Numéro 33, printemps 2019 restituer (le temps) rendering (time) Sous la direction de Vincent Bouchard et Ira Wagman
Sommaire (14 articles)
Articles
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Temporaliser la photographie : Marker, Varda, Wenders–Salgado
Antoine Constantin Caille
RésuméFR :
À travers trois films qui reposent sur des photographies — Si j’avais quatre dromadaires de Chris Marker (1966), Ulysse d’Agnès Varda (1982) et Le sel de la Terre de Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado (2014) —, cette contribution interroge la valeur et le sens de la restitution du temps. Nous considérons la part que joue dans le film la restitution du contexte bio-historiographique de la photographie, mais aussi la capacité de l’oeuvre photocinématographique à rendre sensible le temps. De quel temps s’agit-il alors ? Celui du réel photographié ou celui inventé par l’oeuvre ? Peut-on restituer ce temps réel et singulier de l’instant photographié, et est-ce cette restitution qui donnera tout son sens à la photographie ? Quelle importance faut-il donner à la singularité du moment ? L’enjeu de la restitution du temps ne dépasse-t-il pas celui de la restitution de cette singularité ?
EN :
Through a discussion of three films based on photographs—Chris Marker’s If I Had Four Camels (1966), Agnès Varda’s Ulysses (1982), and Wim Wenders and Juliano Ribeiro Salgado’s The Salt of the Earth (2014)—this essay questions the value and meaning of rendering time. It considers the importance of the photograph’s bio-historiographic context as well as the ability of the photo-cinematographic work to render time perceptible. But which time is thus concerned? The one of the photographed reality or the one invented by the work of art? Is it possible to render the real and singular time of the photographed instant, and is it this rendering that bestows meaning to the photograph? What importance should be given to the singularity of the moment? Does the challenge of rendering time transcend that of rendering singularity?
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Anarchival Images: The Labour of Chronic Collage
Alanna Thain
RésuméEN :
This essay develops the concept of “chronic collage” through an analysis of two recent works of media reperformance: Tanya Tagaq’s Nanook of the North (2012–) and Guy Maddin and Galen and Evan Johnson’s The Green Fog (2017). Both are remixes commissioned as live performances by film festivals. Tagaq created a resurgent and resistant new soundtrack to Robert Flaherty’s 1922 ethnographic film Nanook of the North and Maddin sampled media works shot in San Francisco to assemble a remake of Alfred Hitchcock’s Vertigo (1958), with a live soundtrack by Kronos Quartet. Taking an ecosophical approach, this essay describes chronic collage as an anti-extractivist critical technique that plays on lived archives of moving image memory across sites of expropriation, exclusion, and contested history. A dynamic form, chronic collage names the attempt to animate the affective agency of temporal objects.
FR :
Dans cet essai, je développe le concept de collage chronique à travers une analyse de deux oeuvres récentes de performance médiatique : Nanook of the North de Tanya Tagaq (2012–) et The Green Fog de Guy Maddin et Galen et Evan Johnson (2017). Ces « remixes » sont tous deux des commandes provenant de festivals de films, présentés à titre de performances. Tandis que Tagaq crée une nouvelle bande-sonore résurgente et résistante pour le film ethnographique Nanook of the North de Robert Flaherty, datant de 1922, Maddin échantillonne des films et des séries tournées à San Francisco pour refaire le film Vertigo d’Alfred Hitchcock, produit en1958, sur une bande-son signée par Kronos Quartet. À travers une approche écosophique, cet essai décrit le collage chronique comme une technique critique anti-extractiviste qui rassemble les archives vivantes des mémoires médiatiques traversant des sites d’expropriation, d’exclusion et d’histoire contestée. Comme forme dynamique, le collage chronique désigne la tentative d’animer l’agentivité affective d’objets temporels.
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Du document aux flux : sites et temporalité(s) de quelques oeuvres d’art
Suzanne Paquet
RésuméFR :
Cet article étudie, à partir de l’image (photographique), les modes d’être de certaines oeuvres d’art, pour lesquelles il n’y a plus de médium unique, mais tout un réseau de gestes, d’images, de résonances et de reprises, circulant et se multipliant, composant ainsi une chronogéographie inédite. Ce sont les questions de leur médialité et des flux sociotechniques contribuant à faire de ces propositions artistiques des entités en réseaux, ainsi que leur temporalité particulière se conjuguant au présent et par la présence, qui sont examinées et exemplifiées à partir des oeuvres Spiral Jetty (1970), de Robert Smithson, Sun Tunnels (1976), de Nancy Holt, et Virtually There (2009–), d’Andreas Rutkauskas.
EN :
Taking the photographic image as its starting point, this article examines artworks that exist not through a single medium, but through a complex network of movements, images, resonances, and repetitions, which circulate and multiply, opening up a peculiar chronogeography. Questions of mediality, temporality, and sociotechnical flux, which contribute to turning these artistic propositions into networked entities combining presence and the present (tense), are thus explored and exemplified through the artworks of Robert Smithson’s Spiral Jetty (1970), Nancy Holt’s Sun Tunnels (1976), and Andreas Rutkauskas’s Virtually There (2009–).
