Volume 42, Number 1-2, 2020 Patrimoine industriel Industrial Heritage Guest-edited by Robert Belot, Luc Rojas and Richard Cantin
Table of contents (18 articles)
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L’émergence du patrimoine industriel en Europe comme champ de recherche : l’apport de Maurice Daumas à travers l’enquête du CNAM
Robert Belot
pp. 3–45
AbstractFR:
Maurice Daumas (1910-1984) est un fondateur, mais dont on a désappris le nom. Conservateur au Conservatoire national des Arts & Métiers à Paris, puis titulaire de la première Chaire d’histoire des techniques, il a dirigé la monumentale Histoire générale des techniques (PUF, 1968-1979). C’est lui qui a fait entrer le patrimoine industriel dans le champ académique français en fondant la revue L’Archéologie industrielle en France et en publiant en 1980 un livre qui porte le même titre. Dans ce livre, Daumas évoque, notamment, les très riches heures de l’histoire industrielle de la région stéphanoise. Suite à la découverte récente des archives de l’enquête nationale qu’il a conduite sur plusieurs années pour documenter son livre, nous proposons d’étudier la manière dont il a abordé l’héritage industriel stéphanois, en mettant à jour la méthodologie qu’il a utilisée et les réseaux locaux sur lesquels il s’est appuyé. In fine, il s’agit d’observer la naissance d’un champ de recherche en France et en Europe : l’archéologie industrielle.
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The Advent of Europe’s Industrial Heritage as a Field of Research: The contribution of Maurice Daumas through the CNAM Survey
Robert Belot
pp. 47–88
AbstractEN:
Maurice Daumas (1910-1984) was a founder, but whose name is now forgotten. He was a curator at the Conservatoire national des Arts & Métiers (Paris), then holder of the first Chair in the history of techniques, and he directed the monumental Histoire générale des techniques. It was him who brought industrial heritage into the French academic field by founding the journal L’Archéologie industrielle en France and by publishing in 1980 a book with the same title. In this book, Daumas evokes in particular the glorious timesof industrial history in the Saint-Étienne region. Following the recent discovery of the archives of the national survey that he conducted over several years to document his book, I propose to examine the way in which he approached the industrial heritage of Saint-Étienne, the first French industrial city for a long time, by updating the methodology he used and the local networks on which it relied. In sum, this contribution is about the birth of a field of research in France and in Europe: industrial archeology.
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Pour une exégèse des écrits de l’historien Louis Bergeron
Bernard André
pp. 89–106
AbstractFR:
Décédé en 2014, Louis Bergeron a été l’un de ceux qui ont le plus contribué à la prise en considération du patrimoine de l’industrie en France à partir des années 1975, puis dans le monde à la fin du XXe siècle et au début du XXIe. Historien, directeur d’études dans l’un des plus grands établissements de recherche français, il a beaucoup travaillé sur les élites financières et industrielles de la France au XIXe siècle. Intimement convaincu qu’il fallait conserver les traces matérielles de l’industrie depuis son émergence, en tant que témoignages d’une culture technique commune à toutes les grandes nations, au même titre que les cultures religieuses ou artistiques, il a décuplé des initiatives dans de nombreux pays. Mais il n’a pas eu le temps de rédiger le grand ouvrage que beaucoup attendait de lui. C’est pourquoi, pour retracer sa pensée, sa philosophie et les conditions de ses actions, il convient de construire un corpus de ses innombrables écrits.
EN:
Louis Bergeron, who died in 2014, was one those who contributed the most to the consideration of industrial heritage in France since 1975, and throughout the world since the end of the 20th century and the beginning of the 21st. As a historian and research director in one of the largest French research establishments, he worked extensively on the financial and industrial elites of France in the 19th century. Firmly convinced that it was necessary to preserve the material traces of the industry since its emergence, as testimonies of a technical culture common to all the great nations, in the same manner as religious or artistic cultures, he has spawned research initiatives in many different countries. He however didn’t have time to write the great work that many expected of him. This is why, in order to retrace his thought, his philosophy and the conditions of his actions, it is necessary to build a corpus of his innumerable writings.
