Topiques, études satoriennes
Topoï Studies, Journal of the SATOR
Volume 6, 2022 Le paysage sonore dans la littérature d’Ancien Régime, ou du son comme topos de scènes narratives
Sommaire (23 articles)
Introduction
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La sensation sonore dans la littérature d’Ancien Régime : enjeux topiques : préface Vol. 6 Topiques
Hélène Cussac
RésuméFR :
La préface de l’ouvrage collectif intitulé Le paysage sonore dans la littérature d’Ancien régime, ou du son comme topos de scènes narratives réfléchit à l’intégration de multiples sons et bruits dans la langue des écrivains en se demandant si le son serait seulement un supplément dans une scène narrative, s’il aurait une fonction uniquement pragmatique ou ornementale, ou s’il ne pourrait être entendu comme véhicule d’un argument voire comme motif à part entière de l’histoire racontée. Cet avant-propos mène alors la démonstration à partir, entre autres illustrations, des articles du volume qu’il présente dans le même temps. Le corpus ample et varié des textes interrogés montre que la récurrence de configurations narratives sonores confronte l’oreille du lecteur à de véritables « stéréotypes sonores ». Selon la définition accordée à la notion de topos, la représentation du sonore, articulée au narratif, à la rhétorique et à la poétique, devient sans doute alors un lieu commun du discours.
EN :
The preface of the collective work titled Le paysage sonore dans la littérature d’Ancien régime, ou du son comme topos de scènes narratives reflects on the integration of multiple sounds and noises in the idiom of writers, while asking if sound would only be a supplement of a narrative scene, if it would only have a pragmatic and ornamental function, or if it could only be understood as vehicle of an argument, possibly as a fully fledged motive of the story narrated. This preface leads to the demonstration from, among other illustrations, articles of volume that it presents at the same time. The ample and varied corpus of texts studied shows that the recurrence of narrative configurations with sound confronts the ear of the reader with true “stereotypes of sound”. According to the definition of the notion of topos, the representation of sound, articulated in narrative, rhetoric and poetic, likely becomes customary of the discourse.
Articles / Articles
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Du sonore dans la littérature narrative : des enjeux rhétoriques aux enjeux esthétiques
Jean-Marie Fritz
p. 1–18
RésuméFR :
Dans l'approche des textes littéraires, la critique a le plus souvent privilégié le sens visuel. Il convient de rétablir ce déséquilibre et d'étudier le paysage sonore de tel ou tel texte narratif, soit les bruits de la nature, animée ou inanimée, les sons humains (de la parole au cri) ou ceux de la machine qui y sont évoqués. Ce paysage varie selon le genre littéraire, selon l'auteur, selon les siècles. Chaque œuvre dessine une partition plus ou moins dense, et le sonore participe en définitive de la dynamique de la narration.
EN :
Critics have most frequently given precedence to sight in the study of literary texts. It is time to restore this imbalance and to study the soundscape of narrative texts, either noises of nature, animated or inanimate, human sounds (from speech to cry) or those of machines. From one genre to another, from one author to another, from one century to the next, the atmosphere of sound changes. Each text develops a musical score, each author creates their own particular soundscape, and the sound contributes to the dynamics of the narration.
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La liste d’instruments de musique : un leitmotiv du récit médiéval
Madeleine Jeay
p. 1–16
RésuméFR :
La liste d’instruments de musique qui accompagne les scènes de liesse collective est un leitmotiv du récit médiéval. Ces passages soulèvent la question de ce qui distingue le topos narratif d’autres éléments récurrents dans un récit tels que le motif, le cliché ou le topos rhétorique. On verra en effet qu’elles permettent d’aller au-delà du simple ornatus rhétorique pour attirer l’attention sur l’instance narrative responsable de ce déploiement terminologique. Dans les textes considérés dans l’article, la liste d’instruments fait valoir la compétence littéraire et lexicale du narrateur qui s’identifie ainsi à la figure du ménestrel associée à sa performance et à ses instruments.
EN :
The list of musical instruments that accompanies the scenes of collective jubilation is a leitmotif of the medieval narrative. These passages raise the question of what distinguishes the narrative topos from other recurring elements in a narrative such as motives, clichés or rhetorical topos. We will see that those allow us to go beyond the simple rhetorical ornatus in order to draw the reader’s attention to the narrative instance responsible for this terminological deployment. In the texts considered in the article, the list of instruments highlights the literary and lexical competence of the narrator who then identifies as the figure of the minstrel associated with his performance and instruments.
