Volume 38, Number 2, 2008
Table of contents (10 articles)
Séminaire : Terminologie et modèles propriétaires au XXIe siècle
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Terminologie et modèles propriétaires au XXIe siècle : propos introductif
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Du droit de superficie à la propriété superficiaire
Sylvio Normand
pp. 233–258
AbstractFR:
Le droit civil québécois a, assez tôt, reconnu qu’en entravant le fonctionnement normal de la règle de l’accession, il était possible de provoquer la dissociation juridique d’un immeuble. Si l’appellation de « droit de superficie » a rapidement fait l’unanimité, la nature de ce droit a longtemps divisé la communauté juridique. Alors que certains y ont vu un droit de propriété, d’autres ont préféré y reconnaître un simple démembrement. La présence d’un droit de propriété et d’un droit accessoire explique qu’il ait aussi été présenté comme un droit mixte. À la faveur de la récente recodification du droit civil, le législateur a retenu, après quelques tergiversations, l’appellation de « propriété superficiaire » et rattaché la nouvelle institution à la notion de modalité de la propriété (art. 1009 C.c.Q.). La solution retenue, qui s’inscrit dans un objectif de modernisation du droit des biens, soulève tout de même des interrogations. Loin d’être un simple changement de terminologie, le choix du législateur pourrait avoir pour conséquence de bouleverser certains fondements du droit des biens.
EN:
Quebec civil law recognised, relatively early, that by restraining the regular rules of accession, it was possible to juridically dissociate an immovable. Though the appellation "right of superficies" was rapidly adopted by all, the juridical nature of this right was the subject of much debate in the legal community. While some qualified it as a property right, others believed it was a mere dismemberment. The presence of a property right alongside an accessory right also explains why the right of superficies has been presented as a mixed right. Taking advantage of the recent recodification, the legislator has, after some hesitation, retained the appellation "superficies" and deemed this institution a special mode of ownership (s. 1009 C.C.Q.). This solution, though aiming at the modernisation of property law, nonetheless raises questions. Far from being a simple terminological change, the legislator's choice may have shattered some foundations of property law.
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Propriété : un acte de foi ?
Pierre-Emmanuel Moyse
pp. 259–279
AbstractFR:
Il est difficile de définir le droit de propriété. Quelle que soit la façon dont on l’aborde, le discours juridique se perd dans la recherche de sa justification, de son origine ou encore dans l’examen de sa nature. Il s’épuise dans la philosophie, dans les sciences économiques et dans le langage. Au point, d’ailleurs, où l’on pourrait se demander si la propriété n’est pas un acte de foi, une idée à laquelle nous croyons sans éprouver la nécessité de vérifier la véracité de tous ses éléments constitutifs. Si l’on s’en tient au langage de la propriété, on s’apercevra qu’elle est modelée par les métaphores. Ces métaphores, celle de la propriété absolue, par exemple, ou celle de la propriété naturelle encore, constituent autant de fausses représentations sur lesquelles le droit s’est construit. La manipulation du sens du mot « propriété » à laquelle cette imagerie du droit participe est particulièrement saillante dans la formation des droits de propriété intellectuelle.
EN:
What is property? Which ever way one approaches the subject, the judicial discourse is lost within the search of its justification, its origin, or even within the analysis of its very nature. It loses itself in other social sciences, such as philosophy, economics and linguistics—to the point, for that matter, where one might ask oneself if it is not simply an act of faith, that is, an idea in which one believes without feeling the necessity to examine the truth of all of its constituting elements. If we adhere to the language of property, we can see that it is modeled by metaphors. Such metaphors, that of absolute property, for example, or even that of natural property, constitute as many false representations as those upon which the law has been built. The manipulation of the meaning of the word "property," in which this imagery of law takes part, is striking in the development of intellectual property rights.
