Volume 43, numéro 1, 2021
Sommaire (10 articles)
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Entre la poire et le fromage : la Fourme de Montbrison, étude de la trajectoire d’un patrimoine alimentaire et culinaire
Aurélie Brayat
p. 3–28
RésuméFR :
En 2018, le savoir-faire de la Fourme de Montbrison a été inscrite à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France. Après le Salers en 2016, c’est le deuxième fromage, en France, à obtenir ce type de reconnaissance patrimoniale. Ce fromage AOC à pâte persillée issu de la transformation de laits de vache crus ou pasteurisés, apparaît ainsi parmi les produits fromagers précurseurs dans une démarche d’association entre patrimoine (notamment immatériel) et développement local. Avec ce nouveau « label », qui donne à ce produit une visibilité dépassant les frontières du Forez et de la Loire, les acteurs locaux jouent pleinement la carte « patrimoine alimentaire et culinaire » pour développer leur territoire. Investis d’un rôle dépassant ses fonctions premières nutritives, ce produit semble perçu comme une réponse à de nombreux enjeux. Qu’il s’agisse des valeurs portées par ce produit local, de la performativité attendue, de la marchandisation et de la mobilisation du patrimoine à des fins économiques, cette tendance questionne la notion de patrimoine. Nous livrons ici les premiers éléments d’une étude en cours riche en paradoxes : les étapes de la patrimonialisation de la fourme de Montbrison et la compréhension du phénomène à travers le décryptage des discours patrimoniaux.
EN :
In 2018, the artisan craftsmanship behind the Fourme de Montbrison was listed in the inventory of intangible cultural heritage of France. After Salers in 2016, it is the second cheese, in France, to obtain this type of heritage recognition. This blue-veined AOC-certified cheese, made from raw or pasteurized cow’s milk, is one of the trailblazing cheese products in the process of associating heritage (especially intangible heritage) with local development. With this new “label,” which gives this product visibility beyond the borders of Forez and the Loire, local actors are activey playing the «food and culinary heritage» card to develop their territory. Invested with a role beyond its primary nutritional functions, this product seems to be perceived as a response to many issues. Whether it is a question of the values carried by this local product, the expected performativity, the commodification and the mobilization of heritage for economic purposes, this trend questions the notion of heritage. We present here the first elements of an ongoing study rich in paradoxes: the stages of the adding to heritage the Fourme de Montbrison and the understanding of the phenomenon through the deciphering of heritage discourses.
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Forces et défis de l’intégration de l’apprentissage expérientiel dans les programmes postsecondaires en sciences sociales : étude de cas d’un projet ethnologique ontarien
Daniela Moisa
p. 29–53
RésuméFR :
La présente étude examine l’impact de l’apprentissage par expérience sur la formation pratique et théorique des étudiants inscrits dans des programmes en ethnologie. L’analyse s’appuie sur un projet développé dans le cadre d’un cours de premier cycle en Folklore et ethnologie, à l’Université de Sudbury (Ontario), projet dont l’objectif principal était de mettre à l’essai ce type d’apprentissage. La description et l’analyse de l’expérience des étudiants, de leur relation avec les communautés et les milieux de pratique permettent de dégager une compréhension des forces et des limites pratiques et institutionnelles de l’application de la pédagogie expérientielle en ethnologie et anthropologie et, plus largement, en sciences sociales.
EN :
This study examines the impact of experiential learning on the practical and theoretical training of students enrolled in ethnology programs. The analysis is based on a project developed in an undergraduate course in Folklore and Ethnology at the University of Sudbury, Ontario, its main objective being to test this type of learning. The description and analysis of the students’ experience and their relationship with communities and practice settings provide an understanding of the practical and institutional strengths and limitations of the application of experiential pedagogy in ethnology and anthropology, and in the social sciences more broadly.
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L’américanité, ou la destruction tranquille du patrimoine : essai de sociologie politique sur le « mal patrimonial » au Québec
Félix Mathieu et Catherine Charron
p. 55–79
RésuméFR :
Le patrimoine est en abîme. Il souffre d’un « mal » profond, difficile à cerner. Comment expliquer ce phénomène en le situant plus précisément dans le sillage de la trajectoire sociopolitique du Québec ? Afin de répondre à ce questionnement des plus préoccupants, cet article propose une (hypo)thèse forte qui ne pourra toutefois pas être démontrée au sens premier du terme : c’est pourquoi nous le qualifions d’essai de théorisation. Son objectif consiste à soulever une piste de réponse qui nous paraît féconde, et que nous espérons ensuite voir débattue par la communauté tant épistémique que praticienne. Cette thèse s’articule ainsi : le « mal patrimonial », au Québec, s’explique principalement par la prégnance de l’américanité – comme pensée forte – pour imaginer l’être, le passé et le devenir de la société québécoise. Ce faisant, la nation québécoise en est venue à s’imaginer par l’unique prisme d’une radicale modernité, rejetant par principe toute intentionnalité collective particulière. C’est parce qu’elle associe plus ou moins (in)consciemment le patrimoine aux traditions, puis le traditionalisme aux sociétés d’Ancien régime, que l’américanité est à l’origine de l’abîme du patrimoine et de l’acte de patrimonialisation.