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Le cri de la bête et la chute du géant : sons et mise à mort de l’adversaire dans l’aventure merveilleuse arthurienne
Adeline Latimier
p. 1–15
RésuméFR :
Cet article étudie la présence et le traitement du son dans la mise à mort de l’adversaire dans le roman arthurien. L’autrice établit tout d’abord une définition du topos, appuyée sur un large relevé d’occurrences, qui la conduit à voir dans la sonorisation de la mort de l’ennemi une variation d’un motif plus large et plus répandu. Elle étudie ensuite l’évolution de ce topos depuis les textes épiques jusqu’aux derniers romans. Elle remarque enfin la prégnance de ces sons dans une famille de récits dont les auteurs semblent chercher à perpétuer les premières formes du récit arthurien.
EN :
This article focuses on the presence and the treatment of sound in the killing of the adversary in the Arthurian novel. We begin by establishing a definition of the topos, based on a large list of occurrences, which leads us to see in the sound of the death of the enemy a variation of a larger and more widespread motif. We then study the evolution of this topos from the epic texts to the latest novels. Finally, we notice the significance of these sounds in a family of romances in which authors seem to seek to perpetuate the first forms of the Arthurian story.
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Le chant bucolique dans le roman pastoral (ou les avatars d’une topique dissonante)
Marta Teixeira Anacleto
p. 1–17
RésuméFR :
Cet article vise à analyser l’ontologie diffuse du chant bucolique dans le roman pastoral, considérant l’évolution historique et esthétique de son écriture. Il démontre alors que le chant des bergers, emblème originaire des Bergeries, évolue vers diverses formulations topiques du sonore, dans le cadre de l’évolution complexe du romanesque pastoral en France, au XVIe et surtout au XVIIe siècle. À partir d’un corpus assez élargi (Sannazar, les premières Bergeries françaises, la Diana de Montemayor et ses traductions françaises, L’Astrée et ses continuations), il met aussi en relief les vicissitudes formelles et les dissonances subies par le chant pastoral, dans la dynamique temporelle qui marque ces Arcadies esthétiquement hybrides.
EN :
The article aims to analyze the ontological diffusion of bucolic songs in pastoral novels, taking in consideration the historical and aesthetic evolution of their writing. It demonstrates that shepherds’ songs, as original emblems of the Bergeries, evolve into various topical formulations of sound, within the framework of the complex evolution of pastoral romance in France, in the 16th and especially in the 17th century. Based on a fairly broad corpus (Sannazar, the first French Bergeries, Diana de Montemayor and its French translations, L'Astrée and its sequels), it highlights the formal vicissitudes and the dissonances suffered by pastoral song, in the temporal dynamic which marks these aesthetically hybrid Arcadian texts.
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Les chants des oiseaux dans les fables : topoï, types et savoirs zoologiques
Élodie Ripoll
p. 1–16
RésuméFR :
Le bestiaire très riche des fables de la fin du XVIIe siècle offre un terrain d’exploration idéal pour vérifier l’hypothèse des topiques sonores. Parmi les nombreux corbeaux, cigognes, coqs, hiboux, pigeons, moineaux, aigles, paons, rossignols, tous ou presque ont une voix singulière, reconnaissable, imitable. Tous ou presque sont anthropomorphisés, parlent et jouent un rôle essentiel dans la fiction. Cet article cherche ainsi à répondre aux questions suivantes à partir des fables de La Fontaine, Perrault, Furetière, Fénelon et Mme de Villedieu ainsi que de Philippe Desprez et Houdar de la Motte : leschants des oiseaux sont-ils toujours envisagés selon des critères esthétiques ou selon leurs effets sur l’auditoire ? Peut-on dégager des topoï narratifs associés aux chants des oiseaux, voire aux chants de certains oiseaux ? Ou les oiseaux sont-ils plutôt des types dont le chant spécifique serait une caractéristique ? Quelle est la place des savoirs zoologiques dans ces représentations ?
