Numéro 102, 2013 L’histoire littéraire du contemporain Sous la direction de Mathilde Barraband
Sommaire (7 articles)
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Liminaire
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L’histoire littéraire du contemporain : l’éternel retour
Alain Vaillant
p. 15–29
RésuméFR :
L’histoire littéraire du contemporain n’est pas une nouveauté. En fait, on n’a jamais cessé de vouloir faire l’histoire du contemporain, et l’histoire littéraire, dès sa naissance à l’époque romantique, semble avoir été inventée pour penser ce contemporain absolu que paraissait être la littérature postrévolutionnaire. Or on voit bien quels risques épistémologiques fait courir à l’histoire littéraire cette perpétuelle tentation. La question qui se pose aujourd’hui est donc de se demander en quoi le contemporain du xxie siècle se distinguerait de ses avatars du passé et, plus généralement, si le contemporain peut être regardé comme un concept du point de vue de la science historique, ou s’il n’est qu’un mot, servant à la fois à renouveler le vocabulaire critique et à traduire en termes esthétiques (en les masquant du même coup) les transformations de la demande sociale en matière de littérature. Pour éviter un débat où les enjeux idéologiques sont très évidemment prépondérants, je me propose, en historien de la littérature, de comparer trois moments où l’histoire littéraire du contemporain a été le terrain de débats critiques particulièrement vifs et étendus hors de la sphère savante : l’époque romantique, la Troisième République et l’époque actuelle. En substituant une histoire pluriséculaire aux actuelles théories du contemporain, je m’efforcerai de montrer que le contemporain est une notion nodale, à la fois nécessaire et trompeuse, où se cristallisent, à chaque époque, les représentations de la littérature — de son devenir formel comme de son rôle social.
EN :
The literary history of the contemporary is not new. In fact, we have never stopped wanting to write the history of the contemporary, and literary history, from its beginnings in the Romantic era, was apparently invented to focus on the absolute contemporary, which post-revolutionary literature looked to be. Now, the risks this constant temptation poses for literary history are quite obvious. The issue today, therefore, is to ask in what way the twenty-first century contemporary differs from its avatars in the past and, more generally, if the contemporary can be regarded as a concept from the perspective of historical science; or, conversely, if it is merely a word, one that serves both to renew critical vocabulary and to translate into aesthetic terms (while simultaneously masking them) the transformations of the social demand in matters of literature. To avoid a debate quite obviously dominated by ideological issues, I propose, as a literary historian, to compare three periods when the literary history of the contemporary was an area of particularly lively and extensive critical discussions outside the sphere of scholarship: the Romantic period, the Third Republic and our present age. By substituting a plurisecular history for current theories of the contemporary, I will attempt to show that the contemporary is a nodal notion, both necessary and deceptive, where representations of literature are crystallized in every age—from its formal potential as from its social role.
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Un projet contrarié. L’histoire de la littérature contemporaine française au tournant du xxe siècle
Mathilde Barraband et Julien Bougie
p. 31–52
RésuméFR :
Au tournant du xxe siècle, alors que l’histoire littéraire se transforme profondément et s’essaie à de nouvelles approches, alors que s’opposent des visions contradictoires de la fonction de la critique littéraire et que le lectorat s’élargit et se diversifie, il semble qu’un goût pour le contemporain s’affirme de manière relativement consensuelle au sein de la discipline. Le consensus est d’autant plus étonnant que l’ambition d’une histoire du présent est paradoxale et qu’elle contrevient à une certaine idée de l’histoire littéraire comme conservatrice. L’article propose d’observer le sort que les historiens de la littérature du tournant du xxe siècle ont réservé dans leurs histoires à la littérature de leur temps, et de répondre à quelques-unes des interrogations que cette pratique contradictoire soulève. L’observation des pratiques mais aussi des justifications des premiers historiens modernes de la littérature quant à l’étude du contemporain sera ainsi l’occasion de saisir plus largement les préoccupations et les principes de l’histoire littéraire au moment où elle se fonde et s’institue, se faisant alors la chambre d’échos des inquiétudes nationales et identitaires de la France du dernier xixe siècle.
EN :
At the turn of the twentieth century, when literary history was undergoing profound change and experimenting with new approaches, when there were conflicting visions of the function of literary criticism and the readership was becoming broader and more diverse, it appears that a taste for the contemporary established itself in a relatively consensual manner within the discipline. The consensus was all the more astonishing in that the ambition to write a history of the present is paradoxical and undermines a certain idea of literary history as conservative. This article aims to examine the fate that literary historians at the turn of the twentieth century reserved in their work for the literature of their time, and to address some of the issues raised by this contradictory practice. The observation of both the practices and justifications of the first modern literary historians regarding the study of the contemporary thus offers the opportunity for a wider understanding of the concerns and principles of literary history at the moment it was founded and established, and then became an echo chamber for the national and identitary fears of France in the previous (nineteenth) century.
