Volume 39, Number 1, 2017 Géopolitique, conflits et patrimoine Geopolitics, conflicts and heritage Guest-edited by Robert Belot
Table of contents (17 articles)
Articles
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Maltraitance patrimoniale et désordre géopolitique au début du troisième millénaire / Heritage abuse and geopolitical disorder at the dawn of the third millennium
Robert Belot
pp. 3–49
AbstractFR:
Le patrimoine culturel se trouve dans une situation paradoxale. Il n’a jamais été autant célébré, exploité, rentabilisé, en phase avec la montée en puissance du tourisme mondial, et en même temps, il est instrumentalisé, pillé, détruit, à tel point qu’il est devenu une cible de guerre. Les effets qu’on lui prête sont ambivalents et contradictoires. On vante son pouvoir de réconciliation sociale et de réparation morale, mais en même temps, l’actualité donne à voir ses effets anxiogènes, voire belligènes quand il devient un catalyseur de tensions identitaires. Plus que jamais, le phénomène patrimonial doit être pensé de manière critique en tant que révélateur des désordres géopolitiques de ce début de millénaire.
EN:
Cultural heritage is in a paradoxical situation. It has never before been so celebrated, so exploited, so commercialised, and yet, as it grows in parallel with world tourism, it is also instrumentalized, plundered and destroyed to such an extent that it has even become a target in armed conflicts. The effects attributed to cultural heritage are both ambivalent and contradictory. While we praise its power of social reconciliation and moral reparation, at the same time it is shown to be anxiogenic and even belligerent, becoming a catalyst for identity-based tensions. Now more than ever, the heritage phenomenon must be considered critically as an indicator of geopolitical disorder at the beginning of the third millennium.
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Les deux types de destructions du patrimoine religieux : l’exemple de la Révolution française
Philippe Martin
pp. 51–62
AbstractFR:
On associe souvent la Révolution française à la destruction et au pillage d’oeuvres religieuses. Pour une historiographie antirévolutionnaire, cette destruction a été systématique, entreprise concertée des jacobins qui auraient été les fers de lance d’un vaste complot. Les historiens républicains s’opposent à cette vision, assurant qu’il s’agit de « boniments », que les destructions ont été limitées et accidentelles. Le débat est en fait profondément politique. La notion même de déchristianisation est une invention historiographique, tout comme l’idée qu’il y eut une volonté de célébrer partout des cultes révolutionnaires. Il conviendrait donc plutôt de parler de « défanatisation ».
EN:
The French Revolution is often associated with the destruction and theft of religious works. From an antirevolutionary historiographical perspective, this destruction was systematic: a concerted effort spearheaded by the Jacobins and part of a wider plan. Republican historians reject this interpretation, claiming it to be “tall talk” and stating that any destruction was limited and accidental. The debate is fact deeply political. Even the idea of dechristianisation is a historiographical invention, as is the claim that there was a desire everywhere to celebrate revolutionary cults. It is therefore more pertinent to talk of “defanatisation.”
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Depuis les destructions jusqu’à l’ébauche d’une théorie patrimoniale : les bibliothèques des départements belges pendant les guerres de la Révolution (1792-1795)
Fabienne Henryot
pp. 63–83
AbstractFR:
À partir de 1792, l’extension par les armes de la Révolution entraîne l’occupation puis l’annexion des territoires situés entre Meuse et Rhin et, en conséquence, la mise en place de nouveaux découpages territoriaux où s’applique la législation parisienne, notamment en matière de bibliothèques. Cette législation rencontre toutefois une difficulté inédite, celle des bouleversements induits par le passage des armées et les opérations militaires. Beaucoup de bibliothèques promises au séquestre, comme cela avait eu lieu en France quatre ans auparavant, sont en effet dévastées par les pillages, mises à sac, réquisitions et incendies. Les instances révolutionnaires doivent donc se prononcer sur ce déploiement de violence, et justifier par ailleurs les mises sous séquestre, perçues comme une violence patrimoniale par les anciens possesseurs de ces collections. Le discours se fonde sur la libération des biens culturels confisqués jusqu’alors par le despotisme, sur la nécessité de nourrir par le livre un projet éducatif universel inédit, enfin sur un rêve culturel universel et cosmopolite concrétisé à Paris, capitale de la liberté. Tout en condamnant la brutalité des armées, ce discours promeut l’action militaire comme moyen efficace de mise en oeuvre de cette politique patrimoniale. L’exemple des départements constitués dans les anciens Pays-Bas méridionaux est d’autant plus intéressant qu’il marque un premier jalon dans l’histoire des conquêtes culturelles et de la spoliation des bibliothèques hors de France et dans la réflexion qui s’affinera ensuite dans les départements italiens et allemands, entre le Directoire et l’Empire.