EN :
From the end of the 17th century, the rich bestiary of the fables offers an ideal field of exploration to test the hypothesis of the topics of sound. Among the many crows, storks, roosters, owls, pigeons, sparrows, eagles, peacocks, nightingales, most of them have a singular, recognisable, imitable voice. All or almost all of them are anthropomorphised, as well as speak and play a major role in fiction. This article seeks to address the following questions based on the fables of La Fontaine, Perrault, Furetière, Fénelon and Mme de Villedieu in addition to Philippe Desprez and Houdar de la Motte: are bird songs always treated according to aesthetic criteria or according to their effects on the audience? Are there any narrative topoi associated with the songs of birds, or even with the songs of certain birds? Or are birds rather character types with a specific song as a characteristic? What is the place of zoological knowledge in these representations?
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Quand la fiction libertine vient parasiter l’esthétique musicale : le cas très singulier des Sonnettes de Guillard de Sévigné (1749)
Jean-Pierre Dubost
p. 1–14
RésuméFR :
Cet article confronte une situation topique singulière repérable dans Les Sonnettes de Guillard de Sévigné avec le contexte des discours sur la sonorité et la musique à l’époque des Lumières. Le texte reprend et renverse en même temps la situation topique fondamentale de la littérature libertine - libertin_observer_scène érotique. Le mécanisme qui donne son nom au roman est une panoplie de sonnettes actionnées par les mouvements que les ébats érotiques des invités répartis dans plusieurs chambres communiquent aux oreilles de leur hôte. L’harmonie qui en résulte le console de ses désirs éteints. Cette substitution du sonore au scopique, en renversant la loi du donner à voir libertin, redouble et subvertit à la fois le discours esthétique et le discours anthropologique tout en brouillant ses oppositions internes, depuis Du Bos pour qui la musique, en ajoutant de l’énergie à de l’énergie, remplit sa fonction de traduction/transmission par un surplus d’intensité, jusqu’à la topographie topique du genre de l’idylle et à la conception rousseauiste de la vérité du sentiment exprimée par la voix et le chant par hypotypose et immédiateté scénique ou à Rameau pour qui l’harmonie est un effet naturel « dont la cause réside dans l’air agité par le choc de chaque corps sonore en particulier ».
EN :
We intend to confront a singular topical situation identified in Les Sonnettes of Guillard by Sévigné with the context of the discourses on sound and music in the Age of Enlightenment. The text takes up, but also reverses, the fundamental topical situation of libertine literature, i.e. libertin_observer_scène_érotique. The mechanism that gives its name to the novel is an array of doorbells operated by the movements that the erotic frolicking of guests spread over several rooms transmit to the ears of their host. The resulting harmonies help compensate for his declining desire. This substitution from sound to sight, by reversing the scopic law of libertine literature, implements and subverts both the aesthetic and the anthropological discourse while blurring their internal oppositions, from Du Bos for whom music, by adding energy to energy, fulfills its function of translation/transmission by an overflow of intensity until the topical topography of the genre of idyll and the Rousseauist conception of the truth of feelings expressed by the voice, and the song by hypotyposis and scenic immediacy, or to Rameau for whom harmony is a natural effect “whose cause lies in the air agitated by the shock of each body of sound in particular”.
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Sonorités du Graal : bruits, voix et silence dans les scènes du Graal (XIIe - XIIIe siècles)
Cristina Noacco
p. 1–16
RésuméFR :
Cette étude s’intéresse à la nature, aux effets et aux enjeux narratifs et philosophiques des sons – ou de l’absence de sons – qui, dans les romans du Graal du Moyen Âge, accompagnent les apparitions de cet objet. Dans Le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, ce qui fait sens n’est pas le silence du Graal, mais le silence de Perceval. À ce premier épisode, silencieux, que la narration rattache à un péché du personnage, font suite, dans les romans en vers qui aspirent à en achever la narration, ainsi que dans les romans en prose du xiiie siècle, des scènes où la vision du Graal est associée à une topique de bruits et de voix, aux topoï du chant et de la musique, voire à un silence qui n’est plus la conséquence d’une faute, mais le signe de la plénitude, de la grâce et d’une harmonie que « la langue ne peut dire, ni le cœur imaginer ». Du silence fautif de Perceval au silence de la grâce divine, expérience mystique ineffable, un long chemin a amené les protagonistes des scènes du Graal à intérioriser cette épreuve, et à faire résonner dans leur for intérieur la voix de la Présence réelle. Quête de la grâce divine, la quête du Graal conduit le fidèle de l’expérience sensorielle à la béatitude in Deo, à l’union avec le Souffle incréé, Verbe qui dépasse toute intelligence. L’itinéraire vers Dieu est un chemin vers le silence.
