Volume 52, Number 3-4, September–December 2011
Table of contents (15 articles)
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Présentation
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Les catégories, la classification et la qualification juridiques : réflexions sur la systématicité du droit
Michelle Cumyn
pp. 351–378
AbstractFR:
Le droit forme-t-il un système ? Les juristes, les sociologues et les philosophes du droit répondent généralement à cette question par l’affirmative. Cependant, il est frappant de constater le décalage qui existe entre la théorie du droit et la doctrine juridique, dans l’idée qu’elles se font de cette systématicité. Les philosophes et les sociologues se représentent l’ordre juridique à travers le modèle kelsénien de la pyramide des normes ou, plus récemment, à l’aide de la théorie systémiste de Luhmann. Pour la doctrine, la systématicité du droit se manifeste plutôt par une division en branches, domaines et matières juridiques, soit des catégories juridiques s’insérant dans une taxonomie. Est-il possible de rapprocher ces deux mondes ?
EN:
Can the law be considered a system ? Lawyers, sociologists and legal philosophers generally agree that it can. Yet they hold strikingly different views regarding the structure of legal systems. On the one hand, legal philosophers and sociologists frequently depict the legal system as a pyramid of norms, drawing on the work of Kelsen, or they embrace a more recent definition of the law as a social system, following in the steps of Luhmann. On the other hand, lawyers picture the legal system as an elaborate taxonomy composed of legal categories ; the law is divided into branches, fields, subjects, and so on. Do lawyers, sociologists and legal philosophers stand so far apart that no common understanding can be reached of the structure of legal systems ?
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Les obstacles épistémologiques de la méthodologie juridique : l’exemple de la théorie de l’imprécision
Stéphane Bernatchez
pp. 379–396
AbstractFR:
L’article qui suit tente de démontrer l’intérêt pour la méthodologie juridique de prêter attention aux présupposés épistémologiques du jugement juridique. En examinant la théorie de l’imprécision législative élaborée par la Cour suprême du Canada, l’auteur s’intéresse d’abord aux obstacles épistémologiques que rencontre le raisonnement judiciaire suggéré par la Cour suprême, et qu’elle essaie par la suite de surmonter ou de contourner. Passant de l’obligation de fournir un avertissement raisonnable aux citoyens au critère du guide suffisant pour un débat judiciaire, l’approche retenue demeure néanmoins mentaliste. C’est précisément pour éviter ce nouvel obstacle que l’auteur propose une conception pragmatiste de l’opération de production du sens, qui repose sur l’usage réflexif et la signification normative partagée, et ce, pour éclairer l’arrière-plan épistémologique de l’application méthodologique de la norme constitutionnelle d’imprécision.
EN:
This article aims at emphasizing in legal methodology the importance of paying particular attention to epistemological presuppositions inherent in legal judgment. In his analysis of the doctrine of vagueness as enunciated by the Supreme Court of Canada, the author examines the epistemological obstacles to the reasoning suggested by the Supreme Court, but which the Court then attempts to surmount or by-pass. From the duty of providing fair notice to the citizens to the criterion of giving sufficient guidance for legal debate, the approach remains nonetheless mentalistic. It is precisely in order to avoid this new obstacle that the writer proposes a pragmatic conception of the operation of the production of meaning, based on a reflexive usage and a shared normative significance, in order to shed light upon the epistemological background of the methodological application of the constitutional doctrine of vagueness.
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Metaphors and Models in Legal Theory
Finn Makela
pp. 397–415
AbstractEN:
In this article, the author argues that metaphors can be used as the basis for creating models in legal theory. Drawing on the literature on metaphor from the philosopy of language, he contends that metaphors are best understood as speech acts that propose a hypothesis of similarity between two separate domains. This kind of domain mapping, he argues, is the same procedure that underlies many scientific models, which allow us to transpose our understanding of well-understood phenomena to other areas of inquiry. He concludes with the assertion that — far from being merely ornamental uses of language or rhetorical devices — metaphors are important methodological tools in both the construction and critique of legal theory.