EN:
Starting in 1792, with the French Revolution resorting more and more to weapons, the occupation, followed by the annexation of territories located between the Meuse River and the Rhine, new territorial divisions were submitted to the rule of Paris Laws, especially as far as libraries were concerned. This legislation was however faced with unexpected difficulties due to the presence of armies and military operations. Many of these libraries which were to be confiscated, as had been the case in France four years before, were actually devastated by lootings, rampage, and fires. The Revolution Administration was therefore forced to manage such violence and also justify its confiscations seen by the owners of these collection as an onslaught at their patrimony. It was argued that cultural goods henceforward confiscated by despotic rulers had to be made available to the public at large, that a novel universal educational project needed being supported by books, and that what was needed was a cosmopolitan and universal cultural dream with Paris, the capital city of Liberty, at its heart. Such rhetoric, while condoning the roguish deeds of armies, nevertheless supported military actions as an efficient means to enforce that patrimonial policy. The instance provided by the departments that had been made up in the Southern Netherlands is all the more telling as it stands as one of the first landmarks in the history of cultural conquest and of the spoliation of libraries outside France, as well as in the management of Italian and German departments between the Directoire and Empire periods.
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Les archives de la Manche au péril de la guerre : de la catastrophe archivistique à la reconstitution des collections
Gilles Désiré dit Gosset
pp. 85–101
AbstractFR:
Les archives départementales de la Manche ont subi, au soir du 6 juin 1944, une destruction complète de leurs collections dans les combats de la Libération. Ce texte évoque les raisons de cette catastrophe archivistique, dans le contexte des mesures prises pour la protection du patrimoine pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s’attache ensuite à décrire les multiples axes de la politique de reconstitution des collections conduite par les archivistes départementaux successifs depuis ce désastre.
EN:
On 6th June 1944, the departmental archives of the Manche were completely destroyed during the fighting for France’s Liberation. This essay will address the reasons for this archival catastrophe within the context of the measures taken to protect heritage during the Second World War. It will then describe the multiple approaches taken by successive departmental archivists regarding reconstruction policies of collections since this disaster.
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La restitution des biens culturels : fondements juridiques, enjeux politiques et tendances actuelles
Corinne Hershkovitch
pp. 103–121
AbstractFR:
La question de la restitution des biens culturels occupe souvent une place de choix dans l’actualité. Le sujet passionne par la multitude des problématiques qu’il prend en compte. L’internationalisation des relations, la complexification des situations, la diversité des enjeux historiques, politiques, diplomatiques, économiques ou spirituels sont autant de variables à analyser pour comprendre le phénomène de la restitution d’un bien culturel. Si les instruments juridiques internationaux, européens et nationaux sont nombreux, le droit se révèle aujourd’hui impuissant pour faire face aux revendications. C’est au travers d’une analyse historique, juridique et politique du droit des restitutions de biens culturels, basée sur quelques cas emblématiques, que cet article propose un état des lieux de la question.
EN:
The issue of restitution of cultural heritage often occupies a center stage in the media. The subject fascinates by the multitude of problems that it addresses. The internationalization of the relations, the complexity of the situations, the diversity of the historic, political, diplomatic, economic or spiritual stakes, are so many variables to be analyzed to understand the phenomenon of the restitution of a cultural property. In this article, we examine different geographical and temporal contexts to provide an insight into the legal, ethical, and political aspects that underlie the restitution of artworks and cultural property.
