Volume 41, Number 2, 2019
Table of contents (10 articles)
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From tangible to intangible heritage: Hollókő, the “world-protected village”
Gábor Sonkoly
pp. 3–20
AbstractEN:
Hollóko, the first World Heritage village in Europe (since 1987), is exemplary not only because its long history of preservation ranges over different cultural heritage regimes and integrates various levels of heritage protection, but also because it is a village which incorporates intangible heritage elements from the beginning of its conservation in spite of the fact that first it is only protected as an ensemble of vernacular buildings. The article shows by the analysis of the sixty plus years of the documented heritage protection of this village how the regimes of cultural heritage unfold; how cultural heritage agency functions in the context of the interactions between locals, professionals and visitors; and how this heritage village embodies different levels of cultural heritage. The cultural heritage agency is examined in a matrix, which is determined by the three regimes of cultural heritage and by the multiple levels of heritage interpretations ranging from universal to local. The heritagization of the village proves that this process does not wipe out, but reuses broken social practices and that the locals form a public community for which the rather sharp line separating public and private spheres is blurred and needs to be managed.
FR:
Hollóko, premier village du patrimoine mondial en Europe (depuis 1987), est exemplaire non seulement parce que sa longue histoire de préservation s’étend sur différents régimes du patrimoine culturel et intègre différents niveaux de protection du patrimoine, mais aussi parce que c’est un village qui intègre les éléments de type « patrimoine immatériel » depuis le début de sa conservation malgré le fait que d’abord il n’est protégé que comme un ensemble de bâtiments vernaculaires. L’article montre par l’analyse des soixantaine ans de la protection patrimoniale documentée de ce village comment les régimes du patrimoine culturel se déroulent ; comment l’agencement du patrimoine culturel fonctionne dans le contexte des interactions entre locaux, professionnels et visiteurs ; comment ce village patrimonial incarne différents niveaux du patrimoine culturel. L’agencement du patrimoine culturel est examiné dans une matrice qui est déterminée par les trois régimes du patrimoine culturel et par les multiples niveaux d’interprétation du patrimoine allant de l’universel au local. La patrimonialisation du village prouve que ce processus n’efface pas, mais réutilise des pratiques sociales brisées et que les habitants forment une communauté publique pour laquelle la ligne assez nette séparant les sphères publiques et privées devient floue et doit être gérée.
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Les musées de migration en France
Dominique Poulot
pp. 21–44
AbstractFR:
Les musées en France, comme dans les autres pays, étaient traditionnellement au début de leur histoire consacrés à assurer la conservation, donc la permanence, de quelques œuvres d’art ou d’autres objets sur un territoire spécifique: ils illustraient la stabilité et la continuité de communautés plus ou moins imaginaires dont ces artefacts faisaient partie. C’est seulement au cours des dernières décennies du vingtième siècle que quelques musées d’histoire ou de société ont tenté d’exposer certains exemples d’immigrations : ce fut le cas du musée de Grenoble, à propos des communautés venues d’Italie, d’Arménie, d’Algérie, du Maroc. Mais le tournant à ce propos est la décision de créer un musée national d’histoire de l’immigration à Paris, sous la pression de communautés, d’historiens, et après une longue hésitation du pouvoir politique. Le choix d’installer l’établissement dans un palais de l’exposition coloniale de 1931, qui fournissait l’opportunité de réutiliser un monument historique, n’était pas heureux. L’ouverture elle-même intervint au moment du changement de la majorité politique au gouvernement, et enfin le musée fut envahi peu de temps après par des immigrés sans papiers, en protestation contre leurs conditions de travail. Le musée a eu depuis à lutter contre un ensemble de difficultés tenant au manque de budget, à sa relative marginalité dans la géographie touristique parisienne, et à un projet incertain, entre l’art contemporain, le tourisme et l’activisme social, ce qui ne lui a pas permis de s’installer vraiment dans le paysage muséal de la capitale. Une réforme complète de la muséographie est en cours, sous la direction d’un historien qui a récemment connu le succès avec une histoire mondiale de la France, et qui doit amener le musée à un statut international, au lieu de sacrifier aux vieilles querelles de l’identité nationale.