EN :
Heritage is in desperate straits. It is suffering from a serious «affliction» that is difficult to define. How can we explain this phenomenon by placing it more squarely on the path of Quebec’s socio-political trajectory? In order to answer this most worrisome question, this article sets forth a strong (hypo)thesis that, even so, cannot be demonstrated in the primary sense of the term: for this reason we call it an attempt at theorizing. Its objective is to propose an approach toward a response that seems promising to us, and that we hope then to see debated within the academic community and practicians more broadly. To put in a nutshell, we argue that the «heritage disorder» in Quebec can be explained mainly by the prevalence of Americanity – as a dominant idea – to imagine the present being, the past and the future of Quebec society. In so doing, the Quebec nation has come to imagine itself through the single lens of a radical modernity, rejecting on principle any distinctive collective intentionality. It is because it more or less (un)consciously associates heritage with traditions, and then traditionalism with Old Regime societies, that Americanity is at the heart of the heritage chaos and of the act of heritagization.
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Investigation of an Unrecorded Indigenous Copper Kettle Burial at Cap St-Louis, New Brunswick
Eric Tremblay
p. 81–98
RésuméEN :
This article is the result of an investigation about an unrecorded archaeological find in Cap St-Louis (New Brunswick) in 1940. The find was a Copper Kettle Burial as it was practiced by the Mi’gmaq during the 16th and 17th century. No proper recording or conservation efforts had been deployed then since the Copper Kettle Burial was not well known at the time. Most of the funerary objects have been lost or given as mementos to family or friends of finder. The site has been eroded since 1940 but this investigation permitted Parks Canada to assign it a provenience number and ensure proper protection in the future for the site in case other burials appears at this location. Some objects are located at the Musée Acadien de l’Université de Moncton. In the spirit of reconciliation, the university will give back these funerary objects to the Mi’gmaq of New Brunswick.
FR :
Cet article est le résultat d’une enquête sur une découverte archéologique non enregistrée au Cap St-Louis (Nouveau-Brunswick) en 1940. Il s’agissait d’une sépulture à la bouilloire de cuivre telle qu’elle était pratiquée par les Mi’gmaq au cours des XVIe et XVIIe siècles. Aucun effort d’enregistrement ou de conservation n’avait été déployé à ce moment-là, car l’enterrement de la bouilloire de cuivre n’était pas un phénomène bien connu à l’époque. La plupart des objets funéraires ont été perdus ou donnés en souvenir à la famille ou aux amis du découvreur. Le site est érodé depuis 1940 mais cette enquête a permis à Parcs Canada de lui attribuer un numéro de provenance et d’assurer une protection adéquate à l’avenir pour le site au cas où d’autres sépultures se produiraient à cet endroit. Certains objets se trouvent au Musée acadien de l’Université de Moncton. Dans un esprit de réconciliation, l’université remettra ces objets funéraires aux Mi’gmaq du Nouveau-Brunswick.
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Les « techniques savantes » et le savoir-faire du vitrail dans la région de Québec : le maître-verrier québécois Olivier Ferland
Marie Dupont †
p. 99–128
RésuméFR :
Cette étude porte sur les techniques et le savoir-faire de la méthode traditionnelle de plomb du maître-verrier Olivier Ferland (1928-2017). Elle se penche sur l’expérience vécue et les techniques telles que décrites par Ferland lui-même dans ses écrits, ou par des auteurs qui relatent ses propos dans des entrevues culturelles et livrets ecclésiastiques, dans le cadre d’une recension des écrits. L’objectif de ce travail est de développer une perspective d’ensemble et des connaissances générales sur les pratiques, techniques et savoir-faire des vitraux. Il explorera les aspects du savoir-faire et les techniques du vitrail d’autrefois qui ont été transmis jusqu’à ce jour, et montrera qu’il y a à la fois une continuité et des variantes dans ce savoir-faire dans la région de Québec.
