Mémoires du livre
Studies in Book Culture
Volume 2, numéro 2, printemps 2011 Le livre dans le livre : représentations, figurations, significations Books in Books: Representations, Roles, Meanings Sous la direction de Anthony Glinoer et Caroline Paquette
Sommaire (9 articles)
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Le livre dans le livre : représentations, figurations, significations
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Le portrait de soi en écrivain. Zola et son double Sandoz
Frédérique Giraud
RésuméFR :
Se concentrant sur l’étude de la figure de l’écrivain Sandoz dans le roman L’Oeuvre d’Émile Zola, cet article s’interroge sur la fonction de l’écriture dans la construction de l’image de soi. Il s’agit de comprendre les significations et logiques qui régissent la fiction lorsqu’elle est mise au service de la connaissance et de la promotion de soi. Nous montrons que l’écrivain Sandoz a charge dans la fiction de représenter Émile Zola : image performative, elle façonne la définition et l’image sociales de son auteur.
EN :
By focussing on a study of the writer Sandoz in the novel L’Oeuvre by Émile Zola, this article interrogates the role that writing plays in the construction of one’s self-image. It is concerned with understanding the significations and reasoning that govern fiction when it is put at the service of self-knowledge and self-promotion. We show that the writer Sandoz in Zola’s fiction is there to depict Émile Zola: a performative image that shapes the social definition and image of its author.
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De l’authenticité à l’autonomie littéraire : l’auteur, ses livres, les éditeurs et ses relais dans les romans de Louis-Ferdinand Céline
Jean-Philippe Martel
RésuméFR :
Dans une publication récente, Jérôme Meizoz isole trois postures d’auteur chez Céline, qu’il associe à des moments de sa carrière : d’abord « antibourgeois », puis « pamphlétaire » et, enfin, « bouc-émissaire ». Toutes ces postures s’appuient évidemment sur des données biographiques, connues ou supposées connues du public. Relayées dans ses romans par des ethè qui leur correspondent, ces postures participent d’une poétique de l’authenticité, répondant par ailleurs à la valorisation célinienne de l’autonomie du littéraire par rapport aux « idéâs » et aux « messages ».
Mon hypothèse veut que l’authenticité mise de l’avant par Céline peut être vue comme un élément important d’une poétique qui viserait à échapper au soupçon idéologique pesant sur la création romanesque : en brouillant les frontières entre la biographie et le roman, Céline appuie sur la véracité de la fiction, qui semble dès lors soustraite à l’emprise des « idées » ou des « messages », puisqu’elle est vraie : « Qu’importe mon livre? [demande-t-il lors d’une des premières entrevues qu’il donne.] Ce n’est pas de la littérature. Alors? C’est de la vie, la vie telle qu’elle se présente. »
EN :
In a recent work, Jérôme Meizoz isolates three authorial “postures,” to quote Céline, that he links to moments in Céline’s career: first “antibourgeois,” then “pamphleteer” and finally “bouc-émissaire.” Evidently, these postures are based on biographical facts, known or said to be known by the public. When relayed in his novels by equivalent ethè, these postures can be seen as part of Céline’s poetics of authenticity, itself founded on the Célinienne ideal of autonomous literary creation – unfettered by “ideas” and “messages.”
My hypothesis is that the apparent authenticity or genuineness put forward by Céline could be viewed as an important aesthetic element meant to skirt or bypass ideological suspicions that encumber the writing of novels: by blurring the limits between biography and fiction, Céline is actually highlighting the truthfulness of fiction, thenceforth seemingly freeing it from all prospective ideological bias or hold, since it is given as the only true discourse: “What is the significance of my book? [he asks in one of the first interviews he ever gave]. It’s not literature. So? It’s life, life as life presents itself.”
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Un « couple » sous tension : le romancier et le livre dans les romans de la vie littéraire
Pascal Brissette et Michel Lacroix
RésuméFR :
Si le sens commun n’imagine guère d’écrivain sans livre, rien n’est moins évident dans la fiction. Ce constat, effectué à partir des recherches menées sur les romans de la vie littéraire publiés en France entre 1800 et 1940, nous a amenés à nous interroger sur cet étrange statut du livre dans les fictions. Quand et pourquoi le livre est-il montré? Quand et pourquoi ne l’est-il pas, dans un corpus où l’on s’attend pourtant à l’y trouver? Pour esquisser des réponses à ces questions, nous avons étudié les textes de Madame de Genlis, de Madame de Staël, de Balzac, de Gide et de Duhamel. Nous avons ainsi pu voir que la littérature est souvent fictionnalisée comme pure parole, sans matérialité, comme « texte » tout entier spiritualisé, manifestant ainsi une idéalisation de la présence et une hantise de la médiation ; la présence du livre comme objet matériel, comme imprimé, fait au contraire surgir quantité de médiateurs, souvent chargés de négativité, parce qu’ils manifestent la dimension économique de la création littéraire.