EN :
This study takes a look at Nature, at the narrative and philosophical effects and stakes of sounds -or the absence of sounds- which, in the novels of the Grail of the Middle Age, follow the appearances of this subject. In Chrétien de Troyes' Perceval, The Story of the Grail, what is significant is not the silence of the Grail, but the silence of Perceval. From this first silent episode, which connects the narration to a sin of character, are followed scenes, in the novels in verse that aspire to complete the narration, as well as in the prose novels of the 13th century, where the vision of the Grail is associated to the topic of noises and voices, to the themes of songs and music, or even to a silence which is no longer the consequence of a fault, but a sign of plenitude, of grace, and of an harmony that “the tongue cannot say, nor the heart imagine.” From Perceval's guilty silence, to the silence of the divine grace, ineffable mystical experience, the Grail scenes carried the characters a long way to internalize this trial, and to allow their hearts to hear the resonance of the voice of the real presence. As a quest for divine grace, the quest of the Grail leads the devotee of a sensory experience to a bliss in Deo, to the unity with the uncreated Breath, Verb which exceeds all intelligence. An itinerary towards God is the path towards silence.
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« A grant noise » : la performance sonore dans les « Cent nouvelles nouvelles »
Teodoro Patera
p. 1–17
RésuméFR :
Cet article, partant du fait que la dimension sonore de la théâtralité des Cent nouvelles nouvelles n’a pas été suffisamment mise en valeur, observe que l’évocation de certaines sonorités complète et enrichit des motifs et des situations qui sont à la base de la teneur théâtrale de l’ouvrage. Il souligne aussi l’idée que le récit prenant une direction performative comique, les traces sonores du texte sont alors autant de signes d’une dynamique du conflit, d’un univers troublé marqué par la méfiance. Le texte qui trouve sa puissance dans cette esthétique du conflit est moins forgé par la base narrative commune à d’autres récits que par le surplus performatif et sonore. Ainsi l’article conclut-il sur la réflexion que la visibilité et l’audibilité d’un texte-corps ne peuvent s’empêcher d’assumer une charge performative. Si le son ne raconte rien, il ajoute une valeur certaine à la narration.
EN :
This article, assuming that the dimension of sound in the theatricality of Cent nouvelles nouvelles hasn’t been enhanced enough, observes that the evocation of some sounds completes and enriches the motives and situations that are at the basis of the theatrical content of the work. It also highlights the idea that by the narrative taking a comedic performative direction, the traces of sound in the text are thus as much signs of a dynamic of conflict as a troubled universe marked by mistrust. The text that finds its power in this aesthetic of conflict is less forged by the common narrative basis of other narrations than by the surplus of performance and sound. As a result, the article concludes with the reflection that the visibility and audibility of a body of text can’t stop themselves from assuming a performative charge. If sound doesn’t add anything to the story-telling, it adds a sure value to the narration.
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Cris et onomatopées dans l’oeuvre d’Antonius Arena
Marie-Joëlle Louison-Lassablière
p. 1–13
RésuméFR :
Dans son manuel de pédagogie chorégraphique, Ad suos compagnones (1531) et ses mémoires intitulés Meygra Entrepriza (1537), Arena élabore une bande-son du théâtre de la guerre avec le fracas de l’artillerie et les chants militaires, et de la salle de bal avec la musique et les frappements de pieds. Cette illustration sonore exploite tous les procédés vocaux qu’offrent le latin, l’italien et l’occitan. Tout en soulignant les affects humains, l’auteur parvient à transcender la triglossie macaronique pour parler à l’oreille de ceux qui ignorent le latin et à porter jusqu’à nous l’écho lointain d’une Renaissance mère des armes et des danses.
EN :
In his manual of choreographic pedagogy, Ad suos compagnones (1531) and his memoires titled Meygra Entrepriza(1537), Arena elaborates a theatrical soundtrack of war with the fracas of artillery and military songs, and the ballroom with music and beating feet. This illustration of sound utilizes all the vocal procedures that are offered by Latin, Italian and Occitan. While underlining human emotions, the author successfully transcends the macaronic triglossia in order to speak to the ears of those who ignore the latin, and in order to bring us the far echo of the Renaissance as Mother of arms and dances.