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Archéologie industrielle et patrimoine industriel : le « triangle » du Patrimoine
Pierre Fluck
pp. 107–128
AbstractFR:
Cet article questionne dans un premier temps la définition de l’archéologie industrielle, lui préférant la locution plus nuancée « archéologie des mondes industriels ». Il constate le basculement, dans les appétences des chercheurs, en direction du champ sans doute plus attractif du patrimoine industriel. Celui-ci fait l’objet d’une analyse conduite à partir de cas d’études, qui aboutit à une cartographie revêtant la forme d’un triangle équilatéral mettant en balance les éléments naturels, les réalisations matérielles d’origine anthropique et le patrimoine immatériel. Au vu de ces approches, il apparaît très clairement que les aires de l’archéologie et du patrimoine ne se recouvrent que partiellement. On aborde enfin, dans l’immense foule des traces laissées par l’industrie, celles pour lesquelles la certification patrimoniale se révèle réfutable, ouvrant ainsi le champ d’un héritage passif de l’Anthropocène.
EN:
This article first questions the definition of industrial archeology, and insists on preferring the more nuanced phrase of « archeology of industrial worlds ». It highlights a shift of interest from researchers towards the undoubtedly more attractive field of industrial heritage. This is the object of an analysis carried out on case studies, which results in a cartography that takes the shape of an equilateral triangle with each vertex representing the natural elements, the material achievements of human origin, and the intangible heritage. In view of these approaches, it appears clearly that the fields of archaeology and cultural heritage overlap only partially. Finally, among the immense number of traces left by the industry, the article examines those for which heritage certification has proved to be refutable, thus opening up the field of a passive heritage of the Anthropocene.
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Héritage industriel et systèmes paysagers
Pierre Fluck
pp. 129–145
AbstractFR:
Dans cette contribution, nous interrogeons l’héritage de la pratique de l’industrie à travers les paysages qu’elle nous a laissés, visibles ou plus subtils, patrimoniaux ou repoussants, ce qui nous conduit à en proposer une typologie. Une mise en garde s’impose sur les marques du temps appliquées aux réalisations humaines, qui ont comme corollaire la transformation de la quasi-totalité des « paysages » nés de l’industrie, sous l’action des effets de la nature quelquefois secondée par les êtres humains. Manifestation de l’Anthropocène, cette rétroaction aboutit à des « méta-paysages » dont le déchiffrage est l’affaire du chercheur. Celui-ci remonte ainsi aux « paléo-paysages » qui se révèlent pourtant en mouvement quasi-perpétuel dans l’épaisseur du temps. Nous proposons une représentation triangulaire aux fins d’analyser les différents types de systèmes paysagers imposés par l’industrie, en fonction du déterminisme naturel – hydraulique, ressources de la géosphère ou de la biosphère – et de l’organisation des sociétés.
EN:
This contribution explores the legacy of industrial activities through the landscapes they have left, whether visible or more subtle, heritage or repulsive, in order to propose a typology. A caveat is called for the marks of time left on human achievements that have as a corollary the transformation of almost all the “landscapes” born of industry under the action of the effects of nature sometimes assisted by humans. As a manifestation of the Anthropocene, this feedback results in “meta-landscapes” whose deciphering is the work of the researcher. It thus goes back to the “paleo-landscapes” which nevertheless appear to be in almost perpetual motion in the depth of time. We propose a triangular representation for the purpose of analyzing the different types of landscape systems imposed by the industry, depending on natural determinism – hydraulic, geosphere or biosphere resources – and the organization of societies.
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Industrial Archaeology at the TU Bergakademie Freiberg in Germany, in International Context
Helmut Albrecht
pp. 147–166
AbstractEN:
This article gives an overview about the development of the teaching and research activities in industrial archaeology at the Institute for Industrial Archaeology, History of Science and Technology at the University of Technology and Mining Academy Freiberg in Germany in international context. It outlines the international development of the new discipline of industrial archaeology from its beginning until today with a special focus on Germany. It discusses the subject area, objectives and methodology of industrial archaeology as well as its relation to industrial heritage, industrial monument preservation and industrial culture.
