McGill Law Journal
Revue de droit de McGill
Volume 63, Number 3-4, March–June 2018
Special Double Issue
Numéro double spécial
Table of contents (13 articles)
Volume 63(3)
Articles
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Droit et culture : une approche distributive de l’identité
Pascale Fournier
pp. 441–486
AbstractFR:
Quand des couples pratiquants juifs ou musulmans se marient dans des pays occidentaux, les cérémonies comprennent souvent un aspect civil et un aspect religieux, ce qui les place à la fois dans un espace culturel et juridique unique. Selon les lois religieuses, les époux et les épouses ont généralement des droits et des responsabilités distincts au sein du mariage. Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que la littérature abonde au sujet des effets différenciés selon le sexe du droit de la famille religieux dans les pays occidentaux. Il serait pertinent de voir quelle est la réalité vécue par les femmes dans le cas d’un mariage ou d’un divorce, qu’il soit civil ou religieux. Est-ce que les règles dictées par la religion interagissent avec le droit civil de manière à permettre aux femmes d’accéder à des recours juridiques? Ou leur imposent-elles davantage de restrictions?
Cet article vise à examiner le rôle réel des règles religieuses dans la vie sociale des sujets de droit et à évaluer leur interaction avec le droit civil dans un contexte comparatif et transnational. Pour ce faire, j’ai rassemblé des témoignages de femmes qui ont vécu des divorces civils et religieux en tant qu’actrices sociales. Si le droit et la culture sont des espaces sociaux contestés, ces réalités peuvent tout de même coexister et permettre aux femmes de minorités religieuses de tirer certains avantages, y compris dans un contexte laïque. En se basant sur des enquêtes sociojuridiques menées sur le terrain auprès de femmes juives et musulmanes qui ont vécu des divorces religieux et civils, en Angleterre et en France, cet article utilise le vocabulaire et les fondements théoriques du droit comparatif et des théories du transsystémisme pour mettre en lumière le pouvoir et la connaissance des femmes en lien avec le divorce. Ce texte, au regard critique, a pour objectif d’amener les nations occidentales à réfléchir et à participer à l’élaboration de politiques plus légitimes et uniformes que celles qui existent à l’heure actuelle.
EN:
When Jewish or Muslim practicing couples marry in Western countries, the ceremonies are often comprised of civil aspect and religious elements, which places them in both a unique cultural and legal space. According to religious laws, husbands and wives generally have distinct rights and responsibilities within the marriage. In this context, it is hardly surprising that the literature abounds about the gender-differentiated effects of religious family law in Western countries. It would be relevant to see what is the reality experienced by women in the case of a marriage or divorce, whether civil or religious. Do the rules dictated by religion interact with the civil law so as to allow women to have access to legal remedies? Or do they impose more restrictions on them?
This article aims to examine the real role of religious rules in the social life of legal subjects and to assess their interaction with civil law in a comparative and transnational context. To do this, I collected testimonials from women who have experienced civil and religious divorces as social actors. If law and culture are contested social spaces, these realities can still coexist and allow women of religious minorities to reap some benefits, including in a secular context. Based on on-the-ground, socio-legal surveys of Jewish and Muslim women who have experienced religious and civil divorces in England and France, this article uses the vocabulary and theoretical underpinnings of comparative law and theories of transsystemia to highlight the power and knowledge of women in connection with divorce. This text, with a critical eye, aims to have Western nations reflect on and participate in the development of more legitimate and uniform policies than those that currently exist.
