Volume 41, Number 1, 2005 Le personnage de roman Guest-edited by Isabelle Daunais
Table of contents (9 articles)
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Présentation. Le personnage de roman
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Le personnage et ses qualités
Isabelle Daunais
pp. 9–25
AbstractFR:
Si le personnage de roman peut être défini comme celui qui, en quittant le monde mythique de l’épopée, a rompu avec l’idée de destin, cette idée ne s’est pour autant pas effacée de sa mémoire et continue de le guider tout au long de ses aventures, comme un repère qui à la fois entretient ses illusions et détermine, par contraste ou effet-repoussoir, le territoire d’infinies possibilités qui est le sien. Mais au fur et à mesure que l’idée de destin, à force d’appartenir à un monde révolu, s’estompe et s’amoindrit, c’est face à une autre borne que le personnage romanesque doit contenir le domaine de son action : l’apparition d’un monde indifférencié où toute entreprise et toute existence cesseraient d’être singulières devient en effet l’horizon contre lequel le personnage doit se défendre s’il veut poursuivre son aventure. C’est par ses capacités à se maintenir entre ces deux rives — du destin et d’un monde indifférencié —, qui sont aussi ses deux écueils, que le personnage romanesque peut être défini.
EN:
If the character in the novel can be described as the one who, departing from the mythical world of the epic, has broken with the idea of destiny, this idea has not, however, erased itself from his memory. It continues to guide him along his adventures like landmark which both upholds his illusions and determines, by contrast or foil, the territory of infinite possibilities which is his. But as the idea of destiny diminishes and becomes blurred, belonging to a past world, the fictional character is confronted with another boundary by which he must contain the domain of his action. The appearance of an undifferentiated world, where all enterprise and existence would cease to be singular, is the horizon against which the character must defend himself if he wants to pursue his adventures. It is through his capacity to maintain himself between these two shores—that of destiny and that of an undifferentiated world—, which are also his two obstacles, that the fictional character may be defined.
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L’effacement du personnage contemporain : l’exemple de Michel Houellebecq
Michel Biron
pp. 27–41
AbstractFR:
Cet article examine le rapport que l’individu entretient avec la société dans le roman contemporain. Comme le suggèrent les romans de Michel Houellebecq, le personnage contemporain ne se définit plus par le combat qu’il mène dans un monde opposé à ses désirs, comme ce fut le cas dans la tradition réaliste, mais par un combat d’un autre type en vertu duquel l’individu contemporain ne cesse de retomber en lui-même, de s’affaisser dans sa stérile lucidité. Mais comment cet individu triste et dépressif peut-il devenir un héros romanesque ? Houellebecq pose explicitement cette question et propose d’élargir le domaine de la lutte à tous les domaines de la vie humaine en décrivant les moindres rapports affectifs sur le modèle d’une vaste compétition sociale. À ce jeu toutefois, le seul combat possible est celui de l’effacement de soi. Chaque personnage de Houellebecq finit ainsi par disparaître sans laisser de traces, au milieu de la nuit et au plus près du néant, comme une dernière protestation contre le vide de l’existence.
EN:
This article explores the relationship that the individual maintains with society in the contemporary novel. Michel Houellebecq’s novels suggest that the contemporary character no longer define himself his struggle in a world opposed to his desires, as was the case in the Realist tradition. The contemporary individual faces a struggle of another kind, where he is constantly falling back into himself and sinking in his own sterile lucidity. But how can this sad and depressive individual become a hero in the novel ? Houellebecq asks this exact question and proposes to enlarge the domain of the struggle to all domains of human life by describing the most insignificant emotional relationships on the model of vast social competition. But in this way, the only possible combat is the erasure of oneself. Each of Houellebecq’s characters ends up disappearing without a trace, in the middle of the night and close to nothingness, like a last protest against the emptiness of existence.
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Les trois lingères de Kafka. L’espace du personnage secondaire
Tiphaine Samoyault
pp. 43–54
AbstractFR:
Dans l’une des premières pages du Journal, Kafka explique que son identification aux personnages secondaires tient à leur exclusion, à l’interdiction qui leur est faite d’entrer dans la fiction. Cet article tente alors de définir l’espace du personnage secondaire comme un dehors de la fiction qui ne soit pas seulement un moyen de poser une borne, mais qui soit en lui-même un espace plein, dont on puisse dresser la cartographie, analyser les coutumes, étudier le peuplement. Les lingères devant l’arche comme K. devant l’entrée du Château déterminent un espace du dehors qui met en question la clôture de l’univers fictionnel tout en l’établissant. Le « quelque chose d’obscur » qu’installe leur présence devant la fenêtre ou à la porte invite à réfléchir à la façon dont les récits, comme les sociétés, ont besoin de l’exclusion pour être. Pensé ainsi, le personnage secondaire mis au ban de la fiction imprime sur certains textes une poétique moins de l’écart que de l’incertitude et de la mise à l’écart, qui est peut-être le propre des univers instables, des mondes problématiques et incomplets, des récits modernes.