FR:
Cet article donne un aperçu du développement des activités d’enseignement et de recherche en archéologie industrielle à l’Institut d’archéologie industrielle, d’histoire des sciences et des technologies de l’Université de technologie et de l’Académie des mines de Freiberg en Allemagne dans un contexte international. Il décrit le développement international de la nouvelle discipline de l’archéologie industrielle depuis ses débuts jusqu’à aujourd’hui, avec un accent particulier sur l’Allemagne. Il aborde le sujet, les objectifs et la méthodologie de l’archéologie industrielle ainsi que sa relation avec le patrimoine industriel, la préservation des monuments industriels et la culture industrielle.
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Héritage industriel en Algérie, entre reconnaissance et abandon : le cas du patrimoine minier et agricole de la ville d’Annaba
Righi Seif-El-Islam
pp. 167–185
AbstractFR:
L’héritage industriel minier et agricole de l’Algérie appartient à la période coloniale. Plus de cinquante ans après l’indépendance du pays, se pose la question de sa connaissance et de sa reconnaissance patrimoniale. Cet article essaiera de retracer l’évolution des biens culturels classés pendant et après la colonisation et de leur perception. Pour cela, il est proposé, dans un premier temps, de définir l’importance et les particularités de cet héritage à travers l’impact du processus de l’industrialisation au niveau social, économique et technique dans une période coloniale. Dans un deuxième temps, il analysera les raisons de la faible reconnaissance du patrimoine industriel par les instances culturelles algériennes, ce qui pourrait constituer une menace pour les biens en question, mais aussi un déficit dans l’affirmation et la valorisation de l’identité d’une ville et d’une région.
EN:
Algeria’s mining and agricultural industrial heritage dates back to the colonial period. More than fifty years after the country’s independence, the question of the knowledge and recognition of its industrial heritage come to the fore. This article will attempt to retrace the evolution of classified cultural goods during and after colonization and their perception. It proposes first to define the importance and the specificities of this cultural heritage by examining the impact of the industrialization process at the social, economic and technical levels in the colonial period. Secondly, it will analyze the reasons for the feeble recognition of industrial heritage by Algerian cultural authorities, which could constitute a threat for the assets in question, but also a weakness in the affirmation and promotion of the identity of a city and a region.
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Une brève histoire de la politique de valorisation du patrimoine industriel en Belgique
Patrick Viaene
pp. 187–201
AbstractFR:
La Belgique ayant été le premier pays de l’Europe après l’Angleterre à connaître une industrialisation massive, il n’est pas étonnant d’y trouver aujourd’hui un patrimoine industriel d’une grande densité et d’une riche diversité. L’étude scientifique de ce patrimoine commence au début des années 1970, en particulier avec l’importante exposition « Le Règne de la Machine », organisée à Bruxelles en 1975. Mais la régionalisation des compétences culturelles (notamment), lancée dans les années 1980, ne facilite pas la sauvegarde de ce patrimoine et les projets de grande envergure. Pourtant, il importe de souligner l’importance croissante de certains musées industriels et de société comme le MIAT (Industriemuseum) à Gand, la Maison de la Métallurgie à Liège et La Fonderie à Bruxelles. Depuis les années 1990-2000, le patrimoine industriel s’inscrit dans les logiques d’attraction touristique qui se traduit par l’inscription de certains sites industriels belges dans la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO. Depuis les deux dernières décennies, la recherche scientifique s’empare du phénomène et stimule les politiques de rénovation et de réaffectation durable d’anciens ensembles industriels et technologiques.
EN:
Since Belgium was the first country in Europe after England to experience massive industrialization, it is not surprising to find today an industrial heritage of great density and rich diversity. The scientific study of this heritage began at the beginning of the 1970s, in particular with the important exhibition “Le Règne de la Machine”, organized in Brussels in 1975. But the regionalization of cultural skills (in particular), launched in the 1980s , does not facilitate the safeguarding of this heritage and large-scale projects. However, it is important to underline the growing importance of certain industrial and social museums such as the MIAT (Industriemuseum) in Ghent, the Maison de la Métallurgie in Liège and La Fonderie in Brussels. Since the years 1990-2000, industrial heritage has been part of the logic of tourist attraction which results in the inclusion of certain Belgian industrial sites in the UNESCO World Heritage List. For the past two decades, scientific research has taken hold of the phenomenon and has stimulated policies for the renovation and sustainable reallocation of old industrial and technological complexes.