EN :
This study focuses on the techniques and skills of the traditional lead method of master glassmaker Olivier Ferland (1928-2017). It looks at the lived experience and techniques as described by Ferland himself in his writings, or by authors who relate his ideas in cultural interviews and ecclesiastical booklets, as part of a literature review. The goal of this work is to develop a broad perspective and general knowledge of stained glass practices, techniques and craftsmanship. It will explore aspects of the skills and techniques of early stained glass that have been passed down to the present day and will show that there is both continuity and variation in these skills in the Quebec City area.
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La lodyans haïtienne et Maximilien Laroche : cheminement d’un patrimoine culturel immatériel haïtien
Ricarson Dorcé
p. 129–149
RésuméFR :
La lodyans, ce savoir-faire propre à l’Haïtien de rendre succinctement compte par exemple d’une histoire avec à la fois un esprit critique et un sens de l’humour très particulier, se transmet de génération en génération. En même temps, elle peut servir à transmettre le savoir local, à mettre en valeur l’identité collective et à critiquer l’ordre social dominant. Peu de chercheurs s’intéressent à ce patrimoine culturel immatériel. Cet article vise à analyser la lodyans dans sa dimension dialectique, et particulièrement suivant les perspectives du professeur Maximilien Laroche. Que veut dire « Bay lodians »? Quelle est la place de Justin Lhérisson dans l’art de la lodyans? Comment mobiliser la lodyans dans l’enseignement des sciences?
EN :
Lodyans, the Haitian skill of succinctly conveying a story, for example, with both a critical mind and a unique sense of humor, is passed down from generation to generation. At the same time, it can be used to transmit local knowledge, to enhance collective identity, and to critique the dominant social order. Few researchers are interested in this intangible cultural heritage. This article aims to analyze lodyans in its dialectical dimension, and particularly from the perspective of Professor Maximilien Laroche. What does “Bay lodians” mean? What is the place of Justin L’hérisson in the art of lodyans? How can we incorporate lodyans in science education?
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Le Musée Huron-Wendat : gouverner son propre patrimoine, par et pour les Wendat
Hélène Bernardot
p. 151–169
RésuméFR :
Cette étude muséologique sur le Musée Huron-Wendat explore les enjeux impliqués dans la gouvernance autochtone d’une institution muséale. Elle examinera comment la culture et l’identité de la Nation Huronne-Wendat est représentée par le musée, et comment les visiteurs la comprennent et interagissent avec elle. Cet article vise ainsi à combler des lacunes dans l’étude des musées des Premières Nations au Québec, qui ont jusqu’à aujourd’hui peu retenu l’attention des chercheurs. Il comprendra une présentation du musée lui-même, qui sera suivie des résultats d’une étude de terrain visant à comprendre quelles sont les pratiques de représentation du patrimoine Wendat au sein de leur musée et comment la communauté ainsi que les visiteurs du musée dialoguent avec celles-ci.
EN :
This museological research on the Musée Huron-Wendat explores the issues surrounding the indigenous governance of a museum institution. It examines how the culture and identity of the Huron-Wendat Nation and its identity is represented at the museum, and how visitors understand and interact with it. The article aims to fill in the gaps in the research on First Nations museums in Quebec, which until now have received little attention from scholars. It includes a presentation of the museum itself, which will be followed by the results of a fieldwork study at the institution that aimed at understanding what are the representation practices of Wendat heritage within their museum, and how the community as well as public interact with those.
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Droits culturels, peuples autochtones et luttes pour la reconnaissance au Nord-Cameroun
Alawadi Zelao et Richard Atimniraye
p. 171–196
RésuméFR :
Les peuples autochtones connaissent diverses formes de domination, d’exclusion et de discrimination tant dans les sphères nationales qu’au niveau des communautés territoriales. Cette étude examine la situation des peuples autochtones au Nord-Cameroun en mettant en exergue les processus et les mécanismes à la fois historiques et sociopolitiques qui ont oeuvré à leur domination culturelle. Dans cette partie du Cameroun, les peuples autochtones sont confrontés à une dynamique de déclassement culturel qui s’exprime par une logique de nivellement mise en oeuvre par les groupes sociaux dominants. Le rapport social laisse entrevoir la suprématie des valeurs culturelles des sociétés islamiques conquérantes sur les valeurs culturelles autochtones. Pour les peuples autochtones, l’expression des droits culturels relève d’une lutte quotidienne. Le mouvement culturel autochtone qui se développe depuis quelques années s’inscrit dans cette perspective de reprise de l’identité culturelle, en même temps qu’il dévoile la volonté des peuples autochtones à vivre et à exister selon les valeurs culturelles qui les distinguent. Les droits culturels constituent un des enjeux majeurs de développement des communautés humaines au Nord-Cameroun.
