombre les sphères célestes pour atteindre le lieu de leur repos. Puisque les noétiques ne montent que jusqu’à l’Hymen, le lieu de la Foi (35,26-31), leur liste ne comprend que les entités reliées au monde du chaos et à la création. Les pneumatiques, en revanche, accèdent au lieu de l’Esprit (35,22-24). Aussi, doivent-ils être munis d’une liste de noms englobant à la fois les entités placées sous l’Hymen et celles situées entre l’Hymen et le lieu de l’Esprit. Au Témoignage de la Foi s’ajoute pour eux le Mémorial de Derdekeas, appelé aussi le Témoignage universel (29,22 ; 42,29 ; cf. Annexe II).

4) Le sens du baptême (32,5b-18). Le récit des événements reprend en décrivant la descente du Sauveur dans l’eau comme un descensus ad inferos. Le motif sera repris et développé en 36,2-24. Le narrateur donne à l’événement une dimension cosmique et rappelle ainsi la première descente du Sauveur dans le chaos pour y délivrer la lumière de l’Esprit (9,3b-26a) et les descentes ultérieures dans les trois nuages de feu pour y délivrer toute la lumière de l’Étonnement de l’Esprit (14,16b-25a ; 17,5-10 ; 17,20-25) et celle de l’Intellect (18,18b-24a ; 19,4b-13a ; 22,17-25a). Ce récit contient par ailleurs une importante précision concernant le processus d’individuation : les semences lumineuses que revêtira alors le Sauveur auront été semées « dans la création par les vents, les démons et les étoiles » (32,15b-17a). Ce texte renvoie au mythe anthropogonique, en 22,4-9. La nature pourvoit alors les vents et les démons d’organes génitaux : les vents reçoivent une matrice et les démons une « verge impure ». « En effet, sans vent ni étoile, rien ne peut arriver sur la terre » (27,22-27). En effet, par le coït des vents et des démons a été formée l’humanité antédiluvienne (23,9-24,29a), puis l’humanité postdiluvienne (27,34b-28,8a). Ainsi, à travers les générations successives, à mesure que sont engendrés les corps et les âmes, la Nature perd ses semences lumineuses et ses parcelles d’Intellect au profit des élus.

5) Adresse à Sem (32,19-27a). Courte exhortation à rejeter tout commerce sexuel à cause de l’impureté attachée au corps (32,21b-25a).

6) Paraphrase (32,27b-34,16a). Longue séquence introduite par l’expression : « Voici la paraphrase ». Interprétation des noms contenus dans le Mémorial et le Témoignage.

7) Adresse à Sem (34,16b-35,17a). Exhortation à mémoriser le Mémorial ainsi que le témoignage et à rejeter l’union sexuelle. L’encratisme de l’auteur s’exprime ici de façon très explicite (34,21b-22a ; 35,5b-6a).

8) Enseignement eschatologique (35,17b-36,1). Le Sauveur révèle à Sem l’existence de trois classes d’hommes : deux races de Sauvés, 1) les pneumatiques, ceux qui ont pour racine une pensée issue de l’Esprit (35,17b-24a) ; 2) les noétiques, ceux qui ont pour racine une parcelle issue de l’Intellect-Foi (35,24b-31a) ; 3) enfin ceux qui n’ont rien issu de la pensée de l’Esprit ou de l’Intellect, les psychiques, qui seront dissous dans l’Obscur[7] (35,31b-36,1 ; cf. Annexe III).

9) Seconde description du baptême (36,2-24). Ici encore, la descente du Sauveur dans l’eau est décrite comme un descensus ad inferos. Dans l’enseignement chrétien traditionnel, le récit de la descente du Sauveur aux enfers après sa crucifixion exprimait de façon dramatique et mythique l’effet bénéfique de sa mort sur la croix même pour les personnes déjà décédées. Mais, puisque pour notre auteur l’eau ne peut être purifiée par la passion du Sauveur, étant impure par nature, l’événement salvifique central n’est pas sa crucifixion (38,28b-40,31a), mais son baptême. Toutefois, pour récupérer la lumière qui lui échappe, la Nature cherchera à s’emparer du Sauveur ; elle ne réussira toutefois qu’a crucifier Soldas, le Jésus terrestre. Le Christ céleste remontera dans les sphères emportant avec lui les membres de l’église noétique et ceux de l’église pneumatique. Cependant, les élus auront désormais en main le Mémorial et le Témoignage comme moyen d’assurer leur remontée immédiatement après la mort.

10) Violente polémique antibaptismale (36,25-38,28a). Ce rejet absolu du rite baptismal se rattache à une idée fondamentale de tout le traité, l’impureté fondamentale de l’eau, et vise très probablement, comme on le verra, la communauté elkasaïte établie à l’époque en Mésopotamie.

2. La polémique antibaptismale dans la ParaSem

2.1. Le texte de la polémique : 36,25-38,28a

36 25 Or, beaucoup descendront vers 26 les eaux nuisibles par l’action 27 des vents ainsi que des démons, ceux qui 28 sont revêtus de la chair qui induit en erreur 29 et sont enchaînés à l’eau. 30 Mais elle, elle appliquera un traitement 31 inopérant. Elle induira en erreur 32 et enchaînera le monde. 33 Et ceux qui font la volonté 34 de la Nature, leur part 35 [. ] . [. . . . . . . . . . ] . . [ . . . ] 37 1 par deux fois au jour de l’eau 2 et avec les formes de la Nature. 3 Aussi, ne leur sera-t-il rien accordé, lorsque 4 la Foi les renversera 5 pour accueillir le Juste.

6 Ô Sem, il est nécessaire que la Pensée 7 soit appelée par le Logos, afin 8 que, dans le lien, la puissance 9 de l’Esprit soit préservée de l’eau 10 terrifiante. Oui, c’est une bénédiction 11 s’il est accordé à quelqu’un qu’il conçoi12ve les choses supérieures et qu’il 13 discerne le temps qui est ultime 14 et le lien. Car l’eau 15 est un corps infime, et 16 les hommes ne sont pas délivrés, puisqu’17ils sont liés dans l’eau, comme depuis le 18 commencement la lumière de l’Esprit 19 fut enchaînée.

Ô Sem, ils sont 20 induits en erreur par les formes multiples des 21 démons, à la pensée que, dans 22 le baptême de l’impureté 23 de l’eau, cette substance qui est 24 sombre, faible, inopérante 25 (et) destructrice enlèvera les péchés. 26 Et ils ne savent pas 27 que c’est issus de 28 l’eau et (destinés) à l’eau que sont le lien, 29 l’errance, l’impureté, 30 l’envie, le meurtre, l’adultère, 31 le faux témoignage, 32 dissensions, pillages, 33 désirs charnels, bavardages, 34 colère, amertume, 35 in[sultes,. . . . . . . ] . [ . ] 38 1 C’est pourquoi beaucoup d’eau 2 alourdit leurs pensées.

3 Car moi, je déclare 4 à ceux qui ont un coeur : 5 ils doivent quitter le baptême 6 impur ; et ceux 7 qui ont un coeur issu de la 8 lumière de l’Esprit, ils ne doivent pas avoir commerce 9 avec le frottement impur. 10 Aussi bien, leur coeur ne vacillera-t-il pas 11 et ne seront-ils pas maudits ; 12 et l’Eau, par ailleurs, ils ne <lui> rendront pas 13 gloire. C’est là où est 14 la malédiction que se trouve la déficience, 15 et l’aveuglement, il est là où 16 est la gloire. 17 En effet, quand ils se mélangent aux mauvais, 18 ils sont vides dans l’eau 19 obscure. C’est que, là où on a évoqué 20 l’eau, se trouve la Nature 21 avec la formule rituelle, 22 le mensonge et le dommage. Oui, uniquement 23 dans l’Esprit inengendré, là où 24 s’est reposée la 25 Lumière supérieure, 26 l’eau n’a pas été évoquée, 27 aussi bien ne pourra-t-elle être évoquée.

2.2. Les pratiques visées par ce texte

Ce texte vise très clairement deux pratiques rituelles caractéristiques de la doctrine baptismale d’Elkasaï[8] : les bains thérapeutiques, dans les deux premiers paragraphes et les baptêmes pour la rémission des péchés, dans les deux derniers.

1) Les bains thérapeutiques

« … lorsque l’un d’eux tombe malade ou est mordu par un serpent, il descend dans l’eau et invoque les noms, qui sont en Elxaï, ceux du ciel, de la terre, du sel et de l’eau des vents et des anges de la justice, comme ils disent, du pain, de l’huile et prononce ces mots : “Aidez et éloignez de moi cette douleur” » (Panarion, XXX, 17,4) (p. 860). « Ils enseignent certaines incantations et des formules pour ceux qui ont été mordus par un chien, pour les possédés du démon et pour ceux qui sont atteints d’autres maladies … » (Elenchos, IX, 14,3 [p. 846] ; voir aussi, Elenchos, X, 29,3 [p. 851]).

