Circuit
Musiques contemporaines
Volume 15, Number 3, 2005 Souvenirs de Darmstadt : retour sur la musique contemporaine du dernier demi-siècle Guest-edited by Nicolas Donin and Jonathan Goldman
Table of contents (12 articles)
Introduction
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Les cours d’été de Darmstadt, du mythe au chantier
Nicolas Donin
pp. 5–18
AbstractFR:
L’auteur présente le chantier d’une histoire de Darmstadt qui s’appuierait sur le travail pionnier de Gianmario Borio et Hermann Danuser (1997) portant sur l’âge d’or héroïque (vers 1948-1963) des Ferienkurse, et l’enrichirait à la fois par de nouvelles approches complémentaires et par la prise en considération de l’ensemble de la période d’activité de l’institution.
Darmstadt est vu comme le lieu de constitution d’une mémoire collective et d’une culture singulières. Son histoire devrait inclure (sans se limiter à eux) aussi bien les récits légendaires que les anecdotes, aussi bien les succès fameux que les échecs oubliés de tous. Les cours d’été sont aussi la scène sur laquelle se seront révélés et exposés les principaux acteurs — les héros autant que les anti-héros — de ce qu’on appelle désormais « la musique contemporaine », de la trinité Boulez-Nono-Stockhausen à des personnalités telles que Hermann Heiss, Bernd Alois Zimmermann ou Karel Goeyvaerts.
L’auteur propose une histoire de Darmstadt dont l’intrigue est tissée de mythèmes puissants, actifs, souvent consciemment recherchés par les fondateurs des cours d’été : la dimension cosmopolite, la jeunesse des participants, la radicalité esthétique tendant à la tabula rasa, le risque de produire un espéranto, et le goût pour des théories compositionnelles hautement prescriptives et formalisées.
EN:
The author sketches out a project for a historiography of Darmstadt which, now that its most "glorious" and "heroic" chapter (c. 1948-1963) is long since closed, may now be written. The starting point for this study is Borio and Danuser's (1997) groundbreaking work. Perceived as a site of collective memory, of a vast human construction, any history of Darmstadt would have to include, but not be limited to, the legendary stories associated with it, the insignificant anecdotes, the fleeting successes, and the unqualified failures. The Ferienkurse are also the stage for the actors behind what became known as "contemporary music", the heroes and anti-heroes from the Boulez-Nono-Stockhausen trinity to figures like Hermann Heiss, Bernd Alois Zimmermann, and Karel Goeyvaerts. The author proposes a view of Darmstadt's history in which plots are shaped by the institution's dominant mythologies, many of which were consciously conceived by its founders as the raison-d'être of the summer courses. These include cosmopolitanism, youth, radicalism, the tendency towards tabula rasa, the quest for a musical Esperanto, and the affinity for strongly prescriptive compositional theories and manifestoes.
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Souvenirs de Darmstadt, mode d’emploi
Nicolas Donin and Jonathan Goldman
pp. 19–22
AbstractFR:
Brève introduction à la démarche de ce numéro consacré à l’histoire des Ferienkurse de Darmstadt à travers la publication d’archives, l’analyse musicologique et la sollicitation de la parole des témoins.
Les origines de la « musique contemporaine », désignation caractéristique de la musique savante du dernier demi-siècle, se situent en bonne part à Darmstadt : aussi est-il bien normal de s’adresser à Darmstadt — mais si possible avec de nouvelles questions et de nouvelles attentes — lorsque l’on veut analyser le présent de la musique contemporaine.
EN:
A brief introduction to the approach adopted in this issue devoted to the history of the Darmstadt Ferienkurse, built up from the publication of archival materials, musicological inquiry, and the recording of testimonials from former participants. "Contemporary music", a term frequently applied to the learned music of the past fifty years, appears to derive to a great extent from the Darmstadt phenomenon. Thus a study of the institution seems inevitable—but with new questions and new expectations—and integral to any analysis of present-day contemporary music.
Document
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Table ronde de 1963, journées des 16, 18 et 23 juillet : avec Luciano Berio, Pierre Boulez et Henri Pousseur
Marc Chenard and Jean-Jacques Nattiez
pp. 23–52
AbstractFR:
Transcription inédite de trois tables rondes ayant eu lieu à Darmstadt en juillet 1963, dont les intervenants étaient Luciano Berio, Pierre Boulez et Henri Pousseur.
Chaque compositeur annonce les thèmes qu’il va aborder dans le cadre de ses cours. En débattant entre eux et en répondant aux questions de la salle, ces trois compositeurs abordent des questions fondamentales telles celles du métier, de la technique, du geste, du langage et de la syntaxe, de la forme, et de l’esthétique.
Au-delà des réponses provisoires qu’ils avancent, cette transcription offre une vue sur le fonctionnement ordinaire du débat esthétique et technique à Darmstadt vers la fin de la période qu’on pourrait nommer « héroïque » — avec ses enjeux idéologiques, ses rivalités et avec sa façon toute particulière de déterminer les problèmes de la création musicale contemporaine.
