Number 57, Spring 2007 Les compétences civiles, entre État sécuritaire et État social Guest-edited by Philippe Estèbe and Julie-Anne Boudreau
Table of contents (12 articles)
I La civilité mobilisée par les politiques publiques
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Les ambivalences de l’État social-sécuritaire
Andrea Rea
pp. 15–34
AbstractFR:
L’article envisage le changement du paradigme des politiques publiques liées à l’insécurité en milieu urbain. À l’encontre de ceux qui voient l’émergence d’un État pénal se substituant à l’État social, l’article soutient, à partir de l’étude de la situation existant en Belgique, que les nouvelles politiques urbaines reposent sur un changement de paradigme de certaines politiques publiques. La pacification urbaine, paradigme de ce qui qualifie l’action de l’État social-sécuritaire, repose sur des mesures visant simultanément à la sécurisation des personnes et des espaces publics et à la réaffiliation sociale dans les territoires résidentiels précarisés. Les nouvelles politiques urbaines produisent de la régulation sociale tout en inscrivant leur rôle un cadre normatif renouvelé du contrôle social.
EN:
This article identifies a public policy paradigm change related to insecurity in urban settings. While some describe a penal state replacing the social state, this article instead claims, drawing on the Belgian case, that new urban policies mark a shift towards a paradigm that emphasises both security and the social. Urban peace is the goal of this paradigm, with programmes being designed both to make persons and public places safe and to maintain social cohesion in marginal residential areas. These urban policies involve social regulation via new norms of social control.
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Espace public et civilité : réinventer un contrôle social ? Perspectives pour la France
Anne Wyvekens
pp. 35–45
AbstractFR:
Qu’en est-il, aujourd’hui en France, de la production de sécurité dans l’espace public ? Dans des espaces dits publics, mais largement investis par le privé, et malgré le développement de partenariats divers en matière de sécurité, le modèle français reste à première vue d’inspiration essentiellement étatique. Toutefois, des travaux de recherche réalisés à l’initiative de gestionnaires d’espaces publics préoccupés par la multiplication des incivilités font apparaître un changement de focalisation, dans le diagnostic et dans les réponses, qui n’est pas sans rappeler des travaux américains articulant l’urbain et le « sécuritaire ». La relecture des théories de l’espace défendable et de la « vitre cassée », où la sécurisation de l’espace passe par son appropriation par les usagers, conduit à se demander – d’un point de vue plus prospectif – jusqu’à quel point, en France également, un « autre contrôle social », citoyen, serait susceptible d’émerger, venant interroger le rôle joué par la puissance publique.
EN:
What is the current situation in France with respect to security in public places ? In what are called public spaces, but are largely privatised, and despite the development of partnerships, the French model appears essentially statist. Nonetheless, research studies generated by agencies that manage public places reveal changes in focus, diagnosis, and responses which are not much different from American work on urban crime. Rereading theories of safe neighbourhoods and “broken windows,” in which the safety of a place requires the involvement of those who use it, leads to the question – looking toward the future – of whether in France as well “another form of social control,” one by citizens might emerge to question the role of public authority.
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Civilité et comités de citoyens marseillais et québécois : des réactions à l’insécurité aux fondements des politiques publiques
Caroline Patsias
pp. 47–61
AbstractFR:
À partir de l’exemple de deux groupes de citoyens en France et au Québec, cet article examine les réactions et les mobilisations des habitants de quartiers « populaires†» face à des situations qu’ils jugent peu sécuritaires. L’analyse souligne combien les revendications en matière de sécurité publique questionnent les fondements du vivre-ensemble. Ce questionnement est pourtant appréhendé très différemment en France et au Québec. Les divergences constatées entre les politiques de sécurité publiques ne relèvent pas tant de demandes différentes que de structuration particulière d’espaces politiques nationaux. L’analyse insiste ainsi sur l’importance des médiations entre société civile et État.
EN:
This article draws on cases studies of two citizen groups, one in France and one in Quebec. It follows the reactions and mobilisations of the residents of two low-income neighbourhoods in situations where they consider their safety at risk. Reminding us that demands for security raise issues about how to live together, the analysis finds that the issues are understood differently in France and Quebec. This divergence is more due to the structuration of national political space than the result of differences in the demands themselves. The article calls, therefore, for attention to state-civil society relations.
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Manger biologique à l’ère de l’insécurité
Betsy Donald and Alison Blay-Palmer
pp. 63–73
AbstractFR:
Depuis que l’État abandonne peu à peu de nombreux domaines sociaux tout en ayant la main plus lourde en matière de répression, beaucoup de gens adoptent un comportement d’autorégulation pour essayer de répondre à des peurs et à des risques sociétaux plus larges. Le succès croissant des aliments biologiques en Amérique du Nord montre clairement l’arrivée de ce nouveau type de comportement d’autorégulation, mais ne relève pas entièrement de lui. En nous inspirant des concepts soutenant la biopolitique alimentaire, nous établissons des liens entre l’alimentation biologique en tant qu’acte d’autorégulation et un nouveau régime d’État répressif qui met l’accent sur l’alimentation biologique comme partie prenante d’une politique étatique militaire et sociale plus large.