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Détruire la maison natale de Hitler ? Réflexion sur un patrimoine impossible
Chance Matthew Williams
pp. 123–137
AbstractFR:
Depuis 1945, la petite ville autrichienne de Braunau-sur-Inn a essayé de gérer la fascination qui entoure la maison natale d’Adolf Hitler. Comment les autorités locales ont-elles réussi à affronter ce patrimoine difficile et négatif qui a provoqué un débat international ? Quels plans de réutilisation ou de destruction ont été élaborés au fil des années ? Quelle a été l’attitude de la population locale et des diverses communautés ? Comment le gouvernement fédéral autrichien a-t-il réagi face à ce qui est devenu un symbole pour les groupes néonazis ? Au-delà de ce cas d’espèce, cette contribution vise à approfondir l’enjeu sociohistorique que représente le « patrimoine négatif » et la construction de la mémoire.
EN:
Since 1945, the small Austrian city of Braunau am Inn has tried to confront the fascination that surrounds Adolf Hitler’s birth house. How have local authorities attempted to confront this difficult and negative heritage that has provoked an international debate? What have been the plans for the reutilisation or destruction throughout the years? What are the attitudes of the local population and various interest groups? How has the Austrian federal government responded to what has become a symbol for neo-Nazi groups? Beyond this case, this work aims to explore the sociohistorical challenge that represents “negative heritage” and the construction of memory.
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Réflexions autour du film The Monuments Men (2014)
Suzanne Langlois
pp. 139–154
AbstractFR:
The Monuments Men est un long métrage américain réalisé par George Clooney et sorti sur les écrans en février 2014. Co-scénarisé et coproduit par Clooney et son collaborateur de longue date, Grant Heslov, le film met en scène quelques membres de la section spécialisée « Monuments, Fine Arts and Archives » durant les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale. Ce petit groupe d’engagés volontaires rattachés aux différents corps d’armée alliés avait pour mission de protéger le patrimoine culturel en temps de guerre. Les Monuments Men se révélèrent indispensables au sauvetage de vastes collections d’art spoliées par les nazis et cachées dans des dépôts en Allemagne. C’est cette course contre la montre de juin 1944 à mai 1945 que Clooney met en scène. Production hollywoodienne mélangeant les genres, le film était très attendu, mais a été largement vilipendé par la critique, bien qu’il se soit avéré un succès commercial. L’existence même d’une telle brigade spéciale en zone de guerre, le discours sur ce que représente le patrimoine culturel dans la vie des sociétés, sur la nécessité de préserver cet héritage, tous ces éléments continuent de retenir l’attention aujourd’hui. En cause, les destructions récentes d’oeuvres et de sites archéologiques majeurs dans des conflits actuels au Moyen-Orient et en Afrique, où le saccage devient une arme de guerre. En revisitant la genèse de ce film et sa mise au présent, il apparaît désormais que The Monuments Men aurait fait oeuvre utile.
EN:
The Monuments Men is an American feature film directed by George Clooney and released in February 2014. Co-written and co-produced by Clooney and his long-time collaborator, Grant Heslov, the film follows a few members of the specialized section “Monuments, Fine Arts and Archives” during the last months of the Second World War. The mission of this small group of volunteers attached to the different allied army corps was to protect cultural heritage in times of war. The Monuments Men proved essential to rescuing large collections of art looted by the nazis and hidden in deposits in Germany. It is this race against the clock from June 1944 to May 1945 that Clooney is staging. Considered a “caper movie,” a Hollywood hybrid style production, the motion picture was highly anticipated, but the critics were harsh although it proved a commercial success. The very existence of such a special brigade in a war zone, the rhetoric about what cultural heritage represents in the life of societies and the need to preserve it, all these elements continue to draw attention today. At issue, the recent destruction of works and major archaeological sites in current conflicts in the Middle East and Africa, where the rampage becomes a weapon of war. Revisiting the genesis of this film and its present relevance, it now appears that The Monuments Men has performed more useful work than previously thought.
