Cinémas
Revue d'études cinématographiques
Revue d’études cinématographiques
Journal of Film Studies
Volume 13, Number 1-2, Fall 2002 Limite(s) du montage Guest-edited by Elena Dagrada
Table of contents (14 articles)
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Présentation
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Pour une épistémographie du montage : préalables
François Albera
pp. 11–32
AbstractFR:
S’agissant de reconsidérer la question du montage à partir des champs d’application de cette notion dans l’épistémé de la fin du xixe-début du xx e siècle — dont participent les divers phénomènes de l’image successive et animée —, cet article propose de ne pas se situer à l’intérieur d’un champ, celui du cinématographe, qui disposerait de sa « spécificité » ou qui travaillerait délibérément ou souterrainement à la construire. Il préconise de distinguer le discours technico-esthétique sur le montage et le discours « prescriptif » de la critique ou de la théorie du cinéma, afin de construire un niveau épistémographique consistant à cerner les champs d’application des concepts et des règles d’usage concernant le montage, leurs transformations et leurs variations, dans le but de les rapporter à leurs conditions de possibilité. Ce début d’analyse s’attachera à quelques notions à l’oeuvre dans la dimension opérative du montage : la « mécanicité », la discontinuité, la superposition.
EN:
Through a reassessment of the topic of editing, based on its fields of application as they are described in the episteme of the turn of the 20th century — invoking the diverse phenomena associated with the successive and animated image —, this article proposes not to be constrained inside a field such as that of the cinématographe, which has “specificity” at its disposal, or otherwise works deliberately or surreptitiously to create it. It recommends a differentiation of the techno-aesthetic discourse on editing and the “prescriptive” discourse of the critic or of the film theorist, in order to construct an epistemographic category that consistently classifies the fields used in applying the concepts, as well as the usage rules related to editing, their transformations and their variations, with the aim of aligning them with the conditions of their possibility. This initial analysis is appended to certain ideas that fall under the operative dimension of montage : “machinability”, discontinuity and superimposition.
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Du simple au multiple : le cinéma comme série de séries
André Gaudreault
pp. 33–47
AbstractFR:
L’idée de série est au coeur de la problématique de la prise de vues cinématographiques, puisque les « vues animées » sont constituées d’une série de photogrammes (obtenus grâce au procédé du tournage) et que les films sont constitués d’une série de plans (obtenus grâce à la procédure du montage). C’est même par un constant passage dialectique, de l’un au multiple puis du multiple à l’un, que la cinématographie aurait réussi à se développer comme dispositif. Cet article cherche les racines de ce phénomène jusque dans la constitution de la photographie et de la chronophotographie. On y explique comment le passage de la photographie à la chronophotographie est un saut d’ordre quantitatif (production de photographies en plus grand nombre), alors que le passage de cette dernière à la cinématographie relèverait plutôt d’un saut d’ordre qualitatif (plusieurs images fixes qui donnent naissance à une seule image animée). En cinématographie, le dispositif mis en branle permettrait ainsi d’accéder à un seuil d’un autre degré, à un autre ordre de représentation.
EN:
The concept of series lies at the heart of the issue of capturing moving images, since the “animated pictures” are comprised of a series of photograms (obtained through the process of filming) and the films are comprised of a series of shots (obtained through the procedure of editing). Indeed, cinematography succeeded in developing as a dispositif due to the constant dialectical passage from singularity to multiplicity and vice versa. This article seeks to uncover the roots of this phenomenon, delving into the formation of photography and chronophotography. We explain how the passage from photography to chronophotography was a quantitive leap (producing a larger number of photographs), while the passage from chronophotography to cinematography was a qualitative leap (many still images giving rise to one single moving image). In cinematography, the dispositif adopted at the outset would result in a shift to a higher level and to another order of representation.
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Montage intertextuel et formes contemporaines du remploi dans le cinéma expérimental
Nicole Brenez
pp. 49–67
AbstractFR:
Essai de cartographie des différentes formes de remploi (montage entre oeuvres) dans le cinéma contemporain. À partir d’une distinction entre remploi intertextuel et recyclage (endogène et exogène), on distingue cinq usages principaux du recyclage : élégiaque ; critique ; structurel ; matériologique ; analytique. Ceux-ci permettent de repérer quelques formes particulièrement travaillées dans le cinéma expérimental, telles que l’anamnèse, le détournement, la glose, la variation, le montage croisé, l’effet double-bande… et, toujours, le ready-made.
