Number 125-126, 2021 Publier à la tangence de la littérature, des arts et des sciences : spécial 40e anniversaire Guest-edited by Hervé Guay and Roxanne Roy
Table of contents (16 articles)
I. Sciences exactes et sciences du vivant
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Qu’est-ce que la math-fiction ?
Dominique Raymond
pp. 17–28
AbstractFR:
La littérature et les mathématiques sont généralement envisagées comme deux domaines parallèles, les rives droite et gauche d’un océan que quelques ponts et passerelles permettraient de franchir. Cet article propose de considérer autrement les liens entre les deux domaines, en pensant la math-fiction comme un genre littéraire. Partant du constat que les exemples de fictions qui représentent ou actualisent les mathématiques sont nombreux et variés, nous nous attachons à cerner quelques prédicats susceptibles de définir la math-fiction.
EN:
Literature and mathematics are generally seen as two parallel domains, the right and left banks of an ocean that might be crossed with the help of a few bridges and overpasses. This article proposes to consider the links between the two domains differently by thinking of math fiction as a literary genre. Starting with the observation that examples of fiction that represent or actualize mathematics are many and varied, we attempt to identify a few predicates that can potentially define math fiction.
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Asphyxier l’océan une conquête à la fois : l’exploration sous-marine chez Philippe Diolé et Philippe Tailliez
Myriam Marcil-Bergeron
pp. 29–42
AbstractFR:
Corriger les « erreurs » de Vingt mille lieues sous les mers : telle est la devise des auteurs ayant raconté leurs premières plongées en scaphandre autonome dans les années 1950. Pourtant, la promotion d’un discours scientifique neutre, purgé des invraisemblances associées au roman de Jules Verne, bute contre le recours inévitable au langage et à des effets littéraires pour exprimer l’ivresse des profondeurs et la métamorphose du plongeur. À partir de Plongées sans câble (1954) de Philippe Tailliez, L’aventure sous-marine (1951) et Les portes de la mer (1953) de Philippe Diolé, entre autres, cet article analyse d’abord la manière dont la surface de l’eau symbolise une frontière étanche sous laquelle l’océan demeure mystérieux et inépuisable. Il examine ensuite le rapport politique violent qui s’exprime à travers un ensemble d’hyperboles promouvant la conquête de la mer non seulement dans ces récits parus il y a plus de soixante ans, mais dans le discours océanographique contemporain.
EN:
To correct the “errors” in Twenty Thousand Leagues under the Sea: this was the slogan of the authors when recounting their first diving explorations in the 1950s. However, the promotion of a neutral scientific discourse, purged of the improbabilities associated with Jules Verne’s novel, runs up against the inevitable recourse to language and literary effects to express the euphoria of the ocean depths and the metamorphosis of the diver. Inspired by Plongées sans câbles (Diving without Cables) (1954) by Philippe Tailliez as well as L’aventure sous-marine (The Undersea Adventure) (1951) and Les portes de la mer (The Gates of the Sea) (1953) by Philippe Diolé, among others, this article begins by analyzing the way the water’s surface symbolizes a hermetic border sealing off a mysterious and inexhaustible ocean. It next examines the violent political relationship expressed through a set of hyperboles promoting the conquest of the sea not only in these accounts published over sixty years ago, but also in contemporary discourse on the ocean.
