Corps de l’article

1. Introduction

De nombreux pays reconnaissent les besoins particuliers des enfants doué⋅e⋅s au même titre que ceux d’enfants présentant d’autres particularités, notamment en se dotant de législations et de programmes spécialisés adaptés à l’évolution des connaissances dans ce domaine (Péreira-Fradin et Jouffrey, 2006). Le Québec accuse un retard à cet égard, s’expliquant par un conflit idéologique des années 1980 dans lequel la douance, ou haut potentiel intellectuel, aurait été associée à l’élitisme et aux inégalités sociales (Bélanger, 2019 ; Massé, 2000), laissant ce thème en marge des politiques éducatives et des cursus de formation professionnelle en éducation durant plusieurs décennies. L’accès à l’évaluation étant largement limité (ressources rares et onéreuses), la douance serait principalement détectée et prise en charge dans des milieux socioéconomiques plus aisés (selon la scolarité des parents et le revenu familial annuel) (Callahan et Hertberg-Davis, 2018), ce qui pourrait justifier cette perception.

Les dernières années ont fait place à une nouvelle ouverture face à la douance : au niveau gouvernemental (ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec, 2020), mais également dans les médias québécois (Lévesque, 2016) et au sein de certaines professions (Bélanger, 2017). On s’y est, entre autres, préoccupé du manque de connaissances et de ressources en douance, notamment dans le milieu scolaire, et des écueils possibles pour les jeunes doué⋅e⋅s et leur famille. Alors que, jusqu’à récemment, ce manque de connaissances sur la douance au Québec n’avait pas été objectivé sur la base de données empiriques, deux études menées auprès de professionnel⋅le⋅s en éducation de partout au Québec offrent maintenant des appuis à cet égard. Les répondant⋅e⋅s à ces études rapportent, en grande majorité, des connaissances très limitées (Brault-Labbé, Turcotte, Comtois, Dupuis-Fortier, Hubert, Morin et Poirier, 2019 ; Poirier, Brault-Labbé, Robert, Brassard et Longpré, 2019) et une absence de formation (Massé, Couture, Baudry, Verret, Nadeau, Bégin et Lagacé-Leblanc, 2019) en douance. Elle⋅il⋅s expriment aussi des préoccupations à propos des élèves doué⋅e⋅s, parmi lesquelles les enjeux motivationnels sont centraux (par exemple, l’ennui, l’inattention, l’échec et le décrochage scolaire), et rendent compte de l’anxiété, la turbulence en classe et le fait que ces élèves soient laissé⋅e⋅s à elles⋅eux-mêmes par le système scolaire (Brault-Labbé et coll., 2019 ; Poirier et coll., 2019). Un besoin de formation est rapporté par les professionnel⋅le⋅s, notamment à propos de : l’anxiété de performance et des spécificités socioaffectives des jeunes doué⋅e⋅s ; des élèves doué⋅e⋅s sous-performant⋅e⋅s ainsi que de celles⋅ceux présentant un trouble d’apprentissage ou d’adaptation associé (Massé et coll., 2019).

Les parents, en accompagnant au quotidien le vécu scolaire de leur enfant, sont aux premières loges pour constater les difficultés auxquelles se bute l’enfant à l’école. Si leurs défis parentaux ont fait l’objet de plusieurs écrits cliniques, les travaux empiriques les concernant sont beaucoup plus rares. Ceux qui ont été réalisés appuient l’idée que l’accompagnement parental d’enfants doué⋅e⋅s dans le parcours scolaire représente un défi important (Bechard, 2019 ; Renati, Bonfiglio et Pfeiffer, 2016). Au Québec, où ce défi est susceptible d’être d’autant plus grand considérant l’historique des dernières décennies et le manque de connaissances du milieu de l’éducation sur la douance, aucune étude empirique ne semble s’être intéressée à cette question.

2. Contexte théorique

2.1 Définition de la douance

Selon la première conceptualisation de la douance, formulée par Terman (1926), étaient considérés comme doués les individus ayant un quotient intellectuel supérieur à 130 (ou supérieur à celui de 98 % de la population). Avec le temps, certains auteurs ont considéré étriquée cette définition basée essentiellement sur le quotient intellectuel, celle-ci ne permettant pas de saisir adéquatement la complexité de cette condition neurodéveloppementale (Fumeaux et Revol, 2012 ; Liratni et Pry, 2007). À l’heure actuelle, il n’existe toutefois pas de consensus sur la conceptualisation de la douance. Plusieurs auteur⋅e⋅s s’entendent sur des caractéristiques fréquemment observées chez les personnes douées, notamment un niveau marqué de curiosité, de soif d’apprendre et de créativité (Vaivre-Douret, 2011). Les modèles contemporains qui tentent de décrire la douance (Gagné, 2013 ; Gardner, 2006 ; Renzulli, 2005 ; Sternberg, 2000) intègrent fréquemment ce type de caractéristiques, mais varient, entre autres, quant aux types ou aux domaines d’intelligence déterminés pour parler de douance (intellectuel, artistique, sportif, etc.) et au seuil de quotient intellectuel indiquant une douance (lorsqu’ils le précisent). En plus de multiplier les variantes définitionnelles de la douance, ces modèles ne font pas consensus dans la communauté scientifique du fait qu’ils n’ont pas tous fait l’objet de validation empirique. Cette absence de consensus peut se refléter dans les milieux de pratique où les critères pour parler de douance ne sont pas les mêmes pour tou⋅te⋅s les professionnel⋅le⋅s, générant parfois de la confusion quant à l’identification des personnes douées.