EN:
With the retreat of the state in many social fields and a heavier hand on the repressive side, many people have developed auto-regulatory behaviour in their attempt to manage broader societal fears and risks. The rise of the practice of eating organic food in North America is an excellent example of this newer type of self-regulatory behaviour. However we suggest that the surge of interest in organic food is not entirely self-regulatory. Drawing upon insights from food bio-politics, we make connections between eating organic as a self-regulatory act and a new repressive state regime that emphasises eating organic as part of a broader state social and military policy.
II Des acteurs civils sur la ligne frontière
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Résilience et formes de régulation sociale informelle dans un quartier de Brooklyn
Véronique Levan
pp. 77–90
AbstractFR:
Dans les quartiers populaires des villes américaines en proie à une violence physique et sociale endémique, les formules informelles de régulation sociale sont la clé de voûte des programmes de prévention situationnelle mis en place. Cet article se propose de saisir les enjeux sociopolitiques liés à ce déploiement en décrivant l’expérience innovante des tenant patrols mise en oeuvre dans un quartier new-yorkais. Comment cette réponse à l’insécurité s’intègre-t-elle à la matrice sécuritaire existante ? Quel est son apport comparé à l’offre publique de sécurité†? Exacerbe-t-elle les inégalités liées à l’accès à la sécurité†? Constitue-t-elle une forme légitime d’intervention ?
EN:
In poor neighbourhoods of American cities where physical and social violence is endemic, prevention programmes are built around informal mechanisms of social regulation. This article addresses the socio-political issues raised by this policy design, using data from an innovative experiment with tenant patrols in a borough of New York City. It asks : how is this response to crime integrated with existing security services ; what is its value-added as compared to public services ; does it exacerbate existing inequalities in access to security ; is it a legitimate form of action?
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Les HLM montréalais et le discours sur la sécurité : l’action communautaire ou la société des voisins ?
Xavier Leloup
pp. 91–103
AbstractFR:
Cet article revient sur quatre expériences de gestion sociale installée dans des logements sociaux de type plan d’ensemble à Montréal. L’analyse indique comment ce type de dispositif a été mis en place par un ensemble d’acteurs qui ont traduit un malaise social général en une demande de sécurité. Elle montre également comment, par ce processus singulier de création, un nouveau mandat de régulation sociale locale a été assigné à l’action communautaire. Enfin, elle souligne les tensions qui caractérisent aujourd’hui ce type d’intervention en raison, d’une part, de l’écart qui existe entre les intentions de départ et le mode de fonctionnement actuel des organismes communautaires et, d’autre part, de leur position au sein des HLM.
EN:
This article draws on experiments in social management undertaken in four social housing developments in Montreal. The analysis documents how the programme was instituted by a set of actors who transformed their generalised discomfort into a call for security. It also shows how this particular history of its creation assigned community action a new mandate for local social regulation. Lastly, it points out the tensions that now characterises this kind of intervention, on the one hand because of the gap between the original intentions and current operation of community groups and on the other because of their position within social housing.
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Bonheurs et malheurs du « médiateur ». Sur la fonction sécuritaire d’une institution socio-éducative
Sylvain Bordiec
pp. 105–114
AbstractFR:
Nous réfléchissons ici aux conditions concrètes de l’administration de la sécurité dans les espaces urbains « à problèmes†». Nous nous appuyons sur les enseignements d’une enquête de terrain menée de 2003 à 2006 dans un quartier relevant de la Politique de la ville, en France. La focalisation de l’attention sur le responsable bénévole d’une institution socio-éducative, placé au confluent d’intérêts concurrents, apporte des éclairages sur les positions et les prises de position que les investissements multiples dans et par la sécurité génèrent.
EN:
In this article we examine the on-the-ground situation of managing security in “difficult” urban settings. The data come from a field study conducted between 2003 and 2006 in a neighbourhood covered by France’s politique de la ville [urban policy]. Clarification of the stances adopted and the positions generated by multiple investments in and by security can be achieved by spotlighting the volunteer responsible for a socioeducational institution, a person who is located at the intersection of competing interests.
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« Orientation client » et (in)civilité : le cas d’une ligne de transport public collectif
Sophie Beauquier
pp. 115–124
AbstractFR:
Cet article vise à articuler politique d’orientation client d’une entreprise publique de transport, d’une part, et (in)civilité des voyageurs à l’égard des salariés aux guichets, d’autre part, à partir du cas d’une nouvelle ligne de transport public collectif voulant inaugurer de nouveaux modes de relations entre agents et clients, basés sur l’attention et la convivialité. En fait de convivialité, c’est essentiellement l’incivilité que les salariés doivent régulièrement subir. L’énoncé, par la direction de la ligne, de la position centrale des clients dans l’organisation ainsi que l’évolution des missions confiées aux agents en contact avec les clients, viennent modifier la nature des rapports sociaux de service entre agents et clients, qui évoluent vers des rapports de pouvoir en faveur des clients et au détriment de la civilité dans l’espace public.