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Explorations géopoétiques au confluent de la littérature, de la géographie et de la botanique
Rachel Bouvet
pp. 43–55
AbstractFR:
Cet article présente les différentes étapes de mes explorations transdisciplinaires, nées du besoin de créer des liens, de multiplier les occasions de rencontres entre les disciplines, entre les êtres qui les incarnent. La première partie est consacrée à la géopoétique, théorie-pratique qui cherche à créer un « nouveau territoire » dans lequel se croisent les sciences, les arts et la littérature. Il s’agit autrement dit d’un champ transdisciplinaire, où la recherche et la création sont conçues comme les deux volets essentiels d’une démarche sensible et intellectuelle visant à intensifier le rapport au monde. La transdisciplinarité est ici définie comme lieu de rencontre au-delà de toute discipline, mais aussi au-delà du cadre universitaire dans la mesure où chercheur·euse·s et artistes travaillent ensemble, créant ainsi des ponts entre l’université et la communauté. La deuxième partie tente de situer l’approche géopoétique du texte littéraire par rapport aux autres approches critiques explorant les liens entre littérature et géographie, soit la géocritique, la géographie littéraire et la cartographie littéraire. Enfin, la troisième partie présente l’approche botanique de la littérature mise au point récemment par le groupe de recherche « L’imaginaire botanique », une approche s’inscrivant au croisement de la géopoétique et de l’écocritique et accordant une large place à la botanique, à la géographie et à la philosophie. Une approche qui se présentait au départ sous l’angle de l’interdisciplinarité mais qui a fini par prendre elle aussi une envergure transdisciplinaire.
EN:
This article presents the different stages of my transdisciplinary explorations, born of the need to create links and multiply occasions for meetings between disciplines and between the persons who represent them. The first part, devoted to geopoetics, is a theory-to-practice model that seeks to create a “new territory” where the sciences, arts and literature come together. The issue, in other words, is a transdisciplinary field where research and creation are conceived as the two essential components of a sensitive and intellectual approach aimed at intensifying the relationship to the world. Transdisciplinarity is defined here as a place of meeting outside all disciplines, but outside the university context as well insofar as researchers and artists work together, thereby creating bridges between the university and the community. The second part focuses on situating the geopoetic approach of the literary text in relation to other critical approaches exploring the links between literature and geography, namely, geocriticism, literary geography and literary mapmaking. The third part, finally, presents the botanical approach to literature recently developed by the research group L’imaginaire botanique, an approach that falls within the intersection of geopoetics and ecocriticism and focuses on botany, geography and philosophy. An approach first presented in terms of interdisciplinarity but which became trandisciplinary in scope as well.
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Après la modernité, la préhistoire : environnement technique et réagencement sensoriel dans High-Rise de J. G. Ballard
Pierre-Louis Patoine
pp. 57–71
AbstractFR:
Écrit en 1975 par James G. Ballard, le roman High-Rise met en scène la reconfiguration d’une tour d’habitation moderne, de style brutaliste, en un écosystème au sein duquel les résidents adoptent des comportements tribaux archaïques. Cette reconfiguration permet l’émergence d’un être humain nouveau, doté de capacités sensorielles adaptées à son environnement postmoderne. Cet article explore les formes que prend cette émergence dans le roman, et la manière dont celui-ci permet au lecteur d’en faire lui-même l’expérience en rejetant rationalité et bon goût à la faveur d’une écriture sensationnaliste et d’un dépassement du principe de non-contradiction.
EN:
Written in 1975 by James G. Ballard, the novel High-Rise depicts the reconfiguration of a modern, Brutalist-style high-rise building within an ecosystem where the residents adopt archaic tribal behaviours. Thanks to this reconfiguration, a new human emerges equipped with sensory capacities adapted to the post-modern environment. This article explores the forms of this emergence in the novel and the way it allows readers to experience it themselves by rejecting rationality and good taste in favour of sensationalistic writing and circumventing the law of non-contradiction.
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La littérature et les humanités médicales: examen d’une tension irrésolue
Daniel Laforest
pp. 73–88
AbstractFR:
Cet article veut donner un portrait succinct des champs de savoir de la littérature et des humanités médicales en tant que leurs interrelations se présentent à la fois comme cruciales et controversées. Cruciales parce l’essor même des humanités médicales s’est appuyé à l’origine sur la lecture et l’analyse de textes littéraires en classes préparatoires de médecine – tendance désormais institutionnalisée avec le sous-domaine de la médecine narrative. Controversées parce l’idée d’une littérature au service de la médecine et de la santé n’a pas manqué de revivifier les polémiques sur l’instrumentalisation des arts par les sciences. Alors que les humanités médicales sont devenues un champ incontournable bien au-delà du monde anglo-saxon, il apparaît nécessaire de questionner plus avant leurs liens avec les études littéraires. On le fera ici en suggérant que ces liens, dans leurs acceptions consensuelles et leurs reconductions pédagogiques, demeurent contenus et limités par une fausse dichotomie, celle d’une santé de la littérature opposée à une santé dans la littérature où la première fait figure d’éthique (extensible aux autres domaines), et la seconde de poétique (limitée aux questions langagières et esthétiques).