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Spécificités et ambiguïtés du patrimoine colonial : l’exemple franco-vietnamien (1858-2014)
Sébastien Verney
pp. 155–165
AbstractFR:
L’Indochine française, vaste construction territoriale débutée au XIXe siècle, dont la constitution s’effrite au XXe siècle, demeure un cas intéressant de patrimonialisation coloniale. Cette dernière soulève plusieurs interrogations sur son origine, son développement et son devenir à l’aune de la mondialisation dans un contexte asiatique. Le patrimoine, en tant qu’objet historique s’articulant dans le temps, engendre dans les territoires anciennement colonisés un double défi, tant pour l’ancienne puissance coloniale que pour l’ancien pays colonisé. L’intégration de ce patrimoine avant tout urbain dans une mémoire collective, cinquante ans après l’accès des pays indochinois à leurs indépendances respectives, pose la question du sens politique de son maintien physique et de son intégration dans l’identité de la nation. L’ancienne puissance coloniale, entre souci de repentance et souhait d’éviter tout clash diplomatique, utilise avec parcimonie ce patrimoine partagé dans ses nouvelles relations économiques avec les « petits dragons » de la péninsule. Bien qu’important dans le cadre d’activités touristiques, le patrimoine colonial doit désormais faire face à un nouveau défi : s’articuler dans le développement du tissu urbain des mégapoles asiatiques ou disparaître. Afin de comprendre les enjeux actuels de ce patrimoine en danger, la communication prendra pour exemple le Việt Nam et la ville d’Hồ Chí Minh ville.
EN:
French Indochina, being a vast territory that was built up in the 19th century and that later decayed in the 20th century, remains an interesting case of how colonial powers shaped the conception of cultural heritage. That puts the origins, development and future status of that shaping into question, especially regarding global issues in the Asian aera. Cultural heritage, being a historical subject which takes its roots deep into time, leads to a double challenge in formerly colonized territories, regarding the formerly colonized countries themselves, but also regarding the former colonizing powers. Being mostly connected to the urban sphere and being gradually incorporated into collective memory, fifty years after the independence of Indochinese countries, the concept of cultural heritage questions the political meaning of its actual upkeep and of its relevance to the identity of the nation. The former colonial powers, willing to show their repentance but at the same time willing to avoid diplomatic clash a all costs, take advantage of this shared heritage with extreme caution when dealing with its new economic partners, the “Asian Tigers.” Although important for tourism, the colonial heritage now faces a brand new challenge: it may either survive the tremendous developing suburban network of Asian supercities or disapppear. In order to have a clearer view of this endangered heritage and its issues, the statement will be illustrated by the examples of Vietnam and Ho Chi Minh City.
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La « détatarisation » de la Crimée : entretien avec Grégory Dufaud
pp. 167–174
AbstractFR:
Cet entretien évoque la politique de « détatarisation » mise en oeuvre en Crimée au lendemain de la déportation des Tatars de Crimée au printemps 1944, alors que l’Union soviétique mène une lutte sans merci contre les armées d’Hitler. La détatarisation vise à effacer les traces les plus manifestes de l’ancienne présence des Tatars, jusqu’alors considérés comme la population indigène, et à transformer la péninsule en terre russe, poursuivant d’une certaine manière la politique lancée par Catherine II à la fin du XVIIIe siècle. La détatarisation soulève le problème du « patrimoine » à divers titres, qu’il s’agisse du patrimoine culturel comme du patrimoine mobilier et immobilier.
EN:
This interview evokes the policy of “detatarization” implemented in Crimea in the aftermath of the Crimean Tatars’ deportation in the spring of 1944, as the Soviet Union waged a merciless struggle against Hitler’s armies. The aim of the detatarization was to erase the most obvious traces of the ancient presence of the Tatars, previously considered the indigenous population, and to transform the peninsula into Russian territory, continuing in a certain way the policy launched by Catherine II at the end of the eighteenth century. Detatarization raises the problem of “heritage” in various ways, as cultural heritage or movable and immovable heritage.
