Volume 50, Number 1, 2020
Table of contents (9 articles)
Articles
-
Repenser le secret ministériel
Yan Campagnolo
pp. 5–37
AbstractFR:
Le présent article décrit les principales lacunes du cadre législatif régissant le secret ministériel au Canada et propose des solutions pour y remédier. Une première lacune découle du caractère indéterminé du terme « renseignements confidentiels du Cabinet » aux articles 39 de la Loi sur la preuve au Canada et 69 de la Loi sur l’accès à l’information. Cela a pour conséquence de conférer à l’exécutif une vaste discrétion pour délimiter la portée de l’immunité du Cabinet. Une deuxième lacune résulte de l’absence de mécanismes de surveillance et de contrôle susceptibles d’empêcher et de corriger des revendications d’immunité potentiellement abusives de la part de l’exécutif. Sur la base du principe de la primauté du droit et d’une analyse des pratiques exemplaires dans les ressorts comparables, l’auteur formule des recommandations visant à mieux circonscrire l’immunité du Cabinet et à assujettir ses revendications à un véritable contrôle par un organisme indépendant et impartial. À cette fin, l’auteur préconise une immunité plus restreinte, fondée sur un critère de préjudice, dont la revendication pourrait uniquement se justifier à l’issue d’un examen approfondi de l’intérêt public. De plus, il insiste sur l’importance d’exclure de la portée de l’immunité les renseignements factuels et contextuels relatifs aux décisions gouvernementales ayant été rendues publiques. Finalement, il recommande de conférer aux juges et au commissaire à l’information du Canada le pouvoir d’examiner les renseignements confidentiels du Cabinet lorsque survient un différend sur la validité d’une revendication d’immunité, et d’accorder aux juges le pouvoir additionnel de contraindre la production de ces renseignements lorsque l’intérêt public le requiert.
EN:
This article describes the main shortcomings of the statutory framework regulating Cabinet secrecy in Canada and proposes solutions to address them. The first shortcoming is the indeterminacy of the term “Cabinet confidence” pursuant to sections 39 of the Canada Evidence Act and 69 of the Access to Information Act. Consequently, the executive has broad discretion to delineate the scope of Cabinet immunity. The second shortcoming stems from the absence of meaningful oversight and review mechanisms to prevent and correct possible abuses of this immunity by the executive. Based on the rule of law principle and an analysis of best practices in similar jurisdictions, the author makes recommendations to more clearly circumscribe the scope of Cabinet immunity and to ensure that claims of immunity are subject to meaningful review by an independent and impartial body. To that end, he proposes a narrower immunity, based on a criterion of injury, that could be justified only following an in-depth examination of the public interest. In addition, the author underscores the importance of excluding from the scope of the immunity any factual and contextual information underpinning government decisions that have been made public. Finally, he recommends that judges and the Information Commissioner of Canada be granted the power to examine Cabinet confidences when there is a dispute concerning the validity of a claim of immunity, and that judges be granted the additional power to compel production of those confidences when it is in the public interest.
-
Le jury de common law comme héritier du jugement de Dieu : la vérité du verdict peut-elle être motivée?
Anne-Françoise Debruche
pp. 39–94
AbstractFR:
En 1219, le jury de jugement remplace en Angleterre l’épreuve ordalique pour décider de la culpabilité en matière pénale. L’absence de motivation à l’appui du verdict rendu par le jury, qui caractérisait déjà l’ordalie (également appelée jugement de Dieu), perdure aujourd’hui dans les pays de common law comme l’Angleterre, les États-Unis ou le Canada, et la continuité historique unissant le jury à l’ordalie médiévale contribue à éclairer de manière stimulante ce trait de plus en plus controversé.
Quel rapport y a-t-il entre l’actuelle procédure par jury et le rite ordalique par l’eau ou par le feu? En quoi les remarquables similitudes qu’offrent les deux procédures, notamment en ce qui a trait à la dramatisation d’une épreuve publique, à une justice servant les intérêts des parties plutôt que ceux d’un État tout-puissant ou encore au rôle du juge dans la production de la vérité et de la nature de celle-ci, nous permettent-elles de mieux comprendre pourquoi la vérité issue du verdict continue d’être ce qu’elle a toujours été en common law : non motivée et très peu susceptible d’appel quant au fond? Bref, en quoi la splendeur, puis la chute du jugement de Dieu médiéval nous renseignent-elles sur certains traits caractéristiques de l’institution du jury aujourd’hui, y compris le caractère non motivé de ses verdicts? C’est ce que nous entendons explorer ici au regard du jury anglo-canadien contemporain.