EN:
This article proposes to sketch a brief portrait of the fields of knowledge in literature and the medical humanities insofar as the links between the two are seen as both crucial and controversial. Crucial because the very development of the medical humanities first depended on the the reading and analysis of literary texts in pre-med courses—a tendency henceforth institutionalized with the sub-field of narrative medicine. Controversial because the idea of literature in service to medicine and health revived polemics on the instrumentalization of the arts by the sciences. Now that the medical humanities have become an essential field well beyond the English-speaking world, it seems necessary to further question their links to literary studies. We will do this here by suggesting that these links, in their consensual acceptances and pedagogical renewals, remain contained and limited by a false dichotomy, that of a health of literature opposed to a health in literature, where the former manifests as ethics (applicable to other fields), and the latter as poetics (limited to questions of language and aesthetics).
II. Humanités et médias
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Expériences de pensée et pensée du possible, de Fontenelle à Rousseau
Christophe Martin
pp. 91–106
AbstractFR:
La pensée des Lumières s’est régulièrement plu à faire reposer sa force de conviction sur diverses expériences de pensée. En s’appuyant sur la typologie générale proposée par Stéphane Chauvier (Le sens du possible, 2011), on propose de distinguer d’abord des expériences de pensée empathiques particulièrement fréquentes dans la pensée empiriste et sensualiste : pour faire accéder à une connaissance que le lecteur porte en lui sans le savoir, l’expérience de pensée doit alors agir comme un filtre appauvrissant intentionnellement le réel afin de mieux mettre en valeur l’élément qu’il s’agit de faire voir en pleine lumière. Les expériences de pensée exploratrices, quant à elles, ne cherchent plus à dissiper une confusion ou à dévoiler une réalité occultée, mais à faire accepter « des énoncés nomiques que la réalité se refuse à illustrer » (S. Chauvier). De Fontenelle à Diderot, une part essentielle de la pensée des Lumières invite ainsi à concevoir des possibles dépassant la sphère du connu. Dans ce panorama, une place spécifique doit être accordée à Rousseau, non seulement parce que l’expérience de pensée et la pensée du possible occupent chez lui une place considérable, mais parce que, dans son oeuvre, l’expérience de pensée tend à articuler un élément de simulation empathique et une visée exploratrice. Avec Rousseau, l’expérience de pensée n’ouvre plus à la spéculation : elle ménage avec le réel un rapport de distance critique qui invite à discerner en lui tous les possibles qu’il recèle.
EN:
Enlightenment thought regularly took pleasure in basing its strength of conviction on various thought experiences. Inspired by the general typology proposed by Stéphane Chauvier (Le sens du possible, 2011), we propose to begin by distinguishing the empathic thought experiences particularly frequent in empiricist and sensualist thinking; to provide access to innate knowledge the reader is unaware they have, the experience of thought must act like a filter that intentionally impoverishes the real so as to better enhance the element to be brought into the light. Exploratory thought experiences, for their part, no longer seek to dispel confusion or unveil a hidden reality, but to induce the acceptance “of gnomic statements that reality refuses to illustrate” (S. Chauvier). From Fontenelle to Diderot, an essential part of Enlightenment thought thus invites us to conceive of possibilities that are well beyond the sphere of what is known. Rousseau deserves a special place in this panorama, not only because thought experience and thought about the possible form a large part of his writing, but also because, in his work, thought experience tends to articulate an element of empathic simulation and an exploratory aim. With Rousseau, thinking experience no longer leads to speculation: it allows for a relationship of critical distance to the real that invites us to discern in reality all the possibilities it contains.