EN:
Museums in France, as in other countries, were at the beginning of their history dedicated to the conservation, and to the permanence, of some works of art or of other objects on a specific territory: they illustrated the stability and continuity of the more or less imaginary communities these artefacts were part of. It is only in the last decades of the 20th century that some museums of history or of society tried to display the life of some people as the result of immigrations: it was especially the case in the museum of the city of Grenoble, about the communities from Italy, Armenia, Algeria, Morocco. But the big change was linked to the decision to create a national museum of the history of immigration in Paris, after some lobbying of communities, of historians, and a lot of hesitation on the part of politicians. The choice was to install it in the former building of the Colonial Exhibition of 1931, due to the opportunity of re-using an historical monument, but the decision was probably unfortunate. The opening of the so-called “City” of immigration was also highly problematic, due to a change of the political majority in the French government, and the museum was, in the following months, invaded by undocumented migrants to protest against their working conditions. The museum has had to struggle against a lot of difficulties to find its place in the Parisian landscape of national museums, due to its lack of funding, its relative marginality in the geography of the city, and a dubious agenda, between contemporary art, tourism and social activism. A current refurbishing of the display is in progress, under the intellectual patronage of an historian who authored a very successful “global history of France” in recent years, and who is in charge of bringing this museum to international recognition, instead of the giving in to old quarrels about identity politics.
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Entre deuil de l’activité industrielle et recherche de labellisation : rôles et actions des associations locales en matière de patrimoine industriel dans la région de Saint-Étienne (France)
Luc Rojas
pp. 45–66
AbstractFR:
La désindustrialisation débutant dans les années 1970 pose à nos sociétés la question de l’héritage industriel. Celui-ci est important et touche de nombreux territoires qui ont prospéré grâce à l’activité industrielle. Lors de la fermeture des unités de production, les populations locales doivent faire le deuil de l’industrie. Ce processus est accompagné par la création d’une association dans laquelle les anciens ouvriers tiennent une place importante, permettant ainsi le passage de l’activité économique à l’activité culturelle. Première soucieuse du devenir du patrimoine industriel, l’association locale prend une part active à la reconnaissance et à la valorisation de cet héritage qui depuis peu est considéré par le grand public comme un patrimoine digne de ce nom.
EN:
The deindustrialization which began in the 1970s brings the question of industrial heritage to the attention of our societies. It is significant and involves many territories which have prospered due to industrial activity. At the closing of production facilities, local populations have to mourn the loss of the industry. This process is accompanied by the establishment of an association where former workers hold an important place, thus enabling moving from economic activity to cultural enterprise. Taking the lead in its concern for the future of the industrial heritage, the local association plays an active role in both recognizing and promoting this heritage, which only recently has been considered by the general public as worthy of even being termed heritage.
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De la biguine au jazz caribéen : expressions créatives insulaires et archipéliques
Aurélie Boutant
pp. 67–88
AbstractFR:
Dans cet article, je propose de présenter la biguine (genre musical et danse de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane) comme une racine rhizome dont la souplesse de l’enracinement cristallise des influences créoles. La démarche que je propose vise à mettre l’emphase sur l’évolution rhizomatique de la biguine et du jazz caribéen contemporain ; deux genres musicaux issus d’insularités caribéennes, à travers une approche historico-culturelle qui examine leurs symboliques socio-culturelle, géo-archipélique et méditative. Pour ce faire, je me demanderai dans quelle mesure leurs créations artistiques dessinent-elles à la fois des ancrages insulaires et des passerelles de dialogue et de relation avec la diversité culturelle du monde. Cette étude menée met en lumière les éveils et les envols possibles pour les musiciens créateurs et leurs pairs caribéens à travers les univers rythmiques et culturels restitués au sein des compositions de ces deux genres musicaux. Tout d’abord, l’accent sera mis sur le rôle majeur joué par deux villes insulaire et continentale dans le rayonnement de la biguine : l’ancienne capitale martiniquaise de Saint-Pierre (à la fin du XIXe et au début du XXe siècles) et Paris (des années 30 jusqu’à nos jours). Par la suite, l’étude de l’évolution de la biguine au jazz caribéen me permettra de souligner la posture du musicien-architecte antillais (plus spécifiquement, martiniquais et guadeloupéen) qui recourt à la connaissance technique de la musique et à son bagage subjectif de sa sensibilité pour articuler des créations qui invitent au voyage méditatif dans l’archipel créole caribéen.