EN:
In 1219, trial by jury replaces trial by ordeal to adjudicate criminal liability. The lack of reasons given to sustain the jury’s verdict mirrors the practice of the ordeal (also called God’s judgment) and endures to this day in common law countries such as England, the U.S. or Canada, despite an ongoing controversy. Our thesis here is that we can learn much about this “black box” practice through perusing the historical continuity between these two forms of trial, the new and the old.
How does trial by jury relate to trial by water (or by fire)? Procedural similarities are striking. Both represent the dramatization of a public “ordeal”; both rely on proceedings attuned to the interests of the parties instead of those of an all-powerful State; both imply a certain role for the judge in terms of the construction of the truth, and the nature of this truth. But how do these similarities help explaining why the truth of the verdict continues to be today what it has always been: without given reasons and very difficult to upset through an appeal? In other words, what we explore here is how the rise and fall of the medieval judgment of God can contribute to a better understanding of the modern institution of the jury in England and Canada, including the lack of reasons still characterizing its verdicts.
-
Étude comparative des programmes canadiens de mesures de rechange ou comment favoriser le désengorgement des tribunaux
Julie Desrosiers, Catherine Rossi, Maude Cloutier, Vicky Brassard and Alexandre Béland-Ouellette
pp. 95–150
AbstractFR:
Les mesures de rechange permettent de répondre à la commission d’une infraction sans recourir au système de justice criminelle. Dès 1996, le législateur fédéral a autorisé les provinces à adopter des programmes de mesures de rechange, dans le but de réserver le recours au système judiciaire aux infractions sérieuses et de désengorger les tribunaux. Pourtant, certains des programmes mis en place sont très restrictifs et rendent difficile l’atteinte de cet objectif. La présente étude dresse un portrait rigoureux et systématique des programmes de mesures de rechange offerts dans les différentes provinces canadiennes et analyse leur capacité à réduire le volume du contentieux judiciaire. Le législateur fédéral a conféré une marge de manoeuvre importante aux provinces à cet égard. En comparant les conditions d’admissibilité à ces programmes au regard des infractions commises, des caractéristiques des contrevenants et des procédures utilisées, l’étude met en lumière la timidité du Programme de mesures de rechange général récemment instauré par le législateur québécois.
EN:
Alternative measures are intended to address the commission of an offence outside of the regular criminal justice system. As early as 1996, the federal legislature adopted a legislative framework enabling provinces to establish alternative measures programs, with the aim of reserving judicial recourse to serious offences and reducing the courts workload. However, some programs are very restrictive and make it difficult to achieve this goal. This research is intended to provide a rigorous and systematic overview of provincial alternative measures programs, and analyze their capacity to reduce courts workload. The federal legislature has given considerable discretion to the provinces in this regard. By understanding the eligibility requirements of these programs in terms of offences, characteristics of offenders and procedures used, this study highlights the timidity of the recently introduced Quebec alternative measures program.
-
La notion de causalité et le délit de négligence (common law) / responsabilité extracontractuelle du fait personnel (droit civil) au Canada : une étude en droit comparé
Marel Katsivela
pp. 151–177
AbstractFR:
La causalité est une préoccupation commune à la common law et au droit civil touchant le délit de négligence (common law) et la responsabilité extracontractuelle du fait personnel (droit civil) au Canada. La présente étude entreprend une analyse comparée de cette notion et elle répertorie les similitudes, les divergences et le niveau de convergence des règles qui la régissent. Même s’il existe des rapprochements entre les règles applicables à la causalité en common law et celles en droit civil, il ne manque pas de divergences. La convergence des règles applicables n’est établie qu’en partie dans ce domaine.
EN:
Causation is a common concern in common law and in civil law in the area of the tort of negligence (common law) and extra-contractual personal liability (civil law) in Canada. The present study undertakes a comparative analysis of this concept and identifies the similarities, differences and level of convergence of the rules governing it. Even if there are approximations to be made regarding the applicable rules governing causation in common law and in civil law, differences do not lack. The convergence of applicable rules is only present in part in this area.