Certain⋅e⋅s auteur⋅e⋅s décrivent également des caractéristiques développementales et affectives fréquemment observées chez les jeunes doué×e⋅s et susceptibles d’être associées à des défis ou à des vulnérabilités particulières (Terrassier, 2009 ; Vaivre-Douret, 2011), par exemple l’hypersensibilité (ou hyperexcitabilité, Dabrowski, 1972 ; Daniels et Piechowski, 2008 ; Karpinski, Kolb, Tetreault et Borowski, 2018), les préoccupations existentielles et de justice élevées (Webb, 2016), de même que les états d’asynchronie interne ou externe (Terrassier, 2009). La première correspond à un décalage entre le développement cognitif de l’enfant et d’autres aspects de son développement, par exemple, la sphère affective (Guénolé, Louis, Creveuil, Baleyte, Montlahuc, Fourneret et Revol, 2013). La seconde se rapporte au décalage entre le niveau de fonctionnement de l’enfant et celui de ses pairs ou entre les besoins de l’enfant et la capacité de son environnement d’y répondre, notamment le milieu scolaire (Peterson et Moon, 2008). Certains profils de douance sont également associés à une plus grande vulnérabilité, il s’agit notamment des profils de très haut potentiel intellectuel (Cross, Vaughn, Mammadov, Cross, Kim, O’Reilly, Spielhagen, Pereira Da Costa et Hymer, 2019), des profils hétérogènes ou complexes (présence de disparité entre les différentes capacités cognitives évaluées par les tests psychométriques) (Revol, Louis et Fourneret, 2004), ainsi que des profils doublement exceptionnels (Foley-Nicpon et Candler, 2018), c’est-à-dire lorsque la douance est concomitante à un trouble neurodéveloppemental (par exemple, trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, trouble d’apprentissage, trouble du spectre de l’autisme).

2.2 Les difficultés parentales liées à la douance : regard sur la sphère scolaire

Il existe de nombreux ouvrages cliniques (Siaud-Facchin, 2012 ; Webb, Meckstroth et Tolan, 2008) et articles de revues non scientifiques (Carpenter et Hayden, 2018) qui proposent aux parents d’enfants doué⋅e⋅s des pistes de compréhension et d’action en lien avec des difficultés qu’ils peuvent rencontrer. L’accompagnement scolaire de l’enfant y est souvent ciblé, par exemple, sur les plans de l’implication des parents dans l’école (Webb, Gore, Amend et DeVries, 2007), de la manière de communiquer avec le personnel (Smutny, 2015) et d’établir un lien de confiance avec lui (Brulles et Brown, 2016). Ces écrits s’appuient sur de l’expérience pratique, mais peu d’études empiriques ont été menées pour appuyer scientifiquement les difficultés abordées dans ces écrits ainsi que l’efficacité des pistes proposées. En effet, la documentation scientifique qui porte sur l’expérience des parents se fait rare dans le domaine de la douance. Par ailleurs, dans les quelques études existantes, le vécu scolaire des enfants est omniprésent et couvre une variété de thèmes, tel que reflété dans les prochaines sections.

2.2.1 Recension des écrits

À notre connaissance, trois recensions traitant du vécu des parents d’enfant doué⋅e ont été effectuées. Colangelo et Dettmann (1983) ont recensé à ce sujet la littérature américaine pour dégager les thèmes liés aux particularités du rôle parental dans ce contexte. Parmi les sept thèmes se dégageant de la recension, l’un portait spécifiquement sur la relation parent-école et relevait des préoccupations parentales s’exprimant par deux principales questions : « Quel est mon rôle envers l’école ? » et « Quel genre de programme mon enfant doué⋅e devrait-elle⋅il intégrer ? ». Procédant du même esprit, Keirouz (1990) a effectué une recension suggérant six sphères de la réalité des parents d’enfant doué⋅e, inspirées de Hackney (1981), pour orienter les recherches futures. L’une d’elles concernait d’ailleurs les préoccupations liées au vécu scolaire de l’enfant. L’auteure y rapportait des difficultés dans la préparation de l’enfant à l’expérience scolaire et dans la distinction des rôles des parents et de l’enseignant⋅e. Malgré leur contribution à la documentation du thème à l’étude, les auteur⋅e⋅s de ces deux recensions, datant de trois décennies ou plus, fournissent très peu d’informations concernant le nombre d’études consultées, la méthode utilisée pour recueillir les informations et les critères d’inclusion ou d’exclusion des études sélectionnées.

Plus récemment, Jolly et Matthews (2012) ont recensé 53 sources empiriques publiées depuis 1983 concernant les parents d’enfant doué⋅e aux États-Unis afin, d’une part, de cerner la perception des parents à propos de l’éducation donnée à leur enfant et, d’autre part, d’examiner l’avancement de la recherche sur l’enseignement aux enfants doué⋅e⋅s. Bien que les difficultés parentales aient rarement été l’objet spécifique des études recensées, certaines se dégagent des travaux consultés. Quatre critiques semblent faire consensus chez les parents : 1) l’école ne parvient pas à répondre à tous les besoins de leur enfant doué⋅e ; 2) les programmes adaptés demeurent limités ; 3) le fonctionnement au sein de ces programmes présente des problèmes (par exemple, l’obligation de finir les travaux de la classe manqués lors de la participation à la programmation adaptée) ; 4) la communication avec les représentant⋅e⋅s de l’école est difficile. Bien qu’elle suggère la présence de certaines préoccupations des parents face au parcours scolaire de leur enfant doué⋅e, cette étude porte sur le contexte spécifiquement états-unien et s’intéresse à l’expérience parentale face à des programmes éducatifs spéciaux, ce qui s’avère peu adapté au contexte québécois où les programmes spécialisés en douance sont extrêmement rares.