Pour l’auteur de la ParaSem, ceux qui se soumettent à ces pratiques sont induits en erreur par les vents et les démons qui désirent les garder sous leur pouvoir en les enchaînant à l’eau comme des esclaves. Car l’eau est un « corps infime » et ne peut qu’appliquer « un traitement inopérant (ⲛ̄ⲑⲉⲣⲁⲡⲓⲁ ⲛ̄ⲁⲣⲅⲟⲛ) » (36,25-26a). La mention des vents et des démons renvoie clairement au récit de la création de l’humanité : les démons et les vents, ce sont les forces démiurgiques mâles et femelles issues de la fornication des formes de la Nature (21,20b-28a) et dotées d’organes génitaux appropriés (22,4-9a). Leur coït, décrit de façon très crue dans le premier épisode (23,9-30), aboutit à la conception et à l’enfantement de toutes sortes d’impuretés (23,30). Il s’agit de la production d’êtres constitués de corps et d’âme. En effet, l’âme (ψυχή) et le corps (σῶμα) sont désignés dans le traité par les mêmes expressions de mépris : l’âme est « oeuvre de l’impureté » (24,24b-26a) et un « fardeau de l’Obscur » (24,20b-21a) ; de même, le corps est une « oeuvre impure » (32,24b-25a) et un « fardeau » pour la pensée (47,8-13a ; voir aussi 35,16b-17a ; 41,5b-7a).

Il ne faut surtout pas écouter la voix de l’eau, comme le recommande Elkasaï : « … approchez-vous de la voix de l’eau » (Panarion, XIX, 3,6) (p. 856), mais plutôt celle du Logos : « Ô Sem, il est nécessaire que la Pensée soit appelée par le Logos afin que … la puissance de l’Esprit soit préservée de l’eau terrifiante » (37,6-10a). « Car l’eau est “un corps infime” » (37,15). C’est elle, en effet, qui a enchaîné la lumière de l’Esprit à l’origine (cf. 2,19b-3,29).

2) Les baptêmes pour la rémission des péchés

Selon Alcibiade, « … une nouvelle rémission des péchés a été proclamée aux hommes la troisième année du règne de Trajan. En conséquence, il prescrit un baptême …, déclarant que quiconque, même s’il s’agit d’un croyant, est plongé dans toutes sortes de lubricités, de souillures et d’iniquités, s’il se repent, écoute ce livre et croit, reçoit par le baptême le pardon de ses péchés » (Elenchos, IX, 13,3-4) (p. 844).

Le même enseignement est repris un peu plus loin :

Enfants, si un homme, donc, a eu commerce avec un animal quel qu’il soit, avec un autre homme, avec sa soeur ou sa fille, s’il a commis un adultère ou un autre acte de fornication et qu’il veut obtenir le pardon de ses péchés, aussitôt qu’il aura prêté l’oreille à ce livre, qu’il soit baptisé une seconde fois au nom du Dieu grand et très haut, et au nom de son Fils, le Grand Roi. Qu’il soit purifié et sanctifié, et qu’il en appelle au témoignage des sept Témoins écrits dans ce livre : le ciel, l’eau, les esprits saints, les anges de la prière, l’huile, le sel, la terre (Elenchos, IX, 15,1-2 et IX, 15,3).

p. 847

Cet enseignement d’Alcibiade rend parfaitement compte du langage de la ParaSem dans le troisième paragraphe où l’auteur aligne une suite de péchés. Il est impossible en effet que l’eau puisse enlever les péchés, puisqu’elle est essentiellement impure, ayant été associée au coït primordial entre l’Obscur et la Matrice cosmique lors de la création de l’univers (4,27b-5,6a). En effet, pour délivrer la lumière de l’Esprit qui a chuté dans le chaos, le Sauveur se manifeste sous l’aspect de l’Esprit (3,30-4,12a). Sa venue enclenche le processus de formation de l’univers : l’Intellect fait monter le Feu agité d’entre l’Obscur et l’Eau, et celle-ci se transforme en nuée, puis en Matrice (4,12b-27a). Le Feu agité, qui est erreur (πλανή), se rend dans la Matrice et trompe l’Obscur. Celui-ci voit la Matrice et devient impur ; il agite l’eau, puis caresse (ou frotte : ϩⲓ) la Matrice. L’aspect sexuel de l’action est souligné par ce dernier verbe (Crum 643a) et son substantif grec correspondant (τριβή) qui sont utilisés de façon constante dans la ParaSem pour décrire la caresse sexuelle ou la masturbation[9]. L’Obscur éjacule alors sa semence, c’est-à-dire son Intellect, ce qui provoque dans la Matrice la formation de toutes les formes ou « Idées » des êtres auxquels elle donnera naissance ultérieurement (4,27b-5,6a). Se soumettre au rite baptismal, c’est alors se vautrer dans la source même du péché.

C’est pourquoi l’auteur affirme dans le dernier paragraphe que le croyant doit « quitter le baptême », rite essentiellement impur (38,5-6) et même, ne pas « avoir commerce avec le frottement impur » (38,8-9). C’est un appel clair à la continence absolue (voir aussi, 34,21-22 ; 35,5‑6).

3) La divinité de l’eau

Enfin, dans les dernières lignes de cette violente polémique, notre auteur s’attaque à la croyance fondamentale de la secte : la divinité de l’eau. Comme le rapporte le Panarion : « L’eau est vénérée par eux, et ils la prennent pour un dieu en disant à peu près que la vie vient de l’eau » (LIII, 1, 7) (p. 862). Pour l’auteur de la ParaSem, ceux qui rendent gloire à l’eau sont des aveugles (38,12-17).

Il est en outre inutile de faire appel aux « sept Témoins » (Elenchos, IX, 15,2) (p. 847) et d’évoquer l’eau avec des formules rituelles à l’occasion des bains thérapeutiques et des baptêmes pour les péchés (Panarion, XXX, 17,4) (p. 860). Ces invocations sont remplacées par le Mémorial et le Témoignage [voir plus haut, épisodes 3), et 6)], les noms des entités cosmiques que les croyants doivent maintenant mémoriser pour monter sans encombre vers le lieu de leur repos, vers le lieu de l’Hymen pour les noétiques, soit vers le lieu de l’Esprit pour les pneumatiques (cf. Annexe II).

II. La polémique antibaptismale chez Mani d’après le CMC

1. Les apocalypses citées par Baraies

Avant d’aborder la question d’une influence possible de la ParaSem sur le jeune Mani, on doit d’abord examiner les renseignements fournis par le maître Baraies dans une partie du CMC qui lui est attribuée (45,1-70,10). Il y cite des extraits d’apocalypses mises sous les noms des patriarches antédiluviens : Adam, Sethel (Seth), Énosh, Sem et Énoch, de même que des passages de lettres de Paul racontant son enlèvement au troisième ciel et ses autres révélations. Toutes ces citations ont pour but de montrer que Mani se situe au terme de la lignée des vrais prophètes de l’humanité (48,16-58,6). Mais Baraies a-t-il eu accès à des documents précis, qu’il cite littéralement ? Certes, la question se pose pour toutes les apocalypses citées, mais de façon particulière dans le cas de l’Apocalypse de Sem, étant donné l’existence d’une véritable apocalypse ayant circulé en Syrie vers 220 sous le titre de La Paraphrase de Sem. Quels peuvent être les liens entre ces deux apocalypses ?

1.1. Concernant l’authenticité de l’ensemble de ces apocalypses

Quelques auteurs considèrent que les informations fournies par le CMC sont crédibles. James H. Charlesworth affirme, par exemple, que l’Apocalypse de Sethel apparemment précède Mani (215-275) et ne semble en aucune façon refléter des idées manichéennes ; elle semble très juive et ne contient aucun élément chrétien évident[10]. Jean-Marc Rosenstiehl, de son côté, s’appuyant sur le fait que Baraies cite des extraits authentiques des lettres de Paul, conclut : « À n’en pas douter, les autres titres désignent aussi des écrits précis connus de l’auteur[11] ». Gilles Quispel est le plus catégorique : « We have not the slightest reason to suppose that the Apocalypse of Seth did not exist at that time […][12] ».

Certains se montrent toutefois plus critiques sur l’authenticité des textes allégués. Selon David Frankfurter, la mention d’apocalypses mises sous le patronage de patriarches antédiluviens visait avant tout à souligner le caractère international de la révélation apportée par Mani ; cela ne pouvait être assuré par le recours à des textes provenant de patriarches postdiluviens qui enseignaient l’alliance et les lois de pureté juives. Dans ce contexte, l’argumentation de Baraies pouvait fonctionner sans qu’il soit nécessaire de faire appel à des textes précis et étendus ayant existé comme tels. L’auteur ajoute cependant qu’il n’a pas d’argument concluant contre l’existence historique des textes cités[13].

