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Dans son essai, Pierre-Luc Brisson tente de mettre en valeur l’apport des études classiques dans un XXIe siècle dont il juge sévèrement le système d’éducation québécois et le degré de culture générale des citoyens qu’il forme. Marchandisation de l’éducation, minceur des programmes d’étude, enseignants-techniciens formés à la pédagogie plutôt qu’à la discipline qu’ils enseignent, élèves du secondaire et étudiants postsecondaires sans culture : tout y passe. La solution à ces maux serait de revaloriser l’étude des humanités classiques qui ont marqué l’histoire des civilisations occidentales.
L’idée de revaloriser l’histoire comme discipline formant l’esprit est noble et non sans intérêt. Néanmoins, les critiques de Brisson sont maladroites et sa rhétorique peu convaincante. La critique à l’endroit de la formation des maîtres est, elle aussi, cinglante, mais ne s’appuie sur aucune donnée empirique probante, si ce n’est le calcul des crédits accordés aux départements d’histoire. Par ailleurs, l’auteur présente une vision simpliste des vrais pédagogues – au sens premier du terme – [qui eux ne sont pas] des techniciens de la transmission d’outils conceptuels (p. 56). Ceux-ci sont avant tout des orateurs passionnés, des passeurs de connaissances et des individus de grande culture. Si ce sont là des qualités certaines d’un enseignant compétent, elles font fi de tout un pan de la profession enseignante ainsi que des résultats de la recherche en éducation, en plus de véhiculer une image figée de la connaissance en tant que savoir déclaratif. Encore une fois, l’idée mise de l’avant par Brisson selon laquelle c’est la formation intellectuelle – et non pas technique – qui devrait être la pierre d’assise de leur formation [aux enseignants] (p. 36) est louable, mais la critique de l’auteur demeure fragile, et les solutions apportées témoignent d’une certaine naïveté à l’égard de l’enseignement et de l’apprentissage.
Quant à la conception que l’auteur a de l’histoire et l’usage qu’il fait des oeuvres classiques qu’on retrouve dans son essai, ils témoignent d’une vision des finalités de l’histoire scolaire commune à celle des collèges classiques qu’il louange. Cette vision de l’histoire sert principalement à véhiculer des valeurs, un héritage et des leçons d’histoire. Ironiquement, cette vision de l’histoire comme répertoire de leçons devant servir à prémunir l’homme contre la possibilité de commettre les mêmes erreurs repose sur le postulat que l’histoire se répète de façon cyclique et date de… Thucydide !
Finalement, si l’essai ne convainc pas par les solutions qu’il propose, les préoccupations qu’on y lit font écho à des problèmes sociopolitiques bien réels. Brisson voit juste lorsqu’il dit que l’histoire peut être un remède à certains de nos maux. Le développement d’une pensée historienne instrumentée de sa méthode peut aider les citoyens de demain à s’informer et à participer pleinement à la vie démocratique. Un professeur que j’estime me disait avec justesse que, si Pierre-Luc Brisson utilise l’expression cimetière des humanités, son texte relève davantage du genre tombeau, c’est-à-dire un éloge fait à une idée ou un personnage disparus.