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Droit et littérature, droit comme littérature ?
Christine Baron
pp. 107–124
AbstractFR:
Le mouvement « droit et littérature », initié par des juristes soucieux d’éclairer leur pratique par des exemples littéraires qui mettent en scène le droit, va aujourd’hui bien au-delà de ce qu’ont imaginé ses pionniers américains. Cette école de pensée, née aux États-Unis au début du xxe siècle, illustre tantôt le droit dans la littérature, la littérature face au droit (procès d’écrivains, censure), tantôt le droit comme littérature ou même le droit par la littérature. En effet, l’énonciation littéraire, en mettant l’accent sur des communautés discursives, des évolutions sociales, des représentations collectives, ne se contente pas de représenter la justice, elle la problématise, lui donne vie, l’inquiète, voire la modèle. Ce dialogue disciplinaire se nourrit entre autres de similitudes méthodologiques ; de la production des textes à leur lecture, la littérature fait usage de récits, s’interroge sur l’interprétation, comme le droit. À partir de cette interaction se développe une histoire très différente du mouvement aux États-Unis et en Europe : des contextes historiques, littéraires et enfin théoriques permettent d’expliquer l’intérêt tardif de l’Europe pour cette tendance qui se développe dans les années 1990-2000 sur le continent. L’invention du genre de la jurisfiction, en élargissant les perspectives sur la pratique du droit, donne une nouvelle dimension à ce courant de pensée et en confirme la valeur heuristique.
EN:
The “law and literature” movement, started by lawyers eager to explain their practice using literary examples focused on law, now goes well beyond what the American pioneers imagined. This school of thought, which originated in the United States in the early twentieth century, depicts, some of the time, law in literature and literature in confrontation with the law (trials of writers, censorship) and, at other times, law as literature or even law by literature. Indeed, literary enunciation, by highlighting discursive communities, social evolutions and collective representations, is not content with representing justice: instead, it problematizes it, gives it life, disturbs it, models it even. This disciplinary dialogue is fuelled by, among other things, methodological similarities; from the production of texts to their reading, literature, like law, makes use of narratives and questions interpretation. Owing to this interaction, the history of the movement was very different in the United States and Europe: historical, literary and, finally, theoretical contexts explain Europe’s belated interest in this tendency that developed on the continent in the years 1990-2000. By broadening perspectives on the practice of law, the invention of the law fiction genre gave this school of thought a new dimension and confirmed its heuristic value.
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La femme antifasciste espagnole dans les périodiques français dédiés au secours et aux droits de l’homme (1936-1939)
Anne Mathieu
pp. 125–140
AbstractFR:
L’article étudie les images des femmes espagnoles durant la guerre d’Espagne (1936-1939) dans six périodiques de la gauche de l’échiquier politique français émanant d’organisations de secours, de droits de l’homme et de comités. Les reportages, témoignages, éditoriaux et articles de commentaire font apparaître des thématiques topiques similaires et une vision contrastée jetée sur les femmes à cette période. La confrontation entre les divers périodiques conviés, au travers des genres journalistiques susmentionnés, montre la façon dont les femmes participent du combat. Une participation s’inscrivant dans une dynamique universelle mais aussi singulière, qui s’illustre notamment par un « héroïsme du quotidien » (Edith Thomas). En outre, comme le reste de la population civile, les femmes sont la cible des bombardements et les subissent dans leur quotidien et leur chair. Elles sont, aussi, celles qui connaissent l’exode ou l’exil. Le système discursif de ces articles antifascistes connaît alors une transmutation de la catégorie de femme vers celle de mère. Mais face aux multiples aléas et embûches de l’exil, la seconde s’y estompera pour laisser place à la dénonciation du danger encouru par la femme seule. Ces divers articles antifascistes pendant la guerre d’Espagne permettent autant d’éclairer la vision des femmes espagnoles pendant la guerre et l’exil que les images portées sur les femmes dans leur globalité à cette période. Ils permettent, aussi, de nourrir la connaissance sur les périodiques des organisations de secours, de droits de l’homme et de comités et sur l’histoire de la réception de la guerre d’Espagne.