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Notions juridiques du patrimoine et de la création : les entrelacs
Marie Cornu
pp. 281–302
AbstractFR:
Le droit de la création et le droit du patrimoine se distinguent non seulement dans leur relation au droit des biens, mais aussi dans le déploiement de critères propres. Pour autant les deux univers ne sont pas étrangers l’un à l’autre. Si tout bien culturel n’est pas nécessairement oeuvre ou, symétriquement, si toute oeuvre n’est pas appelée à devenir bien culturel, il y a d’évidence un point d’intersection, un patrimoine commun. La dimension personnelle tient une place centrale dans la qualification de l’oeuvre de l’esprit, là où le droit du patrimoine prend pour pivot la valeur culturelle construite principalement autour de l’intérêt historique du bien, dans une approche plus objective consolidée par le temps. On peut voir une sorte de continuum entre l’oeuvre perçue d’abord comme création de l’esprit, puis admise dans le cercle des biens culturels. Pourtant, le droit du patrimoine protège de plus en plus tôt et simultanément, le droit de la création étend son emprise sur une durée plus longue. Servant des intérêts distincts — celui de l’auteur pour l’un, celui de la collectivité pour l’autre — ces modes de protection pourtant poursuivent des finalités communes, tous deux en quête de l’intégrité des œuvres, d’une certaine façon de leur intangibilité. Ils ont donc une proximité fonctionnelle consolidée par l’évolution de leur rapport au temps. Les critères d’élection, quoique distincts, tendent aujourd’hui à se rapprocher. Le présent article se propose d’identifier les points de contact et d’explorer l’influence réciproque du droit d’auteur et du droit du patrimoine.
EN:
Copyright law and cultural heritage law differ not only in their relationships to property law but also in the specific criteria of their applicability. That being said, the two fields are not mutually exclusive. Although not all cultural objects necessarily constitute works, and, conversely, not all works will necessarily attain the status of cultural property, there nevertheless remains a point of intersection, a shared heritage. The personal dimension is of central importance in characterizing works of the spirit, while heritage law hinges on cultural value, primarily constructed from an object's historical interest, applying a more objective approach supported by the passage of time. We can observe a continuum of sorts from the time the work is first perceived as a creation of the spirit to the time it is granted cultural property status. However, cultural heritage law offers protection earlier and earlier; at the same time, creation law is extending its reach over a longer period. Although they serve different interests—those of the author, on the one hand, and those of society, on the other—these modes of protection nevertheless have a common purpose: both attempt to attach to the integrity of works, to some extent their intangible aspects. Thus they have a functional proximity evidenced by their evolving relationships to time. Distinct as they are, the two sets of selection criteria are increasingly tending toward one another. This article purports to identify the contact points between cultural heritage law and copyright law and explore the influence of these fields on one another.
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Domaine, propriété, droit de propriété. Notes sur l'évolution du vocabulaire du droit français des biens
Laurent Pfister
pp. 303–338
AbstractFR:
Alors qu’étymologiquement, le mot domaine (dominium) signifie la puissance de la personne sur les choses et le mot propriété (proprietas), l’objet soumis au domaine, c’est pourtant le second qui a été retenu par les artisans de la codification du droit privé français pour désigner le « droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue ». La variation de sens entre les étymons et le vocabulaire législatif français invite à se pencher sur révolution sémantique de domaine et de propriété depuis leur apparition dans la langue française et à s’interroger notamment sur les motifs qui ont dicté le choix terminologique de l’article 544 du Code civil. Le premier constat est la polysémie acquise par le terme propriété, inscrite dans le Code civil et aujourd’hui encore de mise. En effet, s’il conserve un sens objectif si la propriété continue de désigner la chose appartenant en propre à quelqu’un, le mot s’enrichit aussi sous l’ancien droit d’une acception subjective, voire d’une dimension potestative. Résultat en partie de l’élaboration du concept de droit subjectif, le fait que la propriété exprime l’appropriation sous l’angle actif du sujet propriétaire ne suffit pas à expliquer la consécration du mot dans l’article 544. Les principales significations acquises avant la Révolution par le mot domaine y sont aussi pour beaucoup. En effet, son sens premier de héritage, fonds, son sens absolu de biens publics, son pouvoir d’évocation de la féodalité témoignent de son incompatibilité avec l’idée d’un droit du particulier de disposer de ses choses.
