Number 60, 2006 Traces et itinéraires
Table of contents (12 articles)
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Présentation
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La Société des Dix en 2006
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Modèles coloniaux, métaphores familiales et changements de régime en Amérique du Nord, XVIIe – XIXe siècles
Denys Delâge
pp. 19–78
AbstractFR:
La tradition historienne a longtemps occulté la dimension colonialiste de notre passé, au cœur de celle-ci, le rapport à l’Autre et l’enjeu central de la souveraineté. Nous traitons de ces deux paradigmes de manière comparative dans le temps et l’espace. Des modèles coloniaux de rapports aux Amérindiens furent nettement démarqués selon les modalités de transition à la modernité et le contexte de la colonisation. Les différences dans les modalités d’alliance furent réelles et elles nous ont été léguées en héritage. Par contre, elles comportaient leur revers, celui de la conquête de l’Autre, indissolublement liée à la colonisation. Cette conquête est immédiatement visible dans l’histoire des États-Unis, elle l’est également pour la Grande-Bretagne, mais de manière plus nuancée, pour la France, cela est moins apparent. La conquête n’y est cependant pas moins centrale. Certes l’analyse des rapports franco-amérindiens dans les Pays d’En-Haut et le Haut-Mississipi, révèle une sorte d’équilibre. Les nations amérindiennes y sont-elles encore souveraines ? De manière absolue ? Cet immense ensemble socioculturel s’inscrivait dans un système politique encore plus vaste, celui des empires coloniaux où les décisions de redistribuer les territoires étaient fonction de victoires et de défaites militaires ailleurs sur la planète. Les changements de régime en Amérique du Nord ont mis à jour cette dimension impériale. Les Amérindiens l’ont refusée pour la défense de leurs terres. Qu’en est-il de l’héritage de l’alliance franco-amérindienne ? La mémoire en est largement perdue. Elle ne s’inscrit pas dans le narratif historique de la fondation des États-Unis, ni dans celui du Québec moderne. Il s’agit pourtant d’un extraordinaire legs.
EN:
Historical tradition has long hidden the colonialist dimension of our past at the heart of which lies the relationship to the Other and the central issue of sovereignty. We examine the two paradigms from a comparative perspective. Colonial models of the relationship to Amerindians were clearly marked by the transition to modernity and the context of colonisation. Differences in the modes of alliance were real and we have inherited them. They, however, have their setbacks most notably the conquest of the Other, inextricably linked to colonisation. This conquest is readily visible in the history of the United States as it is in that of great Britain although in a somewhat qualified manner. For France, however, the same cannot be said and yet conquest is nonetheless central. Of course, analysis of Franco-Amerindian relations in the Pays d’En Haut and the Upper Mississippi do show a kind of equilibrium. Yet are these Amerindian nations sovereign ? Absolutely ?
This huge cultural entity belonged to an even greater political system, one of colonial empires in which decisions regarding the redistribution of territory depended on military victories and defeats elsewhere on the planet. Regime changes in North America demonstrate the imperial dimension. The Amerindians refused such change in defence of their land. Yet what shall we make of the legacy of the Franco-Amerindian alliance ? The memory of it is all but lost. It does not form part of the historical narrative of the founding of the United States nor of that of modern Québec. And yet it is a most extraordinary legacy.