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À voix haute : combiner les représentations rhétorique et médicale de la voix à la Renaissance
Pascale Chiron
p. 1–16
RésuméFR :
A la Renaissance, la transmission orale des textes ne se justifie pas seulement par une tradition qui persisterait parallèlement à l’essor de l’imprimerie : elle trouve un point d’appui dans la redécouverte des traités de médecine des Anciens s’intéressant à la lecture à voix haute. Capable de mieux faire circuler ou libérer les humeurs, la vocifération ou la lecture à voix haute font partie des programmes thérapeutiques à l’œuvre dans l’Antiquité. Rabelais, médecin lui-même, traducteur en latin et éditeur d’Hippocrate et de Galien, n’ignorait sans doute pas ce lien fait jadis entre voix et santé, comme le mode de vie de Gargantua semble le montrer : l’humaniste combine dans ses récits une représentation de la voix empruntée à la rhétorique de l’actio, une représentation anatomique du trajet de la voix dans l’oreille, et une vision thérapeutique des exercices vocaux. Ces différentes représentations concourent toutes à l’épanouissement humaniste du géant. Clément Marot va encore plus loin en donnant un écho de ces traités médicaux dans le « Chant royal de la conception Nostre Dame », renouvelant par là-même l’image du « Verbe » divin et celle de la Vierge Marie.
EN :
In the Renaissance, the oral transmission of texts was not only justified by a tradition that would persist in parallel with the rise of printing: it actually found a point of support in the rediscovery of the medical treatises of the Ancients interested in reading out loud. Able to better allow for the circulation or release of moods, vociferation or reading aloud are among the therapeutic programs at work in Antiquity. Rabelais, a doctor himself, Latin translator and publisher of Hippocrates and Galian, was no doubt aware of this link between voice and health, as Gargantua’s way of life seems to show: the humanist combines in his stories a representation of the voice borrowed from the rhetoric of the actio, an anatomical representation of the path of the voice to the ear, and a therapeutic vision of the vocal exercises. These different representations all contribute to the humanist development of the giant. Clément Marot goes even further by giving an echo of these medical treatises in the “Royal Chant of the Conception of Our Lady,” thereby renewing the image of the divine “Word” and that of the Virgin Mary.
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Le rire sonore de Dassoucy alias Diogène
Dominique Bertrand
p. 1–14
RésuméFR :
Arborant un masque diogénique dans l’autofiction de ses Aventures, Dassoucy procède à une falsification des valeurs sociales qui contamine la topique musicale. Il se réapproprie ainsi la tradition facétieuse des conteurs de la Renaissance et de Rabelais pour en exacerber les virtualités satiriques et blasphématoires. Ces perspectives facétieuses mettent en place un dispositif de lecture fondée sur un jeu de connivence cryptée pour déconstruire la topique de l’harmonia mundi, voire substituer à la symbolique chrétienne des cloches le signe de reconnaissance cynique d’un rire aux résonances obscènes et blasphématoires.
EN :
Wearing a diogenic mask in the autofiction of his Adventures, Dassoucy proceeds to a falsification of social values which contaminates the musical topic. He thus reappropriates the facetious tradition of Renaissance storytellers and of Rabelais to exacerbate its satirical and blasphemous virtualities. These facetious perspectives set up a reading device based on a game of encrypted connivance to deconstruct the topic of the harmonia mundi, even to substitute the Christian symbolism of the bells for the cynical sign of recognition of a laugh with obscene and blasphemous resonances.
