Number 132, 2023 Dramaturgies des plantes Guest-edited by Eliane Beaufils
Table of contents (9 articles)
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Liminaire
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Mises en présence du végétal et pratiques attentionnelles dans Branché et We Move Together Or Not At All
Catherine Cyr
pp. 29–48
AbstractFR:
Cet article porte sur l’expérience de réception de deux oeuvres performatives récentes s’attachant à mettre en relation des êtres humains et des végétaux : le spectacle ambulatoire Branché, des compagnies circassiennes Acting for Climate – Montréal et Barcode et l’installation chorégraphique de longue durée We Move Together Or Not At All de Sasha Kleinplatz. Par le biais d’une perspective soma-esthétique, qui fait du corps sentant et ressentant le site d’élaboration de la pensée, la réflexion examine la façon dont la rencontre avec le végétal et avec les autres composantes de l’environnement détermine et affecte l’expérience spectatorielle. Pour rendre compte de la dimension sensible de celle-ci, l’autrice privilégie, en partie, une méthodologie auto-ethnographique où des fragments tirés de son carnet d’observation, ressaisis par l’écriture, sont intégrés à l’analyse. Opérant un maillage théorique entre les champs des études en arts vivants, de l’écocritique, de la philosophie environnementale et des Critical Plant Studies, l’article place en son centre les effets et les affects induits par l’agentivité et la bioperformativité des végétaux en régime performatif. Il s’intéresse au déplacement et à l’intensification des pratiques attentionnelles et à la dimension éminemment politique de cette reconfiguration.
EN:
This article focuses on the reception of two recent performative works dedicated to bringing together humans and plants: the ambulatory show Branché, by the circus companies Acting for Climate Montreal and Barcode, and the long-term choreographic installation We Move Together Or Not At All by Sasha Kleinplatz. Using a somaesthetic perspective that considers the feeling and experiencing body as the site of the development of thought, we examine how the meeting with plants and other components of the environment determines and affects the viewer experience. To report on the sensory dimension of this experience, the author privileges, in part, a self-ethnographic methodology in which fragments taken from her field notebook and later transcribed in writing are integrated into the analysis. Developing a theoretical network between fields of studies related to the performing arts, eco-criticism, environmental philosophy and Critical Plant Studies, the article centers on the effects and affects created by the agency and bioperformativity of plants in performance. It discusses the shift and intensification of attentional practices and the eminently political dimension of this reconfiguration.
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« S’ensauvager, s’enforester, s’enpaysager » (Récit)
Alix de Morant
pp. 49–64
AbstractFR:
Depuis l’expérience singulière de Kerminy, cet article soulève la question de la création artistique in situ. Il a été conçu pour fonctionner en diptyque avec celui de Marina Pirot, dans le but de poursuivre avec elle, à l’aune d’une recherche commune autour des techniques et des enseignements du Body Weather ou météorologie des corps, un dialogue sur les outils à notre portée pour résister à la crise du vivant. Revenant sur l’atelier « Devenir végétal », il fait le récit, au prisme d’une écologie du sensible, d’un retour nécessaire au paysage en tant qu’éprouvé, et à la danse comme pratique holistique du sentir.
EN:
After the unique experience of Kerminy, the author raises the question of artistic creation in situ. This article forms a diptych with that of Marina Pirot with the aim of pursuing a dialogue on the tools at our disposal to combat the crisis of life; it is based on our shared research regarding the techniques and teachings of Body Weather (the intersections of bodies and their environments). Returning to the workshop Devenir vegetal (Becoming Plants), the author narrates, through the lens of an ecology of experience, a necessary return to the landscape as a person of experience and to dance as a holistic practice of feeling.