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Film-théâtre, intermédialité et nouveaux enjeux esthétiques
Sandrine Siméon
RésuméFR :
Comment l’analyse intermédiale permet-elle de souligner l’interpénétration médiatique à l’oeuvre entre la performance scénique et les modes d’écriture de l’enregistrement audiovisuel du spectacle vivant ? Cet article évalue les manières dont la rhétorique filmique agit sur le dispositif scénique, puis comment, à son tour, la scène influence l’esthétique inédite du film-théâtre, lui conférant un statut autotélique.
EN :
In what ways does intermedial analysis highlight the interactions that occur between media when live performances are being recorded? This article explores how film rhetoric influences theatrical staging and, in turn, how the scenographic apparatus affects the innovative aesthetic of film-theatre, granting it autotelic status.
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Mémoire et affect dans les recontextualisations multimédiatiques de chansons populaires : autour de Fortunate Son de Creedence Clearwater Revival (CCR) (1969)
Andréane Morin-Simard
RésuméFR :
Cet article s’intéresse aux effets de la circulation massive de la chanson Fortunate Son (CCR, 1969) dans les médias audiovisuels sur différents registres mémoriels et affectifs. L’association de la chanson avec la guerre du Viêt Nam et la manière dont le jeu vidéo contribue à la perception de l’événement historique sont explorées par l’entremise d’une analyse du jeu de tir à la première personne Call of Duty: Black Ops (2010).
EN :
This article explores the wide circulation in audiovisual media of the song Fortunate Son (CCR, 1969) and its effects on various memory and affective registers. The song’s association with the Vietnam War and the ways in which video games contribute to our perception of historical events are explored through an analysis of the first-person shooter game Call of Duty: Black Ops (2010).
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Volume-Image: The Future as Memory in Thierry Kuntzel’s Video Installation The Waves (2003)
Anaïs Nony
RésuméEN :
Video-objects are often discussed in terms of their ability to reflect upon the speed of our narcissistic culture, but less acknowledged is video’s agency to perform electronic events outside of human experience. This article engages in scholarship interested in the space of video operations where lived and imagined, real and virtual phenomena are experienced at the threshold of perception. Bringing into this conversation a discussion of The Waves (2003), an interactive installation by video pioneer and media critic Thierry Kuntzel, the article moves away from the time/movement nexus grounded in a filmic understanding of the image to position video-memory as the emergence of a volume of time. Different from the time-image and movement-image of cinema, the volume-image of video defines a mode of engaging with multiple temporalities within the continuum of the video itself. Constituted progressively through layers of ever-changing signal processes, the volume-image of video technology is an open field, a transductive zone where multiple intensities create new representational rhythms, which disrupt the durational model of time so often attached to human experience.
FR :
L’objet vidéo est souvent analysé pour sa capacité critique en rapport avec la vitesse de notre culture narcissique et moins souvent pour sa capacité à produire des événements éléctroniques qui échappent à l’expérience humaine. Cet article considère les travaux scientifiques qui s’intéressent à l’espace où s’inscrivent les opérations vidéo, un espace où les phénomènes vécus et imaginaires, réels et virtuels existent au seuil de la perception. Étudiant l’oeuvre The Waves (2003) du pionnier de l’art vidéo en France et critique des médias Thierry Kuntzel (1951–2007), je m’éloigne du paradigme filmique qui comprend le temps et le mouvement comme catégories de l’expérience et pose le volume des opérations vidéos comme l’émergence d’une nouvelle forme de mémoire. Différente de l’image-temps et de l’image-mouvement du cinéma, l’image-volume de la vidéo définit un mode d’engagement avec des temporalités multiples au sein même du continuum de l’opération vidéo. Constituée progressivement par couches successives de signaux électroniques, l’image-volume de la vidéo est un champ ouvert, une zone transductive où de multiples intensités créent de nouveaux rythmes représentationnels. Ces derniers font brèche le model du temps si souvent calibré sur l’expérience humaine.
Recherche-création / Research Creation
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Making Memories: Time and Responsibility in Intermedial Metatheatre
Lowell Gasoi
RésuméEN :
That performance can be captured and replayed may be a given, but much less well-understood is the relationship between that stored performance, the memory of a performed act, and the live event. The practice of intermedial theatre offers a unique way to probe that relationship, and the awareness of metatheatre further exposes the links between memory, technology, and performance. This paper argues that intermedial metatheatre, and my own work as a director, video-maker, and video performer for a 2014 production of Daniel MacIvor’s play Never Swim Alone, provides a valuable model for research-creation that can shed light on these questions in an embodied and experiential manner. Engaging with Sarah Kember and Joanna Zylisnka’s notion of performative media, as well as the concept of memory work from Annette Kuhn, I offer thoughts on materiality, time, and mediated memory, captured through technologies like camera and sound recording equipment, and in constructed spaces like studios and rehearsal rooms, represented by projection mapping software and digital projectors in the theatre space. All these are integrated into the network of actors and techniques that make up current practices in intermedial theatrical creation. Can this research begin to unravel ideas of authenticity and liveness when reactivating memories in relation to live actors, and before an audience? And what of our responsibility to the digital representation and the live performer when bringing these memories and moments together? How does the network of technologies and practitioners in intermedial theatre creation and presentation, understand and respect the “lifeness” of a mediated memory?