-
Le multiculturalisme, l’immigration francophone hors Québec et la Loi sur les langues officielles
André Braën
pp. 179–202
AbstractFR:
Depuis les années 1970, les autorités canadiennes ont mis en place une politique de multiculturalisme axée sur le respect et la promotion de la diversité ethnique dans notre société. Une loi a été adoptée par le Parlement du Canada et une disposition interprétative a été insérée dans la Charte canadienne des droits et libertés. Le multiculturalisme est-il ici synonyme de multilinguisme ? Sur le plan juridique, les langues immigrantes jouissent-elles d’une protection ? Quels sont leur rapport et leur interaction avec la Loi sur les langues officielles et quel rôle le Commissariat aux langues officielles joue-t-il à cet égard ? Par ailleurs, la législation sur l’immigration fixe, parmi ses objectifs, la progression des minorités de langue officielle. De la même façon, la Loi sur les langues officielles impose aux autorités fédérales le devoir d’appuyer et de promouvoir cette progression. Elle fait aussi dépendre d’un nombre minimal d’individus la prestation de services publics dans la langue officielle minoritaire. Les pratiques actuelles des autorités canadiennes relatives à l’immigration francophone hors Québec respectent-elles les obligations que la loi impose à l’État fédéral ? Cinquante ans après son adoption et alors que l’on s’interroge sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, comment celle-ci doit-elle prendre en compte l’immigration et ses retombées sur le plan linguistique ? Quel rôle le Commissariat aux langues officielles doit-il assumer dans ce domaine ?
EN:
Since the 1970s, Canada has implemented a multiculturalism policy that focuses on respecting and promoting ethnic diversity in the Canadian society. Legislation was passed by the Parliament of Canada and an interpretative provision was inserted into the Canadian Charter of Rights and Freedoms. Do immigrant languages have legal protection and what are their relationships and their links to the Official Languages Act ? In this regard, what role does the Office of the Commissioner of Official Languages play ? On the other hand, immigration law sets the development of official language minorities among its objectives. Similarly, the Official Languages Act imposes on the federal government the duty to support and promote this development. It also makes the provision of public services in the official minority language dependent on a minimum number of individuals. Does the current management of Canadian authorities on Francophone immigration outside Quebec meet the obligations that the law imposes on the federal government ? Fifty years after its passage and as questions are raised about its modernization, how should the Official Languages Act take into in account immigration and its linguistic impact ? What role should the Commissioner of Official Languages assume in this area ?
-
L’adoption et la mise en oeuvre d’un programme de conformité : quelques éléments à prendre en considération
Julie Biron and Amissi Melchiade Manirabona
pp. 203–243
AbstractFR:
Cet article vise à faire la lumière sur les programmes de conformité des sociétés ainsi que sur la mise en oeuvre de ces programmes d’un point de vue légal, tout en faisant appel à des principes de gestion. La notion de programme de conformité renvoie à l’ensemble des processus par lesquels les décisions relatives à la conformité se prennent au sein d’une organisation avec comme objectif de mettre en place des structures de contrôle qui guident l’action individuelle afin que les différents acteurs agissent conformément aux intérêts de l’organisation. Les auteurs de ce texte présentent les moyens qui contribuent à l’atteinte des objectifs des programmes de conformité ainsi que les obstacles qui peuvent freiner leur efficacité, en se référant aux études existantes. Pour ce faire, ils effectuent tout d’abord une revue de littérature afin de mieux présenter les acteurs clés participant au respect des normes au sein des sociétés. Ensuite, ils exposent les principales composantes de la mise en place des programmes de conformité et des éléments qui concourent à leur réussite.
EN:
This paper aims to shed light on corporate compliance programs as well as their implementation from legal and management perspectives. The concept of compliance program refers to processes by which compliance decisions are made within an organization with the aim to set up control structures that guide individual action so that the various stakeholders can act in line with the organization’s interests. The authors of this paper then refer to existing studies to present the means to achieve compliance programs’ goals as well as obstacles that can hinder their effectiveness. Therefore, a literature review is first discussed in order to better present the key players involved in compliance business within companies. Finally, an analysis on how to implement compliance programs is conducted as well as a discussion on the main components that contribute to their success.
-
La résurgence des communs en droit des biens contemporain : étude sur les cohabitats écologiques et les ruelles vertes
Yaëll Emerich and François Peter-Edmond Rivard
pp. 245–284
AbstractFR:
Les enjeux environnementaux dans le contexte du logement mettent en exergue une résurgence des communs en droit des biens contemporain. Si les (biens) communs sont parfois assimilés aux choses communes et sont, en ce sens, en dehors du champ de l’appropriable — ce que la terminologie anglo-saxonne des communs/commons souligne en évitant le terme property — ils peuvent également renvoyer à des biens appropriables de façon commune ou collective, que cette collectivité soit de droit privé ou de droit public. À partir d’exemples choisis, à savoir une étude des cohabitats écologiques et des ruelles vertes, le présent article met en évidence une résurgence du collectif et des communs, tant dans l’espace privé que dans l’espace public, gommant ainsi l’opposition traditionnelle entre public et privé. Plus particulièrement, on assiste à un renouveau des droits d’usage collectifs grâce aux communs, ainsi qu’à une transformation de la propriété vers ce que l’on pourrait dénommer une propriété polyfonctionnelle, qui comporte une dimension collective en plus d’avoir une dimension individuelle. Le fait que la propriété privée a largement été pensée à travers le prisme de l’individualisme ne peut masquer la fonction sociale de la propriété et ses origines plus collectives. En outre, aux côtés de l’accès à la propriété, la question de l’accès au logement, grâce à des droits d’usage ou de détention collectifs, devient fondamentale.