EN:
This article examines the images of Spanish women during the Spanish Civil War (1936-1939) in six periodicals on the left of the French political spectrum issued by relief and human rights agencies and by organizing committees. The reports, witness accounts, editorials and opinion pieces reveal similar themes and a contrasting view of women during this period. A comparison of the various periodicals studied, across the journalistic genres mentioned above, shows how women participated in combat. Their participation belonged to a dynamic both universal and singular, notably manifested by “everyday heroism” (Edith Thomas). Additionally, like the rest of the civil population, women lived their daily lives under the threat of bombs and suffered bodily harm from attacks. They experienced exodus or exile as well. The discourse in these antifascist articles then went from speaking of woman to speaking of mother. But given the multiple vicissitudes and pitfalls of exile, use of this second word faded, to be replaced by denunciation of the danger incurred by the woman alone. These various antifascist articles during the Spanish Civil War allowed for a perception of Spanish women in war and exile that was just as clear as the perception of women in general. What’s more, they offered a richer knowledge of the periodicals of relief agencies, human rights agencies and organizing committees and of the history of how the war in Spain was received.
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La fiction radiophonique comme oeuvre littéraire ? Apports et limites des approches littéraires à l’étude des oeuvres radiophoniques
Caroline Loranger
pp. 141–153
AbstractFR:
La littérature s’est rapidement saisie de la fiction diffusée à la radio. Perçue d’abord comme un texte plutôt que comme une performance, la fiction radiophonique est alors devenue un genre littéraire, à la différence que sa diffusion se faisait par l’entremise d’un autre type de support : les ondes radio. Cette manière de conceptualiser la fiction radiophonique a toutefois le défaut de laisser de côté toute sa dimension sonore. Pour régler cette lacune, on l’a plutôt rapprochée du théâtre, en appuyant sur sa dimension dramaturgique découlant du jeu des acteurs et sur le travail des bruiteurs. Envisager la fiction radiophonique selon ces deux approches a toutefois ses limites et un retour réflexif sur la catégorisation et sur les enjeux de celle-ci est désormais nécessaire tandis que la numérisation des corpus radiophoniques rend ceux-ci de plus en plus accessibles aux chercheurs et aux chercheuses. Cet article propose ainsi une réflexion sur le positionnement de la fiction radiophonique dans l’écologie des genres littéraires et médiatiques dans l’optique de saisir avec plus d’acuité les enjeux que soulève son étude.
EN:
Literature quickly appropriated the fiction broadcast over the radio. First perceived as a text rather than a performance, radio fiction became a literary genre, with the difference that it was distributed via another type of support: radio waves. This way of conceptualizing radio fiction, however, had the drawback of neglecting its sound dimension. To address this issue, it was brought rather more in line with theatre, using the dramatic dimension of the actors’ performance and work by sound engineers. Viewing radio fiction based on these two approaches, however, has its limits, and further reflection on its categorization and related issues is needed now that the digitization of radio works makes them increasingly accessible to researchers. This article therefore proposes a reflection on radio fiction’s position within the ecology of literary and media genres to better understand the issues highlighted by its study.
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Les sciences humaines à l’ère hypermnésique : les nouveaux défis de la recherche en arts et lettres
Jean-Marc Larrue
pp. 155–170
AbstractFR:
En 2023, l’UNESCO célébrera les vingt ans de « la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel » dont le but était d’assurer la préservation des pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire que des communautés reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. L’initiative était ambitieuse, elle incluait l’identification, la documentation, la recherche, la préservation, la protection, la promotion, la mise en valeur, ainsi que la revitalisation des différents aspects de ce patrimoine. Les discussions qui ont mené à l’adoption de cette convention avaient commencé au tournant des années 1980, c’est-à-dire au début de ce que Milad Doueihi a qualifié de « grande conversion numérique ». Or, la Convention n’a pas pris en compte les bouleversements majeurs qui s’annonçaient et qui allaient avoir pour conséquence d’indifférencier le patrimoine culturel immatériel à l’intérieur du vaste univers infonuagique en formation. Il résulte de cela, aujourd’hui, un état paradoxal, celui d’une hypermnésie amnésiante, qui affecte particulièrement le champ des sciences humaines. Le projet LIRAHC, que décrit sommairement l’article, fait partie des initiatives actuelles qui tentent de distinguer les traces du patrimoine culturel du magma des données immatérielles, et d’en assurer la préservation autant que la diffusion.