Mais le travail le plus critique au sujet des « apocalypses » citées par le CMC reste celui de John C. Reeves[14]. En conclusion d’une étude approfondie des cinq textes cités, il écrit : « […] ils ne sont pas, presque certainement, d’authentiques produits des cercles juifs responsables de la fabrication et de la distribution de la littérature pseudépigraphique issue de la Bible au cours des périodes perse, hellénistique ou romaine de l’histoire juive. […] Ce sont des adaptations créatrices à partir de traditions concernant les patriarches antédiluviens à la suite de l’intérêt suscité par leur valeur proleptique et homilétique[15] ».

Dans le cas de l’Apocalypse de Sem, Reeves note en particulier l’intervention de deux entités surnaturelles caractéristiques du mythe manichéen, « l’Esprit vivant » (55,17-18) et « le Grand Roi d’honneur » (56,1-3)[16]. Il conclut que ce texte présente :

[…] les signes les plus évidents d’adaptation et de manipulation sectaire et peut-être même de composition. Les fragments attribués à Sem peuvent donc être considérés au mieux comme une « contrefaçon » manichéenne (ou proto-manichéenne). Cependant, malgré son caractère artificiel, plusieurs indices indiquent que l’auteur ou le compilateur de l’Apocalypse de Sem a eu accès à une collection générale de traditions nuancées concernant les modes et médias de révélations angélophaniques, un ensemble de motifs et de termes qui a aussi été visiblement exploité par ces divers groupes responsables des traités juifs des Hekhalot, des mythologèmes manichéens et des expériences mandéennes d’ascension[17].

Notons tout d’abord que le seul fait de citer des extraits d’apocalypses en les attribuant à des patriarches antédiluviens n’implique pas que ces apocalypses aient réellement existé. Mais étant donné leur fonction apologétique, il semble préférable de considérer ces extraits à tout le moins comme une adaptation de traditions locales à un milieu manichéen plutôt qu’une pure fabrication. Il eut été trop facile autrement d’en contester la crédibilité. Comme l’écrit Michel Tardieu : « Le Prologue et l’épilogue de ce memrâ signalent que l’objet de cet écrit est de contrer ceux qui ont changé de religion et revêtu l’infidélité[18], autrement dit des Manichéens devenus renégats parce qu’ils mettaient en doute l’authenticité des visions du fondateur et prétendaient qu’il n’avait rien écrit lui-même sur le sujet[19] ». Pour que l’argumentation de Baraies fût valide, il suffisait que le genre « apocalypse » ait eu encore des représentants en circulation et ait imposé ses normes et ses motifs littéraires. Les parallèles littéraires entre les textes ne permettent pas de conclure nécessairement à une fabrication de faux. Les éléments proprement manichéens montrent que l’auteur a adapté à un milieu manichéen des traits communs aux apocalypses.

1.2. L’Apocalypse de Sem (CMC, 55,10-58,5) et la ParaSem (NH VII, 1)

On peut toutefois préciser la relation entre l’Apocalypse de Sem et la ParaSem en comparant les cadres narratifs respectifs de ces deux textes.

1) L’Apocalypse de Sem[20]

55 10 Sem, lui aussi, s’est exprimé de la même manière 12 dans son apocalypse : « Je réfléchissais sur la façon dont toutes choses étaient venues à l’existence. Alors que je 16 délibérais, soudainement [l’Esprit] vivant m’en[leva] (ᾕρπασέν με) et me transporta avec une très grande [force], me 20 déposa sur [le sommet] d’une très haute montagne et [me] dit …  : “Ne crains pas, 56 1 mais rends gloire au très grand Roi d’honneur.” »

Et de nouveau il (Sem) dit : 4 « Silencieusement, des portes s’ouvrirent et des nuages furent séparés par le 8 vent. Je vis une magnifique salle du trône descendant des hauteurs extrêmes et un ange 12 puissant se tenant tout près. L’aspect de la forme de son visage était de toute 16 beauté et aimable, davantage même que l’éclat rayonnant [du soleil], et encore davantage que 20 [l’éclair], sembla[ble aux] rayons solaires. [Le vêtement ressemblait, dans son merveilleux] 57 1 coloris, à une couronne de fleurs de mai.

« Et 4 alors les traits de mon visage se changèrent, de sorte que je m’effondrai sur le sol. Les vertè8bres de mon dos furent violemment secouées, mes pieds ne tinrent plus solidement sur leurs articulations. 12 Une voix se pencha alors vers moi, m’appelant de la salle du trône. Elle s’avança en ma direction et, s’étant approchée, me prit par la main 16 droite et me remit debout. Elle insuffla dans mon visage une haleine de vie, augmentant [ma] 20 force et ma gloire.

« Beaucoup d’autres choses semblables se trouvent encore dans 58 1 ses écrits, y compris aussi ce que lui révélèrent les anges et lui disant de 4les écrire en souvenir. »

Ce prologue indique d’abord qu’on se trouve en présence d’une apocalypse comportant un voyage céleste du visionnaire[21]. On peut diviser le texte en quatre parties[22] : 1) le prologue, qui décrit l’enlèvement (ἀρπαγή) de Sem par l’Esprit vivant, son transport sur une très haute montagne et l’exhortation qui lui est faite (55,10-56,3) ; 2) le contenu de la révélation : la vision de la salle du trône et de l’ange, suivie de la réaction apeurée de Sem (56,3-57,11) ; 3) la transformation du visionnaire par la voix hypostasiée qui se penche vers lui, l’appelle, lui prend la main droite pour le relever et lui insuffle un souffle de vie, ce qui augmente sa force et sa gloire (57,11-21) ; 4) la demande d’écrire les autres choses que lui révélèrent les anges (57,21-58,5).

Habituellement une apocalypse comprend un cadre narratif, prologue et épilogue, encadrant le contenu de la révélation. Ici, l’auteur ne s’intéresse qu’au prologue. Celui-ci nous indique que ce texte relève du type d’apocalypse comportant un voyage céleste du visionnaire, voyage qui le mène sur une très haute montagne. En plus des deux entités surnaturelles caractéristiques du mythe manichéen déjà signalées, Reeves mentionne l’épisode qui décrit l’intervention de la Voix hypostasiée qui rappelle la vision inaugurale d’Éz 1,28-2,1-2, mais aussi le récit de l’ascension de R. Ishmael en 3Hénoch 1-2[23].

2) La Paraphrase de Sem

Le cadre narratif de la ParaSem, avec prologue et épilogue indique également qu’on se trouve en présence d’une apocalypse comportant un voyage céleste avec transformation du visionnaire au terme de son expérience extatique. Il est important de noter que le titre actuel donné à l’ensemble de l’oeuvre lui a été attribué par un rédacteur ou un compilateur, peut-être même par le traducteur copte, à partir de l’expression : « Voici la paraphrase » (32,27), expression qui introduit le commentaire sur les noms attribués aux entités mentionnées dans Mémorial et le Témoignage[24]. La structure originelle de l’oeuvre est bien celle d’une apocalypse et c’est comme apocalypse qu’elle a dû circuler dans la région syro-mésopotamienne.

Le prologue (1,5b-17)

« Selon 6 la volonté de la Grandeur, 7 ma pensée, qui est dans mon corps, 8 me ravit à ma race. Elle 9 m’éleva au sommet de la création, 10 près de la Lumière, 11 qui avait brillé sur toute la région habitée. 12 En ce lieu, je ne vis aucune 13 figure terrestre, mais c’était de la lumière. 14 Ma pensée, donc, se sépara 15 du corps de l’Obscur, comme 16 dans un sommeil. J’entendis 17 une voix me disant : Sem, … ».