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La compétence concurrente en matière d’immigration : rendre aux provinces canadiennes ce qu’elles ont perdu
Jesse Hartery
pp. 487–551
AbstractFR:
Ce texte porte sur l’interprétation des compétences concurrentes prévues à l’article 95 de la Loi constitutionnelle de 1867, disposition qui prévoit que « le parlement du Canada pourra de temps à autre faire des lois relatives à l’agriculture et à l’immigration ». L’analyse démontre que les tribunaux semblent ne pas tenir compte de la présence de l’expression « de temps à autre », qui limite l’exercice des compétences fédérales par le Parlement central. Cela a mené à une vision restreinte du pouvoir des législatures provinciales de légiférer dans leurs domaines de compétence. Le texte suggère qu’il devrait y avoir une démarcation entre la compétence fédérale et la compétence provinciale en matière d’immigration, et ce, à la lumière d’une interprétation littérale de l’article 95 informée par le contexte historique. Enfin, le texte propose une analyse qui permettrait de revisiter les précédents pertinents, tout en suggérant un nouveau cadre pour donner effet aux compétences concurrentes à l’avenir.
EN:
This article deals with the interpretation of concurrent powers under section 95 of the Constitution Act, 1867, which provides that “the Parliament of Canada may from Time to Time make Laws in relation to Agriculture [...] and Immigration”. The analysis demonstrates that courts seem to disregard the presence of the expression “from Time to Time”, which limits the exercise of the federal powers by the central Parliament. This has led to a narrow view of the power of provincial legislatures to legislate in their spheres of jurisdiction. The article suggests that there should be a demarcation line between federal and provincial jurisdiction over immigration in light of a textual interpretation of section 95 informed by the historical context. Finally, the article proposes an analysis that would permit the reconsideration of the relevant precedents, while suggesting a new framework to give effect to the concurrent powers in the future.
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Is “Truthtelling” Decontextualized Online Still Reasonable? Restoring Context to Defamation Analysis in the Digital Age
Karen Eltis
pp. 553–583
AbstractEN:
This paper proposes to re-orient cyber defamation analysis towards a Civilian approach, whose hallmark flexibility and adaptability lends itself particularly well to the digital age. Indeed, harnessing the ordinary rules of negligence, and—in principle—foregoing defences, the Civilian construction is chiefly interested in the contextual reasonableness of the impugned expression (rather than in its truth or falsity strictly speaking), in contradistinction to its somewhat categorical Common Law counterpart. It is therefore recommended that defamation law evolve towards a “negligence standard” in common law parlance. Plainly put, this would require the plaintiff to make a showing of the contextual unreasonableness of impugned speech, an analysis which subsumes truthfulness and obviates the need for defences, this comporting with constitutional imperatives.
Moreover and compounding the importance of revisiting the matter, “in a world where boundaries are porous and shifting” — and data is global, a cyber-publication in one jurisdiction may be read and reposted anywhere in the world, thereby potentially causing reputational harm transcending traditional or national parameters. Therefore, enforcing rights flowing from conduct originating outside of Canada increasingly preoccupies our courts who are gradually fearful of losing the ability to enforce local norms and policy or rectify domestically felt harm originating elsewhere. This preoccupation with “judicial helplessness” in Internet cases is evidenced by the notably liberalized jurisdiction test in Goldhar and Black inter alia and by two landmark cyber jurisdiction oriented cases handed down by the Supreme Court of Canada in 2017 alone. It is therefore essential to at least summarily address the jurisdiction question—if we are to have a true contextual understanding of cyber defamation as recommended herein.
FR:
Cet article aborde une proposition visant à modifier l’orientation prise par le droit relatif à la cyberdiffamation actuellement en vigueur en Common law vers une approche qui s’apparente à celle de la tradition civiliste, dont la flexibilité et l’adaptabilité se prêtent particulièrement bien aux particularités de l’ère numérique. En effet, en s’appuyant sur les règles de droit commun se rapportant à la négligence et — en principe — sur les défenses qui s’y rapportent, l’approche civile s’intéresse principalement au caractère raisonnable et contextuel de l’expression potentiellement diffamatoire (plutôt qu’à sa vérité ou à sa fausseté à proprement parler), ce qui la distingue du caractère quelque peu catégorique de l’approche de Common law. Il est donc recommandé que le droit de la diffamation évolue vers un « standard de négligence » pour reprendre le langage de droit commun. Pour clarifier, cela obligerait un demandeur de démontrer le caractère déraisonnable tiré du contexte du discours contesté, une analyse qui présume la véracité et évite le besoin d’établir des moyens de défense, le tout conforme aux impératifs constitutionnels.
