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Notre article se concentre sur l’étude de deux gravures de l’ouvrage West India Scenery dans lequel l’auteur, Richard Bridgens, a représenté des esclaves—dont certains récemment affranchis—qui sont punis pour avoir mangé de la terre et s’être intoxiqués. Bridgens désigne la consommation de terre comme une dépendance et une maladie en même temps, sans se donner la peine d’expliquer pourquoi les esclaves buvaient au point de s’intoxiquer, ni pourquoi l’ivresse était considérée comme punissable dans le contexte de la traite transatlantique des esclaves. Nous défendons l’idée que tant l’intoxication que la consommation de terre étaient des actes de résistance de la part d’esclaves qui ne contrôlaient leur propre corps que de façon limitée. Au dix-neuvième siècle, Bridgens n’est pas le seul propriétaire d’esclaves à assimiler ces attitudes rebelles à des maladies et des dépendances. Notre hypothèse est que les Américains et les Européens ont utilisé cette stratégie représentationnelle pour trouver une explication au fait de manger de la terre ainsi qu’aux tentatives d’échapper à l’esclavage : les concepts de maladie et de dépendance leur permettaient de renvoyer ces attitudes de résistance du côté de l’irrationnel plutôt que de les reconnaître comme des signes de connaissance et de contrôle de leur propre corps par les esclaves. La mise en exergue des lacunes, inconsistances, doutes et aveux d’ignorance qui caractérisent le texte de Bridgens ouvre la perspective et pousse les chercheurs à questionner ce que ses choix esthétiques révèlent sur sa vision biaisée de l’esclavage. La lecture critique des images et du texte met aussi en évidence les problèmes surgissant lorsque les représentations de l’esclavage sont appréhendées comme des récits historiques exacts.
La question qui subsiste est alors celle-ci : si les faits textuellement rapportés par Bridgens dans West India Scenery sont incorrects ou inexacts, quels éléments de sa représentation visuelle devraient-ils être considérés comme incorrects ou inexacts ?