EN:
A previously unpublished transcript of three round table discussions held at Darmstadt in July of 1963, whose participants included Luciano Berio, Pierre Boulez and Henri Pousseur. Each composer describes the subject of his course. In the debate amongst the round table participants and members of the audience that follows, these three composers raise fundamental questions about artistic craft, technique, gesture, language and syntax, form and aesthetic.
Beyond the provisional observations put forward by these composers, this transcript sheds light on the practices surrounding aesthetic and technical debate at Darmstadt near the end of the so-called "heroic" period, with its ideological sparring, rivalries, and highly particular manner of setting forth problems associated with contemporary musical composition.
Souvenirs
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Composer dans l’ombre de Darmstadt (1987)
Helmut Lachenmann
pp. 53–66
AbstractFR:
Dans cet article rédigé en 1987 et publié en 1996 dans le recueil de texte intitulé Musik als existentielle Erfahrung, le compositeur Helmut Lachenmann porte un regard critique et autocritique sur l’expérience des cours d’été de Darmstadt, depuis le début des années 1950 jusqu’au début des années 1980.
Décennie par décennie, il dégage les divers courants et tendances qui ont marqué l’histoire de Darmstadt en explicitant les paradoxes parfois insolubles engendrés par l’attitude avant-gardiste dont les cours d’été avaient fourni le modèle autour de 1950. À chaque fois, il se réfère à des expériences vécues, faisant intervenir Luigi Nono (son professeur autour de 1960), Dieter Schnebel, John Cage ou Karlheinz Stockhausen.
Partisan d’un « structuralisme dialectique », l’auteur spécifie enfin sa position — en référence au festival de Donaueschingen de 1980 et à un texte de 1982, « Affect et aspect » — par rapport à celles de Wolfgang Rihm et de Walter Zimmermann, ainsi que d’autres compositeurs ayant (ou non) tenté de théoriser leur relation à la tradition et à la subjectivité.
EN:
Written in 1987 and published in a collection entitled Musik als existentielle Erfahrung in 1996, this article by composer Helmut Lachenmann takes a critical and self-critical look at the experience of the Darmstadt summer courses, between the early 1950s and the beginning of the 1980's. Decade by decade, he reveals the various currents and tendencies that marked the history of Darmstadt, uncovering the sometimes insoluble paradoxes engendered by the avant-garde attitude spawned by the Darmstadt model around 1950. He tells of his experiences with Luigi Nono (his teacher in the early 1960's), Dieter Schnebel, John Cage, and Karlheinz Stockhausen. As a partisan of "dialectic structuralism", the author clarifies his own position—with reference to the 1980 Donaueschingen festival and a 1982 text entitled "Affekt und Aspekt"—in relation to those of Wolfgang Rihm and Walter Zimmermann, as well as other composers, some of whom attempted to theorize their relationship to tradition and subjectivity.
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[Sans titre]
Christopher Fox
pp. 67–70
AbstractEN:
A participant at the Darmstadt courses as both a student and teacher between 1982 and 1994, British composer Christopher Fox evokes the many friendships he formed in this place. He describes the vitality of the concerts presented at Darmstadt, including performances of his own music, among others. As a result of his experiences, Fox has written extensively on Darmstadt, with particular attention to the Hommel era, which he witnessed from the beginning.
FR:
Participant aux cours de Darmstadt en tant qu’étudiant puis comme professeur, entre 1982 et 1994, le compositeur britannique Christopher Fox évoque les nombreux liens d’amitié qui se sont tissés dans cet endroit, et la vitalité des concerts qui y étaient présentés. Ces expériences l’ont amené à écrire sur le Darmstadt de l’époque Hommel, dont il a été le témoin de façon ininterrompue.
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Das Einfachste, schwer zu machen [Bertolt Brecht]
Brice Pauset
pp. 71–72
AbstractFR:
En prenant la gare de Darmstadt comme métonymie, le compositeur français, qui a fréquenté les Ferienkurse au cours des années 1990, les décrit sous le double signe de la ruine et du consumérisme. Il n’exclut pourtant pas que puisse s’y manifester quelque forme de transcendance.
EN:
A French composer who visited Darmstadt on several occasions in the 1990's, Brice Pauset uses the Darmstadt train station. He describes the Ferienkurse as a double-edged manifestation of ruin and consumerism. At the same time, he acknowledges aspects that constitute a form of artistic transcendence.
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Darmstadt as Refectory (Mess Hall)
John Rea
pp. 73–77
AbstractEN:
John Rea followed up his term as composer-in-residence in Mannheim with an immersion in the 1984 summer courses. Here the Canadian composer relates a series of anecdotes, which include his surprise at being recognized (or actually not recognized) as the composer of Pincer la musique aujourd’hui, and his subsequent attendance at a concert of Xenakis's music accompanied by Morton Feldman, who later shared a number of secrets with him. This leads the author to a reflection on the Darmstadt of his generation, and that of today.