2.2.2 Travaux empiriques

Dans une étude à devis mixte menée dans deux écoles du Midwest américain, Hertzog et Bennett (2004) se sont penchées sur les perceptions de 137 parents quant aux besoins éducatifs de leur enfant doué⋅e. Bien que les questions aient été orientées sur les besoins des enfants, l’étude a permis de dégager indirectement certaines préoccupations des parents, notamment leur sentiment d’impuissance face à l’éducation scolaire donnée à leur enfant et l’impression de devoir bonifier l’éducation de leur enfant pour stimuler le potentiel intellectuel.

Olivier, Kokot, Verrynne et Jansen (1995) ont mené une recherche qualitative auprès de 136 parents d’enfant doué⋅e en Afrique du Sud dans le but d’évaluer leurs préoccupations, classées en cinq catégories (ou sphères), la sphère scolaire étant l’une d’elles. À cet égard, les parents se montraient préoccupés par l’attitude des enseignant⋅e⋅s et signalaient une insatisfaction générale face à l’école. Les parents ont également manifesté un désir de mieux connaître les besoins éducatifs, sociaux et émotionnels de leur enfant doué⋅e. Cette étude, bien que riche de nombreux témoignages, demeure vague au niveau de la description de la méthode de recherche. De plus, elle dresse un portrait général de l’expérience des parents sans approfondir leurs préoccupations dans les sphères abordées, dont la sphère scolaire. Finalement, la réalité de l’éducation en Afrique du Sud ne peut être généralisée à la réalité québécoise.

Moon, Kelly et Feldhusen (1997), dans une étude à devis mixte, avaient pour objectif de récolter les opinions de parents d’enfants doué⋅e⋅s (n = 64), de membres du personnel scolaire (n = 238) ainsi que de conseiller⋅ère⋅s scolaires (n = 15) du Midwest américain sur leurs besoins en matière de services spécifiques à la douance. Chez les parents, les besoins portaient plus particulièrement sur les programmes éducatifs spécialisés et sur l’importance des savoirs au sujet de la douance, autant pour le personnel scolaire que pour eux-mêmes. Bien que clairement décrite, cette étude portait sur une région spécifique des États-Unis et interrogeait des acteur⋅rice⋅s autres que les parents, offrant un regard limité sur les besoins spécifiques de ces derniers.

Renati et ses collaborateurs (2016) ont mené, en Italie, une étude visant l’exploration des difficultés vécues par les parents d’enfant doué⋅e et des ressources sur lesquelles ils s’appuient pour éduquer leur enfant. Les 49 participant⋅e⋅s ont participé à une entrevue semi-structurée dont les données recueillies ont fait l’objet d’une analyse thématique et de fréquence. L’école a été identifiée par près de 50 % des participant⋅e⋅s comme source majeure d’inquiétude. Par exemple, l’absence d’alliance entre l’école et la famille ainsi que le manque de soutien de la part de l’institution scolaire ont été identifiés comme sources de difficultés. Le nombre substantiel d’entrevues effectuées constitue une force de cette étude. Toutefois, le recrutement s’est fait dans un cadre clinique auprès de parents profitant activement de services et qui, en ce sens, ne peuvent être considérés comme représentatifs de l’ensemble des parents d’enfant doué⋅e. En outre, bien qu’identifiée comme facteur de stress, la sphère scolaire n’a pas été approfondie.

Une récente étude phénoménologique menée par Bechard (2019) aux États-Unis s’est penchée sur le vécu d’enseignant⋅e⋅s, de parents et d’élèves doublement exceptionnel⋅le⋅s afin de dégager des pistes pour orienter la formation professionnelle initiale et continue des enseignant⋅e⋅s. Les parents participants déploraient un manque de sensibilisation chez les enseignant⋅e⋅s et une sous-identification des élèves doublement exceptionnel⋅le⋅s. Cette étude présente un petit échantillon (n = 7), dont quatre parents d’enfant doublement exceptionnel⋅le, ce qui offre un portrait limité des difficultés parentales.

Une recherche exploratoire à devis mixte menée par Clelland (2009) semble être la première au Canada à s’être penchée sur l’expérience des parents d’enfant doué⋅e. L’étude visait à cerner les ressources sociales et matérielles susceptibles de répondre aux besoins de ces parents. Une enquête descriptive a été menée auprès de 525 parents provenant de quatre provinces canadiennes (Alberta, Colombie-Britannique, Ontario, Terre-Neuve). Les résultats qui concernent le volet scolaire suggèrent que les parents accordent une importance prioritaire à la compréhension par les enseignant⋅e⋅s des caractéristiques et des besoins éducatifs de leur jeune ainsi qu’à la capacité de l’enfant de bien s’adapter à son environnement scolaire. De plus, le degré de préoccupation des parents concernant la relation de leur enfant avec l’école présente des différences significatives entre les provinces à l’étude, ce qui, selon l’auteure, s’explique par les différences entre les systèmes d’éducation provinciaux. En démontrant la difficulté de généralisation des résultats d’une province à l’autre, cette étude soutient la pertinence de se pencher sur la réalité spécifiquement québécoise afin de bien la saisir.