EN:
Whereas etymologically, the word domaine (dominium) means the power of the person on the things and the word propriété (proprietas), the object subjected to the domaine, it is however the second who was retained by the craftsmen of the French private law codification to indicate the "right to enjoy and dispose of things in the most absolute manner". The variation of meanings between etymons and French legislative vocabulary invites to consider the semantic evolution of domaine and propriété since their appearance in the French language and to wonder particularly about the reasons which dictated the terminological choice of section 544 of the Civil Code. The first report is the polysemia acquired by the term propriété, registered in the Civil Code and today still of setting. Indeed, if it preserves an objective meaning, if propriété continues to indicate the thing belonging to somebody, the word also grows rich under the Ancien Régime of a subjective meaning, even of a potestative dimension. Result partly of the development of the concept of subjective right, the fact that propriété expresses the appropriation under the active angle of the subject owner is not enough to explain the consecration of the word in section 544. The main significances acquired by the word domaine before the French Revolution are there also for much. Indeed, its first meaning of good, estate, its absolute meaning of public goods, its capacity of evocation of feudality testify to its incompatibility with the idea of a right of the private individual to dispose of his things.
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Regard civiliste sur le droit des biens de la common law : pour une conception transsystémique de la propriété
Yaëll Emerich
pp. 339–377
AbstractFR:
Le droit civil et la common law sont souvent vus comme fournissant des modèles propriétaires largement différents. D’un côté, une propriété absolue, analysée en un droit réel à objet matériel, de l’autre, une propriété essentiellement divisible et relative, un bundle of rights susceptible de porter sur un objet matériel ou immatériel. Cet article tend à remettre en cause l’idée d’une opposition radicale entre le droit des biens civiliste et la common law property. La thèse défendue ici est celle d’un rapprochement possible du concept de propriété en droit civil et en common law, autour de l’idée d’une propriété relationnelle et incorporelle, laquelle pourrait fournir un point de départ pour une définition transsystémique de la propriété.
EN:
Civil law and common law are often viewed as given way to largely different proprietary models. On the one hand, absolute property, analyzed as a material-object real right; on the other, an essentially divisible and relative property, a bundle of rights susceptible of bearing on a material or immaterial object. This article seeks to question the radical opposition between the Property laws of civil and common law. The thesis advanced here is that it is possible to bring closer the concept of property in civil and common law, through the idea of a relational and incorporeal property, which could be a starting point for a transsystemic definition of property.
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Trust and Patrimony
Lionel D. Smith
pp. 379–403
AbstractEN:
The French jurist Pierre Lepaulle argued that the common law trust could be best understood, in civilian terms, as a patrimony by appropriation. This argument has been influential in some civilian receptions of the trust. In fact, Lepaulle misunderstood the nature of the common law trust, which is founded on the obligations owed by the trustee in relation to the trust property. The rights of beneficiaries in the common law trust are neither purely personal rights against the trustee, nor are they real rights in the trust property, but rather they are rights over the rights which the trustee holds as trust property; they have a proprietary character since they persist against many third party transferees of the trust property. This analysis of the common law trust leads to the conclusion that it would be a fundamental change to turn the common law trust into a legal person. More generally, it is argued that any legal system that characterizes the trust as a legal person will find that it has ceased to understand the trust as a fundamental legal institution.
FR:
Le juriste français Pierre Lepaulle prétendait que le trust de la common law pourrait être mieux compris, selon la tradition civiliste, en tant que patrimoine d’affectation. Ce point de vue a profondément influencé quelques réceptions du trust en droit civil. En fait, Lepaulle a mal compris la nature du trust de la common law, qui est fondé sur les obligations du fiduciaire concernant les biens du trust. Les droits des bénéficiaires dans le trust de la common law ne sont ni des droits purement personnels, contre le fiduciaire, ni des droits réels dans les biens du trust; ils sont plutôt des droits dans les droits détenus par le fiduciaire en tant que biens du trust. Les droits des bénéficiaires possèdent un caractère propriétaire parce qu’ils sont opposables à plusieurs tiers qui reçoivent les biens du trust. Cette analyse du trust de la common law mène à la conclusion que de transformer le trust de la common law en personne morale serait un changement fondamental. Plus généralement, il est suggéré que tout système juridique qui qualifie le trust de personne morale cesse de le voir comme une institution juridique fondamentale.