EN:
A new public transit line set up a programme entitled “focus on the client” [orientation client] intended to found relations between employees and clients on attention and interaction. In practice, interaction essentially brings incivility, which the employees confront regularly. The transit authority’s announcement that clients were central to the organisation as well as the evolution of employees’ responsibilities when in contact with clients has altered the service relationship. It is shifting the power relationship in the clients’ favour and at the loss of civility in public space.
III Dispositifs et techniques : la civilité comme construction
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Du citoyen et de la « civilité ». Réflexions à partir de l’exemple de la vidéosurveillance
Jean Ruegg, Francisco Klauser and Valérie November
pp. 127–139
AbstractFR:
Dans la foulée des événements du 11 septembre 2001, la problématique des incivilités permet de légitimer des politiques sécuritaires souvent musclées. Comment cette situation influence-t-elle les relations entre l’État et le citoyen ? Réduit-elle les compétences citoyennes en matière de «†civilit醻†? À partir d’études de cas portant sur l’introduction de la vidéosurveillance dans l’espace public, nous suggérons que la prudence est requise pour répondre à ces interrogations. Aux Transports publics genevois, par exemple, l’installation de caméras dans les véhicules va de pair avec une redéfinition de la politique de sécurité de l’entreprise. Plusieurs mesures viennent alors compléter la vidéosurveillance. Nous assistons simultanément à l’émergence de phénomènes qui perturbent l’autorégulation des comportements citoyens dans l’espace public et de manoeuvres qui réintroduisent du lien social. Ce point de vue permet alors de conclure en rappelant que la vidéosurveillance est davantage un moyen pour discipliner le territoire que les gens.
EN:
In the aftermath of September 11, 2001 concern about uncivil behaviour legitimates toughened security. Based on cases studies of the introduction of video surveillance cameras in public spaces, we ask how this will affect relations between the state and citizens and levels of civility. Prudence is in order. Installation of cameras in the vehicles of Geneva’s public transportation system, for example, was part of the company’s reworked security policy. We now see at one and the same time phenomena that destabilise self-regulation of citizens’ behaviour in public places and efforts to reintroduce social cohesion. Our approach allows us to conclude with a reminder that video surveillance is more a technique for disciplining territory than people.
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Gérer les risques avec les jeunes : État, cultures jeunes et (in)civilité
Loïc Lafargue de Grangeneuve
pp. 141–150
AbstractFR:
Si les jeunes se retrouvent sur le banc des accusés lors des débats sur l’insécurité, leurs pratiques culturelles sont également incriminées : c’est le cas, en France, de la culture hip-hop et des rave parties. Pourtant, il existe des formes de civilité « spontanée » à l’oeuvre dans ces pratiques, que l’État reconnaît et soutient progressivement. Le paradoxe est saisissant : d’un côté, l’État contribue à produire une demande de sécurité en investissant le domaine culturel et participe de la stigmatisation de la jeunesse ; de l’autre, l’État encourage certaines de ces pratiques dans l’optique d’une gestion des risques : risque d’exclusion sociale et territoriale, risque sanitaire, risque environnemental.
EN:
Youth often stand accused in debates about insecurity, and their cultural practices are also incriminated. This is the case for hip-hop culture and raves in France. Nonetheless, there are forms of “spontaneous” civility in these practices, ones that the state recognises and increasingly supports. There is a striking paradox. On the one hand the state contributes to demands for security, by investing in the cultural field and stigmatising youth. On the other the state encourages certain practices, in order to manage risks such as the risk of social exclusion, health risks, and environmental risk.
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Quelle gestion des incivilités dans les entreprises accueillant du public ?
Pascal André, Sophie Beauquier and Catherine Gorgeon
pp. 151–162
AbstractFR:
La notion d’incivilité regroupe un très large éventail de conduites : indifférence, impolitesse, dégradations, agressivité verbale. Les espaces publics de la Société nationale des Chemins de fer (SNCF) comme ceux de La Poste sont des lieux de brassage social, d’attente prolongée, de mélange entre besoins individuels et traitement de masse. La qualité de service y est intimement liée à la qualité du lien social. Les salariés de ces entreprises font remonter régulièrement le poids croissant des incivilités dont ils sont les témoins ou l’objet. Face à ces actes problématiques, la SNCF et La Poste ont engagé des travaux de recherche analysant les facteurs de dégradation et les leviers de régulation de la civilité dans leurs espaces.
EN:
Incivility covers a wide range of behaviours – indifference, rudeness, insults, verbal aggression. The public spaces of the railways [SNCF] and the post office are places of social encounter, long waits, and a mix of mass treatment and individual needs. The quality of service is intimately linked to the quality of social ties. Employees in these companies must regularly overcome an increasing burden of incivilities of which they are the object or a witness. Faced with such problem behaviours, the railway companies and the postal service are engaged in research to analyse the factors that account for this degradation and the mechanisms for regulating civility in their public spaces.