Volume 57, Number 1, 2021 L’insurrection kabyle de 1871 : représentations, transmissions, enjeux identitaires en Algérie et en France Guest-edited by Isabelle Guillaume
Table of contents (9 articles)
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Présentation. L’insurrection kabyle de 1871. Représentations, transmissions, enjeux identitaires en Algérie et en France
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1871 dans la poésie orale kabyle
Abdelhak Lahlou
pp. 11–25
AbstractFR:
L’insurrection de 1871 est un événement majeur qui a profondément marqué la Kabylie. Rien ne l’a autant et plus durablement bouleversée que l’insurrection d’El Hadj Mohand Aït Mokrane (El Mokrani) et du cheikh El Haddad. Cette révolte populaire a eu des conséquences désastreuses pour les Kabyles qui ont perdu leurs terres, leur élite traditionnelle et leur style de vie. La défaite et ses conséquences ont traumatisé la population au point qu’elles n’ont pas pu manquer de laisser des traces dans la poésie populaire. Le séquestre et la spoliation des terres, l’effondrement des structures de l’ancienne société kabyle, la violence de la répression et le triomphe définitif de la colonisation ont inspiré une poésie nouvelle. Plus douloureuse et plus inquiète, celle-ci exprime deux sentiments nouveaux inconnus jusque-là dans la tradition de la poésie kabyle : la stupeur et le désarroi qui ont saisi la population au lendemain de cette défaite. Notre propos s’attache à lire les traces de cet événement traumatisant dans la poésie orale kabyle. Nous montrons la manière dont les poètes se sont appropriés l’événement pour témoigner du désastre de 1871 et de ses conséquences dans l’imaginaire populaire.
EN:
The uprising of 1871 is a major event that deeply marked Kabylia. Nothing ever affected it more radically and more lastingly than the insurgency of El Hadj Mohand Aït Mokrane (El Mokrani) and Cheikh El Haddad. This popular revolt had disastrous consequences for the Kabyles who lost their lands, their traditional elite, and their lifestyle. The defeat and its consequences traumatized them to the point of leaving marks in popular poetry. The sequestration and spoliation of the lands, the collapse of the structures of the ancient Kabyle society, the violence of the repression and the final triumph of the colonization inspired a new poetry. More grievous and more anxious, it expressed two feelings unknown until then in Kabyle traditional poetry: the stupor and disarray which seized the population in the aftermath of this defeat. Our purpose is to read the traces of this traumatic event in Kabyle oral poetry, and to show how poets appropriated this event to bear witness to the disaster of 1871 and its consequences in the popular imagination.
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Prose des faits et vers défaits. L’insurrection algérienne de 1871 dans les chroniques militaires et dans la poésie kabyle
Idir Hachi
pp. 27–49
AbstractFR:
Notre article propose une lecture comparée des représentations de l’insurrection dans les sources coloniales et dans la poésie kabyle. Parmi les sources se détachent Histoire de l’insurrection de 1871 en Algérie de Louis Rinn (1891) et L’insurrection de la Grande Kabylie en 1871 de Joseph Nil Robin (1901). Ces deux ouvrages très documentés livrent une somme de faits : l’étendue territoriale de l’événement, son intensité, ses combats, l’ampleur de ses répercussions sur la société dominée en pertes humaines, séquestres, amendes collectives, exécutions sommaires, déportations, déclassement social, démantèlement des structures élitaires traditionnelles. Pourtant, le contexte particulièrement troublé de 1870, qui a vu le ressentiment des Européens d’Algérie à l’endroit des institutions militaires se muer en un torrent d’invectives laisse penser que les deux officiers de l’armée d’Afrique que sont Rinn et Robin ont pris la plume à des fins distinctes de la simple chronique ou de la compilation de faits. Leurs ouvrages révèlent, du point de vue colonial, des divergences inconciliables sur l’insurrection de 1871. Ils expriment moins un élan désireux de faire la lumière sur le plus grand soulèvement algérien du xixe siècle, qu’un enjeu de lutte entre le colonat et les élites militaires françaises. Bien différentes sont les représentations de la poésie kabyle de l’époque, transmise par voie orale. Certaines compositions ont été recueillies, traduites et publiées au xixe siècle par Jean-Dominique Luciani et Louis Rinn et, au xxe siècle, par Ammar ou Saïd Boulifa et Mouloud Mammeri. Ces compositions en disent plus sur les terribles conséquences d’une insurrection assimilée à la fin d’un monde que sur les responsables de celle-ci.