FR:
Présent au cours de 1984 après une résidence à Mannheim, le compositeur canadien relate une série d’anecdotes au cours desquelles, il est étonné d’être (ou de ne pas être) reconnu comme l’auteur d’un Pincer la musique aujourd’hui au titre remarqué. Il évoque ensuite un concert de musique de Xenakis auquel il a assisté en compagnie de Morton Feldman, qui lui fit des confidences passablement intimes. S’ensuivent quelques réflexions plus générales sur le Darmstadt de sa génération et sur celui d’aujourd'hui.
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[Sans titre]
Gerhard Stäbler
pp. 78–81
AbstractFR:
Après Darmstadt 1972 et Darmstadt 1974, au cours desquels il a assisté aux conférences de Stockhausen, Ligeti et Christian Wolff, le compositeur allemand prend ses distances vis-à-vis des préoccupations centrales des cours d’été de cette époque. Il retourne aux Ferienkurse après une absence volontaire de près de deux décennies, pendant lesquelles des questions sociales et politiques d’ordre plus concret le préoccupent davantage. Il présente alors son oeuvre multimédia pour plusieurs artistes [voix(time)] et découvre que le Darmstadt des années 1990 est plus réceptif à ses préoccupations sociales, ainsi qu’aux oeuvres multimédias et collectives.
EN:
As a student at Darmstadt between 1972 and 1974, where he heard lectures by Stockhausen, Ligeti, and Christian Wolff, this German composer discusses the distance that developed between his own views, and the central preoccupations of Darmstadt in the 1970's and 1980's. He returned to Darmstadt after a voluntary hiatus of nearly two decades, in which more concrete social and political concerns preoccupied him, in order to present his collaborative multi-media work [voix(time)]. He discovered that Darmstadt of the 1990's was receptive to his social concerns, and open to multimedia and collective works.
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Darmstadt 1992 — the Understory
Paul Steenhuisen
pp. 82–86
AbstractEN:
Present at Darmstadt in 1992, this Canadian composer also had several of his works performed, notably by the celebrated violinist Irvine Arditti. He relates his nearly missed encounter with Helmut Lachenmann, and the friendships he made with other Canadian composers and performers. Steenhuisen describes a Darmstadt true to its reputation as arrogant and unhealthily competitive and self-conscious, but also still capable of delivering profoundly inspired, spontaneous, and strong musical moments.
FR:
Présent à Darmstadt en 1992, le compositeur canadien y a présenté et fait travailler plusieurs de ses oeuvres (notamment par le violoniste Irvine Arditti). Il relate sa rencontre — presque manquée — avec Helmut Lachenmann, et des liens d’amitiés tissés avec d’autres compositeurs et interprètes canadiens. Il décrit un Darmstadt non dénué d’arrogance et de concurrence malsaine, mais aussi capable d’être le lieu de moments musicaux spontanés, inspirés et d’une grande force.
Analyse(s)
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L’analyse musicale comme processus d’appropriation historique : Webern à Darmstadt
Gianmario Borio
pp. 87–122
AbstractFR:
La réception de la musique d’Anton Webern dans les cercles avant-gardistes de Darmstadt constitue l’une des questions centrales permettant de comprendre les relations entre les pensées compositionnelles de la première et de la deuxième moitié du XXe siècle.
L’auteur s’appuie sur un « kaléidoscope » d’analyses différentes (voire contradictoires entre elles) d’une même oeuvre, l’opus 27 de Webern, pour montrer de quelle façon les musiciens des années 1950 ont utilisé Webern à la fois comme modèle, source d’autorité, miroir, voire prétexte de leurs propres techniques de composition et convictions esthétiques. La façon dont Stadlen, Leibowitz, Schnebel, Pousseur analysent Webern en dit long sur l’enjeu que recouvrait alors l’appropriation savante des partitions du Viennois. En complément, des analyses de Nono, Ligeti, Pousseur et Stockhausen (sur un corpus wébernien plus large) sont sollicitées.
Au terme de ces comparaisons, l’analyse musicale s’avère l’instrument fondamental de transmission du savoir d’une génération à l’autre, et l’un des moyens pour déterminer l’horizon de nouvelles techniques compositionnelles.
EN:
The reception of Anton Webern's music in the avant-garde circles of Darmstadt constitutes a nexus through which the relationships amongst various ideas about composition that permeated the second half of the twentieth century may be understood. The author approaches the subject as a kaleidoscope of various often contradictory analyses of the same work, Webern's Opus 27, in order to demonstrate how musicians of the 1950's appropriated it as a model, source of authority, mirror, even as a pretext for their own compositional techniques and aesthetic convictions. The different ways in which Stadlen, Leibowitz, Schnebel, and Pousseur analyzed Webern reveal a great deal about the politics attached to the learned appropriation of this Viennese composer's work. Analyses by Nono, Ligeti, Pousseur, and Stockhausen (of a broader corpus of Webern's music) further complement this study. Through comparison, music analysis becomes a fundamental instrument used to disseminate knowledge from one generation to another, and one of the means to determine the horizon of new compositional techniques.