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Artiste maraîchère
Marina Pirot
pp. 65–86
AbstractFR:
L’article présente les dernières années de mon parcours, Marina Pirot, artiste-maraîchère, depuis une recherche en danse jusqu’à la création d’un tiers-lieu d’agriculture en art, Kerminy. La mise en rapport des deux termes, art et agriculture, guide le propos depuis le champ de la danse, de la performance et des pratiques somatiques. En décrivant mon expérience artistique chez des maraîchers, ma formation aux techniques de maraîchage en même temps qu’aux pratiques somatiques, je présente les ateliers corporels publics que je propose en lien avec le végétal en forêt puis dans des champs cultivés. Je crée et investis à Kerminy une « serre-laboratoire-scène » pour inviter au maraîchage dansé, par des méthodes de détournement des codes de la scène artistique. Ainsi, à partir de cet espace témoignant d’une potentialité de renouvellement des modes de production et de diffusion de l’art à l’aune des questions écologiques, d’autres exemples de lieux et de démarches d’artistes en terrain agricole ou rural sont présentés. Le nouage de l’art à l’agriculture invite les artistes à s’impliquer dans des terrains de travail qu’ils et elles inventent, ceux de la régénération de la terre et de nos corps vivants.
EN:
This article presents the recent years of the author’s journey, from research in dance to the creation of a third place of agriculture in art, Kerminy. The relationship of the two terms, art and agriculture, guides the discussion based on the field of dance, performance and somatic practices. By discussing her artistic experience with market gardeners and training in market gardening techniques together with somatic practices, the author presents public body workshops regarding vegetation in forests and cultivated areas. At Kerminy, she creates and invests a “greenhouse-laboratory-stage” to invite market garden dancing via methods to divert the codes of the art scene. Thus, this space attesting to a potential renewal of the modes of production and dissemination of art relative to ecological issues is used to present other examples of third places and artistic approaches in agricultural or rural areas. The weave of art and agriculture invites artists to contribute to the places of work they invent, those related to the regeneration of the earth and our living bodies.
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Corps et plantes : porter ou adopter
Pascale Weber
pp. 87–111
AbstractFR:
Cet article présente ce qui a conduit le duo Hantu (Weber+Delsaux) à créer des mises en scène et actions performatives où il est essentiellement question de se déplacer chargés de réceptacles végétalisés. De tels dispositifs permettent d’interroger le geste du portage. Nous portons ce que nous partageons, un héritage, des revendications, des espoirs de changements… Ce geste atteste également de liens affectifs et de nouvelles socialités que nous pourrions développer avec les plantes. Mais le portage peut également conforter l’idée que nous avons le pouvoir de manipuler, déplacer, arranger le végétal à notre guise, renvoyant une vision passive du végétal. L’article développe alors en contrepoint du portage le principe d’adoption végétale, qui permettrait d’envisager la plante comme sujet vivant, de reconnaître son agentivité et de faire l’hypothèse d’une relation partagée, car l’adoption implique un mutuel engagement. À partir d’exemples d’expériences, de performances, de workshops menés par le duo, ce texte s’efforce de saisir dans quelle mesure le principe d’adoption est transposable au monde végétal et ce que signifie respecter, prendre en compte et en charge une plante, et réciproquement.
EN:
This article discusses how the Hantu duo (Weber+Delsaux) came to create mises-en-scène and performances centered on moving about with full vegetated containers. Such arrangements allow us to examine the act of carrying. We carry what we share: a heritage, claims, hopes for change… This act also testifies to the emotional bonds and new social relationships we could develop with plants. But carrying may also reinforce the notion that we have the power to manipulate plants, to move them about and arrange them as we please, referring to a passive view of plant life. As a counterpoint to carrying, the article develops the principle of plant adoption, one that allows us to see the plant as a living subject, recognize its agency and assume a shared relationship, given that adoption implies mutual commitment. Using the example of experiments, performances and workshops conducted by Weber and Delsaux, this text aims to understand the extent to which the principle of adoption can be transferred to the plant world and what it means to respect, consider and assume responsibility for a plant, and vice versa.