EN:
A cartographic investigation of the different types of sampling (editing between films) found in contemporary cinema. Drawn from a distinction made between intertextual sampling and recycling (endogenous and exogenous), there are five distinguishable purposes for recycling: elegiac; critical; structural; materialogical; analytical. As a result, it is possible to identify certain forms specifically employed by experimental cinema, such as remembrance, diversion, explanation, variation, plaited montage, the double-track effect… and, indeed, the ready made.
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Digital Editing and Montage: The Vanishing Celluloid and Beyond
Martin Lefebvre and Marc Furstenau
pp. 69–107
AbstractEN:
In this essay we consider some of the effects of digital film editing technology on editing. Through an analysis of this technology, as well as DVD technology, we examine the impact these new interfaces have on the film experience. In addition, a study of the effects of compositing—understood here as digital montage par excellence—permits us to dig deeper into its impact on traditional approaches to film style, as well as to question the anxiety stemming from the new technology, given that many critics today argue that digitization has obliterated film’s indexicality.
FR:
Nous cherchons ici à étudier l’impact des technologies informatiques sur le montage, qu’il s’agisse du montage assisté par ordinateur ou du compositing, entendu ici comme montage numérique par excellence. Après avoir montré comment l’ordinateur conceptualise le film d’une façon nouvelle (conception qui trouve également à se manifester dans la technologie DVD), nous examinons l’impact du compositing sur les conceptions traditionnelles de la stylistique filmique et questionnons l’angoisse que ces technologies soulèvent trop souvent chez les commentateurs qui y voient la mort de l’indice au cinéma.
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Les ciseaux oubliés
Frank Kessler
pp. 109–127
AbstractFR:
Quand en 1926 Sergueï M. Eisenstein reproche, dans un article célèbre, au théoricien Béla Balázs d’« oublier les ciseaux », il ne s’y trompe pas : en effet, dans les discours théoriques sur le cinéma en Allemagne, on semble ignorer le concept de montage. De même, dans les études sur la production, ce sont, à côté du metteur en scène, les scénaristes, les chefs-opérateurs, les architectes et les acteurs principaux qu’on mentionne le plus souvent en tant que collaborateurs principaux dans l’effort collectif que demande la production d’un film. En revanche, l’étape du montage ne semble pas être vue comme un moment central dans ce processus. Après avoir discuté ces faits, on se tournera vers quelques exemples filmiques pour regarder de plus près la pratique esthétique du montage et ses fonctions.
EN:
In a famous 1926 article, when Sergei M. Eisenstein admonished the theorist Béla Balázs for “forget[ting] the scissors,” he touched upon a crucial point. Indeed, the concept of editing was seemingly ignored in Germany’s film theory discourse. The same was true in production; along with the director, it was the scriptwriters, the directors of photography, the set designers and the principal actors who were most frequently recognized as core contributors to the collective effort that film production demanded. In contrast, the editing phase was not viewed as a central aspect of the process. After discussing these issues, we turn to some filmic examples in order to take a closer look at the aesthetic practice of editing and its functions.
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Hollywood, Rossellini et le syndrome de Griffith
Elena Dagrada
pp. 129–141
AbstractFR:
Les films que Rossellini a tournés dans les années 1950 avec Ingrid Bergman existent tous en plusieurs versions. Il existe notamment trois versions de Stromboli, dont l’une qui fut montée aux États-Unis par la RKO. L’étude des différences entre la version américaine et les deux autres versions nous en dit beaucoup sur l’approche du montage propre à Rossellini, ainsi que sur l’approche du montage propre à Hollywood, affectée par ce que l’on propose ici d’appeler le « syndrome de Griffith » et fondée sur une prédilection envers le morcellement de l’espace et le recours au montage alterné. On verra ici que le montage de la RKO conduit le film de Rossellini à une dimension mélodramatique totalement étrangère à la sensibilité du réalisateur italien.
EN:
Several versions exist of all the films that Rossellini made during the 1950s with Ingrid Bergman. There are in fact three versions of Stromboli, one of which was edited in the United States by RKO. Studying the differences between the American version and the other two versions sheds light on the editing approach used by Rossellini and the editing approach used by Hollywood. The latter was affected by what we propose to call the “Griffith Syndrome” and it is based on a predilection for the fragmentation of space and the use of cross-cutting. We will observe how RKO’s editing steers Rossellini’s film into a melodramatic dimension, totally foreign to the mindset of the Italian director.
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Le cinéma d’animation et ses thanatomorphoses (fragments sur le monstre, la charogne, le montage et l’animation)
Dick Tomasovic
pp. 143–164
AbstractFR:
Le rôle et les limites du montage dans le cinéma d’animation sont ici reconsidérés. Il ne s’agit plus de l’entendre comme un « simple » travail d’assemblage de plans, d’associations d’éléments épars, de collage de morceaux divers, de constitution d’un grand corps monstrueux, mais bien de l’étudier comme un processus permanent de gestion de passages, de modulations d’une image à l’autre, de transformations d’éléments inanimés, de transmutations de figures fixes, de métamorphoses de corps inertes. En ce sens, le projet du cinéma d’animation n’est pas autant celui, fantasmatique, du don de vie que celui, fantasmagorique, d’animation de la mort.