EN:
Our article proposes a comparative reading of the representations of the uprising in colonial sources and in Kabyle poetry. Among the sources stand out Histoire de l’insurrection de 1871 en Algérie by Louis Rinn (1891) and L’insurrection de la Grande Kabylie en 1871 by Joseph Nil Robin (1901). These two well-documented works provide a summary of facts: the territorial extent of the event, its intensity, its struggles, the breadth of its impacts on the dominated society in human losses, spoliation, collective fines, summary executions, deportations, social downgrading, dismantling of traditional elite structures. Yet, the particularly troubled context of 1870, underlined by resentment of Europeans in Algeria towards the military institutions turning into a torrent of invective, suggests that the two officers, Rinn and Robin, took the pen for purposes distinct from the mere chronicle or compilation of facts. Their works reveal, from the colonial point of view, irreconcilable differences on the insurrection of 1871. They express, less an impulse eager to shed light on the greatest Algerian uprising of the 19th century, than a stake in the struggle between the colonists and the French military elites. Very different are the representations of the Kabyle poetry of the time, transmitted orally. Some compositions were collected, translated and published in the 19th century by Jean-Dominique Luciani and Louis Rinn and in the 20th century by Ammar ou Saïd Boulifa and Mouloud Mammeri. These works tell more about the terrible consequences of an insurrection shown as the end of a world than about those responsible for it.
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« Le roman est de l’histoire, qui aurait pu être » : l’insurrection algérienne de 1871 dans Marie Chassaing d’Adolphe Badin, Amour et gloire de Charles Baude de Maurceley et Le Maître de l’heure de Hugues Le Roux
Isabelle Guillaume
pp. 51–68
AbstractFR:
Si Marie Chassaing (1873), Amour et gloire (1897) et Le Maître de l’heure (1897) sont désormais oubliés, ces romans ne sont pas dépourvus d’intérêt. Tous trois montrent que l’insurrection de 1871 a donné lieu chez ses commentateurs métropolitains non pas à un récit national univoque, mais à des mémoires plurielles. Leurs auteurs s’inspirent des codes du roman historique à la Walter Scott. Ils mettent en scène à côté de personnages fictifs, des acteurs de l’insurrection : le bachaga Mohamed El Mokrani chez Baude de Maurceley et Le Roux, et, chez Badin, Jacques Chassaing, le « tueur de lions » popularisé par le Journal des chasseurs. En recourant au genre romanesque, les trois auteurs façonnent des versions divergentes des événements de 1871. Baude de Maurceley et Le Roux rendent hommage à Mokrani vaincu et imputent la responsabilité de l’insurrection au gouvernement républicain. Adolphe Badin, lui, réécrit l’histoire de Jacques Chassaing en dressant un réquisitoire du Second Empire et en faisant du déclenchement de l’insurrection l’ultime faute politique de ce régime. Les trois romans montrent que l’insurrection de 1871 s’est prolongée en métropole avec une bataille historiographique et politique. Badin, Baude de Maurceley et Le Roux se rejoignent sur un point : ils mettent en scène des victoires françaises qu’ils attribuent à l’union des compatriotes à l’heure du danger. Tout en valorisant l’union nationale, ils envisagent des avenirs différents pour la présence française en Algérie. Baude de Maurceley reste évasif sur ce point par contraste avec Badin et Le Roux qui ont écrit leurs récits dans la perspective des colons. L’auteur de Marie Chassaing, en particulier, montre la répression de l’insurrection comme le début d’une nouvelle ère, celle d’une véritable colonisation : les terres algériennes représenteront un dédommagement au pays vaincu par l’Allemagne et dépossédé de plusieurs départements métropolitains.