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Patrimoine industriel et rapports de classes
Thomas Zanetti
pp. 203–216
AbstractFR:
Historiquement, le patrimoine et les monuments sont associés aux puissants, au contraire des catégories populaires. Dans le cas de l’industrie, la mise en patrimoine des héritages traduit fréquemment des rapports interclassistes de domination et d’exploitation. Mais la dimension spatiale des mémoires peut aussi constituer un moyen de dénonciation, de lutte et de résistance face aux inégalités sociales. La mémoire et le patrimoine sont donc des instruments de pouvoir sur et dans l’espace et des objets particulièrement pertinents pour analyser les relations entre groupes sociaux. Cet article s’appuie sur un ensemble de recherches menées depuis une quinzaine d’années et portant sur l’analyse des rapports de pouvoir dans la production des espaces urbains, saisis à partir des thématiques patrimoniales et mémorielles. Il cherche à montrer, à travers quatre cas d’études français, comment la patrimonialisation des héritages industriels renseigne sur les rapports socio-spatiaux de classes.
EN:
Historically, cultural heritage and monuments are associated with the the ruling class, as opposed to the categories of the popular. In the case of industry, the process of heritagization is often a reflection of interclass relations of domination and exploitation. But the spatial dimension of memories can also be a means of denunciation, struggle and resistance against social inequalities. Memory and heritage are therefore instruments of power in and over space, and are thus particularly relevant objects for the analysis of relations between social groups. This article is based on a body of research carried out over the last fifteen years on the analysis of power relations in the production of urban spaces, based on themes related to heritage and memory. It will show, through four French case studies, how the heritagization of industrial heritage may shed light on socio-spatial class relations.
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La patrimonialisation de l’héritage industriel comme stratégie de valorisation : vers la généralisation d’une idéologie territoriale
Charles-Edouard Houllier-Guibert and Camille Mortelette
pp. 217–234
AbstractFR:
Le marketing territorial valorise les espaces en reposant sur différentes idéologies territoriales parmi lesquelles, le patrimoine industriel dispose de quelques avantages. D’une part, il permet de positionner un territoire dans son ancrage historique tout en montrant le caractère révolu d’un passé difficile. D’autre part, il met en valeur différents paysages (bâti, naturel, objet technique) qui justifient la conservation de traces lourdes difficiles à faire disparaître. L’étude de quatre terrains (Saint-Étienne, Montréal, Nantes et le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais) présente la variété des types de territoire qui s’engagent dans cette voie (métropole, capitale régionale, petites villes portées par la politique régionale) à propos de sites tout aussi variés (concentrés ou multipolaires) montrant ainsi que le patrimoine industriel est facilement mobilisable comme levier stratégique de valorisation du territoire.
EN:
Territorial marketing enhances sites by relying on different territorial ideologies, among which the industrial heritage has some advantages. On the one hand, it makes it possible to position a territory in its historical roots while showing the bygone nature of a difficult past. On the other hand, it highlights different landscapes (built, natural, technical object) which justify the conservation of burdensome traces that are difficult to remove. This analysis of four sites (Saint-Étienne, Montreal, Nantes and the Nord-Pas-de-Calais mining basin) presents the various types of territories that are taking this path (metropolitan area, regional capital, small towns by regional policy) with regard to equally varied sites (concentrated or multipolar), thus showing that industrial heritage can easily be mobilized as a strategic lever for the valuing of a territory.