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Pierre Le Moyne d’Iberville (1706-2006) : trois siècles à hue et à dia
Bernard Andrès
pp. 79–101
AbstractFR:
Le tricentenaire de la mort de Pierre Le Moyne d’Iberville nous donne l’occasion d’une réflexion sur le sens et la portée des commémorations. En examinant la figure de ce personnage historique et la façon dont il a marqué les imaginaires, on découvre que ce « lieu de mémoire » est aussi un « nœud de mémoire » (P. Nora) : un souvenir complexe disputé par plusieurs générations d’historiens et de politiciens. Déjà légendaire au XVIIIe siècle, ce personnage controversé n’a pas cessé de troubler les esprits ni de cristalliser des tensions encore palpables de nos jours, qu’il s’agisse de l’interprétation de sa mort, ou de sa «renaissance» dans la toponymie, comme dans la nomination de navires canadiens. Né en Nouvelle-France et mort à Cuba, d’Iberville relève-t-il du passé héroïque canadien ou français ? Les Québécois d’aujourd’hui peuvent-ils s’y reconnaître, alors que et les Canadiens tentent de se l’approprier (bien qu’il se battît jadis contre l’Angleterre) ? Autant de questions soulevées par cette étude qui témoigne surtout de la capacité du personnage à conquérir et à captiver notre imaginaire.
EN:
The tricentennial of the death of Pierre Le Moyne d’Iberville provides the opportunity to reflect upon the meaning and significance of commemorations. Through an examination of this historical figure and the manner by which he has struck the collective imagination, one discovers that this “heritage site” is also a “heritage knot” (P. Nora): a complex recollection contested by several generations of historians and politicians. Already legendary in the eighteenth century, this controversial individual continues to disturb many minds and to crystallize still tangible tensions to this day whether these involve the interpretation given to his death or his “re-birth” in toponymy or the naming of Canadian vessels. Since d’Iberville was born in New France but died in Cuba, is he part of France’s or Canada’s heroic past? Can Quebecers of today identify with him while Canadians are trying to appropriate him (even though he fought against England) ? Such are some of the questions raised by this study which demonstrates d’Iberville’s power to conquer and captivate our imagination.
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L’épingle et son double en Nouvelle-France
Marcel Moussette
pp. 103–128
AbstractFR:
Le point de départ de cet article est de situer la place occupée dans la culture matérielle de la Nouvelle-France par un artéfact d’apparence anodine, l’épingle droite en laiton. La première partie du texte traite de l’histoire de cet objet et de sa fabrication, tandis que la deuxième partie est consacrée aux usages et fonctions qu’on lui connaît, à partir de données archéologiques accumulées. Enfin, la découverte archéologique d’une bouteille de sorcières dans les fortifications de Québec a amené l’auteur à élaborer une troisième partie portant sur l’imaginaire de l’épingle ; d’où le titre de cet article.
EN:
The starting point of this essay is to determine the place occupied in the material culture of New France by an apparently insignificant artefact, the brass straight pin. The first part of the text deals with the history and the fabrication of this object, whereas the second part focuses on its uses and functions known from archaeological data. Lastly, the archaeological discovery of a witch bottle in the Quebec City fortifications has led the author to write a third part on the imaginary realm surrounding pins ; whence the title of this article.
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Le séjour montréalais du graveur français Rodolphe Bresdin, 1873-1877
Laurier Lacroix
pp. 129–164
AbstractFR:
Rodolphe Bresdin (1822-1885) est une figure connue et appréciée de la gravure en France. Ses œuvres au style détaillé le place au confluent de plusieurs courants de la pensée esthétique en Europe au XIXe siècle. Proche du milieu littéraire, il incarne la figure de l’artiste bohème, tel que l’a dépeint Champfleury dans sa nouvelle Chien-Caillou (1845), appellation qui devint son pseudonyme.
La carrière de Bresdin est marquée par l’itinérance. Dans son désir de trouver un environnement stable et peu coûteux pour vivre et créer l’amène à émigrer au Canada en 1873. Cet aspect de sa carrière a intéressé les nombreux chercheurs européens et américains qui l’ont étudié, mais l’accès aux sources rendait leur travail difficile.