EN :
If, in reality, the book is generally accepted as the symbolic attribute of a writer, it is not so in fiction. This significant though relative absence is at the heart of our analysis of novels published in France between 1800 and 1940. When and why is the book an important component of the story? When and why isn’t it in texts where literature is the central theme and one would expect to find it? To sketch out answers to these questions, we have studied novels by Madame de Genlis, Madame de Staël, Balzac, Gide and Duhamel. We have been able to show that literature is often fictionalized as the dream of a pure and dematerialized voice, as a completely spiritualized “text,” thus appearing as an idealization of the present and as an obsession with mediation; in contrast, the presence of the book as material object, as printed matter, brings about a sudden surge of mediators, most of whom are freighted with negativity because they reveal the economic dimension of literary creativity.
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Imaginaire du livresque dans La mort exquise de Claude Mathieu
Sophie Drouin
RésuméFR :
Les représentations de l’écrit présentes dans les nouvelles du recueil La mort exquise de Claude Mathieu s’offrent comme autant de médiations non plus uniquement entre un auteur et un lecteur, mais bien entre un passé et un avenir. Cette mémoire inscrite dans la matière participe à la construction du sujet en faisant resurgir un passé qui s’oppose à un prolongement imaginaire de la vie, créant ainsi la sensation vertigineuse d’un éternel retour.
Cet article analysera diverses occurrences du livre et de l’écrit dans le recueil de Claude Mathieu afin d’en faire ressortir leur rôle joué dans l’univers fictif et social. L’insistance accordée à la matérialité du support ainsi qu’aux rapports problématiques des personnages à l’écrit permet de penser que les représentations du livre et de l’écrit s’élaborent comme les composantes précieuses de ruines d’un passé jamais tout à fait saisissable. Bien que le recueil semble situé en marge du courant nationaliste et identitaire de la littérature des années soixante, l’étude des représentations de l’écrit permet de proposer une lecture qui le restituerait dans le contexte de l’époque.
EN :
The representations of writing in Claude Mathieu’s collection of short stories La mort exquise are presented as a sum of mediations, not only between the author and the reader, but between a past and a future. The memory inscribed in the material participates in the construction of the subject by recalling a past that contrasts with an imaginary extension of life, thereby creating the dizzying sensation of an eternal return.
This article will analyze the various occurrences of the book and of writing in Claude Mathieu’s collection of short stories in order to show the role they play within the fictional and social world. The emphasis given to the materiality of the medium and to the problematic relationship between the characters and writing itself suggests that the representations of the book and of written material are the precious components of the ruins of a past that can never be completely grasped. Although this collection of short stories would seem to be located on the margins of Quebec’s nationalist and identity literary movement during the 1960s, this study offers a reading that places it within the context of the era.
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L’écrivain français et le dictionnaire dans son oeuvre : objectivation, symbolisation, symbiose constante
Aline Francoeur
RésuméFR :
L’écrivain entretient une relation privilégiée avec le dictionnaire. Dans les circonstances, on ne s’étonne pas de rencontrer, au hasard d’un roman, une référence à ce proche et vaillant compagnon du processus d’écriture. Parfois simple figurant, élément d’un décor, parfois acteur de soutien de protagonistes de tous âges qui manient la plume, le dictionnaire se voit dépeint sous divers angles dans la littérature. L’écrivain lui réserve ainsi une variété de fonctions : il est ouvrage de référence, autorité, gagne-pain, oeuvre d’une vie. Il est aussi objet, tantôt parure, tantôt pied de lit, butin, projectile même. Gros ou petit, à l’occasion vétuste, il est image associée à l’intellectuel, au savant, au maître d’école, mais surtout à l’écolier. À partir d’extraits de romans provenant des bases de données Frantext et Gallica, nous avons dégagé ces images multiples du dictionnaire proposées par les écrivains français.
EN :
Writers have a privileged relationship with the dictionary. Therefore, it is not surprising to come upon references to this close and gallant writing companion in novels written by French authors. Dictionaries are depicted from different points of view by the very characters writers create: as indispensible supporting material, as metaphor or simply as a decorative element in the scenes they occupy. For these characters, the dictionary enjoys a great variety of uses: it is a reference-work they cannot do without, an authority, a way of making a living, and, as the case may be, the work of a lifetime. It can be pure object, serving at times as an ornament, even as a pillow; it may be an object of theft and is especially useful as a projectile. Large or small, and often dilapidated, the dictionary is associated with the intellectual, the savant, the schoolteacher and especially the student. From excerpts of novels, as supplied by Frantext and Gallica databases, we have extracted multiple images of the dictionary provided by French authors.