1,5b-17

Le début de ce prologue se compare à celui de l’Apocalypse de Sem (CMC, 55,17-21). À noter particulièrement : l’enlèvement (ⲧⲟⲣⲡ︤ⲧ︥⳿ ⲉⲃⲟⲗ en 1,8 = ἁρπάζειν) du visionnaire (ParaSem, 1,8b-9) et son transport au sommet de la création ; dans l’épilogue, l’auteur utilisera l’expression « le sommet de la terre » (ParaSem, 42,10-11). On peut penser au sommet d’une montagne, à l’orée du ciel[25]. Il précise ensuite : « Près de la Lumière qui avait brillé … » Le temps du verbe nous indique que la fiction narrative nous situe après le déluge[26], puisque la transition du passé au futur dans le corps de l’oeuvre a lieu quand l’interlocuteur divin explique à Sem pourquoi, contrairement aux membres de sa race, il est resté dans un corps (ParaSem, 26,11-25), et lui annonce la destruction de Sodome (ParaSem, 28,22-29,3). La lumière dont parle Sem est celle qu’a produite le vêtement de feu, le vêtement invincible, revêtu par le Sauveur pour se révéler dans le chaos (ParaSem, 18,1-14). Lors de la création du ciel et de la terre, le Sauveur s’est élevé avec ce vêtement au milieu du nuage de la Nature et, tel un soleil, « a brillé sur la création tout entière » (ParaSem, 20,20-26a). Après le déluge, il a été évincé par l’archonte de la création, le soleil matériel (27,7-9), c’est-à-dire le feu que la Nature a expulsé hors d’elle après le déluge (ParaSem, 27,1-9a). D’où cette explication du Révélateur : « Elle n’apparaît plus dans la création la lumière qui avait brillé sur elle selon ma volonté » (ParaSem, 26,31-33a)[27]. La voix qui s’adresse à Sem dans ce prologue sera identifiée plus loin au Sauveur, Derdekeas, le Fils de la Lumière infinie (ParaSem, 8,24-26a). Mais ici, cette voix n’est pas hypostasiée comme dans l’Apocalypse de Sem.

L’épilogue (ParaSem, 41,21b-43,11a)

La ParaSem comporte un épilogue très élaboré (ParaSem, 41,21b-43,11a) qu’on ne peut comparer à celui de l’Apocalypse de Sem, puisque Baraies ne l’a pas cité. Mais cet épilogue contient un élément important mentionné dans l’Apocalypse de Sem, la transformation du visionnaire : « Alors moi, Sem, je me suis levé comme d’un grand sommeil. Je m’étonnai d’avoir reçu la puissance de la Lumière et toute sa Pensée » (ParaSem, 41,21-25a). Dans la ParaSem, on retrouve également la demande de transmettre le contenu de la révélation : « Vois, ô Sem, toutes les choses que je t’ai dites, elles ont été accomplies … [e]t [.....] [E]t les choses [qui] te manquent, selon ma volonté, te seront révélées en ce lieu sur la terre, afin que tu les révèles comme elles sont » (ParaSem, 40,31b-41,5)[28].

Certes, ces éléments de comparaison ne permettent pas de conclure avec certitude que le passage cité par Baraies ait été extrait d’un texte précis. Il faut surtout retenir que la ParaSem, avec sa violente polémique antibaptismale, a circulé dans la région d’Édesse, vers 220, dans le milieu où vivait Mani. On peut raisonnablement supposer que parmi les premiers textes qui ont pu avoir influencé Mani dans l’élaboration de son système sont ceux qui exposaient la doctrine d’Elkasaï et probablement la ParaSem qui la combattait.

2. La polémique antibaptismale chez Mani

Comme on l’a déjà mentionné, dans la ParaSem l’eau ne peut servir à purifier le péché par le rite baptismal, puisqu’elle est essentiellement impure en vertu de son coït originel avec l’Obscur au moment de la formation de l’univers (ParaSem, 4,27b-5,6a). Le corps humain est également essentiellement impur, puisqu’il origine d’un coït des vents et des démons (ParaSem, 23,9-24,29a). Chez Mani, le refus de toute ablution et pratique baptismale s’appuie à la fois sur le fait de l’impureté fondamentale du corps humain et sur la nécessité de ne pas blesser l’âme du monde.

2.1. Deux récits contre le rituel de l’eau fondés sur l’impureté du corps humain

Deux récits rapportés par Baraies (CMC, 80,18-85,12) sont particulièrement intéressants à noter, parce que l’argument principal invoqué par Mani pour rejeter le rituel de l’eau rappelle celui retenu par la ParaSem : l’impureté fondamentale du corps humain.

1) Le premier récit (CMC, 80,18-82,23) concerne l’ablution des légumes. Selon Mani cette ablution « n’a aucune valeur, car ce corps est impur et l’oeuvre d’une création impure » (CMC, 80,23-81,4). C’est l’argument qui fonde l’exposé qui suit : que la nourriture ait été purifiée ou non, elle se transforme en excréments et l’effet sur le corps humain reste le même.

2) Même argument mis en oeuvre dans le second récit (CMC, 82,23-85,12) au sujet des bains quotidiens des adeptes de la secte. Selon Mani, l’impureté vient du corps : « Mais le fait que vous vous laviez dans l’eau tous les jours n’a aussi aucune valeur. Pourquoi vous laver à nouveau tous les jours, ayant été lavés et purifiés une fois pour toutes ? Il est ainsi manifeste que vous êtes dégoûtés de vous-mêmes chaque jour, de sorte que vous vous lavez à cause de cette répugnance, sans jamais parvenir à être purifiés. Il est parfaitement clair que ce dégoût provient du corps, dont vous êtes aussi revêtus » (CMC, 82,23-83,19). « La pureté dont il est écrit est celle qui vient par la gnose, c’est-à-dire la séparation de la Lumière et des Ténèbres, de la mort et de la vie, des eaux vives et des eaux mortes » (CMC, 84,9-16). « Pourtant vous avez délaissé (la vraie pureté) et commencé à pratiquer la purification du corps, qui est très souillé et a été formé dans l’impureté, caillé[29] par elle, construit et venu à l’existence » (CMC, 85,4-12).

L’affirmation que le corps humain a été « formé dans l’impureté » se fonde ultimement chez Mani sur le mythe de la création d’Adam et Ève. François Decret en donne un résumé à partir du Contra Faustum d’Augustin[30] :

Parmi les démons captifs que l’Esprit Vivant fixa sur les « firmaments » lors de la constitution de l’univers, il y avait des Archontes femelles. Quand « l’éon » préposé à la roue du cycle zodiacal actionna sa machine, ne pouvant supporter le vertige causé par cette rotation, les femelles accouchèrent d’avortons et ces foetus, de l’un et de l’autre sexe, tombèrent du ciel sur la terre, ils y vécurent, s’unirent entre eux et engendrèrent. Ce furent les premiers spécimens du règne animal. Ils se nourrirent de la végétation et s’assimilèrent ainsi la Substance divine éparse dans les plantes et les fruits. La Concupiscence, qui anime ce monde du chaos, de la haine et de la guerre, chargea alors un couple d’« avortons », un mâle, Ashqalûn, et une femelle, Namrâël, de dévorer leurs congénères pour accaparer en eux toute la Substance déjà absorbée, et la maintenir prisonnière dans leur seule progéniture. Cette progéniture commence avec Adam et Ève, nos premiers parents[31].

2.2. Deux récits qui exposent l’enseignement de Mani sur l’âme du monde

Avant de traiter des récits concernant le rituel de l’eau, nous présentons deux récits situés au début du CMC et qui exposent l’enseignement de Mani sur l’âme du monde.

1) Le palmier qui parle[32] (CMC, 6,1-8,14).

À l’occasion d’une discussion avec un baptiste, celui-ci contraint Mani à l’accompagner pour élaguer un palmier, afin de se procurer du bois. Lorsque le baptiste grimpe dans le palmier, celui-ci s’adresse à lui en ces termes : « Si tu éloignes de nous la souffrance, tu ne mourras pas avec les meurtriers » (CMC, 7,2-5). Effrayé, le baptiste se jette aux pieds de Mani et lui dit : « Je ne savais pas que ce mystère indicible était avec toi. Qui t’a révélé la souffrance du palmier ? » (CMC, 7,5-15). Mani lui répond : « Pourquoi as-tu été effrayé et as-tu changé de couleur, lorsque le palmier t’a dit cela ? Combien plus sera perturbé celui avec qui toute la végétation parlera » (CMC, 8,1-7). En admiration devant Mani, le baptiste lui dit : « Garde ce mystère, n’en parle à personne, afin que personne ne te mette à mort par jalousie » (CMC, 9,1-16).

2) Les légumes qui pleurent (CMC, 9,1-10,14)

« Un des chefs de leur loi me (Mani) parla ainsi, ayant observé que je ne prenais pas de légumes du jardin, mais que je les mendiais comme un don pieux, il m’adressa la parole : “Pourquoi ne prends-tu pas de légumes du jardin, mais que tu me les mendies comme un don pieux ?” » (CMC, 9,2-16). (7 lignes perdues…) (Le baptiste coupe des légumes dans le jardin). Réaction des légumes : « […] effondrés, (ceux-ci) se lamentant presque comme des humains et comme des enfants : Aïe ! Aïe ! Le sang coulait de l’endroit coupé par la faucille qu’il manipulait et ils criaient comme avec une voix humaine sous les coups. Le baptiste était très ému par ce qu’il voyait. Il vint et se prosterna devant moi » (CMC, 10,1-15).