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Les revues et la littérature in flagrante : de Valery Larbaud à la littérature québécoise contemporaine
Michel Lacroix
p. 53–73
RésuméFR :
« J’avais souvent pensé que pour les futurs historiens de la littérature moderne, les revues seraient d’un grand profit et principalement les revues de jeunes écrivains, parce qu’on pouvait y suivre, de mois en mois, le cours de la “littérature qui se faisait” », écrivait Valery Larbaud au début du xxe siècle. Malgré le développement remarquable des travaux sur les revues, cette histoire n’a pas encore été écrite. Cependant l’idée m’est chère et c’est sous son aiguillon que je souhaite réfléchir à l’étude historique de la littérature contemporaine, en quittant les revues littéraires françaises des années 1900 à 1920 pour les revues littéraires québécoises des dix dernières années. Le saut d’une époque et d’un domaine littéraire à l’autre, loin d’être balayé sous le tapis, servira de point de départ à mon interrogation. Peut-on toujours souligner, comme Larbaud le faisait, « l’importance capitale des revues » dans la littérature qui se fait maintenant ? Les revues servent-elles toujours de rampe de lancement pour les oeuvres nouvelles, de catalyseur esthétique pour les regroupements d’écrivains, de lieu de confrontation entre les écritures d’une même époque, voire de vecteur de « contemporanéité » ? Ces questions sur l’historicité des revues suscitent, du même souffle, une interrogation sur les méthodes de l’histoire littéraire.
EN :
“I had often thought that future historians of modern literaturewould find literary journals, mainly those of young writers, highlyuseful because historians could follow, month by month, the course of‘literature as it was being written’,” wrote ValeryLarbaud in the early twentieth century. Despite the remarkabledevelopment of research on these journals, this history has not beenwritten. Since this idea is a favourite of mine, however, I wasmotivated to conduct a historical study of contemporary literature byeschewing the French literary journals of 1900 to 1920 to concentrateon literary journals in Québec during the last ten years.Skipping from one period and one literary field to another, far frombeing swept under the rug, serves as a point of departure for myinvestigation. Can we continue to underscore, as Larbaud did,“the capital importance of journals” in the literaturebeing written today? Do the journals still serve as a launching pad fornew works, an aesthetic catalyst for writers’ organizations, aplace of comparison for writings of the same time period, even a vectorof “contemporaneity”? These questions on journals’historicity prompt, at the time, an investigation into the methods ofliterary history.
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Construction et déconstruction d’une borne temporelle. L’année 1980 dans Spirale et Liberté
Martine-Emmanuelle Lapointe
p. 75–94
RésuméFR :
La critique a très souvent divisé l’histoire littéraire québécoise en un avant et un après. Chez les auteurs les plus sévères, l’après se présente comme la suite endeuillée des années 1960, son prolongement moribond — topos que l’on retrouve aussi parfois dans la France de l’après mai 1968. L’après se situe donc dans un espace temporel aux contours imprécis. Il aurait un commencement — autour de 1980 — mais pas de fin, car il incarnerait le dénouement sous toutes ses formes, l’épuisement des signes de la culture, la morosité sociétale, la fin des idéologies. Le présent article interroge les présupposés d’une telle mise en récit de la littérature québécoise contemporaine et par là même de la fabrication de la borne temporelle de 1980. L’analyse porte plus précisément sur les dossiers que les revues Spirale et Liberté ont fait paraître en 1980. Elle vise certes à relever les figures de la fin, de la désillusion et du désenchantement, souvent associées au contexte politique entourant le premier référendum sur la souveraineté du Québec, mais aussi celles d’un certain ressourcement, porté entre autres par le discours féministe dans les pages du magazine culturel Spirale. L’examen des dossiers parus en 1980 tend à dégager d’un vaste ensemble de textes un récit minimal, lequel permet de mieux y cerner l’inscription, non pas de l’année 1980, mais des oeuvres et des réflexions sur la culture qu’elle a vu naître.