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Le rôle du patrimoine dans la construction identitaire et géopolitique de la Corée du Sud
Jung Sook Bae
pp. 175–187
AbstractFR:
Au cours de son histoire, après une période de destruction systématique, la Corée du Sud a su procéder à une réappropriation patrimoniale et culturelle progressive et adaptée à son contexte socioculturel et économique. Les planifications à long terme successives du développement ont permis aux Coréens d’inventer des concepts originaux et de mettre de nouvelles technologies au service de la conservation, de la protection et de la valorisation du patrimoine culturel. La combinaison de la culture traditionnelle et des nouvelles technologies est bénéfique au niveau artistique, avec des résultats parfois très étonnants pour ceux qui ne sont pas familiers avec cet environnement socioculturel. La tendance à la globalisation et à l’internationalisation est présente, mais un certain conservatisme nationaliste reste un frein récurrent. Cette étude présente une vue globale du processus politique de réappropriation du patrimoine culturel, depuis l’indépendance de la Corée jusqu’à nos jours. La Corée du Sud a su instaurer un cadre institutionnel à différents niveaux d’organisation pour protéger, voire développer, ses acquis patrimoniaux. Elle propose les aspects les plus originaux et les plus efficients de son programme culturel (dont la notion de « bien culturel immatériel ») à la communauté internationale. Un exemple significatif illustre l’évolution historique du bien culturel immatériel le plus précieux des Corées : le système d’écriture hangeul.
EN:
In the course of its history, after a long time of systematic destruction, South Korea has developed a process of patrimonial and cultural re-appropriation adapted to the socio-cultural and economic context through different stages. Long-time development planning has enabled Korea to invent new concepts and to create new technologies designed to keep and protect their cultural heritage. As a result, the results of the combination of traditional culture and new technologies are of artistic benefit, with sometimes very surprising results for those unfamiliar with this socio-cultural environment. The trend towards globalization and internationalization is present, but a nationalistic conservatism remains a recurrent limitation. This study shows a global view of the policy process of re-appropriation since the independence from Korea to the present day. South Korea has established an institutional framework at different levels of management to protect and even improve their endangered cultural heritage. Korea continues to offer the most striking and efficient aspects of their cultural heritage program (among them the notion of “Immaterial Cultural Good”) to the international community. The history of the Korean writing system is a good example of the evolution of a typical “immaterial cultural treasure.”
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Un patrimoine encore interdit ? L’enjeu de la mémoire du communisme en Roumanie aujourd’hui à travers le « Mémorial Sighet »
Alexandre Herlea
pp. 189–204
AbstractFR:
Le Mémorial des victimes du communisme et de la résistance de Sighet occupe une place de grande importance dans le contexte de la sortie du communisme et de la construction d’un monde basé sur les valeurs universelles correctement hiérarchisées. Il s’agit du premier mémorial des victimes du communisme au monde, fondé en 1993 et nommé en 1998 par le Conseil de l’Europe parmi les trois premiers lieux de la mémoire européenne, à côté du Mémorial d’Auschwitz et du Mémorial de la Paix de Caen. La mémoire du communisme en Roumanie est-elle aujourd’hui encore un « patrimoine interdit » ? Pour tenter de répondre à cette difficile question, il convient d’abord de développer quelques considérations sur la Roumanie après la chute du communisme, ses rapports avec son passé et la manière dont celui-ci est géré tant au niveau du pouvoir – des autorités et des institutions – que de l’opinion publique, c’est-à-dire des mentalités, en prenant en compte le contexte plus général en Europe et dans le monde. L’analyse portera ensuite sur le Mémorial Sighet, formé d’un Musée et d’un Centre international d’études sur le communisme, son histoire, ses réalisations et sa place dans le combat pour la connaissance et la diffusion de la vérité historique.