Il est important de noter ici, au terme d’une lacune de quelques lignes, en 9,1, la mention du terme ἀνάπαυσις (τῶν χειρῶν), qui signale un comportement que Mani associe à sa conception de l’âme du monde et qu’il désigne par le terme « signaculum manuum », « le sceau des mains ». Il s’agit de l’interdiction de tout travail agricole, afin de ne pas blesser les parcelles de lumière enchaînées dans la matière. On a ici le premier exposé du mystère révélé à Mani « peu à peu » par un ange dès son adolescence (CMC, 2,2-10).

2.3. Deux autres récits contre le rituel de l’eau

À l’occasion d’un synode organisé par les théologiens elkasaïtes sous l’autorité de Zachée (CMC, 94,9-99,9), Mani illustre à nouveau son enseignement sur l’âme du monde par une série de six récits, dont les deux premiers concernent le rituel de l’eau et mettent en scène Elkasaï[33] :

1) CMC, 94,10-95,14

94 « ‟Si donc vous m’accusez au sujet du baptême, voici, je vous montre de nouveau, en parlant de votre loi et des choses qui ont été révélées à vos chefs, qu’il ne faut pas se baptiser.

« ‟En effet, Alkhasaïos, le chef de votre loi le montre. Quand il allait se laver dans les eaux, l’image d’un homme lui apparut de la source des eaux et lui dit : il ne suffit pas que tes animaux me frappent, mais toi aussi tu accables mon lieu et profanes mes eaux ! Si bien qu’Alkhasaïos fut étonné et dit à 95 l’image qui était apparue : ‛la fornication, l’impureté, la souillure du monde se jettent en toi et tu ne le défends pas, et toi tu t’es vexée à cause de moi ?’ Elle lui dit :‛Même si tous les autres ne savent pas qui je suis, toi, qui dis être un adorateur de Dieu et un juste, pourquoi n’as-tu pas protégé mon honneur ?’ Alors, Alkhasaïos, agité, ne se lava plus dans l’eau” ».

2) CMC, 95,14-96,17

« ‟De nouveau, longtemps après, il voulut se laver dans les eaux, et il demanda à ses disciples de choisir un lieu avec peu d’eau, pour se laver. Ses disciples 96 lui trouvèrent le lieu. Comme il s’apprêtait à se laver, de nouveau l’image d’un homme lui apparut dans cette source-là pour la seconde fois, et lui dit : ‛Nous et les eaux qui sont dans la mer sommes une seule chose. Es-tu donc venu ici aussi pécher et nous frapper ?’ Alors, Alkhasaïos, tout tremblant et agité, laissa se sécher la boue qui était sur sa tête, et après il l’enleva.” »

Un passage attribué à Timotheos (CMC, 99-100) sert de conclusion à cet épisode :

« Alors il leur dit : ‟Considérez vous-mêmes ces hommes illustres de votre loi, ils virent ces visions et furent bouleversés à cause d’elles 100 et ils les annoncèrent aux autres. De la même manière, moi aussi tout ce que j’ai appris d’eux” ».

III. Thèmes connexes entre le système de la ParaSem et celui de Mani

Outre la question de la polémique antibaptismale, d’autres points de comparaison et d’influence possible peuvent être établis entre le système de la ParaSem et celui de Mani.

1. Le dualisme des deux systèmes et la hiérarchie des principes

1.1. La ParaSem

L’exposé cosmogonique de la ParaSem débute par l’affirmation de la coexistence ab aeterno des trois grandes puissances (δύναμις), ou racines (ⲛⲟⲩⲛⲉ) : « Il y avait la Lumière et l’Obscur[34], et il y avait l’Esprit entre eux » (1,25b-28a). À partir de ces trois principes, l’auteur élabore un modèle de l’univers qui utilise de façon originale des données tirées du moyen platonisme et du stoïcisme pour rendre compte des fonctions respectives de chacun de ces principes. Selon ce modèle, le premier principe, appelée la Grandeur (1,6) (ⲡⲙⲉⲅⲉⲑⲟⲥ/μέγεθος = ⲧⲙ︦ⲛ̄ⲧⲛⲟϭ)[35], forme une tétrade composée de deux syzygies : elle est lumière et Pensée, remplie d’Écoute et de Logos. L’auteur transpose ici à un être transcendant la notion stoïcienne de la connaissance[36] : selon le mode représentatif, la racine supérieure est Lumière et perception d’elle-même dans une Pensée ; selon le mode discursif, elle est discours intérieur, Écoute et Logos[37]. Ces propriétés de la racine supérieure ne sont pas des éons personnifiés, des hypostases. Seul le Logos se manifestera comme le Fils de la Grandeur (4,1b-4a ; 12,1b-7a) et sera appelé « la Voix de la Pensée » (12,9). On reconnaît la distinction stoïcienne entre le verbe immanent (λόγος ἐνδιάθετος) et le verbe proféré (λόγος προφορικός). Ces propriétés sont également « rassemblées en une forme une », c’est-à-dire forment une substance homogène (ⲉⲓⲇⲟⲥ ⲛ̄ⲟⲩⲱⲧ⳿ = μονοειδής). Absolument transcendant, ce premier principe n’entre jamais en contact direct avec la création.

Le titre « la Grandeur » (ⲡⲙⲉⲅⲉⲑⲟⲥ[38]), donné au principe suprême, décrit l’état de celui qui possède en plénitude son essence lumineuse (9,8-13a). Le Sauveur, Derdekeas, est appelé « le Fils de la Grandeur » (7,1b-2a ; 10,11b-12a ; 11,20b-21a ; 12,1b-2a ; 19,24), et lorsqu’il accomplira son oeuvre salvifique, il se révélera dans sa Grandeur sans rien perdre de son essence lumineuse (17,16b-18a ; 28,33-34a). L’Esprit, au contraire, devra être rétabli dans sa Grandeur (9,4b-13a), lorsque s’étant révélé à l’Obscur, il aura dispersé une partie de sa lumière dans l’Hadès (2,35b-3,1 ; 3,26b-29). Sem lui-même, au terme de son expérience extatique, sera assimilé au Juste, le Sauveur, dont il revêtira le vêtement invincible, afin qu’il apparaisse dans sa Grandeur et transmette sa doctrine universelle aux membres de sa race (41,21b-28a ; 28,22b-29,7a ; 29,7b-33a). Il faut aussi signaler particulièrement l’expression « par la volonté de la Grandeur », qui introduit habituellement un épisode et revient comme un leitmotiv à travers toute la ParaSem pour souligner l’absolue maîtrise de la divinité suprême sur le cours des événements[39], bien que la Nature dans son ignorance pense que c’est elle qui contrôle tout (24,29-25,7a ; 27,1-4).

Le principe mauvais, l’Obscur (ⲡⲕⲁⲕⲉ) « était vent dans des eaux ; il avait l’Intellect (νοῦς) enveloppé de feu agité » (1,36b-2,4). L’auteur a repris le modèle médio-platonicien des deux intellects, père et démiurge, et l’a inversé, situant l’Intellect-père dans le chaos, prisonnier du principe mauvais. Stoïcien, il conçoit l’univers comme un vivant et se sert de l’analogie cosmobiologique pour en expliquer l’origine et le développement : la Nature sera représentée comme une gigantesque matrice (4,12b-27a) et la formation de l’univers décrite comme un processus embryologique (voir Annexes I et II).

Le principe médian, l’Esprit, est « une lumière paisible et humble » (2,4-6a). Il jouit d’une relative transcendance et agit de façon autonome. Il sera seul concerné par la chute et jouera alors le rôle de principe actif (τὸ ποιοῦν) immanent agissant sur un principe passif (τὸ πάσχον), à la manière du pneuma stoïcien, dans l’organisation du cosmos. À l’inverse de l’Obscur caractérisé par la bassesse et l’agitation (2,3), l’Esprit est décrit comme une lumière « paisible et humble » (2,5b-6a). Il est toutefois important de noter la position inférieure de l’Esprit par rapport au principe suprême et à son fils. Cette opinion de l’auteur rejoint celle de Tatien et surtout celle de Théophile d’Antioche :

Il (Dieu) nomme terre, en quelque sorte, le fondement et les assises, et abîme la multitude des eaux qu’il appelle aussi Ténèbres ; car le ciel créé par Dieu recouvrait comme un couvercle les eaux en même temps que la terre ; quant à l’esprit qui se tenait au-dessus de l’eau, c’est celui qu’a donné Dieu comme principe vital à la création — de même qu’a l’homme une âme — mélangeant principe subtil avec principe subtil : l’esprit en effet est subtil, l’eau de même. Ainsi l’esprit nourrit l’eau, et l’eau avec l’esprit nourrit la création qu’elle pénètre de tous côtés. Cet unique esprit se tenait à la place de la lumière, entre l’eau et le ciel, afin qu’en quelque sorte il n’y eût pas de communication entre les ténèbres et le ciel qui est le plus rapproché de Dieu[40]

Le passage qui décrit ensuite l’harmonie originelle (2,7b-19a) souligne bien la hiérarchie entre les racines ou principes :

Elles s’autorégentaient et se trouvaient occultées mutuellement, chacune dans sa puissance. Or la Lumière, puisqu’elle avait une grande puissance, connaissait la bassesse (ⲡⲑ̄ⲃⲃⲓⲟ) de l’Obscur ainsi que son désordre, (et savait) que sa racine n’était pas homogène (ϣⲏϣ ⲉⲛ). La déviance de l’Obscur, au contraire, était incapable de perception, (au point de dire) qu’il n’y avait rien de supérieur à lui. Cependant, ayant pu contenir sa malice, il restait couvert d’eau.