Un article paru dans La Presse le 28 octobre 1905 fournit des indices qui permettent de reconstituer quelques-uns des jalons du séjour de l’artiste et de sa famille (il avait 6 enfants) à Montréal. J’ai pu ainsi retracer une partie du réseau dans lequel Bresdin s’est inséré, principalement d’autres néo-canadiens d’origine française et identifier quelques nouvelles œuvres. Des aspects jusqu’alors inédits de son travail prennent forme, alors qu’on le voit s’intéresser à la caricature et à la gravure sur bois. Bresdin s’adonne également à l’enseignement tout en acceptant une commande pour les sulpiciens. Découragé par le manque de travail il retourne à Paris au printemps de 1877.
EN:
Rodolphe Bresdin (1822-1885) is a celebrated figure in the world of French printmaking. His highly detailed works place him at the confluence of several aesthetic trends that prevailed in 19th-century Europe. Friendly with a number of writers, he served as the model for the bohemian artist portrayed by Champfleury in his story Chien-Caillou (1845), whose title became the printmaker’s nickname.
Bresdin moved around constantly, and in 1873 his search for a stable, economical place to live prompted him to emigrate to Canada. Numerous European and American scholars of his work have been interested in this period of his career, but their research has been hampered by their restricted access to sources. An article that appeared in La Presse on October 28, 1905, provides evidence that allows us to reconstruct certain features of the Montreal sojourn of the artist and his family (he had six children). I have been able to trace several members of the circle in which Bresdin moved, which consisted mainly of other neo-Canadians of French origin, and to identify some new works. We learn that he made his first caricatures and woodcuts during this period. He also taught, and won a commission from the Sulpicians. Discouraged by a lack of work, however, he returned to Paris in the spring of 1877.
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Un Québécois à Bruxelles : Narcisse-Eutrope Dionne au Congrès international des Bibliothécaires en 1910
Gilles Gallichan
pp. 165–208
AbstractFR:
Narcisse-Eutrope Dionne, directeur de la Bibliothèque de la Législature se rend à Bruxelles à l’été 1910 pour assister au Congrès international des bibliothécaires qui se tient en marge de la grande exposition universelle et internationale présentée cette année-là dans la capitale belge. Il est alors délégué par le gouvernement du Québec et par l’Université Laval où il est également professeur d’histoire et d’archéologie. C’est son second voyage européen, puisqu’il y est allé en voyage de secondes noces en 1896. Âgé de 62 ans et près de la retraite, il sait que c’est la dernière fois qu’il voit le vieux continent. Il décide alors de partir avec son fils Gérard, l’aîné des trois fils de son second mariage et de l’amener dans un voyage de découverte et d’expérience humaine.
EN:
In the summer of 1910, Narcisse-Eutrope Dionne, director of the Library of the Legislature, set out for Brussels to attend the International Congress of Librarians, which had been scheduled to coincide with the great Universal and International Exposition being presented that year in the Belgian capital. Dionne had been delegated to represent the Quebec government and Laval University, where he was also a professor of history and archaeology. This was only his second visit to Europe : he had first crossed the Atlantic in 1896 on a honeymoon voyage following his second marriage. Aged 62 and nearing retirement, he realized this would be his last visit to the Old World. Accompanying him on this voyage of discovery and enlightenment was Gérard, the eldest of his three sons from his second marriage.
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Est-on quitte envers le passé ? Borduas, Vadeboncoeur et le dénouement de « notre maître, le passé »
Yvan Lamonde
pp. 209–231
AbstractFR:
Cette analyse fait voir ce qu’on n’a jamais vu chez deux intellectuels québécois de l’après-guerre : la reconduction sur le mode de l’essai par Pierre Vadeboncoeur de la démarche du peintre, Paul-Émile Borduas, auteur du Refus global. À telle enseigne que Pierre Vadeboncoeur esquisse d’une façon remarquable la trajectoire intellectuelle qui va de 1948 à la Révolution tranquille. Cette trajectoire comprend une dimension fondamentale : le rapport radicalement nouveau au passé institué par le Refus global, suivi d’une thématisation par Pierre Vadeboncoeur de la quête d’une substitution au « Notre maître, le passé » et de la recherche d’un maître dans le présent.