FR:
Dans l’article qui suit, l’auteur avance que les métaphores peuvent servir de fondement à la création de modèles en théorie du droit. S’inspirant de la littérature philosophique portant sur la métaphore, il soumet d’abord que les métaphores doivent être comprises comme étant des actes de langage par lesquels une relation de similitude est proposée entre deux domaines distincts. Ensuite, il soutient que ce procédé de transposition est à la base de plusieurs modèles scientifiques. De tels modèles permettraient de traduire les connaissances de phénomènes bien connus à d’autres champs d’études. En conclusion, l’auteur prétend que les métaphores sont loin d’être de simples figures rhétoriques. Elles seraient plutôt des outils méthodologiques importants pour la construction et la critique de théories juridiques.
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De nouveaux horizons épistémologiques pour la recherche empirique en droit : décentrer le sujet, interviewer le système et « désubstantialiser » les catégories juridiques
Margarida Garcia
pp. 417–459
AbstractFR:
Sur la toile de fond qui est celle du rapport entre le droit et les sciences sociales, l’article qui suit énonce trois propositions épistémologiques susceptibles d’ouvrir de nouveaux horizons pour la recherche empirique en droit : décentrer le sujet ; interviewer le système à l’aide d’entretiens qualitatifs tournés vers l’observation de la communication ; et « désubstantialiser » les catégories juridiques. Ces propositions épistémologiques sont décrites comme des conditions nécessaires à la possibilité d’un regard externe sur le droit. Elles sont, par ailleurs, considérées comme favorables au développement de la recherche multidisciplinaire en droit puisque, sous certaines conditions, autant le droit que les sciences sociales peuvent bénéficier de ces trois stratégies. Les sciences sociales doivent « prendre le droit au sérieux », les recherches sur le droit devant être réalisées « avec le droit ». De son côté, le droit peut améliorer ses observations et ses modèles normatifs internes en intégrant davantage, dans ses prémisses décisionnelles, les connaissances produites par les sciences sociales.
L’auteure soulève dans son texte l’hypothèse que cette intégration — une réalité déjà bien réelle sur le terrain judiciaire, mais encore peu problématisée — tendra à se développer de plus en plus dans le monde juridique à venir. Les enjeux de société contemporains (droits religieux, droits des minorités, droits des femmes, droits des peuples autochtones, droit au suicide assisté, droit au mariage entre couples de même sexe, droits de reproduction, droits des sans-papiers, etc.) sont de plus en plus régulés par des figures juridiques caractérisées par leur texture normative ouverte (valeurs fondamentales, droits de la personne, etc.) et les sciences sociales seront davantage envisagées comme des ressources cognitives importantes de détermination et de spécification juridique, essentielles donc pour ceux qui pensent et disent le droit. En effet, puisque ces enjeux exigent des acteurs judiciaires de la créativité, de l’imagination juridique et de l’ouverture cognitive et normative à l’égard des différentes possibilités de régulation, devant la conception des différents « possibles », les sciences sociales seront, dans ce contexte, des éléments importants de « détermination » des possibles encore non actualisés.
EN:
In this article, we argue that when interaction between law and social sciences is viewed as a backdrop, three epistemological propositions stand out as opening new horizons for empirical research in law, namely : “decentering the subject”, ‘’interviewing’’ systems by means of qualitative interviews oriented toward the observation of communication, and the “desubstantialization of legal categories’’. These epistemological premises are described as the requisite conditions for grounding an external perspective on the law. They are also considered to be favourable for the development of multi-disciplinary research in law as both law and social sciences can (under certain conditions) benefit from these three analytical strategies. Social sciences must ‘’take the law seriously’’, research in law having to be carried out ‘’with the law’’. As for law, it may improve its observations and internal normative models by more fully integrating the knowledge generated by social sciences into its decisional premises. The author advances the hypothesis that this integration — already a reality on the judicial arena, yet still lightly problematized — will tend to continuously evolve ever more in the legal universe yet to come. Contemporary social issues (religious rights, minority rights, women’s rights, native peoples’ rights, the right to assisted suicide, same-sex marriage rights, reproductive rights, the rights of undocumented persons, etc.) are increasingly regulated by legal figures characterized by their ‘’open normative composition’’ (fundamental values, human rights, etc.). Social sciences will increasingly tend to be seen as valuable cognitive resources for determining and specifying legality, thereby essential for those who conceive and shape the law. Indeed, since these issues demand creativity, juristic imagination and cognitive and normative openness from juridical actors when confronted with varying regulatory options, social sciences will in this context provide vital elements for determining potential, yet still not actualized, possibilities within this context.