2,7b-19a

On peut déjà qualifier le dualisme de la ParaSem de dualisme radical et asymétrique, puisque le principe suprême possède une « grande puissance » (2,10b-12a) et ne se compromet jamais avec l’Obscur. Ce dualisme peut aussi être qualifié d’eschatologique puisque, au dernier jour, « l’Obscur mauvais deviendra inopérant » (45,10-13), que toute la création sera réduite à « un amas (ⲃⲱⲗⲟⲥ) obscur comme au commencement » et que toutes ses oeuvres « se mélangeront aux eaux obscures, qui sont sans limite » (45,28b-30a).

1.2. Le manichéisme

L’essentiel du credo manichéen nous est présenté dans le traité retrouvé en Chine[41] : « D’abord [il faut] discerner les deux principes. Celui qui demande à entrer en religion doit savoir que les deux principes de la lumière et de l’obscurité ont des natures absolument distinctes : s’il ne discerne pas cela comment [pourrait-il] mettre en pratique [la doctrine] ? Ensuite il faut comprendre les trois moments qui sont : 1) le moment antérieur ; 2) le moment médian ; 3) le moment postérieur ».

Le moment antérieur, qui correspond à la description des principes et à l’harmonie originelle dans la ParaSem, nous est décrit de la façon suivante par Théodore bar Konai :

Avant l’existence du ciel et de la terre et de tout ce qui s’y trouve, il y a deux natures, l’une bonne, l’autre mauvaise. La nature bonne habite dans la terre de la lumière. Mani l’appelle Père de la Grandeur. Habitent en dehors de lui ses cinq demeures : intelligence, science, pensée, réflexion, conscience. Mani appelle la nature mauvaise Roi de la Ténèbre ; il habite dans sa terre ténébreuse, dans ses cinq mondes : monde de la fumée, monde du feu, monde du vent, monde de l’eau et monde de la ténèbre[42].

Selon Alois van Tongerloo, le concept manichéen original de Dieu dans les sources occidentales est rendu par « le Père de la Grandeur », aussi bien dans les textes coptes que syriaques[43]. En regard de la ParaSem, l’expression « le Père de la Grandeur » est remarquable, puisque le principe suprême n’y est jamais appelé « le Père de la Grandeur », même s’il a un fils, Derdekeas[44]. Il n’est pas non plus, l’objet de la béatitude finale, puisque la classe la plus élevée des bienheureux reposera dans « le lieu de l’Esprit » (ParaSem, 29,22b-26). En revanche le Dieu manichéen est décrit comme un être compatissant et miséricordieux, avec qui le croyant aspire à partager le paradis de lumière[45].

Certains textes mentionnent aussi l’expression « le Père de la Grandeur au quadruple visage[46] ». Il s’agit de la tétrade composée de Dieu, de sa lumière, sa puissance et sa sagesse. Elle est mentionnée à trois reprises dans les Psaumes des errants. Ainsi dans le Psaume I, 134, 6-10 : « Voyez ! Tels [sont] les quatre jours : Dieu, la Lumière, la Puissance et la Sagesse — le Dieu qui [est] dans les éons et la lumière qui (brille) en eux, la Puissance qui soutient le tout (et) la Sagesse sainte qui (demeure) en l’Église ». Ces attributs personnels de Dieu peuvent se comparer à ceux de la tétrade suprême de la ParaSem. L’expression « la volonté de la Grandeur » se retrouve également dans certains textes de Mani, comme dans le Kephalaion VII, 17 (= 35,17).

Notons qu’il n’y a pas de principe intermédiaire entre le « Père de la Grandeur » et le « Roi de la Ténèbre ». Dans la ParaSem, l’Esprit joue ce rôle, ce qui permet au principe suprême de ne jamais être en contact avec le principe mauvais. On verra toutefois que dans le récit manichéen de la chute, le Père de la Grandeur fera appel à une série d’intermédiaires pour éviter d’être englouti personnellement dans la Ténèbre.

Dans la description du chaos, la répartition des éléments suit un ordre différent de celui de la ParaSem et il s’y ajoute la fumée. Mais la différence fondamentale d’avec le système manichéen, c’est la place que l’Intellect occupe dans le chaos : associé à l’Obscur, il jouera un rôle déterminant dans la chute de l’entité lumineuse.

Ludwig Koenen[47] décrit le dualisme manichéen, comme un dualisme radical et ontologique. On ne peut par ailleurs parler d’évolution sur ce point dans les textes manichéens[48]. Mais comme l’a souligné Concetta Giuffrè Scibona, ce paramètre ontologique est associé à un paramètre théologique, celui d’un monothéisme strict[49]. De plus, en raison de l’omniscience du principe bon, s’ajoute à ce dualisme la certitude d’une victoire eschatologique, alors qu’un grand feu viendra consumer le monde entier[50].

2. Chute et sauvetage de l’entité lumineuse dans la ParaSem et chez Mani

Dans la ParaSem et chez Mani, ces deux événements sont décrits en partie selon la même séquence d’épisodes : 1) récit de la chute ; 2) prière de l’entité qui a chuté ; 3) appel du Logos ; 4) réponse ; 5) remontée de l’entité lumineuse. À noter cependant que dans la ParaSem cette séquence ne retient que les épisodes qui concernent l’Esprit.

2.1. Dans la ParaSem

1) La chute de l’entité lumineuse (2,19-3,29)

Rappelons que dans le système de la ParaSem le principe médian, l’Esprit, est seul concerné par la chute. Celle-ci n’a qu’un but : obtenir que l’Intellect se sépare de l’Obscur, parce que celui-ci en tire orgueil (2,33b-35a). Cette chute est décrite en trois étapes : 1) l’Obscur s’agite soudainement et l’Esprit, effrayé par le bruit, s’élève en haut de son lieu ; il aperçoit l’eau obscure et s’en dégoûte (2,21b-24a). Par sa pensée, il voit aussi sa lumière infinie (cf. 8,26b-27a) et se rend compte que la racine mauvaise n’en a aucun souci (2,24b-28a). 2) Par la division de l’eau qui recouvre l’Obscur, la Lumière supérieure suscite la montée de l’Obscur et de l’Intellect, son oeil (2,28b-33a ; cf. 3,9b11a). 3) L’Esprit se révèle alors à l’Obscur et celui-ci s’étonne à la vue de cette puissance qu’il ignorait et prend conscience de sa nature obscure. Dans sa jalousie, il élève son Intellect vers ses régions supérieures et essaie de le rendre en partie semblable aux membres de l’Esprit dans une vaine tentative pour s’égaler à lui. Mais en se révélant à l’Obscur, l’Esprit a dispersé une partie de sa lumière au profit de l’Intellect. Établi dans une configuration partielle avec l’Esprit, l’Intellect s’élève et illumine l’Hadès d’une lumière de feu (2,23b-3,29). Grâce à la lumière de l’Esprit qu’il a reçue de façon partielle, l’Intellect, qui était inerte (ἀργός), peut briller dans l’Hadès à l’aide de ses formes ignées. Cependant, la lumière mélangée de feu de l’Intellect est une lumière souillée (cf. 27,9b-13 ; 33,34b-35,3) comparée à la lumière pure et homogène de l’Esprit (2,33b-3,29).

À noter que l’Esprit regarde par sa pensée et se révèle à l’Obscur ; celui-ci regarde par son Intellect et réussit à capter une partie de la lumière de l’Esprit. Ce processus de dispersion de la lumière par un regard s’explique à partir de la conception stoïcienne de la sensation. Dans le cas de la vision, il s’établit un lien entre l’oeil et l’objet vu au moyen de la lumière envoyée par la partie directrice de l’âme, l’hègémonikon, qui, à partir de l’oeil, se tend sous la forme d’un cône pour aller rejoindre l’objet à sa base[51]. Dans le cas présent cette action joue dans les deux sens.