En somme, à la lumière des écrits recensés, le manque d’informations ou de connaissances des parents sur la douance ainsi que le manque de formation du personnel enseignant sont évoqués comme sources de préoccupations parentales, tout comme l’établissement et le maintien d’une alliance avec l’école. Par ailleurs, les études recensées présentent des limites (par exemple, la méthodologie peu décrite, l’échantillon de petite taille, la représentativité limitée de l’échantillon) susceptibles de restreindre la portée scientifique des résultats obtenus. En outre, les études visant à comprendre les difficultés des parents de jeune doué⋅e, spécifiquement face au milieu scolaire, demeurent rares et aucune étude ne s’est penchée sur la réalité québécoise.

2.3 Objectif

Cette étude a pour but de décrire la nature des difficultés rencontrées par les parents vis-à-vis l’accompagnement scolaire de leur enfant doué⋅e dans le contexte québécois actuel. Elle s’inspire d’un paradigme compréhensif, qui vise à décrire et à mieux comprendre le thème à l’étude en s’appuyant de l’expérience subjective des participant⋅e⋅s dans une approche inductive, demeurant très proche de leur propos (Paillé et Mucchielli, 2016). Considérant sa nature descriptive, aucune hypothèse n’est posée. Cette étude s’inscrit dans le cadre plus large d’une enquête descriptive visant à dresser un portrait exhaustif des préoccupations de parents d’enfant doué⋅e dans l’ensemble du Québec en considérant les différentes sphères de leur expérience.

3. Méthodologie

3.1 Participant⋅e⋅s

Au total, 260 parents ont répondu au questionnaire complet de l’étude source. De ce nombre, 206 ont fourni une réponse à la question ouverte portant sur les difficultés rencontrées en lien avec la sphère scolaire, objet de la présente étude (tableau 1). Les parents sont âgés de 29 à 55 ans (M = 40,60 ans) et parmi ceux-ci, la grande majorité sont des femmes. Les parents proviennent de toutes les régions administratives du Québec, à l’exception du Nord-du-Québec et la majorité possède un diplôme d’études universitaires.

Tableau 1

Données sociodémographiques des parents participants

Données sociodémographiques des parents participants

-> Voir la liste des tableaux

Les données recueillies grâce aux parents concernent 240 enfants doué⋅e⋅s (tableau 2), principalement des garçons, dont la majorité sont au primaire. La plupart des enfants fréquentent l’école publique et suivent le programme scolaire régulier.

Tableau 2

Données sociodémographiques des enfants doué⋅e⋅s

Données sociodémographiques des enfants doué⋅e⋅s

-> Voir la liste des tableaux

3.2 Déroulement

Les parents participants ont été recrutés par l’intermédiaire des réseaux sociaux et par courriel, parmi les listes de contacts des membres de l’équipe de recherche, ainsi que par la liste d’envoi de l’organisme Haut-Potentiel Québec, partenaire dans ce projet. Ils avaient ainsi accès à un lien les menant aux informations sur la recherche ainsi qu’au questionnaire en ligne sur la plateforme sécurisée Lime Survey, où ils pouvaient le compléter en une durée d’environ 20 minutes. Pour prendre part à l’étude, les parents participants devaient être âgés de 18 ans et plus, avoir une bonne maitrise du français écrit et être parent d’au moins un⋅e enfant de moins de 18 ans ayant été identifié⋅e comme doué⋅e dans le cadre d’une évaluation effectuée par un⋅e professionnel⋅le qualifié⋅e. Le fait de remplir le questionnaire correspondait à leur consentement de participation. Ils étaient informés de la confidentialité des réponses et de la possibilité de se retirer de l’étude en tout temps en cessant d’y répondre (auquel cas les données recueillies les concernant seraient retirées de l’étude). L’étude a été approuvée par le comité d’éthique de la recherche de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Sherbrooke.

3.3 Collecte des données

Un questionnaire a été créé aux fins spécifiques de la recherche plus vaste dans laquelle s’inscrit cette étude. Celui-ci a été soumis à une experte en douance, puis à un prétest auprès de trois parents d’enfant doué⋅e, leurs commentaires ayant conduit à la version finale. De ce questionnaire, seuls les éléments utilisés dans la présente étude sont présentés ci-dessous.

Les données sociodémographiques recueillies à des fins de description de l’échantillon comprennent : l’âge, l’identité de genre, le statut civil, le revenu annuel et le niveau d’éducation. Afin de se représenter le contexte de vie des participant⋅e⋅s en lien avec le thème à l’étude, celles-ci ont également rapporté le nombre d’enfants à charge en précisant le nombre d’enfants doué⋅e⋅s, l’identité de genre de celles⋅ceux-ci, la présence ou non chez ces dernier⋅ère⋅s d’une double exceptionnalité, le niveau scolaire et le type d’école fréquentée.

Afin de documenter l’expérience des parents au regard de la sphère scolaire, ils ont été invités, par l’entremise d’une question ouverte, à décrire et à expliquer dans leurs mots la ou les principales difficultés ou préoccupations rencontrées à cet égard. Ils pouvaient répondre à la question en autant de lignes que souhaité, sur la plate-forme électronique.