EN:
While Marie Chassaing (1873), Amour et gloire (1897) and Le Maître de l’heure (1897) are now forgotten, these novels are not devoid of interest. The three show that the 1871 revolt incited its observers in mainland France to produce, not an unequivocal national account, but rather multivoiced memories. Their authors draw inspiration from the codes of the historical novel in the vein of Walter Scott. They portray alongside fictional characters, the revolt’s protagonists: the bachaga Mohamed El Mokrani in Baude de Maurceley and Le Roux, and in Badin, Jacques Chassaing, the ‘lion killer’ popularized by the Journal des Chasseurs. In appealing to the fictional genre, the three authors fashion different versions of the 1871 events. Baude de Maurceley and Le Roux pay homage to the vanquished Mokrani and assign responsibility for the revolt to the Republican government. As for Adolphe Badin, he rewrites the story of Jacques Chassaing as an indictment of the Second Empire and makes the outbreak of the revolt the final political error of this regime. The three novels demonstrate that the 1871 revolt continued in mainland France as a historiographical and political battle. Badin, Baude de Maurceley and Le Roux share one common point: in their accounts, the French victories are attributed to the unity of compatriots in the hour of danger. While exalting national unity, they envisage different futures for the French presence in Algeria. Baude de Maurceley remains coy on this point whereas Badin and Le Roux write their works from the perspective of the colonists. The author of Marie Chassaing points to the repression of the revolt as the start of a new era: an era of genuine colonisation. Algerian lands will stand as compensation to the country conquered by Germany and stripped of several French departments.
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L’Autre France : représentations théâtrales et imaginaire colonial au tournant du xxe siècle
Amélie Gregório
pp. 69–84
AbstractFR:
En 1900, le Théâtre de l’Ambigu met à l’affiche L’Autre France de Pierre Decourcelle et Hugues Le Roux. Cette oeuvre emprunte à la fois aux codes du drame, du mélodrame et de la pièce militaire. Elle est l’adaptation théâtrale du Maître de l’heure (1897), roman à succès de Le Roux – ou, si l’on en croit l’auteur, « livre d’histoire » – qui retrace la révolte menée par le bachaga El Mokrani en Kabylie en 1871. L’Autre France, dont l’intrigue et les péripéties s’inscrivent dans une poétique du genre déclinée à de multiples reprises sur les théâtres français depuis la prise d’Alger, mêle des éléments historiques et fictifs, dans une « mise en scène pittoresque ». Cette formule consensuelle est immodérément utilisée par les critiques à une époque où l’Algérie, passée aux mains des civils avec l’installation de la République, est pourtant présentée comme une partie de la France. Le titre choisi pour l’adaptation du roman de Le Roux révèle cette tension entre altérité exotique et continuité territoriale. Trente ans après les faits, la pièce suscite dans la presse de vifs débats dramaturgiques et esthétiques, mais aussi politiques. L’oeuvre, marquée par une dimension patriotique attendue, donne au chef Mokrani un rôle plutôt valorisant qui déplaît à certains critiques. L’étude croisée du manuscrit inédit de la pièce et de sa réception montre que les représentations théâtrales de l’autre, kabyle et arabe, et de l’ailleurs algérien sont profondément travaillées par l’imaginaire collectif et par l’exercice de la domination coloniale, dans un spectacle populaire qui questionne le traitement dramatique de l’histoire.
EN:
In 1900, the Théâtre de l’Ambigu presents L’Autre France, by Pierre Decourcelle and Hugues Le Roux. This play follows simultaneously the codes of drama, melodrama and military play. It’s the adaptation of Le Maître de l’heure (1897) by Le Roux, a successful novel—or, if we are to believe the author, a ‘history book’—that relates the revolt led by Bachaga Mohamed El Mokrani in Kabylia in 1871. The intrigue and the events of L’Autre France adhere to a poetics repeatedly declined on the French stages since the capture of Algiers. It combines historical and fictional elements in a ‘picturesque staging’. This consensual formula is immoderately used by the critics at a time when Algeria, now in the hands of the civilians with the installation of the Republic, is nonetheless presented as a part of France. The title chosen for the adaptation of the novel reveals this tension between exotic otherness and territorial continuity. Thirty years after the insurrection, the play gives rise in the press to debates, dramaturgical and aesthetical, as well as political. The work is marked by an expected patriotic dimension, but still gives Mokrani a positive role that displeases some critics. The cross study of the play’s manuscript and its reception shows that the theatrical representations of the other, Kabyle and Arab, and of the Algerian elsewhere are deeply worked by the collective imagination and the exercise of the colonial domination, in a popular show that questions the dramatic treatment of history.