EN:
In this article, I plan to present the beguine (a musical genre and dance from Martinique, Guadeloupe and Guyana) as a kind of rhizome root whose rooting flexibility takes its form from Creole influences. My approach will involve emphasizing the rhizomatic development of the beguine and of contemporary West Indian jazz, two musical genres resulting from the insular nature of Caribbean entities, through a historico-cultural connection that examines their meaning as sociocultural, geo-archipelagic and meditative symbols. For this purpose, I will ask the question to what extent their creation as art forms depicts at one and the same time insular anchors and bridges to dialogue and relationship in a world of cultural diversity. This study brings to light the awakenings and possible explorations which are available to the musicians who create and their West Indian fellows through the rhythmic and cultural universes reproduced at the centre of the compositions which make up these two musical genres. At the outset, the focus will be on the major role played by two cities, one insular, the other continental, in the influence of the beguine: the former capital of Martinique, Saint Pierre, (at the end of the 19th and beginning of the 20th centuries) and Paris (from the 1930s to the present day). Next, studying the development of the beguine to West Indian jazz will enable me to highlight the position of the Caribbean musician-architect (more specifically, Martinican and Guadeloupean) who makes use of a technical understanding of music and of his subjective quality of sensitivity to give birth to creations which invite listeners to a meditative journey in the West Indian Creole archipelago.
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Prédire ou travestir ? Marmottes et anthropocentrisme dans le nord-est du Canada
Aïko Cappe and Frédéric Laugrand
pp. 89–111
AbstractFR:
À partir d’une ethnographie du Jour de la marmotte à Wiarton (Canada), nous analysons en quoi la marmotte révèle un profond anthropocentrisme. Dans cette ville, comme ailleurs, la marmotte ne prédit rien mais les participants travestissent ses gestes et simulent des prédictions sur une scène de théâtre. En contexte naturaliste, les humains continuent d’échouer à nouer des relations étroites avec cet animal dont ils ont fait un objet-spectacle, un véritable simulacre. La marmotte est instrumentalisée à des fins socioéconomiques si bien que la question du bien-être de l’animal est esquivée. Les pratiques divinatoires autour de la marmotte montrent qu’au sein même des sociétés modernes, cette activité se marie bien avec le spectaculaire. Les humains ne font plus danser la marmotte mais ils continuent de l’exhiber, prétendant qu’elle leur indique l’avenir. Ils ne la voient plus comme un animal nuisible mais comme une source de revenu.
EN:
Beginning with an ethnography of Groundhog Day in Wiarton (Canada), we will analyze how the groundhog reveals profound anthropocentrism. In this city, as elsewhere, the groundhog predicts nothing, and yet the participants disguise its actions and fake predictions in a theatrical production. In a naturalistic context, human beings continue to fail to build a close relationship with this animal, which serves for them as the object of a performance, a real mockery. The groundhog becomes a tool for socioeconomic purposes to the point that the animal’s own well-being is ignored. The divinatory practices connected with the groundhog show that even at the heart of modern societies, this kind of activity is perfectly suited to the spectacular. The humans no longer make the groundhog dance, but they do continue to make a show of it, claiming that it shows them the future. They no longer see it as a harmful animal but more as a source of income.
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La fabrique du comique : le rire comme outil de communication dans le cadre de performances artistiques
Céline Spinelli
pp. 113–127
AbstractFR:
Le rire est une forme d’expression qui se retrouve dans toutes les cultures, l’une des marques premières de la sociabilité humaine. Énergie qui déborde et se diffuse, il est doté de plusieurs empreintes pouvant agir socialement aussi bien comme moteur d’intégration que de conflit, d’où son ambivalence intrinsèque. Cet article s’intéresse à l’analyse du rire en tant qu’outil d’interconnexion. Il se base sur l’observation de deux spectacles clownesques dans le cadre d’une enquête ethnographique lors du Festival Mundial de Circo (Brésil). Le propos s’appuie sur une double approche du thème : d’une part, la performance scénique est révélatrice des mécanismes de dérision engendrés par les artistes pour la fabrique du comique, d’autre part, l’expérience esthétique et la réception des spectacles explicite le potentiel du rire comme générateur de liens sociaux. Ceci sera le fil conducteur de l’article.
EN:
Laughter is a form of expression common to all cultures, one of the first indicators of human sociability. It is an energy that overflows and permeates, one which possesses several imprints able to act on a social level equally well as a driving force for both integration and for conflict, whence its inherent ambivalence. This article undertakes an analysis of laughter as a means of interconnection. It is based on having been a spectator for two performances by clowns in the course of an ethnographic enquiry during the Festival Mundial de Circo (Brazil). The remarks build on a double approach to the theme: first, the stage performance is indicative of the mechanisms for derision created by the artists for the comedy mill; and second, the esthetic experience and the witnessing of the performances make clear the potential of laughter to create social bonding. This will serve as the common thread of the article.