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L’univers sonore de Marivaux : chant, voix, cris
Catherine Gallouët
p. 1–18
RésuméFR :
Ce travail propose de mesurer l’univers sonore dans les fictions narratives de Marivaux, tâche d’autant plus délicate que le détail matériel ne semble pas avoir préoccupé outre mesure leur auteur. Il ne s’agit pas de faire une analyse du langage, mais plus précisément de dégager les occurrences des sons de la voix dans les divers textes interrogés selon des champs sémantiques distincts, la voix parlée et son babil, le chant et le cri. L’analyse suggère que les sons de la voix humaine évoquent l’harmonie d’une sociabilité où l’individu peut être, se dire et se construire, alors que le cri, peut-être le rappel d’une vérité intérieure qui reste étrangère et à laquelle on ne peut totalement échapper, l’interrompt. L’article observe alors ainsi comment le désir de communicabilité et l’anxiété de ce qui peut l’interrompre inscrivent dans le récit une tension sous-jacente entre vie et mort, entre appartenance et abandon, entre sociabilité et solitude. À l’encontre d’une lecture des romans de Marivaux qui en relève les contradictions, l’analyse en souligne curieusement l’unité profonde.
EN :
This work proposes to assess the universe of sound in the narrative fictions of Marivaux, a task even more delicate as materiality does not seem to have preoccupied their author unduly. The point is not so much to analyze the use of language in the various texts questioned, as to identify the occurrences of these sounds emitted by the voice in distinct semantic fields, the spoken voice and its murmur, the song, and the shout. The analysis finds that the sounds of the human voice evoke the harmony of sociability where the individual can be, speak, and build him/herself, while the shout, perhaps the reminder of an inner truth that remains foreign and which one cannot completely escape, interrupts. The article observes how the desire for communicability and the anxiety of what can interrupt it inscribes in the story an underlying tension between life and death, between belonging and abandonment, between sociability and loneliness. Contrary to readings of Marivaux's novels which emphasize their contradictions, this analysis curiously underlines their profound unity.
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Aspects et fonctions des sons dans Cleveland de l’abbé Prévost
Françoise Gevrey
p. 1–14
RésuméFR :
En écrivant Cleveland, son célèbre roman-mémoires, l’abbé Prévost accorde une grande importance aux sons. Il insiste d’abord sur les bruits dans le déroulement de l’action, et surtout il caractérise les voix des personnages (les cris, les émotions, la séduction). Au-delà de cette précision physiologique, le romancier utilise la musique dans plusieurs épisodes et lui donne un rôle dans la recherche du bonheur. Le roman peut même être comparé à un opéra par sa construction, ses décors et ses situations. Les sons contribuent ainsi à l’expression morale et dramatique des sentiments.
EN :
In writing Cleveland, his famous memoir-novel, l’abbé Prévost gives great importance to sounds. He first insists on the noises in the action, and on the voices of the characters (cries, emotions, seduction). Beyond this physiological precision, the novelist uses music in several episodes and gives it a role in the search for happiness. The novel can even be compared to an opera in its construction, its scenery and its situations. As a result, sounds contribute to the moral and dramatic expression of feelings.
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Le « charme de la voix » : topiques du son enchanteur et réflexions musicales au XVIIIe siècle
Emmanuelle Sempère
p. 1–17
RésuméFR :
La formule du « Charme de la voix » qui fait le titre d’une pièce de Thomas Corneille de 1657 constitue la matrice topique d’un vaste corpus d’œuvres qui ont interrogé, tout au long de l’âge classique, les pouvoirs de la voix. L’article dégage deux séries de topoï : dans le conte de « La Belle et la bête » et ses réécritures entre les années 1740 et les années 1770, le « charme de la voix » est essentiellement envisagé sous l’angle de la douceur et du processus civilisationnel, tandis que dans la nouvelle de Cazotte, Le Diable amoureux (1772-1776), il apparaît comme une puissance déstabilisatrice en relation avec l’imaginaire de la sorcière.
EN :
The formula of the "Charm of the voice", which is the title of a play by Thomas Corneille from 1657, constitutes the topical matrix of a vast corpus of works which, throughout the classical age, have questioned the powers of the voice. The article identifies two sets of topoi: in the tale of "Beauty and the Beast" and its rewrites between the 1740s and the 1770s, the "charm of the voice" is essentially considered from the point of view of gentleness and civilizational process, while in Cazotte's short story, Le Diable amoureux (1772-1776), it appears as a destabilizing power in relation to the witch's imaginary.