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La place du patrimoine industriel dans les réhabilitations de friches : de la plus-value dérobée à l’argument d’aménagement
Georges Gay
pp. 235–250
AbstractFR:
Parce que leur requalification rencontre nécessairement le problème du traitement des traces de l’activité disparue, les friches questionnent le rapport que la société entretient avec le patrimoine industriel. Scories à éliminer car portant la marque de l’archaïsme pour les politiques fordistes d’aménagement, les héritages de l’industrialisation ancienne sont devenus des atouts à exploiter pour se distinguer dans la concurrence territoriale généralisée qui prévaut depuis les années 1980. L’instrumentalisation opportuniste du décor industriel qui marque les opérations alors engagées, rencontre ses limites au tournant des années 2000. L’émergence d’une sensibilité au patrimoine industriel dans les territoires concernés, la montée des contraintes environnementales, signent l’épuisement des recettes éprouvées. La mobilisation des ressources académiques apparaît alors comme un palliatif de l’impuissance des aménageurs. Il en résulte un approfondissement sur le sens historique du legs qui dépasse les effets de la seule séduction du bâti et transforme le statut du patrimoine de plus value dérobée en argument d’aménagement. Les logiques de requalification restent cependant essentiellement économiques et ne se démarquent pas d’objectifs de revalorisation et de promotion territoriale imposés aux populations.
EN:
Because the requalification of industrial wastelands is necessarily entangled with the challenge of dealing with traces of an obsolete activity, it questions the relationship that a society entertains with its industrial heritage. As slags to be eliminated because they bear the mark of the archaism of Fordist development policies, the heritage of industrialization from a bygone era have become assets to be exploited in order to stand out in the general competition between territories that has prevailed since the 1980s. The opportunistic instrumentaization of industrial landscapes which characterizes these operations met its limits at the turn of the 2000s. The emergence of an awareness to industrial heritage in the territories concerned with these tendencies and the rise of environmental constraints, led to the exhaustion of established methods. The mobilization of academic resources now appears to be a palliative for the incapacity of planners, and the result is a deepening of the historical sensitivity to industrial heritage, which goes beyond the effects of the mere seduction from the built environment, and transforms its status from the heritage of a stolen surplus value into a asset for development. The logic of this requalification, however, remains essentially economic and does not differ from the objectives of territorial upgrading and promotion imposed on the populations.
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Les acteurs privés et la réutilisation du patrimoine industriel en France : entre intérêts, caractéristiques et sens des lieux
Luc Rojas
pp. 251–265
AbstractFR:
La réhabilitation et la réaffectation sont dans l’esprit des observateurs synonymes de l’action des acteurs publics. En effet, les grands projets de réhabilitations sont souvent portés et initiés par les municipalités et les intercommunalités. Or les acteurs privés (particuliers, entreprises, associations…) jouent un rôle important en matière de réhabilitation et de réaffectation. Ceux-ci peuvent être à l’initiative de la réhabilitation mais ils peuvent aussi investir un site réhabilité par les collectivités et offrir à celui-ci une seconde vie. L’ambition est ici de mettre à jour les motivations, les intérêts de l’acteur privé lorsqu’il prend en main la destinée d’un site : considère-t-il cet héritage comme une simple ressource foncière ou lui accorde-t-il plus de valeur? Cet article interroge aussi plus largement les caractéristiques de la réaffectation économique. Ainsi ce phénomène est aussi bien à l’initiative des collectivités que des acteurs privés. Néanmoins, des caractéristiques se dégagent, certains sites étant pris en charge par les municipalités et les intercommunalités alors que les autres sites restent en friche ou sont pris en charge par les entreprises, les particuliers ou les associations. Cependant tous posent la question de la patrimonialisation et de la valorisation.
EN:
Large rehabilitation projects are often implemented by public actors. But private actors (citizens, companies, association…) also play an important role. Thay can initiate rehabilitation projects, and they can also invest in a site rehabilitated by the communities and offer it a second life. The objective of this article is to present the motivations and interests of private actors as they take charge of the future of a site. This article also examines more broadly the characteristics of economic reallocation, a phenomenon that comes as much from the initiative of communities as of private actors. Nevertheless, some characteristics emerge: some sites are taken care of by the municipalities and inter-municipal authorities, while other sites remain abandoned, or are taken care of by companies, individuals or associations. However, all these situations raise the question of heritage development and valuing.