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De l’existence d’une norme de l’anormal. Portée et valeur de la recherche empirique au regard du droit vivant : une contribution à la sociologie du droit
Emmanuelle Bernheim
pp. 461–496
AbstractFR:
Dans le texte qui suit, l’auteure postule que l’étude du droit par l’entremise des méthodes de sciences sociales, et notamment de l’empirie, est un moyen réflexif d’étudier le droit et les normes et de révéler la dynamique des changements sociaux et juridiques, plus particulièrement circonscrire la place de l’individu dans la dynamique normative et, incidemment, illustrer en quoi le droit et les normes constituent des vecteurs du lien social. La recherche empirique démontre notamment que la mobilisation des normes dépend d’un processus d’appropriation par lequel l’acteur matérialise son rôle social et le sens qu’il donne à son action. La mise en évidence du décalage entre le droit des textes et le droit vivant permet d’appréhender les impasses conceptuelles et paradigmatiques qui influent sur la cohérence interne du droit et constituent des obstacles majeurs à son application.
EN:
In this article, the author advances that the study of law as seen through the prism of social science methods, and especially experiential retroflexion, provides a reflexive means for studying law and norms and reveals the dynamics of social and juridical evolution. It is mainly a question of situating the place of a human being within a normative dynamic setting and, incidentally to illustrate how law and norms are the vectors of social bonds. Empirical research especially demonstrates how the mobilization of norms depends upon a process of appropriation whereby the actor materializes his social role and the meaning that he gives to his actions. The illustration of the gap between jus scriptum and jus vivum sheds light upon the conceptual and paradigmatic deadlocks that distort the internal coherency of law and constitute major obstacles in its application.
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Du spécialiste au dilettante, quel juriste doit produire le discours juridique ? Trois exemples d’analyse interdisciplinaire relatifs à la théorie contractuelle
André Bélanger
pp. 497–518
AbstractFR:
Le texte qui suit constitue une forme de plaidoyer en faveur de l’interdisciplinarité en matière de théorie des contrats. Dans la mesure où l’autonomie du droit est toute relative, le juriste ne peut être coupé des manifestations des divers discours de l’ensemble du monde social. Par conséquent, la multidisciplinarité est inévitable en droit pour que les juristes réussissent à comprendre pleinement le sens des règles juridiques qu’ils élaborent, modèlent et interprètent. Afin d’évaluer la pertinence d’ouvrir l’interprétation à des approches autres qu’économique et utilitariste, mais aussi pour enrichir une théorie juridique qui peine aujourd’hui à faire place à deux individus entièrement socialisés et personnifiés, l’auteur oppose les perceptions sociétales contemporaines du contrat à celles qui sont exploitées par les juristes. Il aborde ainsi la relation contractuelle sous trois angles multidisciplinaires (analyse discursive, théorie littéraire et art contemporain), afin de vérifier si les juristes peuvent et doivent diversifier leurs discours scientifiques. En tentant de scruter la théorie du droit par des domaines interdisciplinaires élargis, l’auteur met en lumière non seulement les croisements possibles entre le contrat et divers champs d’études exotiques par rapport au droit, mais plus largement la proposition d’un renouveau en matière d’épistémologie juridique.
EN:
The following text constitutes a plea in favour of inter-disciplinarity in the theory underlying contracts. Insofar as the autonomy of law is quite relative, jurists cannot cut themselves off from the variety of discourses that prevail in society. In this context, multi-disciplinarity is inevitable to the practioners of law that seek to fully comprehend the impact of the rules of law they are composing, shaping and interpreting. In order to explore the relevance of moving beyond economic and utilitarian interpretative frameworks, but also to address the inability of today’s legal theory to truly consider two fully personified and socialized parties to the contract, this essay focuses on the contract to confront the approaches commonly adopted by jurists with larger contemporary societal perceptions. To determine whether or not jurists should and must diversify their scientific dialogues, the contractual relationship is herein approached from three multi-disciplinary angles (linguistics, literary theory and contemporary art). Thus scrutinizing the theory underpinning law from an enlarged inter-disciplinary fields, this text not only sheds light on the potential cross-breeding between contracts and different fields of studies that are external to law, but also more broadly proposes a renewal in the area of legal epistemology.
