Cinémas
Revue d'études cinématographiques
Journal of Film Studies
Volume 5, Number 1-2, Fall 1994 Le Temps au cinéma Guest-edited by Lucie Roy
Table of contents (18 articles)
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Présentation
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Le film et le temps braudélien
Michèle Lagny
pp. 15–39
AbstractFR:
À partir de deux exemples, Les Camisards d’Allio (1972) et Stavisky de Resnais (1974), cet article analyse, à travers le fonctionnement de la temporalité filmique, la compétence particulière du cinéma à rendre l’enchevêtrement des temps de l’histoire, dont Braudel a montré le premier la complexité. Le film peut soit, comme Braudel, conserver une forme épique et globale au récit historique, soit, comme le voudrait Rancière, suggérer à l’historien comment raconter « autrement » l’histoire fragmentaire et morcelée d’un monde contemporain qui n’a plus de grands récits mythiques fondateurs.
EN:
Using two examples, Allio's Les Camisards (1972) and Resnais' Stavisky (1974), this article analyses, through the functioning of filmic temporality, the special ability of cinema to render the intertwining of historical times whose complexity was first pointed out by Braudel. Film may either, as in Braudel, maintain the epic, global form of the historical account, or as Rancière suggests, show the historian an alternate way to recount the fragmentary, piecemeal history of a contemporary world which no longer has great myths of origin.
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Techniques audiovisuelles et réécriture de l’histoire. De la représentation à la production du temps au cinéma
Silvestra Mariniello
pp. 41–56
AbstractFR:
La matérialité de l’image cinématographique fait du cinéma un « art » du présent. Le cinéma, institutionnalisé en tant qu’art narratif (ou antinarratif chez les avant-gardes), s’est donné la possibilité de représenter le passé. Mais quand le cinéma résiste au modèle littéraire et explore sa matérialité, un temps différent se produit dans les images, qui met en question la linéarité et la dialectique de l’histoire occidentale. Dans ce texte, l’auteure prend en considération la problématique du temps chez le metteur en scène italien Pasolini. En particulier, elle essaie de montrer comment son « retour au mythe » est, en effet, la voie vers la production d’une temporalité où « préhistoire » et « histoire » ne s’organisent plus sur une ligne horizontale ni verticale. Mythe et histoire coexistent en se contaminant et en dramatisant, en même temps, la rupture qui les sépare. Le travail de Pasolini est particulièrement intéressant dans ses films « tiers-mondistes » (de Oedipe Roi à Notes pour une Orestie africaine, à La Trilogie de la vie, etc.). Par la technique audiovisuelle, ils mettent en scène la médiation entre culture occidentale et autres cultures, et critiquent l’idée de développement et de progtès et, partant, d’un temps linéaire et universel.
EN:
The materiality of the cinematographic image makes film an "art" of the present. Film, institutionalized as narrative (of anti-narrative with the avant-garde), took on the role of representing the past. But when film resists the literary model and explores its own materiality, its images produce a different temporality, one that threatens the linearity and the dialectics of Western history. This article deals with the problematic of time in the work of the Italian film-director Pier Paolo Pasolini. In particular the author discusses how his "going back to mythical past" in fact leads to the production of a temporality where prehistory and history are no longer organized along a horizontal, or a vertical, axis. Myth and history coexist and contaminate each other. At the same time, their coexistence dramatizes the break that keeps them apart. In this regard, Pasolini's work becomes especially interesting in his "Third World" movies (from Oedipus Rex to Notes for an African Orestes, to The Trilogy of Life, etc.) that stage the mediation, accomplished by audio-visual technique, between Western culture and other cultures and that criticize the idea of development and progress, and, consequently, of a universal and linear temporality.
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Cent temps de cinéma ou le cinéma dans les temps de l’histoire
Germain Lacasse
pp. 57–67
AbstractFR:
L’histoire du cinéma comporte des rythmes, mais le cinéma lui-même n’est qu’un cycle dans l’histoire de la représentation et de la narration. Envisagé dans une histoire de longue durée, à la manière de Fernand Braudel, le cinéma se révèle comme un art optique automatisé, le dernier médium de la modernité qui s’achève.