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Les reconversions des manufactures françaises des tabacs
Paul Smith
pp. 267–295
AbstractFR:
Depuis la fermeture, en 2017, de l’usine à cigarettes de Riom (Puy-de-Dôme), l’industrie des tabacs n’existe plus en France. Elle remontait au XVIIe siècle et pour la plus grande partie de son histoire elle avait été monopolisée par l’État, un monopole fiscal exploité par des compagnies de fermiers sous l’Ancien Régime puis par une administration placée sous la tutelle du ministère des Finances au XIXe et XXe siècles. Cette industrie d’État nous lègue aujourd’hui un échantillon remarquable d’établissements manufacturiers, témoignant de trois siècles d’architecture industrielle. Notre article porte un regard sur le devenir de ces établissements après leur abandon par l’industrie. Les nouveaux usages insérés dans les murs sont très variés — logements, locaux d’enseignement, équipements culturels, lieux d’activités, hôtels, espaces tertiaires… — mais ils soulèvent tous la question de l’interprétation, sur place, de l’histoire des lieux et celle aussi de la sauvegarde du patrimoine technique de l’industrie. Ces questions sont posées en examinant de plus près quatre opérations de reconversion, à Issy-les-Moulineaux en banlieue parisienne et à Nantes, au début des années 1980, puis, plus récemment, à Morlaix (Finistère) et à Marseille.
EN:
In 2017, the closure of the cigarette factory at Riom, in the Puy-de-Dôme department, marked the end of the tobacco industry in France. This industry dated back to the late seventeenth century and for most of its history it was a state fiscal monopoly. Under the Ancien Régime, this monopoly was exploited by private companies as a tax farm. During the nineteenth and twentieth centuries, it was run directly by the state, by a service which was a part of the Ministry of Finance. Today, this state industry has left a remarkable legacy of manufactories and factory buildings, covering three centuries of industrial architecture. This article takes a look at what becomes of these places after industrial production comes to an end. In cases of conversion, the new uses found for the historic industrial buildings are extremely varied: housing, university premises, cultural facilities, hotels, offices… But all raise the difficult questions of how the history of the place is to be interpreted for its new users, and how the technical heritage of the industry can be preserved. These questions will be examined through a closer look at four conversion operations, two dating from the early 1980s, at Issy-les-Moulineaux in the Paris suburbs and at Nantes, and two others, undertaken more recently, at Morlaix, a port in the Brittany department of Finistère, and at Marseille.
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Défis de conservation et de réhabilitation du patrimoine industriel bâti face au changement climatique
Richard Cantin
pp. 297–311
AbstractFR:
Depuis le XVIIIe siècle, les activités industrielles ont généré un patrimoine industriel bâti dont la richesse architecturale témoigne de nombreuses innovations constructives. En délaissant les matériaux naturels pour recourir aux matériaux artificiels, et en intégrant une nouvelle logique constructive, le secteur du bâtiment s’est industrialisée. Simultanément, l’essor des activités industrielles, fortement consommatrices d’énergies fossiles, a contribué à une augmentation anthropique des émissions de gaz à effet de serre qui ont transformé l’atmosphère terrestre. Aujourd’hui, l’évolution du climat implique des risques variables pour le patrimoine, et les impacts du changement climatique sont déjà nombreux. Ainsi, pendant deux siècles, l’industrialisation a façonné un patrimoine bâti qui aujourd’hui est menacé rétroactivement par le changement climatique qu’il a favorisé.
EN:
Since the 18th century, industrial activities have generated a built industrial heritage whose architectural richness bears witness to numerous constructive innovations. By abandoning natural materials to resort to artificial materials, and by integrating a new constructive approach, the building sector has become industrialized. At the same time, the boom in industrial activities, which consume a great amount of fossil fuels, has contributed to an anthropogenic increase in greenhouse gas emissions that have transformed the atmosphere. Today, climate change involves varying risks for heritage, and the impacts of climate change are already numerous. Thus, for two centuries, industrialization has shaped a built heritage which today is threatened retroactively by the climate change it has favored.