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Pratiquer l’interdisciplinarité en droit : l’exemple d’une étude empirique sur les services de placement
Priscilla Taché, Hélène Zimmermann and Geneviève Brisson
pp. 519–550
AbstractFR:
Pratiquer l’interdisciplinarité en droit est de plus en plus pertinent pour aborder des problématiques juridiques complexes et novatrices. Néanmoins, cela place les chercheurs devant une diversité de méthodes et de théories et fait émerger des défis appelant des modes de solution particuliers. De 2008 à 2010, une équipe composée de juristes et de spécialistes des sciences sociales (anthropologues et sociologue) a mené une étude empirique portant sur les services de placement. En effectuant un retour sur l’expérience de cette équipe, les auteures mettent en évidence dans l’article qui suit, pour chaque étape du processus de recherche, les avantages obtenus et les obstacles rencontrés. Puis elles mettent l’accent sur la manière dont le recours à une étude empirique dans la tradition des sciences sociales est apparu complémentaire de la recherche classique en droit. Enfin, elles en tirent des leçons plus générales susceptibles d’être transposées à d’autres expériences de recherche interdisciplinaire en droit.
EN:
The practice of interdisciplinarity in law has become increasingly relevant when dealing with complex and innovative legal issues. Nonetheless, this confronts researchers with a diversity of methods and theories, and brings to the fore challenges requiring specific types of solutions. Between 2008 and 2010, an empirical enquiry into placement services was carried out by a team made up of legal scholars and social science specialists (anthropologists and a sociologist). In reviewing the experience of the preceding team, this paper emphasizes the benefits reaped and obstacles encountered at each step in the research process. It then draws attention to the way in which recourse to empirical enquiries based upon social science tradition stands out as complementary to classical legal research. Last of all, it underscores more general lessons likely to be applied to other interdisciplinary research experiences in law.
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Les grands arrêts sur les droits des femmes : projet et réflexions théoriques féministes
Louise Langevin and Valérie Bouchard
pp. 551–579
AbstractFR:
Quels sont les grands arrêts des tribunaux canadiens ayant façonné les droits des femmes ? Cette question soulève d’importants défis d’ordre théorique et méthodologique. Il n’est pas facile de définir un « grand » arrêt pour les femmes et les critères pour déterminer les arrêts qui ont fait « avancer » la condition des femmes au Québec. De plus, il est difficile de travailler avec des banques de données structurées en dehors des réalités des femmes. Dans le texte qui suit, les auteures abordent plus particulièrement ces deux défis méthodologiques. D’abord, elles définissent leur cadre théorique féministe. Ensuite, elles se penchent sur l’invisibilité de la catégorie « femme » dans les banques de données jurisprudentielles. Comme elles l’ont constaté, la littérature est silencieuse à ce sujet. Pourtant, cette invisibilité ne doit pas surprendre : le savoir est produit par et pour des hommes occidentaux, et il en est de même des outils de repérage. Les auteures visent à faire avancer les réflexions sur les théories féministes du droit et à mieux comprendre le rôle de ce dernier dans la reproduction de la subordination des femmes.
EN:
What landmark decisions by Canadian courts have shaped women’s rights ? The question raises important theoretical and methodological challenges. It is not easy to define what constitutes a “landmark” decision for women, or which cases have “advanced” the situation of women in Québec. Furthermore, it is hard to work with databases compiled with no regard for feminine realities. In this survey, the authors focus on these two methodological challenges. First, they establish a feminist theoretical framework ; second, they discuss the invisibility of the “woman” category in jurisprudence databases. As they observe, the literature remains silent on this topic, and yet the invisibility is not surprising : since knowledge is produced by and for western males, the same applies to data retrieval tools. The authors’ aim is to advance reflections about feminist theories in law and to shed light on the role played by the law in propagating feminine subordination.