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La chasse au phoque du Groenland à Essipit : enjeux et perspectives sur une activité innu aitun en péril
Florence Parcoret
pp. 129–155
AbstractFR:
La chasse au phoque du Groenland par les Essipiunnuat de la Première Nation des Innus d’Essipit est une chasse traditionnelle et séculaire, ancrée profondément dans les activités innu aitun de la communauté. Cette tradition est cependant identifiée culturellement en péril par le conseil de bande et la plupart de ses membres. Cet article fait la description ethnographique de la chasse au loup-marin telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui à Essipit, et notamment depuis la fin de la chasse commerciale dans la région des Escoumins, au début des années 2000. Il replace cette tradition dans le contexte évolutif de tout patrimoine immatériel et fait part de la vision intrinsèque dont les porteurs de cette tradition envisagent, à court et à long terme, la sauvegarde de cette chasse dans leur communauté.
EN:
The Greenland seal hunt carried on by the Essipiunnuat of the Essipit Innu First Nation is a traditional and age-old enterprise, deeply rooted in the innu aitun activities of the community. This tradition, however, is identified, culturally speaking, as endangered by the band council and most of its members. This article provides an ethnographic view of the seal hunt as it is practised today at Essipit, and more specifically since the end of the commercial hunt in the Escoumin region at the outset of the year 2000. It looks at this tradition in the changing context of all intangible heritage and shares the inherent vision which the keepers of this tradition pursue, namely the safeguarding of this hunt in their community.
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Entre l’ethnologie et la géolinguistique : quelques points saillants de leur histoire commune
Jean-Nicolas De Surmont
pp. 157–182
AbstractFR:
Cette contribution cherche à situer l’oralité au sein des principaux médiateurs de l’enquête ethnomusicologique. Caractériser le lieu de l’oral nous permettra de comprendre en quoi l’ethnomusicologie se situe aux confins des études linguistiques. Puis, après avoir abordé les aspects méthodologiques de l’enquête ethnomusicologique au Canada français, nous allons analyser ses liens plus étroits avec le développement des disciplines sœurs comme la dialectologie. Nous étudierons le rôle de l’ethnologie dans l’élaboration de la représentation symbolique de la nation ; c’est d’abord l’histoire européenne des études folkloriques qui nous intéressera et qui servira en quelque sorte d’introduction au développement des études folkloriques et ethnologiques au Canada français. L’épistémologie de l’ethnomusicologie permet de déceler des recoupements avec différentes disciplines, ce qui nous conduira à nous pencher sur la Société du parler français au Canada et les grands ténors de l’ethnologie dans les travaux de collecte du patrimoine vocal au Canada français. Cette contribution théorique retrace également les différentes étapes de la transformation du travail de collectage et les liens intimes qui unissent au Québec les différents intellectuels œuvrant dans des sphères d’activités souvent distinctes.
EN:
This contribution will seek to place orality among the main facilitators of the inquiry into ethnomusicology. Describing the place of that which is oral will enable us to understand how ethnomusicology positions itself at the boundaries of linguistic studies. Then, having broached the discussion concerning the methodological aspects of the inquiry into ethnomusicology in French Canada, we will analyze its closer links with the development of its companion disciplines, such as dialectology. We will study the role of ethnology in the development of symbolic representation of the nation; it is, first, the European history of folklore studies which will take our attention and serve, in some sense, as an introduction to the development of folklore and ethnological studies in French Canada. The epistemology of ethnomusicology will make it possible to uncover overlaps with various disciplines, thus bringing us to deal with the Society for speaking French in Canada and the major ethnological themes in the process of collecting vocal heritage in French Canada. This contribution to theory also retraces the various steps in the transformation of efforts to collect and the close ties which unite the various intellectuals in Quebec who work in the spheres of activity that are often quite different.
Comptes rendus / Reviews
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Marie Baltazar. Du bruit à la musique. Devenir organiste (Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2019, Pp. 273. Coll. « Ethnologie de la France et des mondes contemporains », 38. ISBN: 978-2-7351-2535-7).
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Mélanie Lozat et Sara Petrella (dir.). La Plume et le calumet. Joseph-François Lafitau et les « sauvages ameriquains », (Paris, Classiques Garnier, 2019, Pp. 293. ISBN: 978-2-406-08800-4)