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Les nouvelles perspectives du patrimoine industriel
Massimo Preite
pp. 313–334
AbstractFR:
L’évolution enregistrée par la notion de patrimoine industriel ces dernières années implique un réexamen des récits qui vont traditionnellement de pair avec les pratiques de valorisation des sites industriels. Cet article vise à mettre en évidence les principales innovations disciplinaires en référence à trois aspects spécifiques. Avant tout on essayera de signaler l’extension des phénomènes étudiés à de nouveaux domaines. Les nouvelles études thématiques de TICCIH et les récents colloques sur les patrimoines lies à l’énergie atomique et à l’aérospatial ouvrent de nouveaux terrains de recherche qui semblent annoncer un grand élargissement de l’horizon disciplinaire. Un deuxième aspect est celui des nouvelles pratiques de conservation où l’urgence d’assigner des nouvelles fonctions au patrimoine industriel réaffecté implique des approches qui doivent conjuguer protection et transformation. Le dernier aspect est celui des nouvelles valeurs dans les stratégies de patrimonialisation qui visent à faire émerger certains cotés qui souvent n’ont pas trouvé un espace suffisant dans les récits habituels : la question coloniale et la question de l’environnement.
EN:
The evolution of the concept of industrial heritage in recent years entails a re-examination of the narratives that traditionally go hand in hand with the development practices of industrial sites. This article aims to highlight the main disciplinary innovations with reference to three specific aspects. Above all, we will try to show the extension of the phenomena studied to new areas. The new thematic studies of TICCIH and the recent conferences on the heritage linked to atomic energy and aerospace are opening up new fields of research which seem to herald a great widening of the disciplinary horizon. A second aspect is that of new conservation practices where the urgency of assigning new functions to a reused industrial heritage implies approaches that must combine protection and transformation. The last aspect is that of the new values in heritage strategies which aim to bring out certain dimensions that often have not found sufficient space in the usual heritage narratives: the colonial question and the environment question.
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Les confins du patrimoine : retour sur un ouvrage collectif
Michel Rautenberg
pp. 335–345
AbstractFR:
Cet article est une relecture d’un ouvrage collectif paru en 2019, sous un titre éponyme, codirigé par l’auteur. Le patrimoine est aujourd’hui une notion complexe, parfois qualifiée de « nomade » ou de « labile », en tension entre son histoire institutionnelle et ses usages et conceptions sociales qui le transforment en profondeur. L’argument défendu dans l’ouvrage, et repris dans l’article, est que c’est en examinant ses « confins » qu’on approche le mieux aujourd’hui ce qu’il est et quels sont les enjeux qu’il porte, quels que soient les niveaux, depuis le micro local jusqu’au transnational et à l’international. En définitive, le patrimoine interroge le sens et le fonctionnement de nos sociétés contemporaines.
EN:
This article proposes a rereading of a collective work published in 2019 under the same title and co-edited by the author. Heritage today is a complex notion, sometimes qualified as “nomadic” or “labile,” in tension between its institutional history and its uses and social conceptions that deeply transform it. The argument defended in the book, and taken up again in the article, is that it is by examining its “borders” that we can best approach today what heritage is and what are the issues that it carries, whatever the level, from the local micro scale to the transnational and the international. Ultimately, heritage puts into question the meaning and the ways of functioning of our contemporary societies.
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La reconversion de l’Alliance, un site industriel d’exception en Haute-Loire (France)
Jörn Garleff
pp. 347–355
AbstractFR:
Dans ces pages, Jörn Garleff, enseignant à l’Ecole Nationale d’architecture de Saint-Étienne, nous livre ses questions sur le site de L’Alliance situé à Pont-Salomon (Haute-Loire, France). Il est, en effet, depuis peu le président d’une association qui s’est donnée pour objectif de mettre en valeur ce site et de lui offrir une seconde vie par l’intermédiaire de projets. Ce témoignage, d’un acteur associatif essentiel en matière de patrimoine industriel, nous rappelle les difficultés et les interrogations inhérentes à une telle ambition.
EN:
In this piece, Jörn Garleff, who teaches at the National School of Architecture of Saint-Étienne, exposes his musings on the Site of the Alliance, located in Pont-Salomon (Haute-Loire, France). He has recently become the President of an association that has set itself the goal of promoting the site and giving it a second life through different projects. This account, from a central associative actor involved in the preservation of industrial heritage, highlights the challenges and problems that are inherent in these endeavors.