EN:
The following analysis shows that which has never been observed in two Quebec intellectuals of the post-war period : the renewal of the essay mode by Pierre Vadeboncoeur of the approach of the painter, Paul-Émile Borduas, author of the Refus global. So much so that Pierre Vadeboncoeur provides a remarkable sketch of the intellectual trajectory from 1948 to the Quiet Revolution. This trajectory encompasses a fundamental dimension : the radically new relationship to the past instituted by the Refus global followed by Pierre Vadeboncoeur’s thematic approach to the quest for a substitute for « Our master, the past » and the search for a master in the present.
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Radio-Collège (1941-1956) : un incubateur de la Révolution tranquille
Marie-Thérèse Lefebvre
pp. 233–275
AbstractFR:
Radio-Collège fut la première émission radiophonique éducative sur la chaîne francophone de Radio-Canada. Durant quinze ans, et jusqu’à l’arrivée de la télévision, elle présenta plusieurs séries en sciences, sciences humaines, religion et philosophie, arts visuels et musique, théâtre. Le leitmotiv qui traverse le contenu de ces émissions, l’inquiétude spirituelle et existentielle d’après-guerre, ouvre la voie aux grands questionnements des années soixante. La fin de Radio-Collège en 1956 marque aussi les débuts de la radio culturelle d’État.
EN:
Radio-Collège was the first educational radio show on CBC’s French network. It aired several series about science, the humanities, religion and philosophy, fine arts, music, and theatre for fifteen years up to the advent of television. The series’ leitmotiv, post-war spiritual and existential anxiety, set the stage for the important questioning that took place in the 1960s. The end of Radio-Collège in 1956 coincides with the launch of public cultural radio.
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« Le Bulletin des agriculteurs » : pour vous mesdames. L’empreinte d’Alice Ber (1938-1979)
Jocelyne Mathieu
pp. 277–292
AbstractFR:
Le Bulletin des agriculteurs voit le jour le 2 février 1918. Ce périodique vise à renseigner sur l’actualité agricole et agroalimentaire, sur les techniques, les nouveaux produits, l’économie et la vie familiale sur la ferme dans un contexte où les systèmes coopératifs tentent de s’implanter pour améliorer le travail des agriculteurs et leur revenu. Comme son nom l’indique, le Bulletin s’adresse d’abord aux hommes, mais tente aussi de rejoindre les femmes. En 1938 est embauchée Jeanne Grisé qui devient rédactrice en charge de la section féminine. Pendant plus de 40 ans, sous le pseudonyme d’Alice Ber, elle prodigue ses conseils laissant entendre que tant vaut la femme, bien agréable est la maison et heureuse la famille, car elle croit que les fermières peuvent avoir une influence considérable sur le progrès et le développement de l’agriculture québécoise, voire sur la qualité de vie. Alice Ber a sûrement eu une influence importante auprès des femmes de la campagne et même auprès de plusieurs de la ville qui allaient notamment écouter ses conférences. Jeanne Grisé-Allard ou Alice Ber a encouragé les femmes à faire preuve de dynamisme.
EN:
The Bulletin des agriculteurs was first published on 2 February 1918. Its main goal was to keep farmers abreast of developments in agriculture and the food-processing industry in addition to new techniques and products, the economy and family life on the farm at a time when co-operative systems were being developed to improve both the working environment and income of farmers. As the title suggests, the Bulletin was aimed mainly at men but women were also featured. Jeanne Grisé was hired in 1938 and was in charge of the women’s section. Writing for over forty years under the pseudonym of Alice Ber, she underlined the importance of women for the maintenance of a happy home and family and believed that women had a considerable impact on agricultural progress and the quality of life. Alice Ber was surely an influential figure for women in rural areas in addition to many in the cities who attended her lectures. Jeanne Grisé-Allard or Alice Ber incited women to become dynamic actors in their milieu.
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Chronique de la recherche des Dix
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Index général