FR :
Il est peut-être admis qu’une performance peut être captée et rediffusée, mais le rapport existant entre cette performance enregistrée, la mémoire de l’acte performé et l’événement direct est bien moins évident. De même que la pratique d’un théâtre intermédial offre une perspective spécifique sur ce rapport, prendre conscience de la métathéâtralité permet de mettre en évidence les liens existant entre mémoire, technologie et performance. Dans cet article, je soutiens que le métathéâtre intermédial, au même titre que mon propre travail de metteur en scène, vidéaste et performeur vidéo lors de la production en 2014 de Never Swim Alone — une pièce de Daniel MacIvor —, est un bon exemple de recherche-création pouvant éclairer ces questions de façon concrète et expérientielle. À partir de la notion de média performatif développée par Sarah Kember et Joanna Zylinska et du concept de travail de mémoire pensé par Annette Kuhn, je propose une réflexion sur la matérialité, le temps et la reconstitution médiatique de la mémoire, captés par des technologies telles que les caméras et les équipements de prise de son, et dans des espaces construits comme les studios et les salles de répétition, représentés par des logiciels cartographiant les projections et par des projecteurs numériques installés dans l’espace théâtral. Tous ces éléments sont intégrés à un réseau d’acteurs et de techniques qui rendent compte des pratiques ayant cours dans les créations du théâtre intermédial. Cette recherche est-elle capable d’éclaircir les idées d’authenticité et de liveness quand sont réactivées des mémoires par la présence des acteurs sur scène, et ce, devant une audience ? Et qu’en est-il de notre responsabilité à l’égard de la représentation numérique et des performeurs, lorsque nous réunissons ces mémoires et ces moments ? De quelle manière le réseau de technologies et d’agents investis dans la création et la présentation de pièces de théâtre intermédial comprend-il et respecte-t-il la lifeness d’une mémoire reconstituée médiatiquement ?
Dossier — Essais on William Basinski / Essays on William Basinski
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(De)compositions: Time and Technology in William Basinski’s The Disintegration Loops (2002)
Jakko Kemper
RésuméEN :
This paper analyzes William Basinski’s album The Disintegration Loops (2002) and argues that its aesthetic rendition of temporality and finitude is relevant in view of the relation between technology and the human perception of time for three reasons. First, the technological apparatus responsible for its creation mirrors the Derridean concepts of the spacing of time and autoimmunity. Second, the album’s affective appeal illustrates Martin Hägglund’s notion of chronolibido. Third, the music gives rise to a temporal media experience that exists at odds with the media experience afforded by what Mark B.N. Hansen has described as twenty-first-century media. Together, these three dimensions make The Disintegrations Loops an object that allows for an empirical grounding of the discussed theorizations of time and media.
FR :
Cet article analyse l’album The Disintegration Loops (2002), de William Basinski, et soutient que son interprétation esthétique de la temporalité et de la finitude est pertinente au regard de la relation entre technologie et perception humaine du temps pour trois raisons. Premièrement, l'appareil technologique responsable de sa création reflète les concepts derridéens d'espacement et d'auto-immunité. Deuxièmement, l’appel affectif de l’album illustre la notion de chronolibido de Martin Hägglund. Troisièmement, la musique donne lieu à une expérience médiatique temporelle qui contraste avec l'expérience médiatique offerte par ce que Mark B.N. Hansen appelle les « médias du 21e siècle ». Ensemble, ces trois dimensions font de The Disintegration Loops un objet qui permet de donner une base empirique aux théories discutées du temps et des médias.
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Repetition, Feedback, and Temporality in Two Compositions by William Basinski
David Christopher Jackson
RésuméEN :
In this essay I examine how William Basinski’s loop-based recordings reveal and extend the aesthetic concurrence between technological, biological, and human duration, memory, and the perception of the industrial temporal object. The examination of how looping stresses a composition’s flow in the perception of a time-based media object and the exchange between memory and the machine as a performance and configuration of the mental sphere, pursues a line of thought that brings together ideas about repetition in Basinski’s compositions as a sonic reformatting of the mental sphere and the technology of Basinski’s slow, analog, compositions contra the accelerated digitalism of twenty-first-century life.
FR :
Dans cet article, j’examine comment les enregistrements en boucle de William Basinski révèlent et étendent la concurrence esthétique entre la durée technologique, biologique et humaine, la mémoire et la perception de l’objet temporel industriel. Examiner comment le bouclage souligne la circulation d’une composition dans la perception d’un objet médiatique temporel et l’échange entre la mémoire et la machine comme performance et configuration de la sphère mentale poursuit une ligne de pensée qui rassemble les idées sur la répétition de la composition de Basinski, le reformatage sonore de la sphère mentale pour connecter la technologie des compositions lentes et analogiques de Basinski contra le digitalisme accéléré de la vie du 21e siècle.