EN:
Cinema history has her own intern rythms, but cinema itself is a cycle in the history of representation and narration. Seen in a long term histoty, as in Fernand Braudel's view, cinema is an automatic optical art, the last medium of the ending modernity.
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Au-delà du cinéma. Image et temps numériques
Edmond Couchot
pp. 69–80
AbstractFR:
L’auteur, en retraçant les statuts temporels du cinéma (re-présentation), des émissions en « direct » (sur-présentation), avance l’idée que l’image numérique (simulation) se distingue essentiellement de celle du cinéma et de la télévision par son caractère dialogique ou interactif. Sont ici mises au jeu deux grandes catégories de temps relatives à l’image, le temps du voir et le temps du faire. L’auteur interroge la technologie numérique en tant qu’elle peut être représentative d’une nouvelle esthétique dans laquelle le temps est uchronique et où l’acte de figuration complet n’a lieu que par la présence du regardeur : le temps du voir est aussi, autrement et à la fois, un temps du faire.
EN:
Through a review of the temporal statuses of cinema (re-presentation) and of live broadcasts (over-presentation), the author suggests that digital imaging (simulation) is essentially different from both cinema and television because of its dialogic or interactive character. Two broad temporal categories enter into the discussion: the time of seeing and the time of making. The author examines digital technology as a representative of a new aesthetic in which time is achronic and in which the act of figuration remains incomplete without the presence of the viewer: the time of seeing is also, in a different way and concurrently, the time of making.
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Direct, narration simultanée : frontières de la temporalité
François Jost
pp. 81–90
AbstractFR:
L’auteur avance l’idée que le film appartient à la classe des empreintes par connexion physique produites dans le passé, le « direct », à celle des empreintes par connexion physique produites dans le présent. Dans cette fissure sémiotique d’ordre temporel et non plus seulement aspectuel s’immisce une différence d’auteurisation. Le temps filmique va toujours vers son destin parce qu’il obéit à un ordre supérieur, à une intentionnalité humaine; le temps du direct, lui, n’a qu’un avenir et il « adhère » si fondamentalement à la réalité qu’il le crédite toujours de lui faire vivre des événements qui n’ont pas encore été écrits, quand bien même ils seraient prévisibles. L’auteur tente ici de démontrer que, face aux images de reportage, nous réagissons de la même manière que face au monde.
EN:
The author argues that film belongs to the class of traces made by physical connection in the past, and live broadcast to that of traces made by physical connection in the present. This semiotic fissure of a temporal order, not just an aspectual one, is intermixed with a difference in authoring. Filmic time always proceeds towards its destiny, since it obeys a higher order, a human intentionality, while "live" time just has a future and it "adheres" so closely to reality that it always credits the future for keeping it alive with events that have not yet been recorded, even though they may be foreseeable. The author is trying to show here that when confronted with news images, we react the same way that we react to the world.
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« La mémoire, c’est ce qu’il me reste à défaut d’une vue »
Bernard Perron
pp. 91–103
AbstractFR:
La temporalité filmique est analysée ici par rapport aux contraintes fixées par le temps de la projection. Parce que la projection d’un film s’effectue en temps réel, la compréhension du récit exige un effort perceptif et cognitif de la part du spectateur. La narration filmique tire profit de cet apport spectatoriel. Analysant Le Silence des agneaux de Jonathan Demme (1990), l’auteur étudie donc les mécanismes de la mémoire, les processus inférentiels ainsi que les deux modes de perception (bottom-up et top-down) qui sont activés lors du visionnement d’un film.
EN:
Filmic temporality is here analyzed in terms of the constraints imposed at the time of projection. Because a film is projected in real time, the understanding of its plot requires a perceptual and cognitive effort on the part of the spectator. And filmic narration takes advantage of this spectatorial effort. In an analysis of Jonathan Demme's The Silence of the Lambs (1990), the author studies the memory mechanisms, the inferential processes and the two modes of perception — bottom-up and top-down — that are mobilized in the viewing of a film.