De plus, il faut considérer qu’un une cyber-publication dans un pays peut être lue et re-publiée n’importe où dans le monde, causant ainsi potentiellement un préjudice à la réputation qui transcende les limites traditionnels ou nationaux. Ce faisant, il est d’autant plus important de reconsidérer ce domaine du droit à la lumière « d’un monde où les frontières sont poreuses et changeantes » — et où les données sont globalisée. Par conséquent, la mise en application des droits qui découleraient de faits ou gestes posés à l’extérieur du Canada préoccupe de plus en plus les tribunaux, qui craignent peu à peu de perdre leur capacité d’appliquer les normes et politiques locales ou de réparer localement des préjudices survenus d’ailleurs. Cette préoccupation relative à l’« impuissance judiciaire », qui tend à paraître lorsqu’il est question de décisions judiciaires relatives à l’internet, est illustrée par le test de compétence libéralisé des jugements Goldhar et Black, entre autres décisions, et par deux affaires historiques relatives à la cyber-juridiction, tranchées par la Cour suprême du Canada en 2017. Il est donc essentiel de traiter au moins de manière sommaire la question de la compétence — si nous voulons avoir une véritable compréhension contextuelle de la cyber diffamation comme le recommande le présent article.
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David a déjà vaincu Goliath ... L’efficacité de la protection contre les clauses abusives selon un paradigme de prévention : inspirations du droit belge
Marie Annik Grégoire and Andrée Puttemans
pp. 585–619
AbstractFR:
Avec la standardisation et la multiplication des contrats d’adhésion et de consommation, les clauses abusives et illégales pullulent dans ces contrats. Une brève analyse de la situation en droit québécois permet de constater que, malgré les dispositions impératives prévues au Code civil du Québec et de la Loi sur la protection du consommateur pour régir et exercer un certain contrôle sur ces contrats, les clauses illégales ou abusives ne cessent de se multiplier. Une iniquité processuelle peut probablement expliquer ce phénomène : le consommateur québécois est plus ou moins laissé à lui-même pour tenter de neutraliser de telles clauses. La stratégie adoptée par le législateur québécois est réactive plutôt que proactive, en ce qu’elle oblige le consommateur à défendre ses droits en réaction à une atteinte et néglige des recours préventifs qui permettraient de combattre, à la source, ce type de clause. Pourtant, de tels recours préventifs existent en Europe et notamment en Belgique. Le présent article a donc pour objectif d’analyser et de critiquer la situation actuelle au Québec quant aux recours offerts aux consommateurs à l’encontre des clauses illégales et abusives et de proposer, à la lumière du droit belge, un nouveau recours au caractère plus général et préventif.
EN:
With the standardization and multiplication of adhesion and consumer contracts, unfair and illegal clauses have come to abound in these contracts. Here, a brief analysis of the situation in Quebec law reveals that, despite imperative provisions found in the Civil Code of Québec and the Consumer Protection Act whose purpose is to regulate and exercise some control over these contracts, illegal or abusive clauses are increasing. A procedural inequity may possibly explain this phenomenon: the Quebec consumer is more or less left on his or her own to try to invalidate such clauses. The strategy adopted by the Quebec legislature is reactive rather than proactive, in that it forces the consumer to defend his rights in response to an attack, neglecting preventive remedies that would make it possible to fight, at the source, this type of clause. Such preventive remedies exist, however, in Europe and, in particular, in Belgium. The purpose of the present article is therefore to analyze and criticize the current situation in Québec regarding remedies made available to consumers against illegal and abusive clauses and to propose, in the light of Belgian law, a new recourse of a more general and preventive character.