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Louis Bertrand : autopsie d’une déroute
Peter Dunwoodie
pp. 85–100
AbstractFR:
Deux séries de textes du Lorrain Louis Bertrand (1866-1941) apportent un éclairage unique sur l’impact des événements de 1870-1871. Ses « romans africains » (1899-1904) sont le fruit d’une décennie passée en Algérie, entre 1891 et 1900, au cours de laquelle Louis Bertrand joue un rôle majeur dans le lancement d’une littérature algérienne de langue française et dans le processus de légitimation de la colonisation française à travers les notions d’« Afrique latine » et de « peuple néo-français ». Cette perspective non hexagonale, qui voit dans le musulman algérien un ennemi irréductible, vient étayer un rapport ambigu vis-à-vis de l’Allemagne qui est au coeur des oeuvres de la période 1925-1939, dans lesquelles il attire l’attention, en premier lieu, sur le fait que sa génération est « fille de la défaite » de 1870 et que son héros « comme tous ceux de son pays et de sa génération […] avait été élevé dans l’idée de la revanche ». En auscultant une période clé de sa formation, son autobiographie (Une destinée) analyse des tendances intellectuelles et culturelles collectives des années 1870-1914 pour démontrer que le véritable danger vient non pas de ces ennemis héréditaires « du dehors », mais de la France républicaine elle-même, de sa décadence et du manque du « sens de l’ennemi » (titre d’un ouvrage clé, paru en 1917). Nous analysons comment Louis Bertrand, en « romancier et archéologue », voit chez les néo-Français de l’Algérie (perçus comme des Latins et donc des catholiques) « une école d’énergie et quelquefois d’héroïsme, de régénération physique, intellectuelle, nationale et sociale » qui pourrait stopper le déclin d’une France anémiée et défaitiste.
EN:
Two series of texts by the author from Lorraine Louis Bertrand (1866-1941) throw a unique light on the impact of 1870-1871 events. His ‘African novels’ (1899-1904), arising from a decade spent in Algeria between 1891 and 1900 during which he was to play a key role both in the launch of a French-language Algerian literature and in the legitimization process of French colonisation by means of the concepts of ‘Latin Africa’ and a ‘neo-French’ nation. This non-metropolitan perspective, which treated the Algerian Muslim as an implacable enemy, reinforced the ambiguous view of Germany revealed by the works of the period 1925-1939. The primary stress in these works is on the claim that his generation is the ‘fruit of the defeat’ of 1870, and that his hero ‘like all those of his age […] had been raised with the idea of revenge’. Through a detailed diagnosis of a key moment in his upbringing, his autobiography (Une destinée) analyses the collective intellectual and cultural currents of the years 1870-1914 to show that the real danger faced by the country came less from these hereditary ‘external’ enemies than from Republican France itself, its decadence and lack of any ‘awareness of the enemy’ (title of a collection published in 1917, Le sens de l’ennemi). We investigate how, in his role as ‘novelist and archaeologist’, Bertrand perceived the neo-French of Algeria (seen as Latin, hence Catholic) as a model of ‘energy and sometimes heroism, of physical, intellectual, national and social regeneration’ that could halt the decline of a post-1870 France seen as weakened and defeatist.
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De l’utopie du « royaume arabe » à la chimère d’une Algérie « européenne »
Jean-Robert Henry
pp. 101–118
AbstractFR:
Les bouleversements de 1870-1871 ont engendré des mutations que reflète le champ des représentations juridiques, politiques, historiques, militaires, scolaires, religieuses, littéraires, artistiques du rapport colonial. Ces représentations vont cohabiter de façon parfois dissonante dans l’univers mental colonial jusqu’à l’indépendance. On en évoque ici trois qui ont contribué à la reformulation symbolique du rapport colonial après 1871 : le discours juridique, la littérature et le débat sur l’école.
EN:
The upheavals of 1870-71 brought about changes that are reflected in the field of legal, political, historical, military, educational, religious, literary and artistic representations of the colonial relationship. These representations will cohabit in a sometimes-dissonant manner in the colonial mental universe until independence. We evoke here three of them that contributed to the symbolic reformulation of the colonial relationship after 1871: the legal discourse, literature and the school debate.