EN:
In 2023, UNESCO will celebrate twenty years of the “Convention for the Safeguarding of the Intangible Cultural Heritage”, which aimed to ensure the preservation of the practices, representations, expression, knowledge and expertise that communities recognize as part of their cultural heritage. The initiative was ambitious; it included the identification, documentation, research, preservation, protection, promotion, enhancement and revitalization of the different aspects of this heritage. The discussions leading to the adoption of this convention began at the turn of the 1980s, that is, at the start of what Milad Doueihi has described as the “great digital conversion.” Now, the Convention did not take into account the major impending upheavals whose consequence would involve distinguishing the intangible cultural heritage within the vast cloud computing universe being formed. Today, the result is amnesic hypermnesia, a paradoxical state affecting the social sciences and humanities in particular. The LIRAHC project briefly described in this article is among the current initiatives attempting to disentangle traces of the cultural heritage from the magma of intangible data to ensure these traces are both preserved and disseminated.
III. Arts
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Création et communication : une approche média-littéraire
Philippe Ortel
pp. 173–188
AbstractFR:
Où se situe la frontière entre communication et création ? Le terme de « création », qui tend aujourd’hui à se substituer à celui d’oeuvre, est employé par le monde médiatique lui-même pour qualifier les fictions diffusées en ligne. Les questions de poétique des oeuvres sont donc toujours d’actualité pour décrire les différents régimes de la mimésis mais demandent à être articulées aux questions médiales et intermédiales contemporaines. Cet article distingue quatre régimes de création au sein du processus de représentation : représentationnel, fictionnel, figural et performatif. Il les compare terme à terme à partir de leurs modalités de production, de réception et d’évaluation dans un tableau de fonctions qu’il commente succinctement une à une. Certaines de ces fonctions sont inscrites dans la tradition critique, d’autres sont des propositions. Prenant aussi bien ses exemples dans la littérature que dans les arts, cet article essaye de comprendre ensuite le rôle joué par les innovations médiales ou intermédiales dans l’élaboration de ces différents régimes.
EN:
Where is the boundary between communication and creation? The term “creation”, which today tends to replace the term “work”, is used in the world of media itself to describe fiction disseminated on line. Thus, questions regarding the poetics of works are always relevant for describing the different regimes of mimesis, however they need to be articulated for contemporary medial and intermedial issues. This article distinguishes four regimes of creation within the process of representation: representational, fictional, figurative and performative. It compares them term by term based on their modalities of production, reception and evaluation in a table of functions providing a brief comment on each one. Some of these functions fall within the critical tradition, while others are proposed for debate. Drawing its examples from both literature and the arts, this article then attempts to understand the role played by medial or intermedial innovations in the development of these different regimes.
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Le détour par la peinture. Écrire la catastrophe
Martine Créac’h
pp. 189–201
AbstractFR:
Dans L’adieu à la littérature. Histoire d’une dévalorisation, xviiie-xxe siècle, William Marx rappelle que la « poésie du désastre » était encore possible au xviiie siècle lors du tremblement de terre de Lisbonne car « les pouvoirs de consolation faisaient partie des attributions immémoriales de la poésie », mais qu’elle est devenue impossible au xxe siècle pour la Grande Guerre puis pour la Shoah. En témoigne la « trop fameuse » phrase d’Adorno : « écrire un poème après Auschwitz est barbare ». William Marx prend acte de l’impossibilité pour la poésie du xxe siècle de dire la catastrophe, que celle-ci désigne un événement naturel ou un massacre. Je voudrais revenir sur ce constat en montrant que la peinture du passé a pu offrir un recours pour dire ce qui apparaissait comme un indicible. Je fais la double hypothèse, à partir de trois approches d’écrivains du xxe siècle (Claude Simon, Michel Leiris et André du Bouchet), que la puissance de certaines oeuvres d’art du passé tient à leur capacité d’accueil d’événements qui ne les ont pas inspirées et que la poésie, par sa modalité intempestive, est nécessaire et précieuse précisément lorsqu’il s’agit de se tourner vers l’art des maîtres anciens pour exprimer des catastrophes présentes.