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L’éternité au quotidien : la représentation des temps dans Les Ailes du désir de Wim Wenders
Nicole Everaert-Desmedt
pp. 105–122
AbstractFR:
Au cours du film Les Ailes du désir (Wim Wenders, 1987), différentes conceptions de la temporalité sont confrontées : l’éternité des anges, la vie quotidienne et mortelle des hommes, et l’intemporel vécu dans l’instant présent, une sorte d’« éternité au quotidien ». Ce texte examine, à la lumière des catégories de Peirce, ces différentes conceptions de la temporalité, et retrace, sur le modèle du carré sémiotique de Greimas, le parcours que le récit accomplit à travers la temporalité.
EN:
In the course of the film The Wings of Desire (Wim Wenders, 1987), differing conceptions of temporality confront each other: the eternity of angels, the daily life of mortal men, and the timelessness of the lived present, a sort of "eternity within daily life". Using Peirce's categories, this text looks at these different conceptions of temporality and traces, on the model of Greimas' semiotic square, the itinerary followed by the plot through temporality.
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India Song ou le temps tragique
Sémir Badir
pp. 123–133
AbstractFR:
L’auteur démontre ici que le film India Song de Marguerite Duras (1975) constitue une résistance du lieu filmique, en ce sens qu’il révèle une indifférence à l’égard des présupposés dramatiques habituels : contexte réaliste, soin du vraisemblable et ordre spatio-chronologique. Cette résistance fait d’India Song une tragédie, un film tragique.
EN:
The author's purpose in this article is to demonstrate that Marguerite Duras's India Song (1975) constitutes a site of filmic resistance, in that it displays a lack of concern with ordinary dramatic presuppositions — the realist context, the regard for verisimilitude and spatio-chronologic ordering. This resistance makes of India Song a tragedy, a tragic film.
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Paysage resnaisien ou variations autour de la mise en espace du temps
Marie-Françoise Grange
pp. 135–146
AbstractFR:
À travers l’étude de l’imbrication de l’espace et du temps dans une séquence d’Hiroshima, mon amour (Alain Resnais, 1959), cette analyse s’attache à démontrer en quoi l’économie de trace définit la séquence et comment elle la constitue en une métaphore du travail mémoriel.
EN:
By means of a study of the interweaving of space and time in a sequence from Hiroshima, mon amour (Alain Resnais, 1959), this analysis seeks to show how the economy of traces defines the sequence and how it constitutes a metaphor for the work of memory.
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L’infatigable image ou les horizons du temps au cinéma
Lucie Roy
pp. 147–166
AbstractFR:
L’auteure propose de réfléchir sur le statut photographique du film et, plus précisément, sur les enjeux d’une « conscience d’image » ou d’une intentionnalité inscrite dans le film, laquelle peut faire jouer la « rétention avec perception » et le « ressouvenir sans perception » directe (Ricoeur). L’auteure propose de lire le film comme une série de perceptions qui résulte d’une oeuvre cognitive et a pour origine une pensée en écriture et, du côté spectatoriel, de le considérer comme une oeuvre perceptive, une oeuvre offerte à la perception et dont la compréhension dépend du recouvrement cognitif effectué pat le spectateur. Aux deux pôles, de la perception par le spectateur de l’écriture cognitive du film et de la cognition en forme de perception dans le film, le film trace le réseau d’une phénoménalité.
EN:
In this article the author reflects on film's status as photography, or more specifically on what is at stake in an "image-consciousness," or an intentionality in the making of a film. This brings into play the direct "retention with perception" and the "re-remembering without perception" (Ricoeur). Moreover the author proposes reading film as a series of perceptions which result from cognitive work and originate from a thought in writing and, on the spectatorial side, as perceptive work, one offered to the perception, whose understanding depends on the cognitive retrieval carried out by the spectator. Between the two poles, from the perception by the spectator of the cognitive writing of the film and the cognition of the form of perception in the film, the film traces a network of phenomenality.