4. Analyses et résultats

Le contenu des données recueillies a fait l’objet d’une analyse thématique. Les étapes de codification (division du corpus en unités de sens, codification en thèmes et sous-thèmes, regroupement de ces derniers en rubriques, puis en axes) ont été effectuées en mode séquencé, considérant le grand nombre de réponses à analyser (Paillé et Mucchielli, 2016). Ainsi, une centaine de réponses a été analysée en profondeur (jusqu’à obtention de saturation théorique), puis le relevé de thèmes ainsi créé a soutenu l’analyse du reste du corpus, avec réajustement des thèmes et rubriques au besoin. Afin d’optimiser la validité de l’analyse, un journal de bord a été tenu, détaillant les observations, réflexions et décisions permettant de garder des traces de la posture scientifique maintenue tout au long de la démarche (Paillé et Mucchielli, 2016). Deux chercheur⋅e⋅s ont participé à l’ensemble de la codification, ensuite révisée par la responsable de la recherche dans le but d’atteindre un consensus intersubjectif (Miles et Huberman, 2003), c’est-à-dire d’assurer l’accord de chacun concernant l’analyse effectuée.

Le relevé de thèmes (arbre thématique) tiré de l’analyse, présenté aux tableaux 3 et 4, a été organisé en trois grands axes. Le premier (tableau 3), le plus substantiel, concerne les perceptions des parents face au milieu scolaire. Les second et troisième axes (tableau 4) présentent respectivement leur vécu subjectif face à ces difficultés, puis les facteurs contextuels qu’ils perçoivent comme modulant celles-ci. Ces axes ont eux-mêmes été divisés en rubriques (titres gris foncé dans les tableaux), c’est-à-dire en grandes catégories de difficultés parentales. Chacune de ces rubriques sera reprise au fil du texte et appuyée par des exemples tirés du verbatim illustrant un ou plusieurs de leurs thèmes (titres gris pâle dans le tableau) et sous-thèmes offrant plus de précision sur la nature des expériences rapportées.

4.1 Axe 1 : perceptions des parents face au milieu scolaire

Le premier axe regroupe quatre rubriques témoignant des lacunes du système scolaire perçues par les parents en lien avec l’accompagnement des enfants doué⋅e⋅s.

Tableau 3

Synthèse de l’axe 1 issue de l’analyse thématique

Synthèse de l’axe 1 issue de l’analyse thématique

-> Voir la liste des tableaux

D’abord, plusieurs parents se montrent préoccupés par le manque de connaissances au sujet de la douance dans les milieux scolaires, le concept y étant parfois perçu comme littéralement absent : « Nous n’avons répertorié aucun service, aucune école ou aucune vocation en ce sens […]. Nous n’avons jamais même entendu parler de la douance des enfants. » Si elles ne sont pas complètement absentes, diverses facettes de la douance sont perçues comme étant méconnues ou incomprises chez de nombreux⋅ses acteur⋅rice⋅s scolaires, dont plusieurs sont ciblé⋅e⋅s spécifiquement. Les propos d’un parent participant en témoignent : « Force est de constater que professeurs, psychologues, psychoéducateurs et TES [technicien⋅ne⋅s en éducation spécialisée] ne savent ni reconnaitre, ni comprendre, ni gérer nos enfants. »

La deuxième rubrique relative aux perceptions parentales face au milieu scolaire se rapporte aux difficultés de collaboration avec le milieu scolaire. À cet égard, plusieurs parents perçoivent des attitudes négatives face à la douance dans le milieu scolaire, telles que l’incrédulité, le déni et les préjugés : « Faire face au préjugé que nous avons des beaux problèmes et qu’on ne devrait pas se plaindre. » De nombreux parents évoquent également la difficulté d’établir une alliance avec le milieu scolaire, ce qui se révèle, à titre d’exemples, par : des difficultés de communication ; par la perception d’un manque d’ouverture de l’école aux adaptations scolaires ou aux expertises externes ; l’impression de devoir éduquer le personnel scolaire sur la douance et, parfois, de devoir changer d’école pour trouver de la collaboration. Ces témoignages de parents le démontrent : « On se retrouve donc en mode argumentation et défense malgré nous. Très très difficile d’interagir avec les écoles. » ; « À l’entrée au secondaire, j’ai dû apporter énormément d’informations en lien avec la douance à l’éducateur spécialisé, car il n’était pas familier. » ; « L’école n’a pas voulu mettre en place un plan d’intervention pour mon enfant alors que recommandé par la psychologue. »

La troisième rubrique de cet axe concerne les perceptions liées à l’impasse de l’évaluation de la douance. D’abord, selon certain⋅e⋅s répondant⋅e⋅s, l’école entraverait parfois le processus d’évaluation de la douance, notamment en confondant douance et autres diagnostics, par manque de connaissances ou de ressources pour évaluer l’enfant (par exemple, en présence de manifestations liées à un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité ou à un trouble du spectre de l’autisme) ou en refusant les conclusions d’évaluation effectuées par des professionnel⋅le⋅s qualifié⋅e⋅s : « J’ai réussi à obtenir un plan d’intervention pour le soutenir et c’est ainsi que j’ai demandé de considérer son diagnostic de douance. Ils m’ont répondu qu’ils n’étaient pas tenus de le faire. » En second lieu, toujours selon les parents, des interventions inadéquates découleraient de ces écueils au niveau de l’évaluation. Ils font notamment ici référence aux interventions pensées pour un autre diagnostic ou encore à la pression à médicamenter l’enfant : « En maternelle, l’enseignante et l’éducatrice spécialisée voulaient que je médicamente mon fils, car il était turbulent en classe. J’ai dû obtenir un diagnostic afin qu’ils cessent de me parler de médication. »