EN:
In L’adieu à la littérature. Histoire d’une dévalorisation, xviiie-xxe siècle, William Marx recalls that the “poetry of disaster” was still possible in the eighteenth century during the Lisbon earthquake because “the powers of consolation” were part of the immemorial contributions of “poetry”, but that this became impossible in the twentieth century after the Great War and the Holocaust. This is demonstrated by Adorno’s “all-too-famous” sentence: “After Auschwitz one can no longer write poetry.” William Marx noted that it was impossible for twentieth-century poetry to speak of catastrophe, whether regarding a natural event or a massacre. I want to revisit this observation by showing that the painting of the past could offer a way to express the apparently inexpressible. I will formulate a dual hypothesis based on approaches by three twentieth-century writers (Claude Simon, Michel Leiris and André du Bouchet) to the effect that the power of certain works of art from the past derives from their capacity to make use of events that did not inspire them and that poetry, through its inconvenient modality, is necessary and valuable precisely when we turn to the art of the old masters to speak about the catastrophes of today.
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Délices de la puanteur
Frédéric Charbonneau
pp. 203–214
AbstractFR:
L’article propose la relecture et la confrontation d’une dizaine d’oeuvres, certaines mineures, d’autres canoniques, écrites entre 1629 et 1887 et consacrées en tout ou en partie au fromage envisagé sous l’angle de la puanteur comme source paradoxale de jouissance ou au contraire comme répulsif. Du Cantal de Saint-Amant au Ventre de Paris de Zola, l’expérience de cette puanteur témoigne en ses évocations non seulement d’une profonde transformation, mais d’une remarquable réversibilité, qu’éclairent tour à tour l’histoire de la sensibilité olfactive (Alain Corbin) et la pensée esthétique moderne. En effet, le xviiie siècle voit succéder peu à peu à l’habitude immémoriale des exhalaisons fétides et des senteurs animales la recherche de fragrances légères et végétales. Cet abaissement des seuils de tolérance entraîne l’atténuation des odeurs incriminées, soit par dosage soit par mélange : on peut risquer un parallèle avec ces pharmaka dont l’emploi et la dilution déterminaient seuls la nocivité ou la bénignité. Dans le paysage olfactif moderne, pareille ambivalence constitutive acquiert une dimension qu’on nommera faute de mieux esthétique et qui établit la réversibilité du goût et du dégoût, de l’attrait et de la répugnance en fonction de la concentration de l’objet, comme le suggère Baudelaire dans son essai Du vin et du haschich.
EN:
This article proposes the re-reading and comparison of some dozen works, some minor, others canonical, written between 1629 and 1887 and devoted in whole or in part to cheese viewed from the perspective of its bad smell as a paradoxical source of pleasure or, conversely, as disgusting. From Saint-Amant’s Cantal to Zola’s Belly of Paris, evocations of the experience of stink attest to not only a profound transformation, but also a remarkable reversibility, explained, in turn, by the history of olfactory sensitivity (Alain Corbin) and by modern thought on aesthetics. Indeed, the eighteenth century saw the immemorial habit of fetid odours and animal smells gradually replaced by the search for mild, plant-based fragrances. This lowering of thresholds of tolerance led to a weakening of offending odours, through dosing or mixing: one could risk a parallel with these pharmaka whose use and dilution alone determined their toxicity or safety. In the modern olfactory landscape, a similar constitutive ambivalence acquires a dimension we will term aesthetic for lack of a better word and which establishes the reversibility of taste and distaste or attraction and revulsion based on the object’s concentration, as Baudelaire suggests in his essay On Wine and Hashish.