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De l’« automate spirituel » ou le temps dans le cinéma moderne selon Gilles Deleuze
Réda Bensmaïa
pp. 167–186
AbstractFR:
Dans ce texte, l’auteur analyse le concept d’« automate spirituel » tel qu’il est mis en oeuvre dans les deux livres que le philosophe Gilles Deleuze a consacrés au cinéma : L’Image-Mouvement et L’Image-Temps. Après une brève analyse du statut des concepts dans la philosophie de Deleuze, l’auteur montre, dans une première étape, l’importance du concept d’« automate spirituel » dans son oeuvre et en retrace l’origine en remontant à des auteurs aussi différents qu’Élie Faure, S. M. Eisenstein, Antonin Artaud, Heidegger, Rilke, etc. Dans un deuxième temps, il tente de montrer de quelle manière Gilles Deleuze « intègre » ce concept à son oeuvre en le convertissant en ce qu’il appelle un « transformateur ». Le reste de l’article s’attache à montrer à partir d’exemples précis de quelle manière ce concept « rigoureux et inexact » bien deleuzien réagit sur les principaux concepts du cinéma (cadrage, montage, hors-champ, plan d’ensemble, etc.) et vient déterminer de manière essentielle la réflexion sur le temps au cinéma.
EN:
In this text, the author analyses the concept of "spiritual automaton" as it is used in the two books that philosopher Gilles Deleuze devoted to film: L’Image-Mouvement and L’Image-Temps. After a brief examination of the status of the concepts in Deleuze's philosophy, the author points, fitst of all, to the importance of the concept of spiritual automaton in his work and traces its origins back to the work of writers as diverse as Élie Faure, S.M. Eisenstein, Antonin Artaud, Heidegger, Rilke, etc. Secondly, he tries to show how Deleuze "integrates" this concept into his work by converting it into what he calls a "transformer." The remainder of the article seeks to show, using concrete examples, how this "rigorous and inexact" (and very Deleuzian) concept interacts with the primary concepts of cinema (framing, editing, off-camera, long shot, etc.) and determines in an essential way the reflection on time in cinema.
Articles divers
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L’un(e) dort, l’autre pas : la scène de la veille dans les scénarios et quelques romans de Réjean Ducharme
Jacqueline Wiswanathan
pp. 189–209
AbstractFR:
Les séquences finales des scénarios de Ducharme présentent une similitude frappante : chacune réunit un personnage éveillé et un personnage endormi. Dans cet article, nous analysons la signification de cette scène emblématique que nous rapprochons ensuite de scènes semblables dans l’oeuvre romanesque. Si la scène de la veille occupe une place aussi importante dans les scénarios, c’est qu’en plus de concrétiser des rapports affectifs fondamentaux entre les personnages, elle se prête particulièrement à une représentation cinématogtaphique. Par cette analyse, nous espérons démontrer que le scénario est, tout autant que le roman ou le théâtre, profondément révélateur du monde imaginaire d’un écrivain.
EN:
The final sequences of Ducharme's screenplays are strikingly similar: they bring together two chatacters, one is awake while the other is asleep. In this article, we analyze the meaning of this emblematic scene in terms of relationships between the characters. We then relate this particular sequence to similar passages in the novels. We thus hope to show that screenplays can be just as revealing of a writer's imaginary world as fiction or drama.
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Top Hat et l’intermédialité de la comédie musicale
Jürgen E. Müller
pp. 211–220
AbstractFR:
La comédie musicale Top Hat de Mark Sandrich (1935) constitue l’un des plus grands succès cinématographiques aux États-Unis. Si l’utilisation des conventions du genre et la présence des normes sociales de la société américaine ont contribué au succès du film, l’auteur démontre ici que les structures médiatiques du film ont aussi joué un rôle déterminant dans la réception du film, analysant ce travail à partir des concepts de médialité et d’intermédialité.
EN:
The musical comedy Top Hat by Mark Sandrich (1935) was one of the most successful films in United States. While the use of genre conventions and the presence of American social norms undoubtedly contributed to its success, the author of this text shows that the film's media structures also played a detetmining role in the film's reception, analyzing the work from the point of view of its mediality and its intermediality.
Comptes rendus
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ALBERSMEIER, Franz-Josef. Theater, Film, Literatur in Frankreich. Medienwechsel und Intermedialitat. Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1992
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GARDIES, André. L’Espace au cinéma. Paris : Méridiens Klincksieck, 1993, 222 p. / GARDIES, André. Le Récit filmique. Paris : Hachette, 1993, 155 p.