Finalement, la quatrième rubrique inclut trois thèmes et leurs sous-thèmes qui correspondent aux obstacles dans l’accès aux services scolaires tels que perçus par les parents. D’abord, l’on y retrouve les impressions de priorité accordée par le milieu scolaire aux élèves en difficulté et du faible soutien, voire de l’absence de soutien aux élèves doué⋅e⋅s à moins qu’elle⋅il⋅s ne soient turbulent⋅e⋅s ou en situation d’échec : « Malgré ses difficultés, mon enfant doué n’est pas considéré comme étant "à problèmes" et il n’est pas une priorité. » ; « Lorsque nous en avons parlé au psychoéducateur de l’école primaire, on nous a fait remarquer qu’il y avait des cas pas mal plus urgents à traiter à l’école que les enjeux de douance. » On y retrouve des perceptions multiples concernant la difficulté d’accès au soutien adapté s’illustrant, entre autres, par l’accès limité ou impossible géographiquement, financièrement ou logistiquement à des services professionnels, à des écoles, à des plans d’intervention ou à des programmes adaptés : « Ici pas d’option d’international. L’école alternative est pleine à craquer et les enfants sont pigés et non choisis pour leurs besoins. » ; « Les écoles primaires avec des programmes particuliers ou spécifiques pour les enfants doués sont rares et ne se trouvent pas en ‘‘région". » Enfin, les difficultés en lien avec le fonctionnement administratif du système scolaire préoccupent certains parents, qui décèlent, par exemple, une lenteur administrative, une circulation inefficace des informations ou une rigidité de la structure administrative : « J’ai donné le rapport de la neuropsychologue le [date] et aujourd’hui le [date, un an plus tard], je n’ai pas encore eu de rencontre pour un plan d’intervention. »

4.2 Axe 2 : vécu subjectif des parents lié à l’accompagnement scolaire de l’enfant doué⋅e

Le deuxième axe de la thématisation se rapporte au vécu subjectif des parents face aux difficultés rapportées à l’axe 1. Il se subdivise également en quatre rubriques.

Tableau 4

Synthèse des axes 2 et 3 issue de l’analyse thématique

Synthèse des axes 2 et 3 issue de l’analyse thématique

-> Voir la liste des tableaux

La première rubrique concerne le vécu émotionnel des parents et regroupe deux thèmes ainsi que leurs sous-thèmes respectifs. Le premier couvre les états émotionnels du registre de la colère, tels que la frustration, la rage, le ressentiment : « Je suis sortie de la rencontre de parent avec la rage au ventre, mais nous avons dit ce que nous avions à dire et mon fils m’a remercié de l’avoir supporté. » ; « En attendant, mon fils est en situation d’échec dans 2 matières, presque 3. C’est extrêmement frustrant. » Le second thème couvre les états émotionnels négatifs autres, comme le découragement, l’inquiétude, l’épuisement, la déception : « Oui […] il a de la difficulté à s’organiser. On le sait, il le sait, il travaille fort sur ceci. Ces commentaires sont décourageants […]. » ; « Nous sommes très déçus que l’école ne soit pas réceptive à la réalité des enfants doués. »

La deuxième rubrique se concentre sur les impressions ressenties par les parents. Celles-ci concernent parfois l’ensemble des difficultés rencontrées dans l’accompagnement scolaire de leur enfant doué⋅e, par exemple les impressions d’usure, d’être laissé à soi-même, d’être inapte à soutenir adéquatement son enfant : « [...] et à ce moment-là, je ne savais pas ce dont elle avait besoin j’étais complètement perdue [...]. » D’autres impressions ciblent spécifiquement le milieu scolaire, par exemple, les impressions de ne pas être entendu, de se faire juger, de ne pas avoir de crédibilité aux yeux de l’équipe-école ou d’être perçu comme poussant l’enfant : « J’ai senti à plusieurs reprises que les profs croyaient que je “poussais” mon enfant, que j’étais obsédée par la performance. » ; « Le vécu de maternelle et de première année a été destructeur en tant que mère : jugement et peu d’ouverture en lien avec les problématiques de mon enfant. »

La troisième rubrique concerne la régulation émotionnelle difficile lors des échanges avec l’école. Elle comporte deux thèmes, soit le sentiment d’être sur la défensive face au système scolaire ainsi que la communication parfois difficile avec l’école à cause de leur propre émotivité, qui est trop grande : « Puisque j’étais très émotive, j’ai mal transmis mon message et la collaboration avec l’école a été difficile. » ; « J’ai dû me fâcher et le cheminement était fait tout croche sans nous consulter. »

Finalement, la quatrième rubrique du vécu subjectif des parents se rapporte au rôle parental alourdi par les difficultés avec l’école. Elle comporte deux thèmes. Le premier concerne l’accompagnement des devoirs et l’étude, souvent vécu comme laborieux, source de crises et de conflits : « Autre moment de grande détresse tout au long de la scolarité : la période de devoirs qui s’éternisait. Crises intenses tous les soirs pour ne pas faire ses devoirs. » Le deuxième thème rassemble d’autres volets du rôle parental, tels que la nécessité d’assurer de l’enrichissement à la maison ou par divers services au privé ; le fardeau financier qu’imposent les besoins de l’enfant ; la gestion récurrente de la détresse de l’enfant et les nombreux changements d’école : « Devoir payer une éducation au privé au détriment de notre santé financière familiale pour avoir accès à des professeurs qui sont plus outillés et plus ouverts à notre réalité » ; « On l’a changé d’école cette année. C’est une école à vocation musicale. […] Mais, pour ça, on a dû le déraciner de son école de quartier qui n’offrait rien pour l’aider. » ; « [...] les deux premières années scolaires de mon fils ont été un désastre. Il pleurait tous les jours pour ne pas aller à l’école. »