La troisième partie du mythe raconte l’organisation du cosmos, dont le seul but est d’assurer la libération de l’Intellect et la remontée de la lumière de l’Esprit grâce à différentes interventions du Sauveur, Derdekeas, le Fils de la Lumière infinie. Ces interventions concerneront soit l’Intellect seul, soit l’Esprit seul, soit les deux à la fois. L’auteur se sert de données tirées du stoïcisme et du moyen platonisme. Il utilise aussi l’analogie cosmobiologique : la nature est représentée comme une gigantesque matrice d’où sortiront tous les éléments du cosmos[52].

Dès sa première intervention, le Sauveur apparaît sous la figure de l’Esprit (3,30-6,30a). Cette apparition enclenche le processus de formation de l’univers : l’Intellect fait monter le feu agité d’entre l’Obscur et l’Eau, et celle-ci se transforme en nuée, puis en Matrice (4,12b-27a). Le Feu agité, « qui est erreur », se rend dans la Matrice et trompe l’Obscur. À la vue de la Matrice, l’Obscur devient impur, s’unit à elle et éjacule son Intellect. En s’écoulant comme un sperme (cf. 5,1) dans la Matrice, l’Intellect se détache de l’Obscur transportant avec lui toutes ses Formes où elles prennent corps grâce au feu (les logoi spermatikoi) (4,27b-5,6a). La Nature, de son côté, conçoit une image de l’Intellect, l’Intellect-démiurge, lequel s’entrechoque avec l’Esprit, « puisqu’il avait une similitude issue de lui » (5,15b-19a). Pour se protéger, l’Esprit produit aussitôt une puissance appelée Étonnement (θαῦμα).

Mais la Matrice, n’ayant pas reçu de forme (μορφή) de la part de l’Obscur (5,8b-12a), c’est-à-dire ses parties constituantes, ne peut pousser (ⲧⲱϭ︤ⲛ) la semence vers le fond d’elle-même[53]. Par la volonté du Sauveur (cf. 6,2), la Nature se divise alors en quatre nuages qui vont constituer les différentes sphères de l’univers. Ils sont appelés à partir du plus élevé : Hymen, Chorion, Puissance, Eau. Le texte précise ensuite que les trois premiers de ces nuages sont constitués de feu. Il est probable que notre auteur utilise ici la distinction stoïcienne des trois feux : l’αὐγή, l’αἰθήρ et l’ἄνθραξ, déterminant trois régions du cosmos : empyrée, éthérée et matérielle. Le feu agité qui remplit la Nature se trouve donc réparti sur les trois sphères les plus élevées selon un ordre croissant de subtilité (cf. Annexe II).

Ces trois nuages de feu tirent (ⲥⲱⲕ)[54] alors l’Intellect hors du nuage de l’Eau (c’est l’ἀνάληψις) et avec lui la puissance l’Étonnement. L’Intellect, dans sa montée, se revêt de la lumière qui provient de l’Étonnement et, grâce à cette lumière pneumatique, il devient actif et met la Nature en mouvement (6,20-22a), agissant comme principe de l’Âme du monde. Puis l’Étonnement tourne l’Intellect vers le nuage de la Puissance pour qu’il aille s’y fixer (c’est la σύλληψις) (6,1-4a.11b-13a), tandis que lui-même, allégé, continue de monter grâce au feu le plus subtil jusqu’au nuage de l’Hymen où il se « colle » (κολλᾶν) (6,23-25a)[55].

2) Prière de l’Esprit (6,30b-35a)

Cette action de l’Esprit constitue le premier épisode de la seconde intervention du Sauveur (6,30b-7,30). L’Esprit lève alors les yeux vers la Lumière Infinie « afin qu’on eût pitié de sa lumière et qu’on emportât son image (ⲓⲛⲉ) hors de l’Hadès » (6,34b-35a). Le texte distingue l’Esprit qui se trouve sur son lieu (cf. 2,21b-22a ; 8,3) et l’image, c’est-à-dire une partie de ses membres (μέλος) (9,21), les rayons de lumière. En effet, le texte affirmera plus loin que l’Esprit doit manifester « dans tous ses membres une forme lumineuse une » (9,21b-23) ou homogène et que « l’image (ⲓⲛⲉ) de la Lumière est inséparable de l’Esprit inengendré » (10,31-33a). Au moment de sa délivrance, cette partie de lumière se dégagera de « la pesanteur de l’Obscur » (9,12b-13a), sortira de l’Hadès (6,35) ou des « profondeurs de l’Obscur » (9,2b-3a) et s’élèvera au-dessus du nuage de l’Eau (9,24) pour atteindre finalement le lieu de l’Esprit (8,2), afin que celui-ci « se remplît de toute sa lumière » (9,11-12a ; cf. 8,10b-11a). L’intervention du Sauveur, décrite dans les lignes suivantes, vise à préparer cette remontée de la lumière de l’Esprit et à terminer la formation de l’Intellect-embryon.

Derdekeas déferle aussitôt comme une onde lumineuse et une bourrasque de l’Esprit immortel. Il souffle sur le nuage de l’Hymen : celui-ci se fend et irradie les autres nuages, lesquels se fendent à leur tour, ouvrant la voie pour la remontée de la lumière de l’Esprit. Sous l’action de ce souffle également, l’Intellect prend forme (ϫⲓ ⲉⲓⲛⲉ), ce qui achève la formation de l’âme du monde.

3) Appel du Logos

La troisième intervention du Sauveur (7,31-12,15a) décrit les dernières étapes de la remontée de la lumière de l’Esprit. Derdekeas remonte à son lieu et c’est lui-même qui cette fois adresse une prière à la Lumière supérieure « afin que la puissance de l’Esprit augmentât dans le Lieu et se remplît […] de la pureté » (7,31-8,7a).

La prière du Sauveur ayant été acceptée, l’appel du Logos se fait entendre : « Et on entendit la voix du Logos disant de par la Grandeur ‹ à › l’Esprit inengendré : Voici que l’Esprit a atteint sa plénitude » (8,17b-21a).

Le discours que Derdekeas adresse à Sem après avoir libéré du chaos la lumière de l’Esprit reprend les étapes du sauvetage de la lumière de l’Esprit (11,34-12,15a) :

Car ce que je t’ai dit, Sem, c’est pour que tu comprennes que ma figure (à moi), le Fils de la Grandeur, est issue de ma pensée infinie, étant donné que je suis, pour (la Grandeur), Figure universelle (et) qui ne ment pas, vu que je suis au-dessus de toute vérité et origine de la Parole. Sa manifestation réside dans mon beau vêtement lumineux, qui est la Voix de la Pensée incommensurable. C’est nous la Lumière une qui vint à l’existence seule. Elle s’est manifestée dans une autre racine, afin que la puissance de l’Esprit fût éveillée de la Nature faible.

Dans ce passage, le salut est d’abord compris comme un Appel[56] lancé par le Logos. Ce que Derdekeas répétera plus tard à Sem, dans un passage qui concerne le salut sur le plan anthropologique : « Ô Sem, il est nécessaire que “la Pensée soit appelée par le Logos” » (37,6b-7a), afin de la faire sortir de l’oubli (14,33b-34a) et pour que, « dans le lien, la puissance de l’Esprit soit préservée de l’eau terrifiante » (37,7b-10a).

4) L’Écoute[57] (ⲥⲱⲧⲙ)

En ce qui concerne le sauvetage de la lumière de l’Esprit, la notion d’Écoute n’est pas explicitée mais nettement présupposée.

5) La remontée de la lumière de l’Esprit (8.31b-9,26a)

La remontée de la lumière de l’Esprit des profondeurs du chaos s’effectue en deux étapes. Le Sauveur se manifeste d’abord sous la figure de l’Esprit et revêt un vêtement lumineux universel, afin que sa voix puisse se faire entendre depuis le lieu de l’Esprit (8,36 ; 9,1a) et traverser les différentes sphères de l’univers (appelées aussi nuages de feu) : celle de l’Hymen, du Chorion (ou Silence), de la Puissance (ou Milieu), jusqu’à la sphère de l’Eau (8,31b-9,3a)[58]

L’auteur décrit ensuite la remontée de la façon suivante : « Selon la volonté de la Grandeur, afin que l’Esprit, par le Logos, se remplît de sa lumière, sans la puissance de la Lumière infinie, et selon ma volonté, l’Esprit s’éleva par sa puissance. Sa Grandeur lui fut accordée, pour qu’il se remplît de toute sa lumière et qu’il sortît de toute la pesanteur de l’Obscur » (9,3b-13a).

Cette description souligne deux faits importants : l’Esprit s’élève certes par sa puissance, mais c’est grâce au bon vouloir de la Grandeur et à celui de son Fils.

2.2. Chute et remontée de l’entité lumineuse chez Mani

Chez Mani, les notions d’Appel (ⲧⲱϩⲙⲉ)[59] et d’Écoute (ⲡⲥⲱⲧⲙⲉ) sont davantage mises en relief : ce sont des hypostases qui jouent également un rôle essentiel tant sur le plan cosmique qu’anthropologique.