Exercices de lecture
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François de Curel ou la « dédramatisation du drame »
Tomasz Kaczmarek
pp. 121–139
AbstractFR:
François de Curel est passé dans l’histoire du théâtre français pour un auteur de « pièces à thèse ». Pourtant, ce dramaturge, qui jouissait à son époque d’une renommée incontestable, suscitait des controverses parmi les partisans et les défenseurs de l’art dramatique traditionnel. De fait, en étudiant ses premières oeuvres, L’envers d’une sainte et L’invitée, force nous est de constater qu’il tourne résolument le dos aux principes régulateurs de la fable hérités d’Aristote. Il renonce à l’action basée sur une tension dramatique qui va de l’exposition, en passant par les péripéties – qui tendent inévitablement à la catastrophe –, au dénouement. À l’instar d’Ibsen, il « dédramatise » la forme canonique à travers la « rétrospection », le renversement du sens de l’intrigue et la présence de « personnages passifs » privés de toute volonté d’agir. Curel semble proposer un « drame statique » dans lequel, au lieu de conflits interpersonnels, nous assistons à des affrontements intrasubjectifs dans la psyché des protagonistes. En abandonnant l’action classique, l’écrivain dépouille ses personnages de « caractère » en se concentrant sur l’analyse psychologique de leur âme égarée. C’est ainsi qu’à la place d’un personnage agissant, il met en avant un personnage réflexif ou récitant, qui ressasse son dégoût de la vie.
EN:
François de Curel went down in the history of the French theatre as an author of ‘thesis plays’. However, this playwright, who enjoyed an unquestionable fame in his day, caused controversy among supporters and defenders of traditional drama. Indeed, studying his first works, A False Saint and The Guest, we cannot but note that he resolutely turns his back on the regulatory principles of the fable inherited from Aristotle. He renounces the action based on a dramatic tension which goes from the exposure, through peripeteia—which inevitably head to the catastrophe—to the outcome. Like Ibsen, he ‘under-dramatizes’ the canonical form through ‘retrospection’, reversal of the sense of intrigue, and the presence of the ‘passive characters’, deprived of any will to act. Curel seems to offer a ‘static drama’ where, instead of interpersonal conflicts, we are witnessing intra-subjective confrontations in the psyche of the protagonists. By abandoning classical action, the writer deprives his characters of ‘character’ by concentrating on the psychological analysis of their lost soul. This is how, instead of an acting character, he puts forward a reflective or reciting character, who dwells on his disgust for life.
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Voyeurisme et impasse morale dans l’oeuvre de Pascale Kramer
Tania Collani
pp. 141–159
AbstractFR:
La vue est un sens très sollicité dans l’oeuvre de la romancière franco-suisse Pascale Kramer née à Genève en 1961 : plus spontanée que le regard, la vue survole une multitude de scènes intimes et rechigne à en prendre conscience. Les personnages des romans de Kramer sont des spectateurs passifs de tableaux sociaux variés, frappés par tout type de pulsion (scopique, érotique, de répétition) et victimes de précarité morale. Les oeuvres publiées par Kramer depuis vingt-trois ans, de Manu (1995) à Une famille (2018), constituent une mise en scène stylistiquement savante du voyeurisme contemporain, dans laquelle les personnages (et les lecteurs avec eux) sont condamnés à une suspension de leur jugement éthique. En ayant recours à Derrida, Freud, Jankélévitch, Lipovetsky, Pontalis et Vaneigem, notre étude montre, chez Kramer, l’inconstance du paradigme « voir c’est savoir », ainsi que sa poétique délibérée de l’impasse morale.
EN:
Sight is a sense frequently called upon in the work of the Franco-Swiss novelist Pascale Kramer, born in Geneva in 1961: more spontaneous than the gaze, sight flies over a multitude of intimate scenes and eludes becoming aware of them. Characters in Kramer’s novels are passive spectators of various social scenes, struck by sexual or scopic drives and the compulsion to repeat; they are themselves victims of moral precariousness. Kramer’s works published over twenty-three years, from Manu (1995) to Une famille (2018), compose a stylistically learned staging of contemporary voyeurism, where the characters (and the readers with them) are condemned to a suspension of their ethical judgment. Appealing to essays by Derrida, Freud, Jankélévitch, Lipovetsky, Pontalis and Vaneigem, our study demonstrates the inconstancy, in Kramer’s work, of the paradigm ‘seeing is knowing’, as well as her deliberate poetics of moral impasse.