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Les bruits de la nuit dans la fiction érotique des Lumières, ou les résonances de l’ombre
Marine Ganofsky
p. 1–22
RésuméFR :
La nuit servant de refuge aux liaisons interdites de jour est un topos reconnu. Pourtant, si les ténèbres dissimulent les corps, la littérature libertine du XVIIIe siècle nous rappelle qu’elles les soumettent aussi à une dure loi du silence. Le moindre bruit peut trahir les amants clandestins ; or, la nuit amplifie les résonances. Ce topos libertin de la nuit révélant (plutôt que dissimulant) les secrets érotiques exprime une nouvelle conception du bruit comme manifestation de la vitalité humaine au siècle des Lumières. Il illustre surtout la difficulté de réduire au silence la force vitale du désir. La nuit émerge de ce topos comme bien moins silencieuse que bruyante, et les plaisirs comme bien peu libres au temps des libertins.
EN :
Nighttime serving as a shelter to forbidden liaisons is a well-known topos. However, 18th-century libertine fiction reminds us that whilst darkness can conceal bodies, it also forces those it hides to be silent. Nighttime amplifies the slightest sound which can betray clandestine lovers. That libertine topos of night disclosing (rather than dissimulating) erotic secrets bears witness to the Age of Enlightenment’s positive reconfiguration of noise as a sign of human vitality. Crucially, this topos also illustrates the difficulty of silencing desire. As a result, nighttime emerges from this topos as full of sounds rather than as silent, while pleasures appear to be painfully constrained, even for libertines.
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Chant, cri et aphasie dans la rhétorique sentimentale de Jean-Claude Gorgy (1753-1795)
Huguette Krief
p. 1–18
RésuméFR :
Si le chant est constitutif de l’émotion, selon Rousseau (Dictionnaire de musique), Jean-Claude Gorjy, auteur sentimental à succès de la fin du XVIIIe siècle, en fait le fondement d’une esthétique étroitement liée à la nature. Véritable procédé d’écriture dans ses romans, les chansons à boire, ariettes et complaintes coexistent parfaitement avec un discours romanesque sensible. Le chant étant lié avec l’expérience de la vie, Gorjy y voit aussi l’expression d’une morale populaire, rustique et généreuse. Rêvant de ramener les hommes à la vertu par le chant, le romancier donne à l’expression chantée une valeur politique sous la Révolution française.
EN :
If singing is made of emotion, according to Rousseau (Dictionnaire de musique), Jean-Claude Gorjy, successful sentimental author of the end of the 18th century, made it the foundation of an aesthetic narrowly linked to nature. True process of writing in his novels, singing songs, ariettas and complaints co-exist in perfect harmony with a sensible romanesque discourse. Singing being linked to the experience of life, Gorjy also sees in it the expression of popular morale, rustic and generous. Dreaming of bringing back men to the virtues of singing, the novelist gives to the singing expression a political value under the French Revolution.
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La musique dans les romans du dix-huitième siècle : théories et enjeux
Martin Wålberg
p. 1–16
RésuméFR :
Comment comprendre, au niveau théorique, la présence de la musique dans les romans du dix-huitième siècle ? Il s’agit ici de répondre à cette question en confrontant un choix de romans français du dix-huitième siècle aux acquis principaux des théories actuelles sur la musique et la narration en prose. En identifiant des divergences majeures, cet article tente de proposer un autre cadre théorique.
EN :
How can we understand, on a theoretical level, the presence of music in the French novels of the eighteenth-century? This article examines this question in the light of prevailing theories on the presence of music and prose fiction. By identifying major discrepancies between the two, the aim is to provide a different theoretical basis for our understanding of music in eighteenth-century French narrative.
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Lyres, harpes, luths et cithares : l’instrumentarium du psaume 136, Super flumina Babylonis
Jean-Noël Pascal
p. 1–15
RésuméFR :
Les versets initiaux du Super flumina évoquent le silence contraint des Israélites exilés à Babylone, qui laissent en repos leurs kinnors et refusent de chanter pour leurs vainqueurs. Entre 1700 et 1820, les nombreuses traductions, imitations et paraphrases poétiques déploient, pour orchestrer ce bouleversant silence, tout un instrumentarium dont l’analyse éclaire, par-delà la plus ou moins grande habileté des poètes, l’évolution de la conception de la poésie lyrique.
EN :
In the first verses of the Super flumina, the Hebrews are forced to remain silent. They quit their Kinnors and refuse to sing for their victors. From 1700 to 1820, the numerous poetic translations, imitations and paraphrases use an important instrumentarium in order to orchestrate this touching silence, the study of which, regardless of the skill of the poets, allows an interesting approach to the conception of lyric poetry.