EN:
The Memorial of the victims of Communism and the Resistance of Sighet has a great importance in the context of the fall of Communism and the construction of a world based on the universal values correctly hierarchized. This is the first memorial of the victims of communism in the world, founded in 1993 and nominated in 1998, by the Council of Europe, among the first three places of European memory, with the Auschwitz Memorial and the Caen Peace Memorial. To answer the question of whether the memory of communism in Romania is still today a forbidden heritage, this article starts with some considerations on Romania, after the fall of communism, in its relations with its past and the way in which it is managed both at the level of power-authorities and institutions as well as public opinion, that is to say, mentalities. All this will be discussed in the context of the actual situation on this subject in Europe and more widely in the world. It will be followed by the presentation of the Memorial Sighet, consisting of a Museum and an International Centre for studies on communism, of its history, of its achievements and its place in the fight for the knowledge of the truth and the diffusion of it.
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Le Bouclier Bleu : histoire et missions d’un organisme international pour la protection du patrimoine culturel
Ariane Pinauldt
pp. 205–212
AbstractFR:
L’évolution des notions de bien culturel et de bien commun, ainsi que l’ampleur des atteintes contre le patrimoine artistique au cours du XXe siècle, ont conduit la communauté internationale à adopter des instruments juridiques protégeant les oeuvres. Dans le sillon du droit humanitaire issu de la création de la Croix-Rouge, le texte fondamental concernant le patrimoine en cas de conflit armé est la convention de La Haye de 1954. Mise en oeuvre par l’UNESCO, les principes de cette convention sont diffusés avec l’appui et le soutien d’un organisme spécifique, Blue Shield, qui mène des actions aussi bien en temps de paix qu’auprès de pays en guerre. En France, le Comité français du Bouclier bleu, quoique surtout tourné vers la protection face aux risques naturels, relaye auprès des institutions civiles et militaires les enjeux de la convention de La Haye.
EN:
The evolution of the concepts of cultural property and common property, as well as the extent of the attacks on artistic heritage throughout the 20th century, has led the international community to adopt legal instruments to protect such works. In the wake of the humanitarian law created by the Red Cross, the fundamental text regarding heritage in the event of armed conflict is the 1954 Hague Convention. Implemented by UNESCO, the convention’s principles are put into action through the help and support of a specific organisation, The Blue Shield, which carries out projects both in peacetime and in countries at war. In France, the International Committee of the Blue Shield, which deals in particular with protection against natural disasters, ensures that civil and military institutions engage with the concerns of the Hague Convention.
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La Cour pénale internationale face à la destruction du patrimoine culturel : réflexions à propos de l’Affaire al-Mahdi
Vittorio Mainetti
pp. 213–236
AbstractFR:
Le 27 septembre 2016, la Cour pénale internationale a reconnu Ahmad al-Mahdi coupable de crimes de guerre pour avoir dirigé intentionnellement des attaques contre dix des monuments les plus importants et les plus connus de Tombouctou, ville inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1988. Pour la première fois, la CPI s’est penchée sur la destruction du patrimoine culturel. La portée de son jugement est donc historique. Toutefois, malgré la médiatisation et un certain triomphalisme qui ont caractérisé l’adoption de cette décision, quelques réserves peuvent être soulevées quant à l’interprétation suivie par la Cour. Il s’agit néanmoins d’une « affaire pilote » qui ne manquera pas d’influencer la jurisprudence à l’avenir et constitue d’ores et déjà un jalon dans la construction de l’édifice normatif du droit international de la culture.
EN:
On 27 September 2016, the ICC found Ahmad Al Mahdi guilty of war crimes for intentionally directing attacks on ten of the most important and well-known monuments in Timbuktu, a city inscribed on UNESCO’s World Heritage List since 1988. For the first time, the ICC has focused on the destruction of cultural heritage. The scope of his judgment is therefore historical. However, despite the media coverage and a certain amount of triumphalism, which characterized the adoption of this decision, some reservations may be addressed as to the interpretation followed by the Court. It is nonetheless a “pilot case,” which will certainly influence future case law and must be considered as a milestone for the development of cultural heritage law.