EN :
Criticism has very often divided Quebec literary history into a before and after. The severest authors present “after” as the sad follow-up to the 1960s, a period of continuing decline—topos we sometimes find in France subsequent to May 1968. After is therefore situated in a temporal space with blurred edges. It supposedly had a beginning—around 1980—but no end, for it embodied unwinding in all its forms, exhaustion of the signs of culture, societal gloom, and the end of ideologies. The present article examines the presuppositions of this narrative of contemporary Québec literature, and hence of the fabrication of the 1980 time marker. The analysis focuses, more specifically, on the files published by the magazines Spirale and Liberté in 1980. It aims, of course, to highlight the figures of ending, disillusion and disenchantment often associated with the political context of the first referendum on Québec sovereignty; however, it also underscores those relating to a certain healing that was supported, among other things, by the feminist discourse in the pages of the cultural magazine Spirale. An examination of the files published in 1980 tends to identify a minimal narrative running through a vast ensemble of texts, making it possible to better underscore the significance, not of the year 1980, but of the works and culture studies it generated.
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L’historiographie française et le temps présent. Processus de légitimation et remise en question de l’historien
Francis Walsh
p. 95–111
RésuméFR :
Le présent article a pour but d’éclairer l’apport des réflexions sur la notion de « temps présent » dans l’historiographie française contemporaine et, sans s’y restreindre, principalement celles issues des recherches de l’Institut d’histoire du temps présent fondé par François Bédarida en 1978. Après avoir rapidement brossé un tableau général du contexte épistémologique du second après-guerre, j’y propose trois stades de légitimation de cette pratique historienne controversée (manifeste, bilan et banalisation), stades qui coïncident avec les différents états successifs des arguments en faveur de l’étude du contemporain. Il s’agit donc de montrer comment les défenseurs de l’histoire du temps présent ont pensé l’histoire en prenant position par rapport à l’historiographie générale.
EN :
This article aims to shed light on the contribution of reflections concerning the notion of “present time” in contemporary French historiography, reflections that are mainly, though not limited to, those drawn from the researches of the Institut d’histoire du temps présent founded by François Bédarida in 1978. After providing a brief overall picture of the epistemological context of the second post-war period, I propose to include three stages of legitimization of this controversial historian’s practice (manifestation, assessment and simplification), stages that correspond to the various successive states of arguments in favour of studying the contemporary. The issue, then, is to demonstrate how those who defend the history of the present time have thought about history while taking a position vis-à-vis general historiography.
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Histoire littéraire et littérature contemporaine
Dominique Viart
p. 113–130
RésuméFR :
On oppose souvent histoire littéraire et étude de la littérature contemporaine. Opposition fallacieuse, comme le démontre cette intervention en examinant la constitution de la littérature contemporaine en objet de recherche, la mobilisation de l’histoire littéraire que cela suppose et le regard rétrospectif que la littérature contemporaine projette sur l’histoire littéraire dont elle hérite. Il faut pour cela faire justice des réserves et objections que l’étude du contemporain suscite encore dans les universités traditionalistes, historiennes par vocation ; déterminer, au sein de la production contemporaine, les corpus pertinents pour une telle recherche, les critères qui les distinguent, et périodiser ce corpus. Fondée sur l’observation des esthétiques et enjeux nouveaux que la littérature actuelle se donne à elle-même, la seule approche recevable ne peut être qu’historique et non théorique. Le recours à l’histoire littéraire est en effet nécessaire pour identifier le « tournant » où cette littérature prend naissance. Il est décisif pour décrire les formes qui apparaissent en les confrontant aux formes anciennement attestées. Plus encore : les écrivains contemporains se définissent aussi par le regard qu’ils portent sur l’histoire littéraire, par leur manière de la raconter autrement. Prendre conscience de ce « régime d’historicité » de la littérature contemporaine suppose d’analyser non seulement les oeuvres, mais aussi ce que ces oeuvres disent de la place que les écrivains s’accordent dans l’histoire littéraire qui les a nourris.
EN :
Literary history and the study of contemporary literature are often opposed. A fallacious opposition, which this article demonstrates by examining the constitution of contemporary literature as a research topic, the mobilization of literary history this supposes and contemporary literature’s glance backward to the literary history it inherits. Here we must dispel the reservations and objections the study of the contemporary continues to elicit in traditional universities having a historian’s vocation, determine within contemporary production the bodies of work relevant for this type of research, identify their distinguishing criteria, and divide each corpus based on periods of time. Founded on the observation of the new aesthetics and issues privileged by current literature, the only admissible approach is historical, not theoretical. Recourse to literary history is, in fact, necessary to identify the “turning point” that marks the birth of this literature. It is decisive for describing emerging forms by comparing them with previously documented forms. What’s more, contemporary writers also define themselves by their view of literary history, by their manner of writing about it differently. Becoming aware of this “regime of historicity” of contemporary literature supposes analyzing not only the works, but also what these works say about the place these writers accord themselves in the literary history that nourished them.