Volume 63(4). Special Issue. Fiduciaries of Humanity and International Law / Numéro Spécial. Fiduciaires de l’humanité et droit international
Articles
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Preface: The Worlds of Fiduciary Theory
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Explaining International Acts
Chimène I. Keitner
pp. 649–675
AbstractEN:
This contribution to the symposium on Evan Criddle & Evan Fox-Decent’s “Fiduciaries of Humanity” pushes against the strong claim by some critics that international legal norms are concerned solely with outcomes, rather than with processes of deliberation and justification more commonly associated with certain areas of domestic law. It explores this proposition by looking at examples including the 1999 Kosovo intervention, the April 2018 Syria strikes, and the results of the Chilcot Inquiry in the United Kingdom. Although deliberative processes that lead to international acts may not be judicially reviewable to the same extent as those that lead to purely domestic acts, the push for “transparency” among domestic constituencies, as well as other oversight mechanisms, create ex ante incentives for integrity in decision-making processes and rationales in the conduct of foreign affairs. In addition, ex post explanations of international acts may themselves carry legal significance as expressions of a state’s opinio juris. Scholars and practitioners should not discount the “culture of justification” that exists at the international level, even outside international courts and tribunals.
FR:
Cette contribution au symposium portant sur l’ouvrage de Evan Criddle et Evan Fox-Decent, « Fiduciairies of Humanity », se positionne à l’encontre de la revendication de certains critiques voulant que les normes juridiques internationales se préoccupent uniquement des résultats, plutôt que du processus de délibération et de justification plus souvent associé à certains domaines du droit interne. L’article explore cette proposition en se référant à des exemples, notamment l’intervention au Kosovo de 1999, les frappes en Syrie d’avril 2018 et les résultats de la Commission Chilcot au Royaume-Uni. Bien que les processus de délibération menant à l’élaboration de lois internationales ne puissent être assujettis à une révision judiciaire au même titre que les lois purement internes, la volonté d’assurer une forme de « transparence » au sein des constitutions intérieures ainsi que les autres mécanismes de surveillance créent des incitatifs ex ante pour assurer l’intégrité des processus de décision et des justifications dans la conduite des affaires étrangères. De plus, les explications a posteriori des lois internationales peuvent elles-mêmes contenir une signification juridique en tant qu’expression de l’opinio juris de l’État. Les académiciens et les praticiens ne devraient pas ignorer la « culture de justification » qui existe au niveau international, même hors des cours et tribunaux internationaux.
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Extra-Territorial “Fiduciary” Obligations and Ensuring Respect for International Humanitarian Law
Kimberley N. Trapp and Edmund Robinson
pp. 677–700
AbstractEN:
Respect for human rights is often understood to be in tension with a robust approach to protecting human security (both within a single state’s territory and across territorial boundaries). Principles like those which form the basis of Fox and Criddle’s fiduciary theory of sovereignty—such as non-instrumentalization and non-domination—may suggest an approach to balancing these competing interests, but not necessarily with the specificity and detail required of particular legal contexts. This article seeks to explore an alternative route to balancing these competing interests—one which draws on positive international law. The context for this exploration is that of ‘asymmetrical self-defence,’ taking the quintessential threat to both human rights and human security, in the form of armed conflict, as its case study. Where states provide support to participants in armed conflicts occurring on the territory of other states, they potentially increase the risks to those caught up in the conflict, raising important questions as to the nature, basis and content of the international legal duties associated with their support. It is argued that Common Article 1 of the Geneva Conventions, risk related human rights obligations (like that of non-refoulement) and the Arms Trade Treaty are the positive law basis for obligations Fox and Criddle otherwise characterize as fiduciary. These frameworks provide much more of the detail required for effective regulation, such as obligations to be informed, the permissibility or otherwise of balancing other interests against the risk of IHL breaches, and the differentiated treatment of risks to jus cogens compliance.