4.3 Axe 3 : facteurs contextuels influençant les difficultés avec l’école

Le troisième axe concerne les facteurs contextuels perçus par les parents comme influençant les difficultés rencontrées dans l’accompagnement du parcours scolaire de leur enfant doué⋅e. Ces facteurs sont abordés comme étant susceptibles, selon leurs caractéristiques, tantôt d’atténuer, tantôt d’aggraver les difficultés rencontrées. Le premier thème correspond aux facteurs environnementaux tels que les changements d’école ou d’enseignant⋅e : « Malheureusement, je considère chaque année comme un genre de loterie : j’espère toujours "tomber" sur un enseignant ouvert, transparent et respectueux à travers les défis ». Le deuxième thème concerne des facteurs en lien avec les occupations de l’enfant et inclut l’ajout d’activités complémentaires au contenu scolaire dans le cursus de l’enfant (par exemple, sports ou musique) et la quantité de devoirs à la maison : « Enfin cette année, l’une des profs de mes enfants a compris la douance. Elle a réduit du 2/3 sa charge de devoirs. Tout le monde s’en porte mieux. »

5. Discussion

L’objectif de cette étude était de décrire l’expérience scolaire des parents de jeunes doué⋅e⋅s au Québec. Une analyse thématique a permis d’organiser les thèmes et sous-thèmes issus du corpus de données en trois axes, eux-mêmes subdivisés en différentes rubriques.

Le premier axe reflète les perceptions des parents face au milieu scolaire lesquelles corroborent le plus directement les résultats de recherches antérieures. Plusieurs thèmes et sous-thèmes inclus dans cet axe (par exemple, le concept de douance perçu comme absent ou méconnu dans le milieu scolaire, perception d’attitudes négatives de la part des acteur⋅rice⋅s scolaires, difficultés de communication) correspondent à des difficultés parentales soulevées par divers auteur⋅e⋅s (Colangelo et Dettmann, 1983 ; Hertzog et Bennett, 2004 ; Jolly et Matthews, 2012 ; Keirouz, 1990 ; Renati et coll., 2016). De plus, les thèmes soulevés dans la première rubrique de cet axe apparaissent en grande cohérence avec les résultats de l’enquête descriptive récemment menée au Québec auprès de professionnel⋅le⋅s du milieu scolaire (Brault-Labbé et coll., 2019), qui rapportent elles⋅eux-mêmes avoir des connaissances très limitées en douance, manquer de formation et de ressources pour répondre aux besoins des jeunes doué⋅e⋅s et se préoccuper du parcours scolaire de ces élèves. Finalement, les thèmes se dégageant de la quatrième rubrique témoignent de difficultés ayant été peu soulevées, à notre connaissance, dans les études antérieures, particulièrement celles de la priorisation des élèves en difficulté dans le système scolaire et l’accès limité ou impossible (pour des raisons géographiques, financières ou logistiques) à des services professionnels et à des plans d’intervention adaptés. Il est possible que ces éléments relèvent de l’historique de la douance au Québec, de même que de la méthode de recherche qui a permis d’interroger des parents de l’ensemble de la province. Assurément, cet axe soutient la pertinence de poursuivre les initiatives professionnelles et gouvernementales amorcées ces dernières années pour : favoriser la sensibilisation et la formation des intervenant⋅e⋅s scolaires à la douance au Québec ; développer des ressources adaptées en milieu scolaire (par exemple, matériel, projets, programmes) ; inclure les connaissances en douance dans les cursus de formation initiale des futur⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s et gestionnaires scolaires.

Le deuxième axe explore pour sa part un volet novateur, celui des émotions et impressions (ou sentiments) que les difficultés peuvent provoquer chez les parents, donnant directement accès à leur vulnérabilité. Cette composante, à notre connaissance peu approfondie dans les recherches antérieures, apparait comme un apport notable de la présente étude. Cette forte charge émotionnelle, dans laquelle s’entremêlent colère, frustration et sentiment d’inaptitude, appuie l’idée avancée par certain⋅e⋅s auteur⋅e⋅s (Clelland, 2009 ; Renati et coll., 2016) qu’il y a encore trop peu d’études concernant l’expérience subjective des parents de jeunes doué⋅e⋅s. De telles études apparaissent souhaitables pour favoriser, chez les intervenant⋅e⋅s appelé⋅e⋅s à travailler auprès des parents, une meilleure préparation face aux manifestations émotionnelles auxquelles elle⋅il⋅s pourraient se trouver exposé⋅e⋅s à leur contact ainsi qu’une meilleure compréhension de celles-ci. Ces éléments semblent susceptibles de soutenir des dialogues plus constructifs entre parents et professionnel⋅le⋅s de l’éducation.