EN:
Environmental issues in the context of housing reveal a resurgence of the commons in contemporary property law. If the commons are sometimes identified with common things and are in this sense outside the field of the appropriable—which the Anglo-Saxon terminology of ‘commons’ emphasizes by avoiding the term property—they can also refer to property that can be appropriated in a common or collective way, whether this community operates under private or public law. Using selected examples, namely a study of ecological cohousing and green alleyways, this paper reveals a resurgence of the collective and the commons, both in private and public space, thus erasing the traditional opposition between the public and the private. More specifically, we are witnessing a renewal of collective usage rights through the commons as well as a transformation of ownership towards what could be called polyfunctional ownership that has a collective as well as an individual dimension. The fact that private property has largely been thought of through the prism of individualism cannot mask the social function of property and its more collective origins. Moreover, alongside access to ownership, the question of access to housing, through collective rights of use or holding, becomes fundamental.
-
De la rue à la prison et de la prison à la rue : une analyse du caractère cruel et inusité de l’emprisonnement pour non-paiement d’amendes des personnes en situation d’itinérance
Marilyn Coupienne and Édith Perrault
pp. 285–318
AbstractFR:
L’emprisonnement pour non-paiement d’amendes au Québec est le résultat de plusieurs facteurs sociaux, politiques et juridiques, dont la judiciarisation systémique des personnes en situation d’itinérance. Faisant appel à l’examen de la disproportion exagérée, le présent article analyse la possibilité de considérer l’emprisonnement pour non-paiement d’amendes comme une peine ou un traitement cruel et inusité au sens de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, notamment en raison de l’absence d’une individualisation de la peine de la part du juge du procès. Les conséquences de ce type d’emprisonnement sont importantes sur la vie des personnes en situation d’itinérance et ont pour effet d’accentuer leur vulnérabilité face au système judiciaire pénal et de limiter leur réinsertion sociale.
EN:
In the Province of Québec, the phenomenon of imprisonment for non-payment of fines is the result of many social, political and legal factors, including systemic prosecution of people experiencing homelessness. Through the examination of grossly disproportionate sentence of such imprisonment, this article explores the possibility of demonstrating that this type of sentence is a cruel and unusual punishment or treatment under section 12 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms, particularly due to the lack of individualized sentencing on the part of the trial judge. The consequences of this type of imprisonment are significant for the lives of people experiencing homelessness because it can increase their vulnerability to the criminal justice system and limit their social reintegration.
Chronique jurisprudentielle
-
Euthanasie, abattage et mise à mort d’animaux : comment interpréter la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal? Commentaire sur Road to Home Rescue Support c Ville de Montréal
Michaël Lessard and Romane Bonenfant
pp. 319–341
AbstractFR:
La Cour d’appel déclare que la reconnaissance des animaux comme étant des êtres doués de sensibilité par l’article 898.1 du Code civil du Québec ainsi que les protections juridiques corollaires de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal n’interdisent pas l’euthanasie ou l’abattage d’animaux, notamment lorsque la mise à mort d’un animal dangereux est ordonnée par une municipalité.
Quoiqu’ils soient en accord avec le dispositif du jugement, l’auteur et l’autrice critiquent l’interprétation restrictive que la Cour d’appel fait de l’article 6 de cette loi qui, à leur avis, prévoit une prohibition générale de la mise à mort d’animaux, sauf aux fins d’agriculture, de médecine vétérinaire, d’enseignement et de recherche scientifique.
EN:
The Court of Appeal declares that the recognition of animals as sentient beings by Article 898.1 of the Civil Code of Québec as well as the corollary legal protections of the Animal Welfare and Safety Act do not prohibit animal euthanasia or slaughter, especially when the killing of a dangerous animal is ordered by a municipality.
While agreeing with the conclusions, the authors criticize the restrictive interpretation of the Court of Appeal regarding section 6 of this Act which, in their opinion, provides for a general prohibition on the killing of animals, except for the purposes of agriculture, veterinary medicine, teaching and scientific research.