FR:
Le respect des droits de l’homme est souvent présenté comme étant en conflit avec une approche dite robuste don’t la visée serait la protection de la sécurité des personnes (à la fois sur le territoire d’un État et au-delà de ses frontières). Des principes tels que ceux sur lesquels s’appuie la théorie de la souveraineté fiduciaire de Fox et Criddle — pensons à la non-instrumentalisation et la non-domination — peuvent suggérer une approche qui équilibrerait ces intérêts concurrents, mais pas nécessairement avec la spécificité et les détails requis de contextes juridiques particuliers. L’object de cet article est d’explorer une autre piste de réflexion pour parvenir à l’équilibre de ces intérêts concurrents - une voie qui s’appuie sur le droit international positif. Le contexte de cette exploration est celui de la « légitime défense asymétrique », prenant pour exemple la menace par excellence pour les droits de l’homme et la sécurité humaine qu’est celle du conflit armé. Lorsque les États apportent un soutien aux participants à des conflits armés survenant sur des territoires étrangers, leurs gestes peuvent potentiellement accroître les risques pour ceux qui sont impliqué dans le conflit, ce qui soulève d’importantes questions quant à la nature, au fondement et au contenu des obligations juridiques internationales associées à leur soutien. L’article 1 des Conventions de Genève, les obligations en matière de droits de l’homme (telles que celles de non-refoulement) et le Traité sur le commerce des armes forment un fondement juridique de droit positif pour les obligations que Fox et Criddle caractérisent comme étant fiduciaires. Ces cadres fournissent davantages de détails qui sont nécessaires pour la réglementation efficace des situations considérées, pensons aux obligations d’information, la possibilité ou non d’établir un équilibre entre d’autres intérêts et le risque de violations du DIH, et le traitement différencié des risques pour le respect du jus cogens.
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In Praise of Jus Cogens’ Conceptual Incoherence
Jens David Ohlin
pp. 701–726
AbstractEN:
The most compelling account of jus cogens is that it flows from natural law and constitutes the “ethically minimum” content of international law. Although natural law was once considered an acceptable and obvious approach to jurisprudence, its significance has waned at the expense of legal positivism. However, the hierarchical quality of jus cogens is best explained by some element of natural law—and its explicit invocation of moral content—rather than anything one might find in legal positivism. Of course, international lawyers have persistently refused to recognize the latent naturalism within jus cogens. While rueful from the point of view of legal theory, the obfuscation was nonetheless essential for jus cogens to succeed. In an alternate world where jus cogens was correctly viewed as a vestige of natural law, modern international lawyers would never have accepted it. One might lament the failure to recognize the natural law origins of jus cogens because it hampered the development of standards for identifying which legal norms counted as jus cogens. However, no account of jus cogens offers compelling, unambiguous criteria, and second, the lack of clarity on its criteria was a good price to pay in exchange for the legal category’s widespread adoption. In the end, the notion that jus cogens is consistent with international law’s legal positivism was a useful fiction, a “noble lie” that gave us modern human rights law.
FR:
L’aspect le plus marquant du jus cogens est qu’il est un dérivé de la justice naturelle et qu’il constitue le contenu éthique minimal en droit international. Malgré que la justice naturelle ait été, à une certaine époque, considérée par la jurisprudence comme une approche acceptable et convaincante, son importance s’est depuis érodée au profit du droit positif. Toutefois, la qualité hiérarchique du jus cogens peut être mieux illustrée par l’entremise de certains éléments tirés du concept de la justice naturelle — et par sa référence explicite à un contenu moral — plutôt que tout autre aspect que l’on puisse trouver auprès du droit positif. Bien sûr, les avocats internationaux ont refusé véhémment de reconnaitre le naturalisme latent du jus cogens. Bien que regretté par les théoriciens juridiques, cet obscurantisme fut pourtant essentiel à la percée du jus cogens. Dans un monde parallèle où le jus cogens aurait été validement perçu comme un vestige de la justice naturelle, les avocats oeuvrant dans le droit international moderne ne l’auraient jamais accepté. Certains se lamenteront de l’échec de la reconnaissance de la justice naturelle comme fondement du jus cogens puisque ceci a freiné le développement de standards permettant d’identifier les différentes normes juridiques faisant partie du jus cogens. Toutefois, aucun aspect du jus cogens n’offre de critères clairs et convaincants. De plus, le manque de clarté de ses critères aurait été le prix à payer en échange de l’adoption généralisée des catégories juridiques. Au final, la notion voulant que le jus cogens soit cohérent avec le positivisme juridique du droit international fut une fiction bien utile, un « noble mensonge », qui a donné naissance à la version moderne des droits de l’Homme.