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Former l’apprenti juriste à une approche du droit réflexive, critique et sereinement positiviste : l’heureuse expérience d’une revisite du cours « Fondements du droit » à l’Université de Montréal
Violaine Lemay and Benjamin Prud’homme
pp. 581–617
AbstractFR:
Au terme d’une série de pérégrinations en terre disciplinaire étrangère, l’auteure principale du présent article, professeure de droit, raconte les expériences et les anecdotes qui l’ont amenée à prendre conscience des irritations et des agacements, voire des guerres fratricides, que provoque, entre universitaires dont l’analyse est insuffisamment réflexive, l’inconscience de la possibilité d’une pluralité d’approches scientifiques différentes mais également dignes sur le plan savant. L’auteure explique ensuite comment ce passé universitaire l’a conduite à revisiter la forme du cours « Fondements du droit », au premier cycle, de façon à initier les apprentis juristes à l’interdisciplinarité et à une réflexivité accrue, source de sérénité nouvelle dans l’étude régulière du droit substantiel. Dans un premier temps, l’article raconte l’impact heuristique, en matière de prises de conscience épistémologiques, du fait d’être juriste en sciences humaines et sociales et, à l’inverse, du fait d’être théoricien interdisciplinaire en faculté de droit. Dans un second temps, l’article expose les principes pédagogiques à la base de cette revisite du cours « Fondements du droit », essentiellement centrée sur l’apprentissage d’une coexistence paisible entre juristes aux méthodes différentes et, par extension, d’une tolérance plus grande à l’égard de la différence. Enfin, l’article décrit les résultats d’une courte étude empirique menée auprès des étudiants quant à la « survie », un an plus tard, des habiletés intellectuelles acquises.
EN:
Continuously crossing the disciplinary boundaries separating social sciences from law faculties, the principal author, law professor, describes the experiences that made her realize how strong were the difficulties, irritants and even fratricidal wars provoked by the unconsciousness, caused by a lack of reflexivity, of the possibility of having different, but as scientifically valuable, approaches to law. The author then explains how such experiences led her to revisit the course Fondements du droit, given to first degree students, in order to initiate them to interdisciplinary reasoning and to bring them to more reflexivity, therefore leading to a more serene and peaceful environment in which to study law. First, this paper explains the heuristic impact, in terms of epistemological reasoning, of being a jurist in social sciences faculties and, on the opposite, of being a legal and interdisciplinary theorist in law faculties. Second, the article exposes the pedagogical principles that are the foundations of this revisit of the course “Fondements du droit”, such revisit having for goal the peaceful coexistence and the growing tolerance of the different methods and approaches to law. Finally, the authors present the results of an empirical research measuring the survival, a year later, of the subjects taught during said course.
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À l’école du droit : les apports de la méthode ethnographique à l’analyse de la formation juridique
Émilie Biland and Liora Israël
pp. 619–658
AbstractFR:
Cet article qui suit présente les résultats d’une enquête par observation dans les cursus juridiques de deux institutions élitaires françaises, l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po) et l’École des hautes études commerciales (HEC Paris). Associant une réflexion générale sur la formation au droit des élites et une démarche méthodologique originale appliquant l’ethnographie à l’analyse de l’enseignement juridique, ce travail met en évidence les grandes orientations, théoriques, pratiques et pédagogiques, qui se dégagent de ces enseignements. Montrant que cette socialisation scolaire intègre un processus d’acculturation normative, en l’occurrence à l’idéologie capitaliste, par l’entremise du droit économique et la figure des avocats d’affaires, les auteures souhaitent contribuer à une meilleure connaissance de l’enseignement du droit « en action ».
EN:
This article accounts for an ethnographic research about the legal programs of two French elitist institutions : Sciences Po Paris and the HEC business school. Beginning from an institutional picture of legal education in those schools, this paper applies sociological observation to the analysis of legal teaching, in the purpose of highlighting major topics, whether theoretical, practical or pedagogic found in those programs. By demonstrating how this academic socialization integrates a normative acculturation to the capitalistic ideology through business law, it contributes to a better understanding of the teaching of law “in action”.
Notes
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Réflexion sur l’apport de l’ouvrage. Comment on écrit l’histoire sur la formation à la recherche en droit
Mathieu Devinat
pp. 659–670
AbstractFR:
Les chercheurs spécialisés en droit ont souvent pris pour modèle la méthodologie de la recherche inspirée des différentes sciences humaines. Or, les réflexions élaborées par certains historiens sur leur propre méthodologie, plus particulièrement celles qui ont été livrées par Paul Veyne dans son ouvrage Comment on écrit l’histoire, sont aussi très éclairantes pour toute personne qui s’interroge sur la méthodologie de la recherche en droit. Selon cet auteur, et paradoxalement, « l’histoire n’a pas de méthode » et les historiens « racontent des événements vrais qui ont l’homme pour acteur ». Transposées au domaine du droit, ces affirmations libéreraient en quelque sorte le chercheur d’une quête d’une méthodologie « scientifique » tout en le soumettant à une exigence, celle de décrire des événements vrais. La transposition est-elle possible ? L’épistémologie historique est-elle pertinente pour les juristes ? Voilà les questions que l’auteur abordera dans l’article qui suit.