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Fruit Salad
Roderick A. Macdonald
pp. 405–452
AbstractEN:
In orthodox theory, the law of property is held to be fundamentally about the identification and protection of rights in things (corporeal property), assumed to be finite in space and infinite in time. But modern economies undermine the explanatory power of this orthodoxy four ways. First, the space of property can no longer be easily fixed once and for all. This is especially the case for incorporeals but is also true of corporeals. Second, the time of property is now understood differently. The past distinction between fruits and products has been questioned with the recognition that fruits, like products, can also diminish capital value. Third, the close association of fruits and revenues is becoming untenable. Many types of revenue actually represent the price of a partial alienation and can, consequently, be considered proceeds. Finally, developments both material (like genetic engineering) and intellectual (like moral rights) challenge the idea of property as a thing to use. While the theory of property in Book IV of the C.C.Q. continues to reflect traditional spatio-temporal assumptions, the law of secured transactions in Book VI rests on an alternative vision of property as value. This essay deploys a detailed analysis of the idea of fruits to illustrate how today the Civil Code balances distinctions between fruits, products and accessions (property as thing) on the one hand and between revenues, capital and proceeds (property as value) on the other.
FR:
Selon la théorie orthodoxe, le droit des biens touche essentiellement l’identification et la protection des droits dans les choses, les biens corporels, compris comme étant finis dans l’espace et infinis dans le temps. L’économie moderne mine cependant la force explicative de cette orthodoxie sur quatre fronts. Premièrement, l’espace des biens n’est plus immuable, fixé à jamais. Cette caractéristique, particulièrement vraie des biens incorporels, l’est également des biens corporels. Deuxièmement, la temporalité des biens est désormais comprise différemment. La distinction de jadis entre fruits et produits est donc remise en question : les fruits, autant que les produits, peuvent diminuer la valeur du capital. Troisièmement, l’alliance entre les fruits et les revenus devient indéfendable. Plusieurs types de revenus représentent en fait le prix d’une aliénation partielle et peuvent, par conséquent, être considérés comme des produits. Finalement, des développements, tant matériels (notamment génie génétique) qu’intellectuels (notamment les droits moraux) mettent à l’épreuve l’idée du bien comme une chose dont on peut faire usage. Alors que la théorie des biens du livre IV du C.c.Q. reflète toujours les présomptions spatio-temporelles traditionnelles, le droit des sûretés réelles du livre VI est plutôt fondé sur une vision alternative des biens en tant que valeur. À travers une analyse détaillée de la notion de fruit, ce texte tente de démontrer comment le Code civil équilibre les distinctions entre fruits, produits et accessions (les biens-choses), d’une part, et entre les revenus, le capital et les produits (les biens-valeurs), d’autre part.
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Translating Part of France's Legal Heritage: Aubry and Rau on the Patrimoine
Nicholas Kasirer
pp. 453–493
AbstractEN:
Reading the pages of the 19th century legal treatise written by Charles Aubry (1803-1882) and Frédéric-Charles Rau (1803-1877) on the patrimony has been, for generations, a rite of passage in French legal education. The theory of the patrimony has aptly been described as fundamental for French private law and the account given by Aubry and Rau, however distant it may be from the law in force, should be read by anyone who seeks to understand the French legal mind. Drawing on the English-language civilian vocabulary that is part of Quebec legal culture, the author offers a translation of this text by Aubry and Rau with some commentary on its canonical status in French legal letters. Even in its translated form, it offers a means for the English-speaking reader to encounter a tradition of abstract rationality in legal scholarship that is part of France's legal "heritage" (itself a French patrimoine but in another sense).
FR:
La lecture des extraits portant sur le patrimoine du traité écrit au XIXe siècle par Charles Aubry (1803-1882) et Frédéric-Charles Rau (1803-1877) constitue, depuis des générations, un rite de passage dans la formation des juristes en France. La théorie du patrimoine a très justement été décrite comme fondamentale pour le droit privé français et le récit offert par Aubry et Rau doit être lu, malgré son écart avec le droit en vigueur, par toute personne qui cherche à comprendre l’imaginaire du juriste français. S’inspirant du lexique civiliste de langue anglaise qui fait partie de la culture juridique québécoise, l’auteur présente une traduction de ce texte d’Aubry et Rau assortie de quelques commentaires sur son statut canonique dans la juridique française. Même traduit, ce texte offre au lecteur de langue anglaise une façon de prendre contact avec une tradition de rationalité abstraite dans la doctrine juridique qui participe au « patrimoine » (au sens, ici de heritage en anglais) de droit français.
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Propos de synthèse sur (biens-)fonds de patrimoine