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The Private Law State
Seth Davis
pp. 727–763
AbstractEN:
What legal duties do states owe those subject to their power? Typically, we look to public law to answer this question, defining the powers and duties of governments through constitutional law, administrative law, and international law, which we distinguish from the private law of contracts, property, and tort. It was not always this way, however. Recently, moreover, scholars are again looking to private law doctrines, concepts, and techniques to think about the powers and duties of states. It is a particularly promising moment for private law thinking about the state. The emergence of the “new private law,” as well as the “new legal criticism,” have enriched conceptual analysis and normative debate in private law. Against this backdrop, scholars have turned to private law to think about the powers and duties of states in public law.
This Article, occasioned by a symposium on Evan Criddle and Evan Fox-Decent's groundbreaking Fiduciaries of Humanity, takes stock of the private law state. It offers a qualified defense of private law theorizing about state powers and duties. The defense is that private law provides a set of lawyerly techniques for principled normative judgment in a plural world. The qualification is that private law cannot itself determine the solution to normative problems that it itself contains. Thinking about the state in terms of private law offers a way of recapturing normativity for public law, that is, a way of developing a moral brief against conceptions that place state sovereignty outside the rule of law. This transformation is as much as cultural and political as it is doctrinal and conceptual. The project of the private law state would, therefore, be significantly enriched by a critical engagement with the culture of legal practice and the limits of its political vision.
FR:
Quelles sont les obligations légales des États envers les sujets soumis à leur pouvoir? En règle générale, notre instinct est de se référer au droit public pour répondre à cette question, en définissant les pouvoirs et les obligations des gouvernements par le biais du droit constitutionnel, du droit administratif et du droit international, que nous distinguons du droit privé des contrats, de la propriété et de la responsabilité. Cela n’a pas toujours été ainsi, cependant. Récemment, les chercheurs se tournent de nouveau vers des doctrines, concepts et techniques issus du droit privé pour réfléchir aux pouvoirs et aux devoirs des États. Nous sommes dans un moment qui semble particulièrement prometteur en ce qui attrait à la réflexion sur le droit privé et son rapport à l’État. L’émergence de ce « nouveau droit privé », ainsi que de la « nouvelle critique juridique », ont enrichi l'analyse conceptuelle et le débat normatif en droit privé. Dans ce contexte, les spécialistes se sont tournés vers le droit privé pour réfléchir aux pouvoirs et obligations des États en droit public.
Cet article, présenté à l’occasion d’un symposium sur le livre avant-gardiste d’Evan Criddle et d’Evan Fox-Decent, Fiduciaries of Humanity, dresse un bilan de cette idée d’État de droit privé. Il offre une défense qualifiée du droit privé théorisant sur les pouvoirs et les devoirs de l’État. C’est une défense qui postule que le droit privé fournit un ensemble de techniques juridiques permettant un jugement normatif fondé sur des principes qui s’accorde aux exigences d’un monde pluraliste. Cette qualification fait la proposition que le droit privé ne peut pas lui-même déterminer la solution aux problèmes normatifs qu’il contient. Penser l’État en termes de droit privé offre un moyen de retrouver la normativité du droit public, c’est-à-dire un moyen d’élaborer un mandat moral contre ces conceptions qui placent la souveraineté de l’État hors de la portée de l’État de droit. Cette transformation est autant culturelle et politique que doctrinale et conceptuelle. Le projet de l’État de droit privé s’en trouverait donc considérablement enrichi par un engagement critique en faveur de la culture de la pratique juridique et des limites de sa vision politique.
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The Internal Morality of International Law