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L’Union européenne et la lutte contre le trafic illicite de biens culturels
Sabrina Urbinati
pp. 237–250
AbstractFR:
À l’heure actuelle, nous sommes confrontés aux destructions haineuses et au trafic illicite de biens culturels en situation de conflit, comme en Iraq ou en Syrie. Outre les États, plusieurs organisations internationales sont intervenues pour contrer ces phénomènes : l’UNESCO, l’ONU, la CPI, Interpol et l’Union européenne. Même si l’on peut penser, à première vue, que cette question du trafic de biens culturels qui se pose à l’échelle internationale dépasse la compétence de l’Union européenne, il faut convenir que celle-ci est en train de jeter les bases politiques et juridiques nécessaires pour lui permettre de jouer un rôle important dans ce combat. Cet article a pour finalité de montrer ces éléments et, pour ce faire, l’auteur, tout d’abord, illustre les initiatives institutionnelles et de politique commune prises par l’Union européenne, et deuxièmement examine le cadre juridique pertinent dans ce cas. Elle consacre une attention particulière aux principaux éléments du projet de Règlement sur l’importation de biens culturels dans l’Union.
EN:
Today, we are confronted to the hateful destructions and illicit trafficking of cultural heritage in situation of conflict, such as in Iraq and Syria. Besides states, several international organisations intervene to cope with these phenomena, such as UNESCO, UNO, the ICC, Interpol and the European Union. Although at first glance it seems that the fight against the illicit trafficking of cultural goods from third countries goes beyond the competence of the European Union, on the other hand, there are several elements that it is laying the necessary political and legal bases to play an important role in this fight. The purpose of this paper is to show these elements. In order to accomplish this task, the author, firstly, illustrates the recent institutional and common policy initiatives of the European Union and, secondly, examines the relevant legal framework of this organisation. Special attention is devoted to the main elements of the draft Regulation on the importation of cultural property into the Union.
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Le patrimoine qui attise les conflits
Itamar Even-Zohar
pp. 251–264
AbstractFR:
Cet article traite des conséquences préjudiciables de certaines pratiques patrimoniales dans les relations de groupes au long de l’histoire humaine. Son objectif est de mettre en évidence les conflits intergroupes qui sont enflammés par le patrimoine. En tant que bien symbolique assurant prestige et avantages à ceux qui le possèdent, le patrimoine a servi depuis des temps immémoriaux à mobiliser la population pour obtenir des gains stratégiques lors des conflits. Il n’est certainement ni la source ni la cause de la plupart des conflits, mais lorsqu’un conflit se déroule, enflammer les sentiments par l’excitation du patrimoine contribue à élever le niveau d’engagement des membres du groupe impliqué. L’utilisation du patrimoine pour attiser les comportements conflictuels provoque évidemment des dommages aux groupes impliqués, mais en même temps évite au patrimoine de perdre complètement son pouvoir de générer ou de maintenir la cohésion socioculturelle.
EN:
This article discusses the detrimental consequences of certain heritage practices used in intergroup relations throughout human history. Its aim is to highlight intergroup conflicts inflamed by heritage. As symbolic goods that generate prestige that provides benefits to their owners, it has been possible from time immemorial to mobilize heritage for winning in conflict. It is certainly neither the source nor the cause of most conflicts, but when these arise, igniting feelings through the exhilaration of heritage always has helped to elevate the level of engagement of the members of the group involved. The use of heritage to encourage conflictual behavior obviously causes damage to the groups involved, but at the same time prevents heritage from completely losing its power to generate or maintain sociocultural cohesion.
Comptes rendus / Reviews
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Molloy, Andrew and Tom Urbaniak (eds). Company Houses, Company Towns: Hertitage and Conservation. (Sydney, NS: 2016, Cape Breton University Press. Pp. 260. ISBN 978-1-77206-049-2.)
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Peter Narváez. Sonny’s Dream: Essays on Newfoundland Folklore and Popular Culture. (St. John’s, NL: 2012, Department of Folklore, Memorial University of Newfoundland. Pp. xxi + 314, photographs, index. ISBN 978-0-88901-426-8.)