EN:
Legal scholars have often sought inspiration from and adopted as their methodological research model that of various social sciences. Yet, the lessons developed by various historians regarding their own methodology, and more specifically thoughts conveyed by Paul Veyne in his work of reference Comment on écrit l’histoire, are every bit as inspiring for those who question the methodology of research in law. So states this author and paradoxically so : “there is no method in history” and historians “relate true events in which humankind are the actors”. Reframed in a legal context, such affirmations in a sense free the researcher from searching for some “scientific” methodology, while subjecting it to a prerequisite, that of describing true events. Is such “reframing” possible ? Is historic epistemology relevant for legal scholars and practicioners ? This is the focus of this article.
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Un peu de débroussaillage dans le domaine de l’épistémologie juridique
Bjarne Melkevik
pp. 671–686
AbstractFR:
L’auteur expose dans son article quatre thèses concernant l’épistémologie juridique pour expliquer et critiquer les dérives idéologiques les plus flagrantes dans la théorie contemporaine du droit. La première thèse rappelle que le « droit » n’est pas de l’ordre d’un existant, que le « droit » n’existe pas sur l’ordre de l’être et de l’avoir, et que tout discours sur le « droit » n’engendre pas son existence dans le monde réel. La deuxième thèse précise que les éléments factuels ne permettent pas de tirer de conclusions sur le niveau de droit, et que les juristes contemporains ont intérêt à méditer de nouveau ce qu’enseignait David Hume de même que l’interdiction rationnelle de croire qu’un raisonnement peut passer du fait au « droit ». La troisième thèse, quant à elle, se penche sur le phénomène idéologique qui consiste à raisonner à partir d’un « déjà-droit », ou encore d’opérationnaliser ou de se référer à un quelconque « déjà-droit », thèse que l’auteur critique comme étant idéologique et irrationnelle. Pour ce qui est de la quatrième thèse, l’auteur s’en prend aux semeurs de concepts, eux qui remplacent toute réflexion sur la possibilité du droit pour foncer tête baissée dans la contemplation des concepts, anciens ou nouveaux, en présupposant que tout cela n’est rien d’autre que du « droit » ; en confondant ainsi allégrement le fait de semer des concepts et un travail sérieux sur une question de droit. À travers l’étude de ces quatre assertions, d’ailleurs interreliées, l’auteur interpelle les chercheurs en droit pour qu’ils prennent au sérieux les exigences de l’épistémologie juridique. Il exhorte les juristes à s’intéresser à notre modernité juridique de même qu’aux hommes et aux femmes qui ont fait le pari d’un droit à leur mesure.
EN:
In this article, the author endorses four thesis with regard to legal epistemology seeking to explain and appraise the most flagrant ideological drifting contained in contemporary legal theory. The first thesis calls to mind that “law” is not that of a reality, that the “law” does not command the order of being and having, and that any discourse on the “law” does not prompt its existence in the physical world. The second thesis specifies that factual constituents do not allow the drawing of conclusions on the level of law, and that contemporary legal scholars would do well to reflect upon the teachings of David Hume as well as the logical prohibition in believing that a rationalization may be transfigured from fact into “law”. As for the third theses, it delves into the ideological phenomenon that consists in rationalizing on the basis of some “ready-made law”, or even operationalizing or referring to some “ready-made law” thesis that the author criticises as being ideological and irrational. Now in the fourth thesis, the author takes careful aim at sowers of conceptualizations, who substitute all thinking on the possibility of the law, preferring to charge head-long into the contemplation of concepts, whether old or new, by presupposing that the preceding is nothing more than “law” ; thereby joyfully confusing the act of sowing conceptualizations and serious ponderation on an issue of law. Through this enquiry into these four controversies — interrelated with one another — the author calls upon legal scholars to take into serious consideration the bedrock needs of legal epistemology. He exhorts the legal community to renew their interest in contemporary legal thinking as have done women and men who have run the risk of cutting the law down to their size.