EN:
In one of the first pages of the Journal, Kafka explains that his identification with secondary characters results from their exclusion and from the prohibition which prevents them from entering into the fiction. This article attempts to describe the space of the secondary character as an outside of fiction which is not only a means of laying down a boundary but which is in itself a dynamic space of which we can draw the map, analyse the customs, and study the population. The washerwomen in front of the archway like K. before the entrance of the Castle determine a space of the outside which questions the closure of the fictional universe at the same time as it establishes it. The “something obscure” which their presence in front of the window or the door provokes, invites us to reflect on the way that stories, like societies, depend on exclusion to be. Conceived of as such, the secondary character, outlawed from fiction, imprints on certain texts a poetics which is less a poetics of distance than of uncertainty and of putting at a distance, which is perhaps the characteristic feature of unstable universes, of problematic and incomplete worlds, of modern stories.
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Silhouettes et arrière-fonds
Jacques Neefs
pp. 55–64
AbstractFR:
Qu’est-ce que donner consistance à des personnages, dans la prose narrative ? Quelles figures de la pensée et de l’affect trament l’apparition et la vision qui font un corps aux êtres de fiction ? La lecture du début du Chiendent de Raymond Queneau permet de dessiner une sorte de « théorie » du personnage, comme apparition sous un regard, comme distinction d’un « être » parmi d’autres. Quelques exemples retenus dans Flaubert permettent de montrer le jeu de conscience, d’expression, de visibilité et d’inaccessibilité qui fait la densité évanescente d’un personnage, effet de vision et de mémoire à la fois. Ce régime d’apparition sensible du personnage est un moment de la prose narrative, de Flaubert à Proust, marqué par une profonde concurrence avec l’ordre pictural.
EN:
What does it mean to give substance to a character in narrative prose ? What figures of thought and of emotion weave the apparition and the vision that give a body to beings of fiction. The reading of the beginning of Chiendent by Raymond Queneau allows us to outline of a kind of “theory” of the character as the apparition under the gaze, as the distinction of one being among others. Some examples taken from Flaubert demonstrate this game of conscience, of expression, of visibility and of inaccessibility that makes the fleeting density of a character which is both an effect of vision and of memory. The sensory apparition of the character is a moment in narrative prose, from Flaubert to Proust, which is marked by a profound rivalry with the pictorial domain.
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Le répertoire des figures
Christophe Pradeau
pp. 65–77
AbstractFR:
Balzac ne cesse de rattacher ses personnages aux grandes figures du passé, de celles qui sont recueillies dans ces répertoires biographiques que goûte tant la librairie romantique (ainsi de la Biographie Michaud). Les appositions (« Troubert, l’Alexandre VI de Tours »), les antonomases (« une nouvelle Diane de Poitiers »), les listes exemplaires et autres opérateurs analogiques inscrivent les personnages balzaciens dans un jeu dynamique de liaisons, d’apparentements, comme s’il s’agissait de leur donner une légitimité qui leur ferait défaut. Ces traits stylistiques nous disent quelque chose du personnage de roman, de son statut, de la légitimité fragile qui est la sienne au regard des personnages de la fable, des figures héritées de la tradition : sa présence incertaine dans nos mémoires est toujours près d’être dénoncée comme une usurpation.
EN:
Balzac consistently connects his characters to important figures of the past, like those that are collected in the biographical catalogues that were so appreciated by the Romantic library (such as the Biographie Michaud). Appositions (“Troubert, l’Alexandre VI de Tours”), antonomasia (“une nouvelle Diane de Poitiers”), exemplary lists and other analogical operators place Balzac’s characters in a network of liaisons and affiliations, as if it were a matter of giving them a legitimacy which would be their shortcoming. These stylistic traits reveal something about the character in the novel, about his status, and his fragile legitimacy in relation to the characters of the fable and the inherited figures of tradition. His uncertain presence in our memory is always close to being denounced as usurpation.