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La bande dessinée en son miroir. Images et usages de l’album dans la bande dessinée française
Sylvain Lesage
RésuméFR :
La présence de l’album dans l’album de bande dessinée franco-belge épouse la trajectoire culturelle de cet objet singulier : absent quand l’album n’est qu’un support marginal, limité aux clins d’oeil lorsque l’album commence à s’affirmer comme support éditorial principal, l’album dans l’album change de fonction au moment où la bande dessinée bascule de l’univers culturel des produits destinés à l’enfance au statut de neuvième art. Lieu d’affirmation des généalogies esthétiques, à travers mises en abyme de l’album et reprise de « cases mémorables », la mise en scène de l’album devient de plus en plus le support d’une démarche théorique en actes.
EN :
This article focuses on the evolution of the publishing format of French comic books, and its links to the conquest of cultural legitimacy, through the evolution of its representations. The representation of “albums” in Franco-Belgian comic books follows the cultural evolution of the comic book market in France. When this new book market appeared, during the 1950s and 60s, the representation of comic books was generally limited to a glimpse or two. References expanded as the book eventually became the main publishing format for French comics. The shift from newspapers to books, changes in creative aspects and readership, as well as the redefinition of “high culture,” have changed the use of these representations. Once comics had attained the “ninth art” status, the representation of “albums” acted as a framework for explicit aesthetic debts or as ways to acknowledge influences, but also as a way to remind the readers of “memorable frames.” The latest designation of comics as avant-garde pushed their creators to use the representation of the album as support for new theoretical experiments.
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Le livre et la scène de lecture dans le roman français contemporain pour la jeunesse
Gilles Béhotéguy
RésuméFR :
La lecture d’une quarantaine de romans publiés en France entre 1980 et 2005, extraits d’un corpus beaucoup plus important, montre la tension entre mythe et fantasme qui sous-tend la représentation du livre et de la scène de lecture dans la fiction française contemporaine pour la jeunesse. Si les auteurs manifestent une ardeur de prosélytes dans la célébration des vertus de la lecture, force est de constater que, dans l’ensemble, ils ne montrent guère d’originalité dans leur démarche. Ils ne revisitent pas les grands mythes qui fondent la culture du livre, mais ils en réaffirment au contraire la permanence et s’érigent en gardiens du temple, en conservateurs du patrimoine culturel légitimé. L’objet-livre est saisi comme un symbole ou est détourné en fétiche investi par les fantasmes d’écrivains bibliophiles. Tout aussi stéréotypée, la scène de lecture rompt avec la réalité de sa pratique et tend à l’allégorie. Ces mythologies de la lecture courent le risque, finalement, de faire du livre un pur objet de fiction, une curiosité étrange et incompréhensible pour le jeune lecteur égaré dans un roman-musée.
EN :
The reading of over forty novels published in France between 1980 and 2005, a selection from a much larger corpus, shows the degree to which the depiction of books and reading in contemporary French literature for teens is subject to myth and fantasy. Even if authors demonstrate the fervor of the converted while celebrating the virtues of reading, their approach, on the whole, lacks originality. They don’t revisit the stereotypes that ground the culture of reading. On the contrary, they set themselves up as gatekeepers of the sanctuary of literature, as curators of a legitimized heritage. In fiction, the book is laid out as a symbol or it is turned into a fetish invested with the fantasies of the bibliophilic writer. Stereotyped as well, the reading scene breaks with the reality of the practice of reading and leans towards allegory. These reading mythologies run the risk, in the end, of turning the book into a purely fictional object, a curiosity at once exotic and incomprehensible to young readers who are left wandering about in a museum of the novel.
Varia
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Un « loup canadien » dans le monde de l’édition : Alain Stanké aux Éditions internationales Alain Stanké
Marie-Ève Riel
RésuméFR :
Le présent article entend dresser le parcours des Éditions internationales Alain Stanké dans le monde de l’édition, depuis sa fondation par Alain Stanké en 1975 jusqu’à sa vente au groupe Quebecor en 1997. Spécialisée dans l’édition de best-sellers en tous genres, l’entreprise se fait rapidement remarquer en France en 1978, grâce à l’obtention des droits exclusifs de publication en français des mémoires de l’ex-président Nixon, ce qui vaut à Stanké lui-même le surnom de « loup canadien » par Le Figaro. Mais la maison publie également un important fonds de « classiques » de la littérature québécoise, sous forme d’une collection en format de poche, qui assurent la légitimité culturelle de l’entreprise.
EN :
This article traces the development of the publishing company Les Éditions internationales Alain Stanké, from 1975 when it was founded by Stanké to 1997 when it was sold to the Quebecor group. Specialized in best-sellers of all kinds, the business rapidly gained attention in France when it obtained exclusive publishing rights to the French edition of the memoirs of former American President Richard Nixon (1978), a coup which earned Stanké the nickname the “Canadian Wolf” in Le Figaro. But the house also publishes a substantial collection of Québécois classics that ensures the cultural legitimacy of the company.