Comptes rendus

Isabelle Boisclair et Catherine Dussault Frenette (dir.), Femmes désirantes : art, littérature, représentations, Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2013, 366 p.[Notice]

  • Laurence Pelletier

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  • Laurence Pelletier
    Université du Québec à Montréal

Le désir, s’il a été pensé, théorisé et mis en scène de diverses façons à travers l’histoire, a avant tout été présenté comme un désir unique, comme une réalité objective. Dans La carte postale. De Socrate à Freud et au-delà, Jacques Derrida rappelle que l’économie du désir dans la tradition philosophique – dans la psychanalyse en particulier – est marquée du signe masculin : « il n’y a qu’une libido, donc pas de différence, encore moins d’opposition en elle du masculin et du féminin, d’ailleurs elle est masculine par nature » (Derrida 1980 : 510). Dans Femmes désirantes : art, littérature, représentations, Isabelle Boisclair et Catherine Dussault Frenette soulèvent, dès la première phrase de leur avant-propos, le caractère idéal d’un désir envisagé hors des identités sexuelles (p. 11). Or voilà, celui-ci est étroitement intriqué et défini par les commandements culturels, les discours et les pratiques hétéronormés qu’ordonne, produit et reproduit notre société. C’est à partir de ce postulat que Boisclair et Dussault Frenette invitent le lectorat à penser et à problématiser le désir féminin – les désirs féminins – depuis les différentes figures de femmes désirantes que proposent les arts et la littérature. Cet ouvrage collectif réunit une majorité de textes qui avaient été présentés auparavant sous forme de communications au colloque « Femmes désirantes dans la littérature et la culture médiatique » à l’occasion du congrès de l’Acfas tenu à Montréal en mai 2012. Ils sont assemblés ici et disposés en quatre sections thématiques : « Femmes désirantes dans les arts et intersectionnalité »; « Littérature I : l’âge comme déterminant invisible de l’objet »; « Littérature II : revisitation des codes pornographiques »; et « Désirs et autofiction : difficile production, difficile réception ». Bien qu’ils soient distincts, ces textes suivent tous, ou du moins s’y rapportent-ils implicitement, deux outils théoriques, lesquels, en filigrane, conduisent la cohérence de l’ouvrage. Le premier de ces outils, indiquent Boisclair et Dussault Frenette, s’envisage par la formule « imaginaire colonisé », telle qu’elle a été proposée par Serge Gruzinski et reprise par Katherine Roussos : elle est employée dans le contexte de ce collectif pour rendre compte de « la prégnance de l’androcentrisme des schémas culturels sur l’imaginaire féminin » (Gruzinski 1988 : 13; voir aussi Roussos (2007)). Les scénarios imaginaires et les fantasmes féminins sont considérés comme des produits historiquement constitués par une culture dominée par le masculin, son imaginaire et ses fantasmes. Le second outil est celui de « scripts sexuels », concept issu des travaux de John Gagnon et William Simon selon qui chaque personne « introjecte et incorpore des scénarios – des scripts – que nous performons par la suite » (Gagnon et Simon 1973 : 14). En continuité avec le concept d’« imaginaire colonisé », les scripts sexuels suggèrent non seulement que l’imaginaire et les fantasmes féminins seraient sujets à une domination culturelle masculine, mais que le désir même, dans sa conception, son orientation, ses manifestations et sa (re)mise en actes, ne pourrait être libre ni détaché de tout rapport de pouvoir, ce qui rend problématique, par le fait même, la question d’agentivité, à savoir la faculté ou la capacité d’une personne à agir en pleine conscience. L’entreprise de l’ouvrage Femmes désirantes : art, littérature, représentations consiste ainsi à amorcer un mouvement réflexif et à dessiner une généalogie du désir au féminin : remonter jusqu’à sa source pour ensuite en revisiter les filons, les ramifications, les effets. C’est la tâche à laquelle s’attaque d’emblée Wendy Delorme dans son texte d’introduction, alors qu’elle tend à révéler la « cosmogonie de [s]on imaginaire érotique, [à] toucher sans …

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