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Isabelle de Charrière romancière et musicienne : musique et topicité
Suzan van Dijk
p. 1–11
RésuméFR :
Cet article discute les deux « champs d’activité » d’Isabelle de Charrière : l’écriture et la musique – notamment la façon dont elle les relie l’une à l’autre. Non seulement elle compose de la musique pour ses propres vers, mais dans ses romans on trouve souvent des personnages (principaux ou secondaires) qui s’occupent de musique, ou l’enseignent à des enfants, notamment à des petites filles. Ce besoin d’enseigner la musique pour que, une fois adultes, les femmes soient capables de « plaire en société » correspond à une norme que la romancière voudrait remettre en question. Dans les romans discutés, ceci vient à l’appui du message qui est central à la publication.
EN :
This article discusses the two fields in which Isabelle de Charrière was active: writing and music making – especially the way in which she establishes connections between the two. Not only did she compose music for a number of her own poems, but her novels often include characters (either principal or secondary) who are busy making music or teaching music to children, especially girls. This need for teaching music – and preparing women for being able to please in society – corresponds to a norm which the novelist brings up for discussion. In most cases this discussion is connected to wider doubts about the norms that determine social life.
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La harpe éolienne mise en scène dans la poésie et le roman européens
Alain Montandon
p. 1–14
RésuméFR :
La harpe éolienne, construite à partir du 17e siècle, est caractérisée par la singularité de ses sons qui déterminent ses emplois narratifs et poétiques. Devenue un topos important de la sentimentalité, du souvenir, de la mélancolie et de la mort, elle devient moyen de séduction chez Smollett, tonalité fondamentale de la nature pour le romantisme allemand, image de l’inspiration poétique pour un Coleridge.
EN :
The Aeolian harp, starting to be built from the 17th century, is characterized by the singularity of its sounds which determine its narrative and poetic uses. Becoming an important topos of sentimentality, memory, melancholy and death, it becomes a means of seduction in Smollett, a fundamental tone of nature for German romanticism, an image of poetic inspiration for a Coleridge.
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Les bruits du monde chez Diderot
Aurélia Gaillard
p. 1–13
RésuméFR :
Si la critique a déjà bien mis au jour la place essentielle qu’occupent le sonore et la musique chez Diderot, notamment au travers de la grande métaphore de l’homme-clavecin, la présente étude se veut plus restreinte, plus suggestive qu’exhaustive, et vise à analyser quelques « bruits du monde », par opposition mais aussi contiguïté avec ceux du corps humain ou des sons musicaux. L’étude comprend alors deux moments : un relevé analytique de quelques topoï pris pour l’essentiel dans les fictions narratives (Jacques le fataliste, Le Neveu de Rameau, La Religieuse, Les Bijoux indiscrets, la « Promenade Vernet » du Salon de 1767) puis, quelques éléments d’une théorie sonore chez Diderot qui convoque cette fois-ci plutôt l’œuvre philosophique et esthétique de l’auteur. Dans un premier temps sont alors mis en évidence les « bruits pittoresques » qui constituent une sorte de fond sonore des narrations diderotiennes : sonneries de cloches, coups de fusil et de tonnerre, pas des chevaux, mugissement des eaux, claquement de portes. La seconde partie se concentre sur la place du sonore dans un système complexe d’expression sensorielle synesthésique.
EN :
If critics have already brought to light the essential place that sound and music occupy in Diderot’s work, mainly through the great metaphor of the harpsichord-man, the present study is more restricted, more suggestive than exhaustive, and aims to analyze some "world noises," in opposition to but also contiguous with those of the human body or musical sounds. The study consists of two moments: firstly, an analytical inventory of some topoï taken essentially from narrative fictions (Jacques le fataliste, Le Neveu de Rameau, La Religieuse, Les Bijoux indiscrets, the “Promenade Vernet” of the Salon de 1767), and then some elements of a sound theory from Diderot’s work that borrows from the author’s philosophical and aesthetic work. First, the “picturesque noises” that constitute a kind of sound background for the Diderotian narrations are highlighted: ringing bells, gunshots and thunder, horses’ footsteps, roaring waters, slamming doors. The second part focuses on the place of sound in a complex system of synesthetic sensory expression.