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« Il n’y a rien à voir. » De la difficulté à représenter le vivant végétal sur une scène théâtrale
Chloé Déchery
pp. 113–140
AbstractFR:
« Il n’y a rien à voir ». Une plante au plateau est un non-événement. Son temps est autre, plus long ou plus court que le temps humain ; sa mobilité et sa capacité transformatrice, imperceptibles à l’oeil nu. La plante, parent pauvre de l’objet scénique et de la marionnette, déçoit par sa difficulté à rentrer dans le champ du spectaculaire. Comment, dès lors, tâcher de figurer et représenter le vivant végétal en scène ? Comment rendre compte de ce corps alter, ainsi que de son langage chorégraphique et plastique singulier ? Après avoir décrit la restitution d’un processus de recherche-création qui a conduit à la fabrication d’une bardane hybridée et robotisée pour la création de la pièce Bardane et moi (2022), l’article ouvre sur une typologie des modes de représentation du vivant végétal dans deux spectacles contemporains de théâtre et de danse. La plante, en co-présence avec d’autres vivants, y est présentée comme partie prenante d’un dialogue discursif, somatique, et/ou sensible qui fait co-exister corps végétal et corps de l’interprète, de plain-pied dans une relation, tour à tour nourrie de rapports de soin, de compétitivité, de domination, d’exploitation ou d’attention. À travers l’examen de ces études de cas, nous verrons comment le modèle de la relation permet de dépasser la question de l’image théâtrale.
EN:
“There’s nothing to see.” A plant on the boards is a non-event. Its time is other, longer or shorter than human time; its mobility and transformative capacity imperceptible to the naked eye. The plant, poor relation of the theatrical object and the marionette, disappoints by its struggle to enter the dramatic field. How, then, can plant life be included and represented on stage? How do we report on this alter body and its singular plastic and choreographic language? After describing the restoration of a research-creation process that led to the manufacture of a hybrid and roboticized burdock to create the play Bardane et moi (2022), this article opens with a typology of the modes of representation of plant life in two contemporary theatre and dance shows. These works present the plant, co-present with other living things, as part of a discursive, somatic and/or sensitive dialogue that has the plant body and the body of the interpreter co-exist in a full relationship, nurtured in turn by care, competitiveness, domination, exploitation or attention. By examining these case studies, the article reveals how this relationship model allows us to move beyond the issue of theatrical image.
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Éprouver le végétal au théâtre : sortir de la boîte noire ou y rester ?
Flore Garcin-Marrou
pp. 141–162
AbstractFR:
À l’intérieur, comme à l’extérieur, dans la boîte noire ou le in situ, le végétal incite l’artiste à créer un parlement des plantes, qui prend le pari de faire exister au sein d’une dramaturgie d’autres entités que les seuls comédiens humains. La plante se revendique comme protagoniste, s’émancipant de son état d’accessoire de décoration. Les mondes végétaux accèdent ainsi à une dimension énonciative et sémiotique, permettant de rééquilibrer les rapports entre les humains parlant et agissant et la nature, qui n’est plus réduite à sa fonction décorative. Ces mondes végétaux incitent les humains à transformer leurs modes d’énonciation, de compréhension du monde et les poussent à transformer leurs environnements de vie et de création, considérant le végétal en mesure de « sculpter socialement » (au sens où l’entend Joseph Beuys) les scènes théâtrales contemporaines.
EN:
Inside, as outside, in the black box or the in situ, plant life motivates the artist to create a parliament of plants, which take on the challenge of establishing the existence, within a play, of beings other than human actors. The plant proclaims itself a protagonist, liberated from its status as a decorative accessory. Plant worlds thus attain an enunciative and semiotic dimension, allowing them to restore a balance to the relationships between speaking and acting humans and nature, which is no longer reduced to its decorative function. These plant worlds prompt humans to transform their modes of enunciation, of understanding the world, and persuade them to transform their living environments, considering that plants are capable of “socially sculpting” (according to Joseph Beuys) contemporary stages.