EN:
The role and limits of editing in animation film are reconsidered here. It is no longer a matter of perceiving this practice as “simply” assembling shots, associating random elements, linking diverse pieces and creating a monstrous body, but rather, it is presently regarded as a continual process of managing transitions, shifting between images, transforming inanimate objects, transmuting immobile elements and transfiguring inert beings. Thus, the animation film’s purpose is less phantasmal, to be a giver of life, as it is phantasmagoric, to be an animator of death.
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Dis-moi comment tu filmes — et comment tu montes — tes dialogues et je te dirai quel genre de film tu réalises
Jan Baetens
pp. 165–183
AbstractFR:
Le présent article se propose d’analyser le jeu du two-shot et du champ-contrechamp dans une scène dialoguée tirée des quatre films suivants : It Happened One Night, Bringing Up Baby, Orlando et The Color Purple. Son propos est triple : montrer que la manière de filmer un dialogue peut ne pas se réduire à l’enchaînement traditionnel « two-shot + champ-contrechamp » ; indiquer que l’interprétation traditionnelle de ces deux types de plans que proposent les théoriciens du montage invisible (two-shot = plan d’ensemble ou establishing shot, champ-contrechamp = action) est parfois insuffisante ; suggérer, essentiellement à des fins didactiques, que le dialogue filmé peut fonctionner, surtout dans la perspective d’une didactique de l’analyse du cinéma, comme une sorte de modèle réduit du film qui l’incorpore.
EN:
The present article proposes to analyze the roles of the establishing shot and of the shot reverse shot in a dialogued scene from the four following films: It Happened One Night, Bringing Up Baby, Orlando and The Color Purple. The intention is threefold: to show that, when filming dialogue, it is possible not to revert to the traditional formula “establishing shot + shot reverse shot;” to show why the traditional interpretation of these two types of shots as offered by theorists of invisible editing (establishing shot = long shot, shot reverse shot = action) is sometimes insufficient; to suggest, essentially for didactic purposes, that a filmed dialogue can operate, especially from the didactic perspective of cinema analysis, as a sort of condensed model for the film in which it is contained.
Hors dossier / Miscellaneous
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L’opérateur de vues animées : deus ex machina des premières salles de cinéma (suite et fin )
Timothy Barnard
pp. 187–210
AbstractFR:
Dans cet article, l’auteur se penche sur le rôle du projectionniste au temps des premières salles de cinéma, en s’appuyant notamment sur les manuels de projection de l’époque. Grande figure oubliée des histoires du cinéma, le projectionniste n’en demeure pas moins, en effet, l’un des intervenants principaux dans le processus global de production des vues. Par ailleurs, la nature particulière du travail qu’il effectue au moment de la consommation des vues ébranle les thèses dominantes sur la narration et la spectature dans le cinéma des premiers temps et exige que l’on redéfinisse la notion même de « production ». Envisageant les vues animées comme de véritables biens de consommation, l’auteur propose enfin une approche historique et théorique qui fait état de l’hétérogénéité et de la diversité des pratiques durant la période sous observation, qui en est une de transformations.
EN:
In this article, the author focuses on the projectionist’s role during the storefront era, basing the research primarily on projection manuals of the period. Almost completely forgotten in the histories of cinema, the projectionist is nevertheless one of the key players in the overall production of animated views. What’s more, the particular nature of his task, carried out at the very moment of consumption by the spectator, challenges the dominant theories about narration and spectatorship during the time of early cinema and indeed calls for redefining the notion of “production.” By envisaging moving pictures as a veritable commodity, the author concludes with a historical and theoretical approach that reflects both the heterogeneity and diversity of the practices during the period in question, which is one of important transformations.
Comptes rendus / Book Reviews
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BELLOÏ, Livio, Le Regard retourné. Aspects du cinéma des premiers temps, Québec/Paris, Nota Bene/Méridiens Klincksieck, 2001, 408 p.
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HOUBEN, Jean-François, Dictionnaire de l’édition de cinéma, Condé-sur-Noireau (Calvados), Corlet-Télérama, CinémAction, no 100, 2001, 235 p.
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FALSETTO, Mario, Stanley Kubrick : A Narrative and Stylistic Analysis, Westport/London, Praeger, 2001, 205 p.