Finalement, le troisième axe, qui identifie des facteurs perçus par les parents comme susceptibles d’améliorer ou d’aggraver leurs difficultés et préoccupations, apparait également novateur. Ces facteurs se rapportent aux écoles, aux enseignant⋅e⋅s, aux devoirs ainsi qu’à l’accès à des activités complémentaires au contenu scolaire dans le cursus de l’enfant. Ces résultats sont partiellement corroborés par la littérature antérieure, soit par Jolly et Matthews (2012) qui avaient recensé l’ampleur que peuvent prendre les problèmes lorsque l’école ne sait ou ne peut répondre correctement aux besoins de l’enfant, ainsi que par Clelland (2009) qui a soulevé l’importance pour les parents d’avoir le support et la compréhension des enseignant⋅e⋅s. Toutefois, la manière dont les parents décrivent ici l’influence possible de ces facteurs sur leur expérience amène à penser que ceux-ci pourraient agir comme modérateurs dans le lien entre la douance de l’enfant et la présence de difficultés parentales en lien avec la sphère scolaire. Cette hypothèse pourrait être investiguée plus en profondeur dans des études futures.

En termes de retombées possibles et de pistes de recherche futures, les résultats de la présente étude, combinés à ceux d’études menées auprès de professionnel⋅le⋅s québécois·es (Brault-Labbé et coll., 2019), invitent à la sensibilisation des acteur⋅rice⋅s scolaires (professionnel⋅le⋅s, enseignant⋅e⋅s, directions, etc.) accompagnant des enfants doué⋅e⋅s en collaboration avec les parents. Les résultats obtenus soulignent l’importance d’aborder avec le milieu scolaire les sujets suivants : la complexité de la douance ; les différents profils de douance et les besoins particuliers qui s’y rapportent ; la déconstruction de certains préjugés ou stéréotypes sur la douance ; la collaboration parents-enseignant⋅e⋅s ; l’information sur les adaptations, enrichissements et accélérations scolaires possibles pour ces élèves. Dans la continuité de la présente étude, certaines recherches futures pourraient se donner pour mission de développer et d’évaluer l’efficacité de : programmes de soutien et d’intervention pour les parents d’enfant doué⋅e ; programmes de formation initiale et continue incluant la douance dans les professions de l’éducation ; programmes éducatifs adaptés aux enfants doué⋅e⋅s dans la réalité québécoise. Ainsi, les résultats de cette étude invitent à des initiatives cliniques et scientifiques qui contribueraient au rattrapage du Québec quant à son retard en termes de connaissances et de qualité des pratiques se rapportant à la douance.

6. Conclusion

Cette étude se voulait favorable à une meilleure compréhension des difficultés potentielles entre l’école et les parents d’enfant doué⋅e au Québec et la richesse des résultats obtenus à cet effet permet de croire que cet objectif est atteint. L’étude se démarque par le fait qu’il s’agit, à notre connaissance, de la première à s’intéresser à l’expérience de parents d’enfant doué⋅e au Québec. Elle se distingue également par l’approche méthodologique qu’elle a privilégiée : en s’inscrivant dans une enquête descriptive menée par voie de questionnaire électronique, il a été possible de rejoindre une grande quantité de participant⋅e⋅s, représentant toutes les régions administratives du Québec à l’exception d’une seule, assurant ainsi une meilleure qualité représentative de l’échantillon pour la province. De plus, malgré le grand nombre de participant⋅e⋅s, une description qualitative de l’expérience subjective des parents d’enfant doué⋅e a pu être possible par l’entremise d’une question ouverte ayant généré des réponses nombreuses et substantielles. En choisissant de procéder par questionnaire plutôt que par entrevues, les chercheur⋅se⋅s ont évidemment dû se priver de questions d’approfondissement qui auraient permis d’aller encore plus loin. Toutefois, cet aspect a été compensé par le nombre élevé de réponses obtenues et la saturation observée lors de l’analyse.

En termes de limites, la présente étude se veut descriptive et représente uniquement le point de vue subjectif des parents interrogés : les résultats obtenus, bien que riches, ne permettent pas de tirer de conclusions factuelles sur la réalité de la douance dans les écoles et doivent être considérés avec nuance, en concomitance avec d’autres sources d’information, incluant notamment le point de vue des acteur⋅rice⋅s scolaires ainsi que les résultats d’études observationnelles ou objectives. De plus, étant donné que les participant⋅e⋅s devaient avoir un enfant dont la douance a été identifiée par un⋅e professionnel⋅le qualifié⋅e, il aurait pu être souhaitable de recueillir des données sur les modalités de cette évaluation, notamment sur le type de professionnel⋅le consulté⋅e et les sources d’informations utilisées dans le cadre de l’évaluation (par exemple, tests psychométriques, observations d’enseignant⋅e⋅s et de parents, bulletin, etc.). Par ailleurs, bien que nécessaire pour optimiser la validité des réponses obtenues, ce critère d’inclusion a possiblement introduit un biais d’échantillonnage dans les résultats. L’évaluation de la douance étant présentement difficilement accessible et relativement coûteuse au Québec, il est possible que les résultats ne soient pas représentatifs des difficultés de parents provenant de milieux socioéconomiques moins aisés ou de régions où les ressources sont limitées, voire inexistantes. Des études futures gagneraient à s’intéresser également à ces populations. Enfin, un second biais d’échantillon pourrait découler du fait que l’échantillon est constitué à majorité de parents d’enfant doublement exceptionnel⋅le. Il est possible que les difficultés rencontrées par ces parents ne soient pas représentatives de la population constituée de tous les parents d’enfant présentant une douance. Des comparaisons à cet égard gagneraient à être envisagées dans des études futures.