1) Chute de l’entité lumineuse

Le drame débute lorsque le Roi de la Ténèbre entrevoit la beauté de la terre de la lumière et décide de se l’approprier[60]. Ce déclenchement des hostilités inaugure le premier moment du temps médian. Le Père de la Grandeur décide de riposter lui-même à l’assaut du Roi de la Ténèbre par une première série d’appels : il appelle d’abord la Mère des vivants, celle-ci appelle l’Homme primordial, la propre âme du Père, et l’Homme primordial appelle ses cinq fils, son armure pour le combat : l’air, le vent, la lumière, l’eau et le feu. « Alors l’Homme primordial s’offrit lui-même et ses cinq fils en nourriture aux cinq fils de la ténèbre, à l’instar de celui qui, ayant un adversaire, lui offre, mêlé à une pâtisserie, un poison de mort[61]. » Engloutis par les fils de la ténèbre, l’Homme primordial et ses cinq fils tombent inconscients. Mais puisque l’Homme primordial est l’âme du Père, une partie de la substance lumineuse divine se trouve désormais enchaînée à la matière.

2) Prière au Père de la Grandeur

Revenu à lui, l’Homme primordial « adressa par sept fois une prière au Père de la Grandeur ».

3) Appels du Père de la Grandeur

Le Père de la Grandeur lance une deuxième série d’appels. Il appelle d’abord l’Ami des lumières, celui-ci appelle le Grand architecte qui à son tour appelle l’Esprit vivant. L’Esprit vivant vient en aide avec ses cinq fils : l’Ornement de la Splendeur, le Grand roi de la magnificence, Adamas-Lumière, le Roi de la gloire, le Porteur (l’Omophore). Près du territoire de la ténèbre, l’Esprit lance d’une voix forte un appel (ⲧⲱϩⲙⲉ) à l’Homme primordial.

4) Acceptation du message

L’Homme primordial accepte (ⲥⲱⲧⲙⲉ) le message : « Alors l’Homme primordial répondit et dit : “Viens dans la paix, toi qui apportes le salaire de la prospérité et de la paix !” […] L’Appel et la Réponse s’unissent l’un à l’autre et montent vers la Mère des Vivants et vers l’Esprit vivant. Et l’Esprit vivant se vêtit de l’Appel, et la Mère des Vivants se vêtit de la Réponse, son enfant bien-aimé. Puis ils descendirent dans la Terre de la Ténèbre, là où se trouvaient l’Homme primordial et ses fils. »

5) Sauvetage de l’Homme primordial

L’Esprit vivant tend sa main droite à l’Homme primordial et le tire de la ténèbre[62]. Cet épisode met fin au premier moment du temps médian.

Le second moment décrit ensuite le sauvetage des cinq fils de l’Homme primordial par l’Esprit vivant qui opère la fabrication du monde avec les oeuvres des archontes, libérant ainsi une partie de la lumière restée dans la ténèbre.

2.3. Homogénéité (ϣⲱϣ/ϣⲏϣ = μονοειδής) de la Lumière

L’auteur de la ParaSem décrit le principe suprême qui règne au sommet de la hiérarchie comme une tétrade composée de deux couples de propriétés : « La lumière (ⲟⲩⲟⲉⲓⲛ = φῶς) était Pensée (ⲙⲉⲉⲩⲉ = ἔννοια), pleine d’Écoute (ⲥⲱⲧⲙ̄ = ἀκοή) et de Logos (ⲗⲟⲅⲟⲥ = λόγος) ; ils étaient rassemblés, en une forme une (1,34b-36a), c’est-à-dire forment une substance homogène (ⲉⲓⲇⲟⲥ ⲛ̄ⲟⲩⲱⲧ⳿ = μονοειδής)[63], contrairement au principe mauvais, multiforme et divisible et dont la nature n’est pas homogène (ϣⲏϣ ⲉⲛ) » (cf. 2,14 ; cf. 3,24b-29)[64]. Le texte ajoute au sujet de l’Esprit : « Et l’Esprit qui était entre eux était une lumière paisible et humble (ⲑ̄ⲃⲃⲓⲏⲟⲩ) » (2,4-6a). Pour l’auteur de la ParaSem l’Esprit possède une nature lumineuse amoindrie en comparaison de celle du premier principe.

Le thème de l’homogénéité de la Lumière est caractéristique de la doctrine de Mani, comme l’ont démontré les nombreux articles d’U. Bianchi[65]. Dans le manichéisme, les parties de lumière qui exercent des fonctions diverses dans les différents moments de l’histoire mythique ne sont pas graduées ontologiquement. En revanche, la philosophie néo-platonicienne « admet une graduation et une différence de dignité et puissance entre des entités ou hypostases plus ou moins élevées ou, au contraire, plus susceptibles d’entrer en contact avec la matière. […] L’Homme primordial manichéen n’est pas en soi de qualité inférieure à celle du Père, du fait qu’il est l’Âme du Père, que le Père a évoquée pour lui faire exercer une fonction[66] ».

2.4. L’encratisme[67]

Dans sa violente polémique antibaptismale (36,25-38,28a) l’auteur de la ParaSem s’est exprimé clairement sur la nécessité de la continence absolue (ἐγκράτεια), refus du mariage et de toute relation sexuelle. Il résume son propos dans l’interdiction d’« avoir commerce avec le frottement impur » (38,8b-9). Le fondement de ce refus remonte à la fois au mythe de la création de l’univers, issu du coït entre l’Obscur et la Matrice cosmique (4,12b-5,6a) et à celui de la création de l’humanité, issue du coït des démons, forces démiurgiques mâles, et des vents, forces démiurgiques femelles (23,9-24,29a). Rejeter tout commerce sexuel est également mentionné dans la double exhortation qui encadre la paraphrase sur le Mémorial et le Témoignage : dans la première en 32,21b-25a, et à deux reprises dans la seconde, d’abord en 34,21b-22a, puis en 35,5b-6a. Notre auteur fait ainsi de la continence une nécessité absolue pour avoir part au bonheur éternel. La nécessité de rejeter tout commerce sexuel est également mentionnée dans la double exhortation qui encadre la paraphrase sur le Mémorial et le Témoignage : dans la première en 32,21b-25a et à deux reprises dans la seconde, d’abord en 34,21b-22a, puis en 35,5b-6a. Notre auteur fait ainsi de la continence une nécessité absolue pour avoir part au bonheur éternel.

Chez Mani[68], l’encratisme est désigné par l’expression « le sceau du sein » (signaculum sinus). Au sens strict, il s’agit de l’abstention de toute relation sexuelle. Un passage d’Alexandre de Lycopolis résume l’enseignement des manichéens sur le sujet : « Puis donc que le décret de Dieu ordonne que la matière périsse, on doit s’abstenir de toute nourriture animée, se nourrir de légumes et de tout ce qui est privé de sentiment, s’abstenir du mariage, des plaisirs de l’amour et de faire des enfants, afin de ne pas prolonger le séjour de la puissance dans la matière par la succession des générations[69] ». Par ailleurs, comme dans le cas de la ParaSem, le fondement de cette abstention remonte à la création d’Adam et Ève par les archontes : « Et Nebroël et Ashaqlun s’unirent l’un à l’autre et Nebroël conçut et enfanta Adam. Puis elle conçut et enfanta une fille qu’elle appela Êve[70] ».

Conclusion

Est-ce que Mani a été influencé par la ParaSem dans l’élaboration de sa polémique antibaptismale ? Si on tient compte du fait qu’il a été éduqué pendant vingt ans dans une communauté elkasaïte, entre 220 et 240, en Syrie orientale, alors qu’à la même époque et dans le même milieu circulait un texte dont la violente polémique antibaptismale était dirigée précisément contre la doctrine d’Elkasaï, on peut en conclure que la ParaSem était connue dans la communauté où vivait Mani et qu’elle y suscitait de vives discussions, qui l’ont sans doute influencé. En plus de la polémique antibaptismale, nous avons signalé d’autres points de comparaison entre la doctrine de la ParaSem et celle de Mani, notamment les notions d’Appel et d’Écoute. Dans la ParaSem, ces notions sont ancrées dans la nature même du premier principe, puisque selon le mode discursif il est discours intérieur : Écoute et Logos[71], et que pour effectuer le salut, ce Logos se transforme en Appel (ParaSem, 37,6b-7a). On a vu aussi que chez Mani, les notions d’Appel et d’Écoute jouent un rôle fondamental dans le sauvetage de l’entité lumineuse. On peut donc conclure avec une certaine probabilité que Mani a connu la ParaSem et a été influencé par ce texte dans sa décision de quitter la secte dans laquelle il avait été éduqué et dans l’élaboration de sa doctrine en général[72].