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L’idéalité musicale du roman : dissolution ou renaissance ?
Frédéric Sounac
pp. 215–230
AbstractFR:
L’idée d’une tension des formes romanesques vers les structures musicales, étroitement dépendante du projet romantique de « poésie universelle progressive », s’impose progressivement, accompagnant le mouvement d’absolutisation de la musique instrumentale, à partir de la toute fin du xviiie siècle. Cet article se consacre dans un premier temps au rappel des principaux attributs de ce dispositif utopique, appelé méloforme, pour observer ensuite ce que l’on peut appeler sa sécularisation : coupé de la foi romantique en la suprématie de l’art et privé de ses racines ontologiques, le roman « musical » a tendance, après la Seconde Guerre mondiale, à adopter une attitude plus pragmatique, s’incarnant notamment en des récits moins totalisants, souvent isomorphiques d’opus musicaux singuliers. Dans la période récente, avec des romans tels que Le temps où nous chantions de Richard Powers, Apologie de la fuite de Léonid Guirchovitch, Confiteor de Jaume Cabré ou encore Central Europe de William T. Vollmann, il semble que l’on assiste à une « renaissance » de fictions complexes et ambitieuses, polyphoniques et réflexives, renouant, sans pour autant revenir à l’ensemble de la doctrine romantique, avec l’idée d’une idéalité musicale du texte littéraire.
EN:
The idea of fiction’s movement towards musical structures, which was closely dependent on the Romantic project of “progressive universal poetry”, occurred gradually, accompanying the absolute music movement that took root at the close of the eighteenth century. This article focuses first, on recalling the main attributes of this utopian arrangement, termed meloform, to next observe what might be called its secularization: cut off from the Romantic faith in the supremacy of art and deprived of its ontological roots, the “musical” novel tended, after the Second World War, to adopt a more pragmatic attitude, notably embodied in the less totalizing, often isomorphic narratives of singular musical opera. In recent times, thanks to novels like The Time of our Singing by Richard Powers, Apologie de la fuite by Léonid Guirchovitch, Confessions by Jaume Cabré or Central Europe by William T. Vollmann, there seems to be a “rebirth” of complex fiction that is ambitious, polyphonic and reflexive, one that reconnects, without reverting to all of Romantic doctrine, to the ideal of a musical ideality of the literary text.
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De la house au ballet : décolonisation de la danse en France
Lucille Toth
pp. 231–241
AbstractFR:
Lutte des classes, violences de genre, racisme systémique, certaines danses, tels le hip-hop, la house ou le voguing, se sont historiquement faites porte-parole de voix minoritaires en devenant un espace intersectionnel qui met en corps la pluralité des identités françaises. Parallèlement, d’autres danses, telles que la danse classique ou les danses folkloriques, sont utilisées comme moyen de modeler les corps et de les uniformiser au profit d’une docilité sociale et pour conserver une danse créée sur un modèle impérialiste. En explorant la house, danse encore méconnue par le large public en France, et en la confrontant à la danse classique, cet article cherche à réfléchir sur la résistance française à penser la danse actuelle dans sa diversité. Il répond également au débat actuel sur la décolonisation des arts opposant « antiracistes » et « universalistes ».
EN:
Class struggle, gender-based violence, systemic racism: dances like hip-hop, the house dance or voguing have historically spoken for minority voices by becoming an intersectional space bringing together plural French identities. Other dances such as classical or folk dance, are similarly used as a way to model bodies and standardize them in the interest of social docility and to preserve a dance based on an imperialist model. By exploring the house dance, a form still misunderstood by the public at large in France, and comparing it to classical dance, this article proposes to reflect on French resistance, to think about contemporary dance in its diversity. It also responds to the current debate on the decolonization of the arts that contrasts “antiracists” and “universalists.”