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La marionnette et le personnage
Yannick Roy
pp. 79–88
AbstractFR:
Les discours dont le roman fait l’objet sont souvent marqués par une certaine ambivalence et semblent souligner tantôt le caractère critique d’un art qui vise essentiellement à découvrir une vérité, tantôt la frivolité d’un genre qui, réduit à l’essentiel, relèverait essentiellement du potin. On peut évidemment distinguer, à l’intérieur de l’ensemble vaste et touffu que désigne le mot « roman », les oeuvres « sérieuses » de celles qui ne visent qu’à divertir le lecteur en le berçant d’illusions ou en flattant sa vanité ; mais cette distinction est peut-être plus fragile qu’il n’y paraît de prime abord. L’ambivalence du roman ne se laisse pas résoudre aussi facilement que le laisse entendre René Girard, par exemple, quand il sépare la « vérité romanesque » du « mensonge romantique », et on peut même considérer cette ambivalence comme la condition nécessaire de l’humour romanesque, en rappelant la célèbre définition bergsonienne du rire suivant laquelle on rirait du « mécanique plaqué sur du vivant ». Si le personnage romanesque est comique, c’est parce qu’il se présente à la fois comme un pantin sans vie, conformément à la « vérité romanesque », et comme un être vivant, ce qui suppose un reste d’illusion romantique.
EN:
The discourses on the novel are often characterised by ambivalence; sometimes underlining the critical character of an art which aims essentially to discover a truth, and others the frivolity of a genre which, reduced to the essential, would essentially derive from a useless racket. We can obviously distinguish, in the vast and dense ensemble which is designated by the word ‘novel,’ less ‘serious’ works from those that aim uniquely to divert the reader by deluding him with illusions or by flattering his vanity, but this distinction is perhaps more fragile than it would at first appear. The ambivalence of the novel is not as easily resolved as suggests René Girard, for example, when he separates ‘novelistic truth’ from ‘Romantic lies.’ We can even consider this ambivalence as a necessary condition of humour in the novel, recapping the famous Bergsonian definition of laughter in which we would laugh from the “mécanique plaqué sur du vivant.” If the character in the novel is comical, it is because he presents himself at once as a lifeless puppet in accordance with ‘novelistic truth,’ and as a living being, which supposes a rest of Romantic illusion.
Exercices de lecture
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Pierre Michon et la corporation des écrivains : une lecture de Corps du roi
David Vrydaghs
pp. 91–106
AbstractFR:
Dans Corps du roi, paru en 2002, l’écrivain français Pierre Michon développe l’idée que les écrivains appartiennent, au-delà du temps terrestre, à un même corps : celui de la littérature. Cette idée est, dans le même temps, contestée. Nous montrons alors, par une analyse des cinq textes de ce recueil, que l’ambivalence de Michon pose la question de la croyance en la littérature et met en évidence la fragilité de celle-ci, en même temps que sa nécessité.
EN:
In Corps du roi, published in 2002, the French writer Pierre Michon develops the idea that all writers, beyond worldly time, belong to the same body: the body of Literature. And yet, at the same time, this idea is questioned. Through the analysis of five texts in this collection, we will show that Michon’s ambivalence asks the questions of the belief in Literature and highlights its fragility at the same time as its necessity.
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Une identité frontalière. Altérité et désir métis chez Robert Lalonde et Louis Hamelin
Emmanuelle Tremblay
pp. 107–124
AbstractFR:
La présente lecture de Sept lacs plus au nord (1993), de Robert Lalonde, et Cowboy (1993), de Louis Hamelin, vise à alimenter la réflexion actuelle sur la problématique transculturelle à partir d’un examen des formes de l’altérité Blanc/Amérindien. Plus spécifiquement, seront dégagées les constituantes symboliques d’un « désir métis », métaphore heuristique qui rend compte d’une volonté de devenir autre au contact de la réalité autochtone. Par la reconstruction de l’Indien imaginaire, et en regard des récits de la Nouvelle-France, il sera démontré que le roman contemporain met en scène une ambivalence identitaire. Cette dernière est représentée par des héros québécois francophones hybrides, partagés entre un besoin de régénération et une angoisse de dissolution. Elle tient en l’occurrence lieu d’une identité frontalière où se joue une rencontre avec l’Histoire : entre fantasme d’une origine métisse retrouvée et conflits ethniques.
EN:
The writings, Sept lacs plus au nord (1993), by Robert Lalonde, and Cowboy (1993), by Louis Hamelin, aim to explore the actual reflexions of transcultural problematics based on the examination of alterity between white and native peoples. More specifically, examinated in depth are the symbolic components of a “desire to be métis,” as an heuristic metaphor connecting the will to become other in contact with the reality of the First Nations people. By the reconstruction of the native figure and by examining the written accounts of New France, it will be demonstrated that this contemporary novel puts in context the ambivalence of identity. This ambivalence of identity is represented by hybrid francophone québécois heroes, who share the need of regeneration and the anguish of dissolution. The existence of this ambivalent identy becomes a divided identity where a meeting with History takes place: between ethnic conflicts and a fantasy of a refound métis origin.