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Faire équipe avec des plantes ? Quatre performances participatives et leurs au-delà
Eliane Beaufils
pp. 163–186
AbstractFR:
« Nous ne sommes pas seuls », et les humains se doivent de découvrir leurs alliances avec les plantes, suggèrent Lena Balaud et Antoine Chopot. Dans les quatre performances étudiées, les spectateurs découvrent des plantes in situ et interagissent avec elles. Mais dans quelle mesure ces formes participatives peuvent-elles s’appuyer sur la participation des spectateurs pour éveiller des imaginaires d’alliances anthropo-végétales, en commençant à les développer durant la performance ? Hypothèse et analyse prennent appui sur quatre dispositifs très dissemblables, deux parcours audioguidés sollicitant les interactions sensibles et poétiques des participants avec des plantes, un troisième qui fictionnalise radicalement les végétaux rencontrés, et un quatrième qui invite les spectateurs à devenir des parlementaires des organismes. Les dispositifs suggèrent des modalités du faire équipe avec les plantes également très variables : d’une sculpture sensible de l’environnement à la guérilla, en passant par l’aménagement de nos villes et même l’instauration d’une démocratie. Mais les vecteurs des alliances sont toujours pluriels, en appelant à la sensibilité, à la transmission d’informations et à l’action, si bien qu’ils semblent se compléter et donner lieu à des expériences marquantes. Ils favorisent divers modes de mises en relation, ainsi que les passages de la cognition ou de l’action aux savoirs incarnés.
EN:
“We are not alone,” and humans owe it to themselves to discover their alliances with plants, suggest Lena Balaud and Antoine Chopot. In the four performances studied, viewers discover plants in situ and interact with them. But to what extent can these participatory forms rely on viewers’ participation to inspire images of human-plant alliances by beginning to develop them during the performance? Hypothesis and analysis rest on four highly dissimilar arrangements, two audioguided journeys calling for sensitive and poetic interactions between participants and plants, a third that radically fictionalizes the plants encountered, and a fourth that invites viewers to become the parliamentarians of the organisms. The arrangements suggest modalities, also highly diverse, for teaming up with plants: from a sculpture sensitive to the guerilla environment, to the planning of our cities and even the establishment of a democracy. But vectors of the alliances are many and varied, calling for sensitivity, transmission of information and action so that they appear to complement each other and result in meaningful experiences. They favour diverse modes of inter-relationship as well as shifts from cognition or action to embodied knowledge.
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De la proximité de la performance avec la vie végétale. Ou : comment apprendre les chants des plantes
Bojana Kunst
pp. 187–204
AbstractFR:
Dans cet article, la proximité entre vie végétale et performance théâtrale sera considérée suivant deux perspectives. Dans la première partie de l’article, il sera démontré que la proximité avec les plantes nécessite un ajustement sensuel, temporel et intime. Cet ajustement ou syntonie agit sur nos sens et est lié au déploiement de l’imagination esthétique et poétique. La performance peut ainsi être un espace d’invention poétique de la proximité et de l’enchevêtrement entre humains et plantes. En même temps, le rapprochement ne peut se produire que si la proximité de la vie végétale a des conséquences performatives pour le théâtre. Dans sa deuxième partie, l’article s’attache à démontrer qu’une véritable proximité affecte les relations sociales, politiques et esthétiques à travers lesquelles le théâtre existe. Étant donné que la photosynthèse est rarement possible dans les espaces théâtraux, la vie végétale perturbe également la communauté que le théâtre souhaite établir. La proximité des plantes modifie la manière dont la performance existe dans le monde ; elle déstabilise la manière dont la performance existe poétiquement, éthiquement et institutionnellement, la manière dont elle est produite, créée, partagée et suivie.
EN:
This article views the proximity between plant life and stage performance from two perspectives. The first part shows that proximity with plants requires a sensual, temporal and intimate adjustment. This adjustment, or syntony, acts upon our senses and relates to the deployment of the esthetic and poetic imagination. Performance can also be a space for the poetic invention of proximity and the overlap of humans and plants. At the same time, this rapprochement can occur only if the proximity to plant life has performative consequences for theatre. The second part of the article purports to show that a veritable proximity affects the social, political and aesthetic relationships across which the theatre exists. Given that photosynthesis is rarely possible in theatres, plant life also disrupts the community the theatre wishes to establish. The proximity of plants changes the way performance exists in the world; it destabilizes how performance exists poetically, aesthetically and institutionally, how it is produced, created, shared and followed.