EN :
Indigenous peoples experience various forms of domination, exclusion, and discrimination at both the national and territorial community levels. This study examines the situation of indigenous peoples in Northern Cameroon, highlighting both the historical and socio-political processes and mechanisms that have worked to bring about their cultural domination. In this part of Cameroon, indigenous peoples are confronted with a dynamic of cultural downgrading expressed through a logic of leveling implemented by the dominant social groups. The social relationship suggests the supremacy of the cultural values of the conquering Islamic societies over indigenous cultural values. For indigenous peoples, the expression of cultural rights is a daily struggle. The indigenous cultural movement that has been developing in recent years is part of this perspective of reclaiming cultural identity while at the same time revealing the desire of indigenous peoples to live and exist according to the cultural values that distinguish them. Cultural rights constitute one of the major development issues for human communities in Northern Cameroon.
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Festival culturel ŋgím nu du peuple Bamendou (Cameroun) : de la lutte contre l’oubli à la restauration des valeurs spoliées
Martin Donlefack
p. 197–220
RésuméFR :
Les questions d’identité et de culture drainent avec elles une forte teneur symbolique en ce qu’elles se situent au centre des rapports humains ; elles ressortent les rapports entre l’homme et son semblable, les brassages des peuples, les syncrétismes culturels, les enjeux économiques, les préoccupations mémorielles… Ces dernières décennies au Cameroun, elles fascinent de plus en plus, suscitent des polémiques, animent des débats et orientent certaines décisions et politiques publiques. En tant qu’entité politique construite sur des valeurs identitaires ou culturelles communes à un peuple et sur des expériences historiques propres à elle, la Chefferie Supérieure Bamendou au Cameroun ne peut que réaffirmer le rôle qu’elle a joué et la place qu’elle a occupée dans tous ces processus historiques. Le festival culturel ngím nu des Bamendou s’inscrit ainsi dans une volonté de valoriser ce pan important de son passé, de lutter contre l’oubli, de rapprocher les peuples en encourageant la culture de paix et de tolérance. C’est donc tous ces aspects qui ont encouragé et soutenu l’organisation de la 54e édition du festival ngím nu en mars 2019 (édition de la relance). Parce que nous avons été au coeur de l’organisation de cet événement, nous avons eu le privilège de rassembler un ensemble de témoignages oraux, écrits et iconographiques. L’exploitation et la confrontation de ces sources nous permettent de présenter un modèle festivalier qui s’impose comme une arme locale et culturelle contre l’acculturation devenue un facteur d’instabilité sociale et politique (conflits ethniques et conflits entre et au sein des grandes religions monothéistes) et comme une implémentation objective des politiques de restauration et de valorisation des valeurs patrimoniales. Ce festival est aussi un moyen efficace de reconstitution d’une mémoire collective effritée par un passé colonial culturellement douloureux.
EN :
The questions of identity and culture carry with them strong symbolic content in that they are at the center of human relations; they bring out the relations between man and his fellows, the intermingling of peoples, cultural syncretisms, economic concerns, memorial considerations... In recent decades in Cameroon, they have become increasingly fascinating, arousing polemics, stimulating debates and guiding certain decisions and public policies. As a political entity built on identity or cultural values common to a people and on its own historical experiences, the Bamendou Supreme Chiefdom in Cameroon can only reaffirm the role it has played and the place it has occupied in all these historical processes. The ngím nu Cultural Festival of the Bamendou is thus part of a desire to recognize this important part of its past, to fight against its being forgotten, to bring people together by encouraging the promotion of peace and tolerance. It is, therefore all these aspects that have encouraged and supported the organization of the 54th edition of the ngím nu Festival in March 2019 (re-launch edition). Because we have been at the forefront in the organization of this event, we have had the privilege of bringing together a series of oral, written and pictorial testimonies. The use and comparison of these sources allow us to present a festival model which stands as a local and cultural weapon against acculturation which has become a factor of social and political instability (ethnic conflicts and conflicts between and within the great monotheistic religions) and as an unbiased application of the policies of restoration and promotion of patrimonial values. This festival is also an effective means of rebuilding a collective memory eroded by a culturally painful colonial past.between its institutional history and its uses and social conceptions that deeply transform it. The argument defended in the book, and taken up again in the article, is that it is by examining its “borders” that we can best approach today what heritage is and what are the issues that it carries, whatever the level, from the local micro scale to the transnational and the international. Ultimately, heritage puts into question the meaning and the ways of functioning of our contemporary societies.